De belles et étonnantes pages d’Histoire, d’émouvantes tranches de vies, des polars glaçants et décapants, de craquantes BD irrésistibles d’humour (un brin potache !)… Voici ce que je propose à votre curiosité au fil de cet éclectique « Papiers à Bulles » où chacun pourra trouver son bonheur ! Alors… Bonnes lectures à toutes et à tous !
Deux pages d’Histoire relatées de façon intimiste… Et en romans-photos !
Lors de ses visites à sa grand-mère Joséphine, Benoit Vidal profitait de ces moments de complicité pour recueillir souvenirs et anecdotes que sa mamie adorée lui prodiguait avec autant de plaisir que d’abondance. Et c’est l’une des nombreuses histoires que lui a contée cette malicieuse vieille dame qu’il nous relate ici : celle de Pauline, une jeune fille de son village, « montée » à Paris au début du XXème siècle pour s’engager comme bonne dans une famille bourgeoise. Pauline qui succombera aux charmes d’un beau moustachu peu enclin à la paternité… Séduite et abandonnée, la pauvre fille n’aura d’autre choix que de placer son enfant dans une famille digne des Thénardier, jusqu’à sa rencontre avec un homme bienveillant et protecteur qui réunira la mère et l’enfant à ses côtés… Avec ce récit, c’est une page d’Histoire « vivante » et profondément humaine qui se dévoile sous la voix de cette attachante et pétillante mamie centenaire. Illustré de photographies et de documents d’archives, et ponctué d’une multitude d’anecdotes qui nous offrent une vision à hauteur de « petites gens » du climat social de l’époque, ce roman-photo familial et historique nous plonge avec délices au coeur des « misérables » de Victor Hugo, dans une nouvelle « rétro » de « La veillée des chaumières » ou dans une chanson réaliste de Fréhel ! Un émouvant travail de transmission, doublé de minutieuses recherches historiques, réalisé dans un concept aussi original qu’efficace !
Pauline à Paris par Benoit Vidal, FLBLB, 2022 / 20€
Après « Pauline à Paris », Benoit Vidal dessine une nouvelle page d’Histoire en nous conviant cette fois au débarquement du 6 Juin 1944, sous les témoignages de son père, qui n’avait que sept ans au moment des faits, et de sa grand-mère alors âgée d’une trentaine d’années. Et ce récit, dûment illustré de photographies personnelles et de documents d’archives, est particulièrement captivant par l’exposition des visions de ses protagonistes. D’un côté, une mère de famille en proie à de légitimes angoisses face à cet effrayant déferlement de violences, et de l’autre, un petit garçon qui n’a connu que la pesanteur de l’occupation, émerveillé par le défilé des soldats alliés, par leurs machines de guerre, et par l’ambiance de liberté et d’espoir qui règne malgré bombardements et règlements de comptes. Des témoignages croisés de « civils ordinaires » qui relatent un moment important de notre Histoire, mais aussi l’intime exploration d’une histoire personnelle et familiale : voilà ce que nous propose Benoit Vidal avec cet ouvrage tout aussi réussi que le précédent, qui confirme la pertinence du roman photo pour exprimer à la perfection les intentions de son auteur et pour délivrer de puissantes émotions, en mots et en images… « Gaston en Normandie » a d’ailleurs obtenu le prix « Cases d’histoire » de la meilleure BD historique 2022 !
Gaston en Normandie par Benoit Vidal, FLBLB, 2022 / 20€
Athènes, 27 Octobre 1940. Pour Petros, jeune garçon de neuf ans, c’est un jour de tristesse à cause de la mort de son grillon… Et pour le peuple grec, c’est le dernier jour de paix avant l’invasion des troupes italiennes, suivies de près par l’occupation allemande et son régime de terreur à coups de rafles et d’exécutions sommaires. Sans compter la famine et le froid qui feront des ravages dans la population… La famille de Petros n’est pas épargnée : son oncle adoré est parti se battre au front, son grand-père, déjà grincheux, est devenu voleur pour grappiller quelques miettes de nourriture, et Antigone, sa coquette de grande soeur, tremble pour sa meilleure amie de confession juive… Petros, brutalement plongé dans le monde des adultes, choisira de résister en crevant les pneus des voitures allemandes, en exprimant sa colère en slogans sur les murs, et en participant aux manifestations auprès de ses camarades Yannis et Drosoula et de Sotiris, un gamin débrouillard, lui aussi grandi bien trop vite… C’est ce quotidien dur et parfois insoutenable, ponctué des préoccupations et des désirs du jeune Petros, mais surtout de ses convictions de liberté et de justice, que Dimitrios Mastoros et Angeliki Darlasi relatent au fil des pages de cette superbe adaptation du roman (« La guerre de Petros ») de leur compatriote Alki Zei (militante de gauche et résistante active durant l’occupation nazie). En mots sensibles où percent l’humour et la tendresse, et sous d’expressives et émouvantes illustrations en lavis, le regard de Petros sur le monde prend vie… Sans concessions devant le comportement peu glorieux de certains de ses compatriotes, porté par la force de l’amitié et par l’action nécessaire pour ne pas se résigner, farouche devant les valeurs à défendre jusqu’au dernier souffle… Tragique, mais aussi porteur d’espoir, ce roman graphique est à mettre entre toutes les mains pour la belle leçon de courage et d’humanité qu’il met en lumière.
La grande balade de Petros par Dimitrios Mastoros et Angeliki Darlasi, Futuropolis, 2022 / 21€
Après « Wake up America » (chroniqué ici !) qui se clôturait en 1965 par la signature du « Voting act rights » obtenu après bien des souffrances par le peuple noir américain, cet ouvrage nous embarque dans la suite des mémoires de John Lewis, alors président du SNCC (comité étudiant non violent). Bien qu’elle ait été votée démocratiquement, la loi sur les droits civiques est bien loin d’être appliquée et reste un bout de papier sans valeur pour bon nombre de blancs suprématistes (dont les sinistres membres du KKK…) qui, soutenus par les autorités, bloquent les bureaux de vote avec violence… Une situation qui créera des divisions au sein des différents mouvements des droits civiques, dont bien sûr le SNCC, dont certains membres commencent à douter de la pertinence du choix de la non violence… Émeutes, arrestations arbitraires, lutte contre la conscription pour la guerre du Vietnam, émergence du mouvement Black Panther… Suivi par un dossier pédagogique (biographies des différents protagonistes, sources…), ce passionnant ouvrage, illustré de réalistes dessins en noir et blanc, nous offre un formidable document sur l’Histoire de la lutte des noirs américains pour obtenir leurs droits. Un combat toujours et encore d’actualité… Car « Ce n’est pas une lutte qui dure quelques jours, quelques semaines, quelques mois ou quelques années. C’est la lutte d’une vie, de plus d’une vie »… Un récit exigeant et dense, dont on attend la suite avec impatience !
Get up America (tome 1/2) par John Lewis, Andrew Aydin, L. Fury et Nate Powell, Rue de Sèvres, 2022 / 15€
Le temps d’une année, Gregory et Nicole ont décidé de partir à la découverte du Monde avec leurs enfants. Comme ils exercent le métier de scénaristes, ils continuent à travailler à distance tout en faisant cours à leurs petits pour une palpitante et instructive « école buissonnière »… Une année riche en découvertes et en rencontres pour tous les membres de cette petite famille qui, loin des parcours touristiques et ses hôtels de luxe, bourlinguent et dorment chez l’habitant en économisant sou par sou ! Lors d’une escale en Thaïlande, Gregory et Nicole sympathisent avec Robert, un vieux baroudeur de 76 ans qui a fait le choix de vivre en Asie six mois par an. Au cours d’une de leurs discussions, celui-ci leur raconte le tragique destin de ses amis Alice et Olivier, des navigateurs épris de liberté qui furent assassinés en mer Rouge par des pirates… Sous la forme d’un récit choral qui nous invite tour à tour au coeur des tribulations et des aspirations de ses différents protagonistes, cette BD sensible et émouvante nous offre bien des pistes de réflexions. Goût de l’aventure, refus du carcan imposé par la société, désir de liberté… Les attachants personnages de ce récit nous renvoient à notre propre vision de ce que nous sommes en droit d’attendre de la vie et du prix que nous sommes prêts à payer pour faire vivre nos rêves… Réalisé par la fabuleuse équipe de la trilogie « Voyages en Égypte et en Nubie de Giambattista Belzoni » (chronique du tome 1 ici, du tome 2 là, et du tome 3 ici !), ce récit inspiré de faits réels nous offre un moment de lecture aussi passionnant que dépaysant, où l’humour côtoie le tragique avec une belle habileté… Sans oublier les superbes dessins incrustés de photographies de Lucie Castel, magnifiquement parés de couleurs éclatantes de vie par Guillaume Heurtault et Léo Louis-Honoré !
Vent debout par Gregory Jarry, Nicole Augereau et Lucie Castel, Delcourt, 2022 / 29,95€
Chris, âgée d’une quarantaine d’années, travaille depuis de longues années au cinéma Breakwater, qui fut l’une des plus belles salles de Brighton. Mais il y a belle lurette que ce beau bâtiment art déco n’est plus que l’ombre de lui-même. Et sa survie ne dépend désormais que de quelques vieux habitués… Introvertie et solitaire, Chris n’a d’autres relations que celles qu’elle entretient avec ses collègues. Et depuis qu’elle a abandonné ses études de sociologie pour des raisons familiales, elle a fait un trait sur ses rêves de promotion sociale et se contente de ce boulot d’ouvreuse mal payé et peu gratifiant, mais qui a le mérite de ne pas lui demander trop d’investissement personnel. Une vie terne et résignée, sans joie et sans espoir… Jusqu’au jour où Dan, un jeune asiatique homosexuel qui vient tout juste de s’installer à Brighton, est embauché au Breakwater. Chris et Dan, peu à peu vont s’apprivoiser et combler leurs solitudes au fil d’une amitié pure et désintéressée qui leur redonnera peu à peu goût à la vie. Mais si cette relation donne un coup de peps dans le quotidien de Chris, elle met également en lumière les zones d’ombre de Dan qui souffre de troubles psychiatriques…. Chris se retrouvera alors devant un terrible dilemme : comment aider son ami sans trahir sa confiance ? C’est avec une sensibilité à fleur de peau que Katriona Chapman dessine les bienfaits mais aussi les limites de l’amitié, au fil de ce roman graphique qui se déroule avec une lenteur hypnotique dans un huis-clos intimiste et touchant. L’écriture fluide et sincère, habillée d’illustrations charbonneuses et minimalistes qui épousent à merveille les ambiances crépusculaires des lieux et les émotions de ses fragiles et attachants personnages, font de « Breakwater » un pur bijou d’humanité. Après lecture, on se plaît à rêver d’une adaptation de ce scénario par Ken Loach, tant l’ambiance qui se dégage de cette BD s’apparente à son univers… « Breakwater », élu l’un des meilleurs romans graphiques de 2020 par le New York Times, a remporté un grand succès, qu’il soit public ou critique… Et je ne peux que confirmer qu’il le mérite totalement car ce roman graphique a une sacrée « Gueule d’atmosphère » !!!
Breakwater par Katriona Chapman, Futuropolis, 2022 / 21€
Pour combler la pauvreté de l’offre culturelle de leur petite ville, un groupe de copains décident de se mettre en association pour tenter d’y implanter un lieu de vie convivial et culturel. Une entreprise colossale qui demande de l’énergie et de l’obstination… Car le parcours, notamment administratif, n’est pas une sinécure ! C’est cette entreprise humaine et cet engagement collectif que relate Thibaut Lambert au fil de ce sympathique et instructif docu-BD qui apportera de précieuses clés à tous ceux qui seraient tentés par l’aventure… Car non seulement leur association baptisée « La grande échelle » a vu le jour, mais « La Bigaille », nom du bar associatif qu’ils ont créé de toutes pièces, remplit ses nobles fonctions depuis maintenant plus de dix ans ! Une exemplaire réussite analysée de fond en comble par Thibaut qui a recueilli les témoignages des bénévoles pour nous restituer avec autant d’humour que de précision leur parcours du combattant. Recherches de subventions, tracas administratifs, travaux et aménagement du lieu (dans un irréprochable esprit éco responsable), projet à construire, gestion des bénévoles… On ne peut qu’éprouver un profond respect pour ces hommes et ces femmes de bonne volonté, unis par des valeurs communes de partage et de transmission, qui n’ont pas hésité à mouiller le maillot et à se triturer les méninges pour créer et faire vivre ce lieu de vie où chacun peut se détendre ou s’instruire grâce à une programmation culturelle éclectique et de grande qualité… Alors, si vous êtes dans le secteur de Marennes (Charentes- Maritimes), n’hésitez pas à aller faire un tour à « La bigaille« … Vous y passerez un agréable moment ! Un petit clin d’oeil en passant à notre « bigaille » corrézienne, « La Maison sur la place » située dans le petit village d’Ambrugeat, qui nous propose tout au long de l’année, dans le même esprit et sur le même mode de fonctionnement, de nombreux spectacles culturels et tout plein d’activités, grâce à la détermination de bénévoles aussi bienveillants que passionnés ! Deux exemples parmi tant d’autres qui prouvent qu’ensemble, tout devient possible !!!
La bigaille : histoire d’une utopie culturelle collective par Thibaut Lambert, Des Ronds dans l’O, 2022 / 21€
Cette biographie, admirablement dessinée en traits expressifs et en décors qui restituent à la perfection l’Angleterre des années 60, rend le plus bel hommage qui soit à George Best, prodige du ballon rond et première « rock star » de l’histoire du football, qui a fait la gloire de Manchester United. Adaptée du roman « Le cinquième Beatles » de Vincent Duluc, cette BD s’attache à retracer le parcours de George, de son enfance à la fin de sa courte mais intense carrière, en s’attardant sur ses exploits, ses relations tendues avec Bobby Charlton (rescapé du crash aérien de Munich qui coûtât la vie à huit de ses partenaires, évoqués avec émotion dans cet ouvrage…), et sur sa personnalité complexe et autodestructive qui le mena à la déchéance. Fêtard, amoureux des femmes, buveur invétéré et adepte de petites phrases ironiques et tranchantes, George enflammait les foules et les cœurs, tout comme les Beatles, alors eux aussi en pleine gloire. Ce trait d’union entre George et les garçons dans le vent est d’ailleurs représenté en un joli clin d’oeil sur la couverture de ce bel ouvrage avec le célèbre passage piéton d’Abbey Road, ainsi que dans son sous-titre qui évoque une de leurs chansons. Un chouette document sur ce beau gosse attachant et imprévisible, autant adulé pour son agilité et sa dextérité ballon au pied, que pour sa personnalité hors du commun… Une légende qui dépasse largement le monde du foot !
George Best, Twist and shoot par Vincent Duluc, Kris et Florent Calvez, Delcourt, 2022 / 17,95€
Une vie dénuée de toute relation amicale ou sentimentale, un petit boulot mal payé de chauffeur dans une blanchisserie, une routine gluante de solitude où les jours se suivent et se ressemblent, tel un jour sans fin… Le quotidien et le futur de François sont aussi sombres que le ciel de sa ville qui déverse chaque jour des torrents de pluie… Ses seuls plaisirs ? Boire une bière au café du coin où il retrouve un semblant d’humanité, et gratter des lignes de « Lotto » dans l’espoir de toucher le jackpot… Avec cet argent, il pourrait offrir à Maryvonne, la souriante kiosquière à qui il achète chaque jour son quotidien sportif, une belle maison au bord de la mer, dans un climat moins néfaste pour sa petite fille asthmatique. Maryvonne, trop belle pour lui, dont il est secrètement amoureux… Le destin si prévisible de François va pourtant brutalement basculer le jour où, livrant du linge dans une maison isolée en pleine campagne, il se retrouve face à une sanglante scène de crime… Mais aussi devant un sac rempli de billets de banque bien tentants… Après nous avoir séduits par l’originalité de son style narratif et par sa maîtrise du dessin et de la couleur avec le somptueux « Béatrice » (chroniqué ici !), Joris Mertens persiste et signe avec ce nouvel opus où son indéniable talent éclate et confirme son statut de référence dans le monde de la BD. Car « Nettoyage à sec » est tout simplement parfait. Par son scénario qui nous transporte d’une tranche de vie, solitaire et somme toute banale, à une intrigue dont le suspense nous tient en haleine jusqu’au dénouement…. Et par son impressionnante qualité graphique, avec ses planches qui se dévoilent comme des tableaux foisonnants de détails, les reflets de la pluie, colorées des phares des voitures et des enseignes publicitaires, jouant un premier rôle époustouflant de beauté. « Une patte » reconnaissable au premier regard, qui fait assurément de Joris Mertens, un maître de la couleur… Un énorme coup de coeur !!!
Nettoyage à sec par Joris Mertens, Rue de Sèvres, 2022 / 25€
Bientôt sexagénaire, Alain Delambre enchaîne les petit boulots depuis qu’il a été licencié, quatre ans auparavant, de son poste de directeur des ressources humaines. Brisé et humilié, Alain n’a désormais plus le moindre espoir de retrouver un travail à la hauteur de ses compétences… Jusqu’au jour où il découvre une annonce d’EXXYAL, une prestigieuse multinationale qui recrute un cadre dans son secteur d’activités. Alain postule sans trop y croire et, contre toute attente, sa candidature est retenue… Mais le poste proposé, bien loin de ce qu’il imaginait, a tout d’un cruel jeu de dupes… Car le dirigeant d’EXXYAL, qui doit mener à bien une série massive de licenciements, a mis au point un plan machiavélique avec l’aide d’une agence de consulting : mettre en scène une fausse prise d’otages pour tester le sang froid des différents candidats… Lorsqu’Alain découvre leur abject scénario, il décide, avec l’aide de quelques amis, de retourner l’arme de ces « Cadres noirs » contre eux. Quitte à risquer la prison et à perdre l’estime de sa famille… Difficile d’en dire davantage sans vous priver du suspense savamment distillé au fil des pages de ce captivant polar social et politique, brillamment adapté du roman éponyme de Pierre Lemaitre. Une adaptation maîtrisée de manière magistrale par Pascal Bertho, qui nous avait déjà offert une formidable version de la série « La brigade Verhoeven » (« Rosie« , chroniqué ici, « Irène » chroniqué là et « Alex« , chroniqué ici !) signée du même auteur… Qui est décidément pour lui une fructueuse source d’inspiration ! Car, encore une fois, avec « Cadres noirs » tout est calibré aux petits oignons, du scénario au graphisme (superbes illustrations réalistes de Giuseppe Liotti !), pour dessiner le cynisme et l’inhumanité du capitalisme qui broie sans le moindre scrupule les pions que nous sommes toutes et tous dans ce monde où le libéralisme fait la loi. Il ne nous reste plus qu’à attendre le troisième et dernier tome de cette série aussi palpitante qu’édifiante !
Cadres noirs : avant (épisode 1/3), 2022 / pendant (épisode 2/3), 2023 / par Pascal Bertho et Giuseppe Liotti d’après le roman de Pierre Lemaitre, Rue de Sèvres / 16€ le livre
Après la mort de sa mère, Vananka décide de tout plaquer et de partir à la recherche de son père qui l’a abandonné lorsqu’il était enfant. Sa seule piste ? Des cartes d’anniversaire, postées depuis le Mexique… C’est donc la direction que prend Vananka, sans un sou en poche et la guitare du paternel en bandoulière. Un voyage qui le mènera jusqu’à une ferme isolée où vit Leila, une superbe métisse indienne, ainsi que son grand-père chamane et son petit frère aveugle, doué des mêmes étranges pouvoirs que son ancêtre. Très vite, Vananka tombe éperdument amoureux de la sculpturale Leila… Ce qui n’est pas du tout du goût de Felipe, le cousin mafieux de sa belle, qui magouille avec les cartels du coin. Après avoir été embauché par Felipe comme chauffeur pour transporter la came, Vananka va se retrouver au coeur d’une spirale infernale qui le mènera tout droit dans une sacrée descente aux enfers… Entre un western à la Sergio Leone et un scénario du décapant Tarantino, « Mezkal » nous invite, sous la forme d’un road movie sous acide, à un jubilatoire polar noir et totalement déjanté où drogue, sexe et violence extrême s’exposent à tous les étages… Et c’est dans un monde de brutes (campé par des personnages vénéneux aux trognes patibulaires, tous plus méchants les uns que les autres ! ) que cet album « rock’n’roll », brûlant et enivrant comme une gorgée de mezcal, nous tient en haleine au fil de ses multiples rebondissements, jusqu’à son dénouement ! Servi par de chatoyantes illustrations réalistes, mises en page dans un dynamique découpage cinématographique qui épouse à merveille le propos et l’action, « Mezkal » nous offre un hallucinant moment de lecture, explosif et furieusement jouissif !!!
Mezkal par Kevan Stevens et Jef, Soleil, 2022 / 26,50€
La formidable série RIP, dont je vous ai déjà dit le plus grand bien (« Derrick« , chroniqué ici, « Maurice« , chroniqué là, « Ahmed« , chroniqué ici et « Albert« , chroniqué là !), arrive presque à son terme… Et le suspense est à son comble avec ce cinquième et avant-dernier volet ! On y retrouve le personnage de Fanette, la barmaid dépressive du bistrot où vient s’échouer notre bande de bien peu scrupuleux nettoyeurs de scènes de crimes. Fanette, dans l’ombre mais toujours présente dans les précédents opus, dont on découvre ici le rôle et le terrible destin, Jusqu’au tragique et glaçant dénouement… C’est encore une fois avec une machiavélique parcimonie que le petit Poucet Gaet’s sème des indices qui aident le lecteur à assembler les pièces manquantes du scénario… Tout en le rendant totalement accro ! Et ce cinquième tome, qui nous entraîne encore plus profondément dans la noirceur de l’âme humaine, fait encore monter l’adrénaline d’un cran. L’ambiance y est toujours (sinon plus !) glauque et poisseuse, les dialogues n’ont rien perdu de leur saveur, et les illustrations expressives de Julien Monier, qui nous immergent en profondeur dans cet univers aussi inconfortable qu’addictif, sont encore et toujours aussi efficaces ! On piaffe désormais d’impatience pour découvrir « Eugène » qui mettra un point final à cette série qui a tenu sans faiblir toutes ses promesses !
RIP : Fanette – Mal dans la peau des autres (T.5) par Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit, 2022 / 17,90€
1468. Le roi Louis XI, dit « l’araignée », est retenu prisonnier dans les geôles du duc de Bourgogne… Et pour le sortir de là, une équipe pour le moins singulière est missionnée par Pulchérie de la Passion, mère supérieure de la congrégation des soeurs contemplatives de Sainte Marie-Madeleine, en charge de nonnes surentrainées (et fort peu orthodoxes !) entièrement dévouées au service du roi. Les candidats pour mener à bien cette délicate opération ? Blanche de l’Oye, une jeune fille un brin naïve qui possède un précieux don de vision, enlevée de son château sans la moindre explication… Et Arnaud Archembelle, un transformiste voleur et un peu trouillard, soustrait in extremis du bûcher où il devait rôtir pour payer le prix de ses menus larcins… Et bien sûr tous deux découvrent leur mission en ignorant pourquoi ils ont été choisis, même si Arnaud s’en félicite ! Mais pour délivrer le roi, cet improbable duo, déguisé en nonnes, devra faire face à de nombreux périls… Situations rocambolesques, poursuites effrénées et dialogues truculents au menu des deux premiers tomes de cette série qui revisite une page de notre Histoire de manière irrésistiblement parodique dans le but assumé de dérider (avec succès !) nos zygomatiques ! Servie par l’épatant graphisme de Christian Paty qui croque les expressions de ses personnages (et des animaux !) avec une délectation certaine, et qui dépeint à merveille des décors minutieusement détaillés, cette série prometteuse (et totalement déjantée !) nous offre un sacré bain de bonne humeur et une bonne dose d’éclats de rire ! Jubilatoire !
Les mantes religieuses : L’évasion de l’araignée (tome 1) par Bernard Swysen, Sophie Flamand et Christian Paty, Soleil, 2022 / 14,50€ / La stratégie de l’araignée (tome 2), 2023 / 14,95 €
Après nous avoir abreuvé d’humour avec « Le Pink Clover » (chroniqué ici !), Crisse et Christian Paty nous invitent, pour notre plus grand plaisir, à retrouver les personnages truculents du petit village de Kilkenny, ses moutons, toujours aussi mystiques, qui broutent dans le pré derrière l’église, et les deux enquêteurs de choc Sir Doyle le hibou et Glenn l’écureuil ! Si dans le premier volume les habitants à deux et quatre pattes de Kilkenny avaient été émus de la disparition et du retour de leur curé (ressuscité d’entre les morts d’après les ovins…), leurs nerfs sont de nouveau mis à rude épreuve avec l’entrée en scène de la jeune et belle Miss Kelly Penny, venue de Dublin pour remplacer le vieil instituteur parti à la retraite. Car depuis l’arrivée de la demoiselle, qui attise la convoitise des hommes et la jalousie méfiante de leurs femmes, un fantôme venu du passé refait brutalement surface… Celui d’une « étrangère » (qui plus est mère célibataire…) pas vraiment accueillie à bras ouverts par la population, que l’on retrouvât mystérieusement noyée dans un étang et dont le corps disparût comme par magie quand on voulut l’inhumer… La « Dame blanche » apparaît donc de nouveau aux humains pour leur plus grande frayeur… Mais aussi à un petit agneau innocent qui, depuis l’arrivée de Miss Penny, est en proie à des visions et se découvre des pouvoirs de guérison… Le charme bucolique est toujours là, les querelles entre bigotes et habitués du pub font toujours rage, les commérages et médisances vont également bon train (aussi bien chez les humains que chez les animaux !), et l’humour est toujours dans le pré au fil de ce deuxième tome qui fait cette fois une jolie place à un surnaturel plutôt bon enfant. Sous de craquantes illustrations toujours aussi expressives, ce deuxième opus tendre et drôle à souhait est tout aussi réussi que le précédent… Alors, vivement la suite de cette chouette série !
Le pré derrière l’église : Miss Kelly Penny (tome 2) par Crisse et Christian Paty, Soleil, 2022 / 14,95€
Après la savoureuse « Face A » (chroniqué ici !) où Phil Castaza nous présentait les retrouvailles de trois papis sexagénaires animés par la même passion pour le rock’n’roll, place à la « Face B » où l’on retrouve Jean-Pierre, Georges et John Clash qui, boostés par le plaisir de jouer ensemble, envisagent désormais de se produire en concert… D’autant plus qu’ils viennent tout juste de dénicher la perle rare avec Lily Pop, chanteuse du groupe et petite amie de Jean-Pierre ! Mais les temps ont bien changé depuis leurs succès avec les « Flying Roosters »… Et nos pépés sont un peu largués pour trouver les bons tuyaux pour redémarrer leur carrière, sous le sarcastique nom de « Cold Meat » ! Heureusement, ils ne sont pas seuls… Car la petite fille de John Clash (désireuse d’exaucer le rêve de son papy gâteux) et Cindy (la toute nouvelle et gironde copine de Georges) s’activent pour créer des comptes sur les réseaux sociaux ainsi qu’un site dédié à leur groupe, et incitent les papis (et mamie !) rockers à enregistrer leurs titres et à faire des clips… Ces diablesses réussissent même à obtenir la mythique salle du Krakatoa à Bordeaux pour leur concert ! Très vite, « Cold Meat » fait le Buzz et le concert « Sold out », s’annonce comme un véritable évènement… Jusqu’à l’hospitalisation en urgence de John Clash, dont le pronostic vital est engagé. Si près du but, comment renoncer à offrir à leur batteur l’ultime plaisir de jouer une dernière fois sur scène ? Mais pour ça, il faudrait le sortir de l’hosto en catimini, en espérant que le pauvre vieux en aura la force… Au fil des sillons de cette « Face B », Phil Castaza réussit autant à nous faire sourire qu’à nous émouvoir. Car si l’humour est toujours aussi présent, son épilogue nous offre quant à elle un bon lot de bouleversantes émotions… Je ne suis pour ma part pas prête d’oublier ces attachants vieux de la vieille, prêts à tout pour faire vivre leurs rêves… Jusqu’à leur dernier souffle. Une belle leçon de vie, tout en gouaille et en tendresse !
Sold Out : face B (tome 2/2) par Phil Castaza, Soleil, 2022 / 14,95€
Christine Le Garrec