Papiers à bulles !

Premières chroniques BD de la rentrée !  Demandez le programme ! Alors, dans le désordre, une superbe adaptation du déjanté « La forêt des renards pendus » d’Arto Paasilinna par Nicolas Dumontheuil, la débâcle de 40 vue par Rabaté, une enfance en Irak par Trondheim et Findakly, une immersion dans le quartier d’Exarcheïa et pour finir un polar existentiel mettant en scène des vieux anars espagnols. ça vous tente ? Vous pouvez y aller, que du plaisir !

 

 

forêt renards pendus

 

Rafael, un escroc un peu dandy et fainéant comme une loutre, a fait vœu d’oisiveté et ne peut concevoir la vie que luxueuse et voluptueuse. Contraint de s’exiler pour se faire oublier de son complice, véritable psychopathe, il se réfugie en Laponie, accompagné des précieux lingots d’or dérobés au cours de son juteux dernier casse. Pensant être peinard et bien à l’abri dans ce coin totalement paumé, il voit débarquer Gabriel, un militaire ivrogne et bagarreur, en rupture de couple, qui fuit autant sa hiérarchie que son épouse… Là-dessus débarque une nonagénaire qui s’est carapatée avec son chat, afin d’éviter de se retrouver cloitrée dans la maison de retraite où on voulait la placer d’office … ça commence à faire du monde tout ça, et cette promiscuité ne faisait pas partie du plan de Rafael ! Sa tranquillité semble bien compromise…et ce n’est que le début ! Du roman éponyme d’Arto Paasilinna, Nicolas Dumontheuil a su en extraire la substantifique moelle, mettant en images avec un indéniable talent les personnages marginaux et déjantés de l’auteur finlandais. Son adaptation de « La forêt des renards pendus », non seulement fidèle à l’esprit de Paasilinna que je ne saurai trop vous recommander de découvrir si ce n’est déjà fait, est un véritable régal. Dessins aux tons sépia, personnages aux expressions irrésistibles, Dumontheuil nous fait un zéro faute et nous gratifie d’une lecture savoureuse et trépidante. Gros coup de cœur !!!

La forêt des renards pendus de Nicolas Dumontheuil, Futuropolis, 2016 /21€

 

 

coquelicots Irak

 

Le coquelicot est une fleur fragile. A peine cueilli, il se fane… Jolie métaphore pour illustrer cet album où Brigitte Findakly, épouse de Trondheim, nous livre ses souvenirs d’enfance… Née en Irak dans les années 60 d’un père irakien et d’une mère française, elle a été contrainte à l’exil dans les années 70. Par la grâce du dessin de Trondheim et la beauté des couleurs de Brigitte, cette enfance ponctuée de coups d’état et de dictatures militaires prend forme et vie, par petites bribes de souvenirs marquants et douloureux, nous dévoilant une photographie émouvante de ce pays meurtri et du déchirant déracinement qui a profondément traumatisé ceux qui ont dû le fuir … Après le sublime « Persépolis » de Marjane Satrapi, Trondheim et Findakly, à leur tour, se livrent à ce poignant et tendre exercice de mémoire pour exorciser une nostalgie teintée de souffrance, avec autant de réussite…Avec simplicité et talent, ils nous touchent au cœur… Des photographies personnelles de Brigitte Findakly sont parsemées ici et là ; images réelles et fortes qui renforcent cette mélancolie… Superbe.

Coquelicots d’Irak de Brigitte Findakly et Lewis TrondheimL’Association, 2016 / 19€

 

 

au fil de l'eau

 

A Madrid, de nos jours, une bande de vieux copains vit de petits trafics, volant et revendant leurs larcins…Ils améliorent ainsi leur ordinaire, donnant du piment à leurs existences ponctuées de parties de cartes et trop souvent, d’ennui…Tous octogénaires, les vieux anars sont amis depuis les années 30, lorsqu’ils combattaient le Franquisme. L’un d’eux, Niceto vit la plupart du temps chez Alvaro, son petit-fils. Ce dernier travaille dans l’humanitaire et se prépare à devenir père, sa compagne n’étant pas loin d’accoucher. Les rapports entre Niceto et Alvaro sont faits d’une belle complicité. Le fils de Niceto, Roman, est médecin légiste et travaille donc pour la police… Ce que visiblement son père a du mal à accepter … Quand Longinos, un des papys est retrouvé assassiné, c’est la consternation… Et le début aussi d’une série de meurtres qui va décimer les grands-pères… Quand Niceto disparaît, l’inquiétude de Roman et Alvaro va crescendo… Niceto a-t-il un lien avec ces meurtres ? Est-il en danger ? Juan Diaz Canales, connu jusque là pour son rôle de scénariste (Blacksad, Corto Maltese) créé avec cette première réalisation en tant que dessinateur, une belle surprise. ! Noir et blanc classieux, portraits criants de vérité, il illustre à merveille le temps qui passe avec ses visages ridés et burinés d’une saisissante vérité. Son scénario quant à lui oscille entre polar et drame existentiel, entretenant un suspense qui ne sera dévoilé qu’à la toute fin… Assurément, une belle découverte et un coup de maître !

Au fil de l’eau de Juan Diaz Canales, Rue de Sèvres, 2016 / 17€

 

 

Exarchéia

 

Exarcheïa est un quartier historiquement anarchiste d’Athènes, haut lieu de la résistance durant les années noires de la dictature des colonels. Cette tradition militante est plus que jamais vivace dans la crise que connait actuellement la Grèce, et fleurissent un peu partout dans ce quartier des initiatives pour vivre autrement et pour changer les mentalités. C’est dans ce lieu qu’est né Nikos. Il en est parti pour faire ses études et y revient pour quelques jours de vacances chez son oncle Christos et sa tante Natalia qui y tiennent un bistrot. Il trouve sa tante seule, fatiguée, son oncle a fait une attaque et est hospitalisé… Des squatters ont pris possession d’un immeuble leur appartenant et ils ne peuvent disposer de leur bien… Nikos va tenter de résoudre le problème en douceur et décide de rester plus longtemps que prévu pour donner un coup de main à ses proches… Mastoros et Wouters nous donnent à voir la vie à Exarcheïa où la parole est libre, où les parkings, par la volonté de ses habitants deviennent des jardins et où les fresques fleurissent sur les murs apportant couleurs, vie,  et messages d’espoir ou de colère… Ils nous montrent aussi le mal de vivre d’un pays en difficulté : Les junkies hantent les lieux, la violence est partout présente… Les images défilent, mouvantes et floues, les traits sont estompés, les couleurs sépia… L’ambiance et les personnages de ce superbe roman graphique gardent leur mystère, on ne les perce jamais vraiment à jour… Étrange et envoutante, une BD à belle gueule d’atmosphère !

Exarcheïa, l’orange amère de Dimitrios Mastoros et Nicolas Wouters, Futuropolis, 2016 / 24€

 

 

la déconfiture

 

Juin 1940. Sur les routes de France, c’est la débâcle… Civils et militaires fuient l’avancée allemande qui se fait de plus en plus pressante… De longs convois chargés de bric et de broc défilent, les gens sont épuisés, la plupart n’ont aucun moyen de locomotion et ne savent même pas où ils vont… La peur est dans tous les regards car l’aviation allemande envoie ses stukas mitrailler tout ce qui bouge : partout des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants jonchent le sol… Les militaires, eux aussi en pleine déroute, ne sont pas épargnés … Partout, la pagaille règne : certains sont même à la recherche de leur régiment ! Videgrain est un de ces soldats. Un éclat d’obus ayant créé un énorme cratère sur la route, il est chargé de « garder » le trou jusqu’au passage du convoi de la Croix Rouge. Quand il veut repartir, il s’aperçoit que le réservoir de sa moto a pris une balle… le temps de réparer, son régiment est bien loin… Sur sa route, il va croiser d’autres bidasses tout autant fatalistes et résignés que lui… De l’illustration au scénario, Rabaté dépeint à merveille et sans fausse note cette ambiance si particulière de l’exode et de la déroute de 40. Dessin noir et blanc laissant passer la lumière d’été, expressions des visages, vêtements, rien n’a été laissé au hasard et reflète à la perfection cette période. Quant aux dialogues, ils collent comme un gant à l’état d’esprit de l’époque ! Désabusés et teintés d’un humour salvateur et bon enfant, ils nous ramènent tout droit dans les ambiances des films de ces années-là. Bon, c’est bien beau, mais elle sort quand la seconde partie, Hein ? Pffffff…. Va falloir attendre … Allez, monsieur Rabaté, au boulot !

La déconfiture (Première partie)  de Pascal Rabaté, Futuropolis, 2016 / 19€

 

Christine Le Garrec