Interview David Fleming – Une Ode Américaine

Cuivres pompeux sur Backdraft (1990), chœurs religieux sur la Trilogie Robert Langdon (DaVinci Code (2006), Anges & Demons (2009) & Inferno (2016)) et synthétiseurs vigoureux sur Frost/Nixon (2008) et Rush (2013) : Hans Zimmer a toujours su briller avec Ron Howard derrière la caméra. A deux reprises (Le Dilemme (2011), Rebuilding Paradise (2020)), il fut épaulé par Lorne Balfe, son fidèle collaborateur de longue date reconverti free-lance, que l’on pensait retrouver au pupitre du drame biographique Une Ode Américaine, produit par Netflix. Mais qui est donc David Fleming, l’homme qui partage les crédits musicaux de cette « épopée émotionnelle » très décriée ?

Lorsque Ron Howard jette son dévolu sur le livre autobiographique de J.D. Vance (Hillbilly Elégie, éd. Globe, 2016), nouveau symbole de la littérature appalachienne ; son intention n’est pas de justifier les convictions politiques de la famille Vance mais d’explorer la complexité de leurs « dynamiques familiales », en proie à l’autodestruction et à la pauvreté, marquée « par le cercle vicieux de l’héritage générationnel ». Dans Une Ode Américaine, l’adage « on ne choisit pas sa famille » prend tout son sens… Ayant fui un passé défavorisé et une mère junkie bipolaire (Amy Adams), un ancien marine et futur homme d’affaires (Gabriel Basso) est amené à retourner sur sa terre natale ; où il fut élevé par une grand-mère acrimonieuse dotée d’une intelligence remarquable (Glenn Close), pour y gérer les nouveaux débordements de sa génitrice. Grâce à une instrumentation millimétrée et une interprétation saisissante de musiciens hors pairs, la musique de Hans Zimmer et David Fleming tend à renforcer notre rapport empathique avec le clan des Vance tout en célébrant la beauté culturelle des Appalaches. Leurs pages intimistes poignantes font émerger quelques envolées orchestrales mêlant, avec finesse et précision, l’épique à la mélancolie, dont les couleurs évoquent la nostalgie des années 80/90. « Rust » et « Responsability » illustrent ce désir inné de s’affranchir du cercle familial et la prise de conscience des responsabilités qui nous incombent en invoquant le violoncelle élégiaque de Tina Guo. Teinté d’une tristesse blanche, « Steel In Our Veins » fait échos aux traumatismes qui ont forgé la personnalité de notre protagoniste avant de libérer les solos de guitare de Derek Trucks qui annoncent un renouement familial cathartique. Enfin, « Transformation (End Titles) », plus expressionniste et lumineux grâce au jeu épuré du violon de Ben Powell, évoque une certaine quiétude : J.D. aspire à vivre plus sereinement et à se construire un avenir meilleur. Nul doute que leurs compositions sublimes viennent parfaitement compléter la sortie de la partition euphorisante de Wonder Woman 1984 (P. Jenkins, 2021) !  

Depuis 2009, David (Dave) Fleming a rejoint le cercle restreint des compositeurs de Remote Control ; enchaînant les collaborations avec Atli Örvarsson ( Phénomènes Paranormaux (O. Osunsanmi, 2009), L’Aigle De La Neuvième Légion (K. Macdonald, 2011), Hansel & Gretel : Witch Hunters (T. Wirkola, 2013), The Mortal Instruments : La Cité des Ténèbres (H. Zwart, 2013)) ; Steve Jablonsky (Transformers L’Age de l’Extinction (M. Bay, 2014), Ninja Turtles 2 (D. Green, 2016), Transformers : The Last Knight (M. Bay, 2017)) ; Tom Holkenborg alias Junkie XL (Divergente (N. Burger, 2014) ou encore, Hans Zimmer en personne (Son of God (C. Spencer, 2014), Le Petit Prince (M. Osborne, 2015), X-Men : Dark Phoenix (S. Kinberg, 2019), Le Roi Lion (J. Favreau, 2019)) ! Comme eux, il prendra tôt ou tard son envol… S’essayant depuis peu à la co-composition (le documentaire nature Blue Planet II), le natif de Carmel dans l’Etat de New-York a accepté de nous dévoiler les secrets d’une des meilleures partitions de 2020 !

DE MIKE POST A HANS ZIMMER

Qu’est-ce qui vous a attiré dans la musique de film ?

Depuis tout jeune, j’ai toujours été attiré par la façon dont la musique aidait à raconter des histoires. Je me rappelle avoir écouté en boucle la cassette « Le Fantôme de l’Opéra » [de la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber, 1986], qui appartenait à ma famille, jusqu’à l’usure ! J’ai aussi volé les disques de Bruce Springsteen et Meat Loaf de mon père ! En les écoutant, j’ai remarqué à quel point ces albums étaient cinématographiques et dramatiques, ils me sont apparus plus prestigieux que de simples chansons populaires. Adolescent, j’ai joué dans plusieurs groupes et travaillé dans un vidéoclub, lorsqu’ils existaient encore, ce qui m’a permis de me plonger dans une grande variété de films. C’est alors que j’ai commencé à remarquer les effets puissants que la musique et l’image peuvent avoir l’un sur l’autre. Lorsque vous êtes musicien et que vous jouez avec d’autres musiciens, vous pouvez ressentir un « déclic », ce qui est une sensation vraiment merveilleuse. Voir le bon morceau de musique associé à la bonne image n’est pas tant différent. J’ai toujours trouvé cette sorte de narration musicale incroyablement excitante.

Comment avez-vous rejoint l’équipe de Remote Control ?

Je m’intéressais à Remote Control alors que je vivais encore à New York, où j’étudiais à l’école de musique tout en cumulant un job dans les studios d’enregistrement. Bien sûr, j’avais entendu parler de ce « campus » pour compositeurs mais je n’avais aucune idée de la façon dont je pourrais m’y retrouver. Lorsque j’ai remporté la bourse Pete Carpenter [de la Fondation] BMI, je me suis rendu à Los Angeles où j’ai été amené à travailler six semaines durant avec le légendaire compositeur de télévision Mike Post [Magnum, L’Agence Tous Risques, Code Quantum, New York Unité Spéciale, ndlr]. Mike était incroyablement encourageant et il m’a présenté à un ancien gagnant de cette même bourse, Atli Örvarsson, qui, par coïncidence, travaillait à Remote Control et cherchait justement de l’aide ! J’ai commencé par être son assistant avant de devenir indépendant quelques années plus tard. Depuis, j’ai eu la chance d’avoir mon propre espace chez Remote Control et je suis reconnaissant de toujours faire partie de cette communauté.

En l’espace d’une dizaine d’années, vous avez œuvré aux côtés d’Atli Örvarsson, Steve Jablonsky, Lorne Balfe, Junkie XL et Hans Zimmer. Qu’avez-vous appris de ces multiples collaborations ?

J’ai eu la chance de travailler en étroite collaboration avec un certain nombre de compositeurs extrêmement talentueux et d’apprendre des choses très différentes de chacun. Atli a été mon véritable mentor, il m’a aidé à devenir compositeur en me donnant l’opportunité de faire mes armes. Grâce aux travaux que j’ai réalisé pour lui, j’ai été sollicité pour travailler sur d’autres projets avec Steve Jablonsky, Lorne Balfe et Junkie XL, qui sont tous dotés d’un talent unique. C’est une expérience formidable car vous commencez à glaner diverses astuces et procédés chez les uns et les autres, découvrir ce qui fonctionne pour vous et ce qui ne fonctionne pas. Enfin, travailler avec Hans a été incroyable ! Il est le dénominateur commun entre tous ces compositeurs avec lesquels j’ai travaillé auparavant car n’oublions pas qu’il a encadré chacun d’eux ! Il fut intéressant de parvenir à identifier les multiples facettes de son style et de son savoir-faire qui ont été absorbées par tant d’autres mais aussi de découvrir cette source infinie de connaissances qu’il possède. Tout ce qu’il vous enseigne est le fruit d’un niveau de compétences particulièrement élevé, acquis au cours de nombreuses années et diffusé de manière continuelle. Et surtout, il est doué pour me rappeler de toujours m’amuser et de continuer à expérimenter, ce qu’il n’a jamais arrêté de faire !

Dans la plupart des films sur lesquels vous êtes crédités, on vous retrouve principalement attaché à la composition de musiques additionnelles. Qu’est-ce que ce rôle implique exactement ?

Le rôle s’est avéré différent en fonction des personnes avec qui j’ai travaillé mais vous êtes essentiellement un collaborateur de confiance. Il s’agit de se mettre en phase avec la vision de quelqu’un d’autre et de l’aider à définir cette vision. D’une certaine façon, ce n’est pas tant différent de la relation qu’entretient un compositeur et un réalisateur. Je pense toujours que cela fonctionne d’autant mieux lorsque la confiance établie entre les deux parties est suffisante afin que la personne pour laquelle vous travaillez soit vraiment enthousiaste à l’idée que vous apportiez votre propre point de vue sur le projet.

UNE ODE A LA FAMILLE VANCE

Sur Une Ode Américaine (Hillbilly Elegy), Hans Zimmer vous convie à co-composer sa 8ème partition pour Ron Howard. Comment avez-vous défini ensemble la direction musicale que devait emprunter le long-métrage ?

Au début, Ron, Hans et moi-même avons beaucoup discuté de l’approche « régionale » que nous comptions lui donner. Les Appalaches possèdent un riche patrimoine musical et nous ne voulions pas caricaturer cette culture authentique et magnifique. Lors d’une conversation sur le fait d’utiliser ou non le banjo (ce que nous n’avons pas fait !), Hans est intervenu en disant : « Ce n’est pas à propos de ça. C’est une épopée émotionnelle ! ». L’idée d’une lutte universelle en est ressortie : l’histoire de cette famille pourrait être celle de n’importe quelle autre famille, n’importe où dans le monde. A partir de ce constat, nous avons réalisé qu’il était plus pertinent de se soucier de la minutie de l’instrumentation que de trouver la bonne approche musicale et les bons musiciens pour raconter l’histoire de la famille des Vance.

Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Ce n’était pas difficile ! Les performances de Glenn Close et Amy Adams, en particulier, sont très convaincantes. Les personnages sont complexes car leurs liens familiaux sont si puissants qu’ils persistent même dans les moments les plus durs. J’ai adoré explorer musicalement cet ascenseur émotionnel ! De plus, le décor est un véritable personnage à part entière. Dès la scène d’ouverture, vous pouvez ressentir la vénération dont témoigne Ron [Howard] à l’égard des collines et de la verdure du Kentucky qu’il photographie avec passion. La qualité spirituelle de cet environnement très magnétique était particulièrement inspirante pour composer.  

Comment s’est déroulé le processus d’écriture ? Avez-vous procédé à une répartition des tâches en vous focalisant sur certaines scènes/mélodies spécifiques ou bien, au contraire, avez-vous toujours travaillé conjointement avec Hans Zimmer ?

Nous avons toujours travaillé de manière très étroite, en présentiel, avant d’être séparés par le confinement. A partir de ce moment-là, nous étions constamment sur FaceTime ou Zoom pour confronter nos idées communes. Durant le premier week-end de lock-out à Los Angeles, Hans m’a appelé le samedi soir car il voulait me consulter au sujet de Derek Trucks, l’un des meilleurs guitaristes bottleneck au monde, qu’il comptait approcher pour interpréter notre partition. C’est le genre d’idée très excitante qu’il fait bon d’entendre au moment où les choses semblaient si sombres ! Ce type d’appel a permis à notre collaboration de conserver toute son énergie et sa fraîcheur, même si nous ne pouvions pas être dans la même pièce, assis côte à côte devant notre piano.

Quels sont les écueils à éviter lorsque l’on compose à quatre mains ?

Je suppose que le principal écueil serait de considérer que nos propres idées sont trop précieuses, ce qui empêcherait de collaborer d’une manière très ouverte. Heureusement, ce n’est pas la dynamique de Hans ni la mienne. J’ai implicitement confiance en sa vision et je ressens une réciprocité. En ce sens, vous ne craignez pas de vous fourvoyer ou d’essayer quelque chose qui pourrait ne pas convenir. Hans parle toujours comme s’il appartenait à un groupe de musique et, pour moi qui aie grandi en jouant dans des groupes, c’est une attitude que j’aime. Cela peut être vraiment amusant et valorisant de partager une telle expérience avec quelqu’un d’autre, surtout s’il s’agit d’une personne que vous respectez tant.

Outre le fait de travailler avec Hans Zimmer, quelle a été la partie la plus excitante du projet ?

Travailler avec les musiciens face à face, depuis les séances d’improvisation avec le violoniste Ben Powell au début du processus jusqu’à ce que Derek Trucks déchire tout avec ses solos au cours des dernières semaines. C’était un cadeau formidable d’avoir des joueurs aussi fantastiques prêts à enregistrer notre musique, que ce soit dans le même pièce ou en isolement.

UN PREMIER FILM EN SOLO

Il semble que Hans Zimmer ne puisse plus se passer de vous !? Votre collaboration semble perdurer puisque l’on vous retrouvera aux musiques additionnelles de Wonder Woman 1984 (P. Jenkins, 2021) et Top Gun Maverick (J. Kosinski, 2021). Quel genre de connexion vous lie l’un à l’autre ?  

Il fait ce qu’il fait depuis bien longtemps avant que je ne débarque alors ce n’est certainement pas le cas ! J’aime vraiment travailler avec Hans et j’aime à penser qu’il dirait la même chose. C’est quelqu’un qui, comme moi, essaie toujours de rendre les choses meilleures, même après la fin d’un projet. Cette énergie qu’il dégage est très inspirante ! Il encourage l’expérimentation et veut que la musique donne continuellement l’impression de jouer. Et comme je l’ai dit plus tôt, il nous donne aussi cette impression de fonctionner à la manière d’un grand groupe. C’est un « chanteur principal » fantastique et je me sens extrêmement chanceux de pouvoir jouer à ses côtés.

Peut-on espérer vous retrouver sur un premier projet solo prochainement ?

Oui! En ce moment, je travaille sur un film intitulé Till Death [de A. Keshales] avec Jason Sudeikis, ce qui est très fun. Je suis toujours enthousiasmé à l’idée de pouvoir raconter des histoires intéressantes avec des personnes talentueuses alors j’attends avec impatience de décrocher plus de projets dans les années à venir ! Et pour cela, il faut que j’aille de l’avant !

Je remercie David Fleming pour cette interview et sa gentillesse. Il a pris le temps de répondre à mes questions malgré un emploi du temps surchargé ! Un jeune compositeur à suivre de très près ! Sa page Facebook est à découvrir ici: https://www.facebook.com/DavidFlemingComposer.

David-Emmanuel – Le BOvore (Sources Photos: Orchestral Schools – YouTube)