• zinzinule,, je te suis • 2 •

Cette fois-ci, une balade réflexive dans le temps : on aborde les visions muséales d’un fameux architecte du siècle dernier, puis les analyses contemporaines de nos sociétés avec la revue Esprit. De belles images d’anticipation achèvent cette chronique avec une BD aux subtiles couleurs.

Le Corbusier penseur du musée

Figure radicale de l’architecture moderne européenne, Le Corbusier n’eut de cesse de penser les espaces de la société machiniste. Cet ouvrage se penche avec précision sur ses travaux muséaux : 15 projets sortis de terre ou non, comme le Musée de la connaissance, idéal qu’il travaillera pendant plus de quatre décennies.

On y sonde le prisme de réflexions de l’architecte qui se voulait au même titre artiste peintre, scénographe et curateur dans une approche didactique globale.

Au fil des pages, on découvre la dimension personnelle qu’il donne au musée : les objets de la vie quotidienne y sont exposés au côté d’œuvres d’art officielles ou de leurs reproductions photographiques, forme dorénavant valorisée. La polyvalence des salles devient systématique en même temps que s’établit une continuité entre l’intérieur et l’extérieur.

Cet ouvrage replace adroitement ces intentions dans leur contexte en nous présentant le réseau de relations et d’influences du Corbusier : culture et politique sont au cœur du projet muséal.

La force de ce livre tient à la justesse de ses illustrations et à l’anthologie de dix-sept textes de la main du Corbusier, discours, lettres et extraits de publications, parfois inédits, qui étayent les cinq premiers chapitres thématiques. Ce sont à la fois des outils efficaces pour comprendre la question muséale moderne et un hommage formel pertinent à celui qui a aboli la frontière entre document d’archive et œuvre d’art.

Le Corbusier penseur du musée par Catherine de Smet, Flammarion, 2019 /29,90€

• Esprit • janvier-février 2020 • N°461

Dans ce nouveau numéro, les nombreuses voix pensantes d’Esprit continuent de lire notre monde contemporain. 2019 ayant été l’année des insurrections, ces premiers mois de 2020 invitent à la décantation des idées.

Revue polyphonique, elle propose des analyses de phénomènes et actualités géopolitiques comme avec l’article exposant les enjeux et la subtile réalité de la révolution libanaise, des chroniques culturelles et un dossier central en trois temps : “l’appropriation culturelle”, “la décolonisation des savoirs”, “divisions et mises en commun”, qui aborde selon un habile enchaînement le thème donné à ce début d’année : le partage de l’universel.

Ce concept y est décrypté via ses multiples interprétations dans un monde post-colonies où les vieux systèmes de domination perdurent. On peut notamment citer la négritude d’Aimé Césaire explicitée dans le deuxième pan du dossier. Ce courant littéraire et politique y est présenté dans sa lutte contre l’abstraction floue de l’universalité et le particularisme à œillères, dans son désir de dévorer le monde pour le rendre à chacun. Évoqué aux côtés de l’afrocentrisme, il invite à sortir du dualisme opposant universel et particulier et amène subtilement la question du commun, abordée dans la dernière partie.

Je ne peux finir cette chronique sans parler de l’article de Xénophon Tenezakis qui analyse et questionne nos différents affects, postures et représentations de la catastrophe à partir de différents biais philosophiques (notamment avec une intelligible critique des propos kantiens). Alors que le mot anthropocène s’impose pour définir notre relation destructrice au monde, il propose des pistes pour une imagination écologique, des voies à inventer pour nous saisir du présent, sortir de la tétanie ou de la sublimation stérile.

Rédigée avec une exigence de référence et de pensée, dans une langue riche et technique, Esprit livre des réflexions fécondes qui insufflent un rapport plus poreux au monde.

revue Esprit, janvier-février 2020, n°461, 22€ /12,99€ (numérique)

La mécanique Céleste

Les très belles planches de cette BD nous mènent dans un futur moite : nous sommes en 2068, après un déluge, une catastrophe nucléaire et des guerres.

L’aquarelle des dessins reflète subtilement les ruines de notre civilisation : l’eau a envahi des villes entières, les arbres sont immenses et les communautés humaines isolées par “les eaux profondes”. Dans ce monde, le numérique s’est incroyablement raréfié, le savoir technologique balbutie, tout ce qui n’a pas rouillé se récupère et les perroquets s’épanouissent dans le ciel radioactif… Un contexte post-apocalyptique chatoyant et arpenté par des personnages aux bonnes répliques.

Quant au titre, “la mécanique céleste” désigne habituellement le mouvement des astres. Ici, Merwan nous surprend avec un instrument de libération politique et fait danser les orbes dans des planches dynamiques.

L’auteur nous livre une aventure originale : couleurs et grâce du trait sont mises au service d’une nature débridée dans laquelle les humains se réorganisent. Lumineux !

La Mécanique céleste par Merwan, Dargaud, 2019/25€

Nush