DUNE – On écoute quoi sur Arrakis ?

La nouvelle adaptation de Dune aura inspiré à Hans Zimmer une partition hybride, peuplée de chœurs ethniques et d’expérimentations tribales, au climax saisissant mais, hélas, trop pauvre en propositions audacieuses pour insuffler la grandeur nécessaire au long-métrage de Denis Villeneuve, qu’il retrouve quatre ans après Blade Runner 2049. On regrette que cette soupe musicale, altérée par les itérations abusives de son main theme et les stéréotypes des sonorités arabisantes censées magnifier les étendues désertiques d’Arrakis, ne soit pas suffisamment épicée…

AU CHŒUR DU DÉSERT

S’il pouvait déjà se targuer d’avoir donné une couleur musicale à quelques personnages majeurs issus de la littérature populaire comme Sherlock Holmes, Hannibal Lecter, Robert Langdon ou Le Roi Arthur, Hans Zimmer réalise avec Dune un vieux rêve d’adolescent qui dépasse de loin ses ambitions les plus folles. Métaphore politique économique et écologique, l’œuvre éponyme de Frank Herbert – où le protagoniste, Paul Atréides, est appelé à mener une révolution en plein cœur d’une lutte intergalactique pour les richesses d’une ressource précieuse nommée l’Épice – ne pouvait qu’espérer un grand nom de la musique de film pour soutenir cette adaptation contemporaine menée de front par le cinéaste visionnaire Denis Villeneuve. Nul besoin de méditer sur l’approche artistique quand on a grandi avec ledit roman : Zimmer sait d’emblée que sa musique « devait provenir d’une autre planète », « d’un autre temps » et proposer des « sons jamais entendus auparavant » comme il l’affirme lui-même en interview. On a pourtant eu tort de penser que sa vision de l’univers d’Herbert serait aboutie…

Commençons plutôt par la plus franche réussite de sa partition : les chœurs. Symbole de la diversité ethnique au sein de l’Imperium (« Bene Gesserit », « House of Atreides »), ils entourent également la quête spirituelle du héros (« Ripples in the Sand », « I See You in My Dreams », « The Fall »), ses visions prophétiques (« Gom Jabbar », « Paul’s Dream », « Premonition ») et les vertus mystiques de l’Épice (« Ripples in the Sand », « My Road Leads Into Desert »). Il aura fallu des mois de travail intensif pour que la team de Remote Control – Steve Mazzaro, David Fleming, Andrew Kawczynski et Steven Doar – accouche d’une nouvelle idioglossie et enregistre des milliers de voix féminines, dont celles de Loire Cotler (X-Men : Dark Phoenix, Raya & Le Dernier Dragon) et Lisa Gerrard (Gladiator, Mission Impossible 2), à travers l’Europe et les États-Unis. Quel dommage que leur présence ne se limite qu’à quelques apparitions dans le score alors qu’ils ne cessent de se déchaîner dans The Dune Sketchbook, l’album des démos où détonne l’incroyable « Song of the Sisters », morceau mystique aux atours chamaniques saisissants, injustement absent au montage final.

Notons également la contiguïté folle des travaux choraux de Dune, X-Men : Dark Phoenix, The Amazing Spider-Man 2 et Anges & Démons : les chuchotis insidieux des Bene Gesserit, peuple féminin à l’influence politique terrifiante, ne vous évoquent-ils pas les murmures haineux de Pharrell Williams dans la tête d’Electro ou l’emprise du Phoenix sur Jean Grey ? (« Song of the Sisters », « Bene Gesserit »). A la chorale féminine s’oppose une chorale masculine lugubre célébrant aussi bien la suprématie que la belligérance des Harkonnen, bien disposés à reprendre possession d’Arrakis. « Dream of Arrakis », « Blood For Blood » et « Armada » dessinent ainsi les contours de cette tension politique extrême en s’appuyant sur des effets dissonants où rivalisent percussions hostiles, synthétiseurs sanguinaires et cornemuse conquérante, symbole de la Maison des Atréides.

DU SABLE ET DES NOTES

Au cours de sa quête, Paul Atréides (incarné ici par Timothée Chalamet) est accompagné d’un riff de guitare électrique solitaire, sans réelle distinction majeure, doublé de synthétiseurs et de percussions tribales/rock (« Paul’s Dream », « Leaving Caladan », « My Road Leads Into The Desert »), plus tard repris par les chœurs dans l’espoir de lui donner une ampleur céleste et une dimension plus mystique (« Ripples in the Sand »), alors qu’il se laisse envoûter par les effets hallucinogènes de l’Épice. Nulle variation émotionnelle ne viendra cependant renforcer notre empathie pour ce héros prophétique, destiné à mener une révolution interstellaire, ni même enrichir sa relation parentale, pourtant bien explorée dans le film. Lorsque la décadence de la Maison des Atréides atteint son paroxysme, sa partition se voile de nappes atmosphériques amples typiquement « zimmeriennes ». Citons les contrebasses de « Holy War » (l’évasion du pilote Duncan), dont la gravité évoque Gladiator et Anges & Démons, ou bien l’alliance du violoncelle électrique de Tina Guo (Wonder Woman) aux percussions et synthétiseurs nerveux dans « Armada » et « The Fall » (l’attaque et la destruction du fief des Atréides sur Arrakis) ou encore « Ripples in the Sand », « Burning Palms » et « Premonition » (les visions prémonitoires de Paul). Autant de textures mainstream qui diffusent une atmosphère austère dans chaque scène de tension, sans jamais se démarquer les unes des autres, en dépit des possibilités offertes par l’histoire ou les images (« Ornithopter », « Sandstorm », « Night on Arrakis », « Arrakeen », « Dream of Arrakis »). Çà et là, quelques grésillements électroniques reproduisent la rugosité des grains de sable (« Sandstorm ») tandis que d’autres instruments tribaux, spécialement inventés pour l’occasion, reflètent la dangerosité patente de cet environnement aride (« Dream of Arrakis », « Arrakeen »). On y entend même les battements d’ailes des ornithoptères, véhicules aériens supervisant la récolte de l’Épice (« Ornithopter »), qui rappelleront à coup sûr l’empreinte du compositeur de Dunkerque.

Au même titre que la population indigène, les Fremen, la planète Arrakis revêt la couleur orientale du duduk, et autres instruments exotiques joués par Pedro Eustache (Kung-Fu Panda), qui contraste avec la culture et les paysages de Caladan, berceau des Atréides (« Herald of the Change », « Ripples in the Sand », « Paul’s Dream »). Zimmer semble tout à coup oublier que leur désert n’est pas terrestre… Pourquoi aller à l’encontre des fondements du score ? Et pourquoi diable s’être contenté de jouer le riff de Paul à défaut de lui proposer un thème propre ? Le manque d’inventivité consterne au fil de l’écoute ! Qui plus est, aucune musique épique ne propulse l’action – ni la bataille d’Arrakis ni les attaques des vers de sables – par quelques accents orchestraux dignes de ce nom, comme si le minimalisme conventionnel suffisait à amplifier la densité du récit ou transcender la photographie resplendissante de Greig Fraser. Les textures sonores se désincarnent, lancinent et se répètent, jusqu’à saturation. On a le sentiment que l’expérience viscérale proposée par Hans Zimmer se révèle peu fidèle à l’essence du film, là où le regretté Jóhann Jóhannsson savait convertir toute la beauté dramatique de Prisoners, Enemy, Sicario, et Premier Contact. A trop vouloir se concentrer sur l’esthétisme, Denis Villeneuve semble oublier que la musique a, elle aussi, besoin de s’exprimer.

Calqué sur le schéma musical de X-Men : Dark Phoenix, le score de Dune n’est donc pas aussi ambitieux qu’on le prétend. On peut, certes, lui reprocher une inspiration aussi désertique que les étendues de sables d’Arrakis – à l’exception bien sûr de sa chorale ethnique – mais on ne manquera pas de reconnaître son génie, notamment dans la maîtrise des chœurs, témoin d’une recherche artistique poussée, et dans ses sonorités immersives, malgré l’absence regrettable de certaines idées prometteuses expérimentées dans The Dune Sketchbook. En délaissant Christopher Nolan (Tenet) pour l’adaptation de son livre de chevet, on pensait que Hans Zimmer aurait su, une nouvelle fois, dépasser les limites de ses inspirations, plutôt que d’exploiter à outrance la formule usuelle – riff + synthé + percussions – qui commence sérieusement à s’essouffler. Forcément, la déception est grande… En somme, Dune synthétise tout ce que ses détracteurs reprochent à son auteur mais semble tout aussi bien polariser sa vaste communauté d’aficionados, de quoi relancer la vague de scepticisme qui règne autour de la sortie de Mourir Peut Attendre.

(Sources images : hans zimmer: JoBlo.com / couverture: themoviedb.org)

David-Emmanuel – Le BOvore