Plus inestimables encore que l’Arche d’Alliance, les pierres de Sankara, le Saint Graal, les crânes de cristal et le cadran d’Archimède, les œuvres de John Williams auront traversé les siècles sans jamais prendre la poussière ni pourrir dans les archives de la musique de film. Nul besoin d’exhumer ce vestige d’une écriture savoureuse – qu’aucun n’oserait qualifier d’archaïque – dont la maestria témoigne d’une inspiration surnaturelle. En 42 ans et 5 films, le compositeur aura sculpté une mythologie musicale dantesque ; rythmant les périples du célèbre archéologue par ses staccatos, ses scherzos, ses pizzicatos ou ses crescendos euphorisants, tout en immortalisant son iconographie grâce à l’ingéniosité de la Raiders March. Vous l’aurez compris : le plus beau trésor d’Indiana Jones ne prend pas la forme d’un artéfact perdu depuis des millénaires. Assez parlé, il est temps de réviser ses cours d’Histoire !
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LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE – UN HYMNE À L’AVENTURE
1977. Plutôt que d’affronter les réactions en chaîne liées à la sortie de son premier Star Wars, George Lucas préféra fuir sous le soleil ardent d’Haïti en compagnie d’un certain Steven Spielberg… C’est là, selon la légende, qu’est né Indiana Jones, future figure iconique de la pop culture, ayant propulsé Harrison Ford au rang de superstar hollywoodienne. Leur intention est claire : réaliser un « James Bond mais en mieux », redonner au cinéma d’aventure ses lettres de noblesse et livrer un hommage probant au serials des années 30/40. Si l’acteur n’était pas le candidat favori de Lucas – Tom Selleck fut en lice jusqu’à son désistement pour la série Magnum – John Williams est immédiatement apparu comme un choix évident. Trait d’union entre Lucas et Spielberg, il vient de montrer qu’il avait les crocs (Les Dents de la Mer) et qu’il pouvait décrocher les étoiles (La Guerre des Etoiles). Pour l’instant, il l’ignore encore mais il est en train de poser les bases d’une mythologie (presqu’) aussi complexe que Star Wars tout en s’assurant un avenir à succès.
Lorsque nous faisons connaissance avec le professeur Jones, sa silhouette, aussi iconique que Dark Vador ou Batman, s’engouffre au cœur de la jungle amazonienne, à la recherche de l’idole dorée de la déesse Chachapoya. Fedora vissé sur la tête, veston de cuir d’aviateur, fouet sanglé à la ceinture, revolver webley mark VI à la main : Lucas & Spielberg démontrent que l’archéologie n’est pas sans danger. Un concept également formulé dès son introduction musicale – mélange de sonorités indigènes atmosphériques, pizzicatos, vibratos et crescendos – qui préfère accentuer le suspens de cette exploration périlleuse et dévoiler, par ses trombones rugissants, la facette redoutable de l’aventurier plutôt que de l’iconiser trop prématurément (« Into The Jungle », « The Idol Temple », « Escape Temple »). Car, rappelez-vous : il faudra attendre une douzaine de minutes pour que les trompettes inaugurent la marche des aventuriers / Raiders March, symbole de cette nouvelle mythologie williams-nesque, où se cristallisent soif d’aventure, quête de gloire et héroïsme ludique (« Flight From Peru »). Percussions et cuivres pléthoriques augmentent la cadence jusqu’à s’assurer de nous propulser au cœur de ses péripéties, que l’on se languit de suivre avec une vive excitation. Williams affirme avoir consacré énormément de temps à travailler sa « syntaxe musicale » : cette marche « faussement simple » devait paraître « naturelle », « évidente », « amusante » et « mémorable » à l’écoute, faute de desservir le film. Fruit d’une combinaison de deux thèmes préambules proposés à Spielberg qui, conquis mais indécis, lui suggéra de fusionner le tout, elle se retrouve disséminée tel un leitmotiv rayonnant à traversses combats, ses exploits (« The Fist Fight / The Flying Wing », « The Desert Chase », « Ride to the Nazi Hideout ») ses traversées (« To Nepal ») ou son générique de fin (« Raiders March ») pour s’ancrer progressivement dans l’esprit du cinéphile, encore inconscient de l’ampleur qu’elle prendra à sa sortie du cinéma et dans la décennie à venir.
Si Gustav Holst (Les Planètes, 1916) a très certainement influencé l’univers musical de Star Wars, Erich Wolfgang Korngold (compositeur hollywoodien) reste la source d’inspiration principale d’Indiana Jones. Dans son hommage assumé au cinéma des années 30/40, Williams renoue avec la grandiloquence de « ses accents dramatiques », notamment dans le thème des nazis, à la fois « militaire » et « diabolique » (« The Desert Chase », « Ride to the Nazi Hideout »), mais aussi dans celui de Marion Ravenwood (Karen Allen), qui n’est pas sans rappeler les variations lyriques de « The Courier » (La Vie Privée d’Elizabeth d’Angleterre, 1939 – Erich Wolfgang Korngold) ou « The Love Theme » (Une Femme Cherche son Destin, 1942 – Max Steiner). Ancienne conquête de l’aventurier roublard, son alter-ego féminin offre un contrepoint mélodique plus délicat, mené par des cordes langoureuses qui traduisent une romance idyllique (« Flight to Cairo », « Marion’s Theme », « Washington Ending ») tandis que le cor anglais semble réveiller les souvenirs douloureux de son père disparu (« The Medallion »). Son importance aux yeux d’Indy est telle que l’orchestre et les hautbois se permettront une resucée ouvertement plus mélancolique, lors de sa mort supposée dans l’explosion d’un camion durant leur périple au Caire, révélant par la même occasion l’une de ses facettes plus émotionnelles (la fin de « The Basket Game »).
Notre fascination naissante à l’égard de l’aventurier se renforcera davantage face à la complexité musicale qui forge la richesse de son univers : Williams assume sa théâtralité (les staccatos de « The Fist Fight / The Flying Wing »), s’amuse avec les codes de l’humour (les pizzicatos de « The Basket Game »), de l’horreur (la musique atonale dans « The Well of the Souls », « The Idol Temple », « The Medallion ») et se fait maître dans l’art du suspens (le crescendo de cordes, de « The Idol Temple » / « The Map Room : Dawn » relatif aux découvertes de Jones, les cuivres vaillants de « Indy Rides the Statues ») ou de l’ornementation grâce à des orchestrations incroyablement soignées et millimétrées – à noter que le motif à clarinettes dans « The Basket Game », comparable au motif du danger chez James Horner malgré ses consonances plus comiques, sera réutilisé dans Le Temple Maudit (« The Sword Trick ») et Le Royaume du Crâne de Cristal (« The Snake Pit »). Et que serait Indiana Jones sans une quête qui justifie de risquer sa vie ? L’Arche d’Alliance, le coffre sacré renfermant les fragments des tablettes des Dix Commandements, offre ainsi au score des Aventuriers une dimension plus épique encore. Son thème révèle la grandeur surnaturelle de cet objet biblique dans l’emploi des vents, mystérieux et intrigants (« Washington Men / Indy’s Home »), s’émancipe par la voie de l’orchestre puis des chœurs religieux (« The Map Room : Dawn ») avant de se métamorphoser en une cacophonique générale ; héritée de véritables techniques opératiques, lorsque son pouvoir divin se retrouve profané (« The Miracle of the Ark »). Les âmes de l’Arche d’Alliance ont été libérées, les nôtres ont été transportées !
« S’il n’avait pas été accompagné d’accents symphoniques aussi cruciaux, Indiana Jones aurait sûrement péri dans un temple interdit d’Amérique du Sud ou dans le silence oppressant du grand désert du Sahara. Néanmoins, Jones n’est pas mort, car il a écouté attentivement le score des Aventuriers de l’Arche Perdue. Ses rythmes aigus lui disaient quand courir. Ses cordes tranchantes lui indiquaient quand se baisser. Ses nombreux thèmes signalaient à l’aventurier quand embrasser l’héroïne ou frapper l’ennemi. Tout bien considéré, Jones […] a survécu [grâce à] John Williams. »
Steven Spielberg
LE TEMPLE MAUDIT – AUX CHŒURS DE L’ENFER
Critiques dithyrambiques, rentabilité renversante, triomphe aux Oscars (mais pas pour Williams !) : Lucas et Spielberg ne pouvaient probablement pas imaginer rencontrer un succès aussi fracassant. Alors, comment renouveler la formule pour la suite ? Comment maintenir l’engouement tout en développant la mythologie ? Si leur volonté commune vise à malmener Indy au travers d’une aventure plus sombre, l’écriture prend cependant un tournant plus inattendu qui déclenchera la création de la classification PG-13 (interdit aux moins de 13 ans). Lucas, « d’une humeur massacrante » à la suite de son divorce, et Spielberg, marqué par un drame survenu lors d’un tournage, imprègnent le film de leurs traumatismes, provoquant ainsi la mue de leur univers musical. Quand nous retrouvons notre archéologue préféré, celui-ci est en pleines négociations avec des gangsters chinois, grimé en James Bond. Il ne nous faudra pas patienter plus de quelques minutes pour être propulsés dans la frénésie de l’action au rythme de cuivres déchaînés (« Indy Negociates », « The Nightclub Brawl ») qui ne tardent pas à convoquer l’héroïsme de la Raiders March (« Fast Streets of Shangai », « Map /Out of Fuel »). Pas de doute, Williams vient, lui-aussi, d’annoncer son intention de nous malmener !
Après moultes péripéties, Indy se retrouve sur le chemin d’une mission inattendue… La traversée de l’Inde ne se fera pas sans rappeler les influences musicales du pays, grâce à l’emploi subtil de sitars (« Slalom on Mt Humol », « Short Round’ s Theme ») et de tablas (« The Scroll/ To Pankot Palace »), mais sera aussi placée sous la protection de cordes aux atours prophétiques, signe annonciateur d’une quête plus héroïque que glorieuse (« Short Round’s Theme »), qui guidera notre aventurier jusqu’au repère de la secte sanguinaire des Thugs, où le souffle des ténèbres s’infiltre dans les moindre recoins du palais de Pankot (« To Pankot Palace », « The Temple of Doom »). Bien que ce nouvel ennemi ne soit pas affilié à l’Allemagne nazie, la menace reste tout autant identifiable à la moindre note, grâce notamment aux chants incantatoires des Thugs (« The Temple of Doom », « The Broken Bridge »), aux cordes stridentes révélatrices de leur cruauté (« Saving Willie », « Short Round Helps »), aux cors d’harmonie inquiétants (le motif de « To Pankot Palace ») ou aux résonances mystiques des pierres de Sankara (« Approaching the Stones »). Nous voilà plongés au cœur du culte de Khali, dans une ambiance sinistre, horrifique et particulièrement anxiogène. Williams ne lésine pas sur la peur et continue de défier les limites de la musique atonale : les orchestrations, à dominante cuivrée, sont plus oppressantes, plus menaçantes ; chaque dissonance laisse place à des soubresauts toujours plus flippants. On ne pensait pas trouver pareille noirceur au sein d’un univers qui, selon son compositeur, ne se prend pas au sérieux.
Le cachet horrifique de sa partition se retrouve brillamment contrebalancé par quelques excès comiques (« Bug Tunnel / Death Trap », « Water ! », « The Sword Trick ») et une myriade de thèmes, plus enjoués et lumineux, dont la ténacité mélodique relève, encore une fois, d’une imagination détonante. Comment ne pas s’émerveiller devant les accents enfantins et pétillants de Demi-Lune, sidekick attachant de Jones confronté à la cruauté des Thugs (« Short Round’s Theme », « Short Round Helps ») ? Comment ne pas succomber au charme incandescent des cordes de Willie, enrôlée dans un jeu de séduction sur fond de pizzicatos et de violoncelles dansants (« Nocturnal Activities ») ? Et comment ne pas encourager Jones qui, auréolé de cuivres conquérants, devient le sauveur d’esclaves, brisant leurs chaînes au claquement d’une percussion métallique (« Slave Children’s Crusade ») ? L’orchestre se soulève alors contre la suprématie des Thugs et s’engage dans une longue course poursuite infernale à la virtuosité impeccable (« The Mine Car Chase ») jusqu’à instaurer un climax de tension extrême pour assurer le clou du spectacle (« The Broken Bridge »). Tandis que le score s’achève sur la, désormais familière Raiders March, un constat s’impose : le plus grand paradoxe de ce voyage éprouvant, terrifiant et sans répit, est peut-être de nous avoir conféré un plaisir d’écoute incommensurable !
« J’ai eu de la chance de travailler avec Lucas et Spielberg parce que l’un et l’autre s’intéressent à la musique et s’en servent de façon théâtrale, ce qui permet à la musique de s’imposer. Cela me permet aussi d’écrire thématiquement, ce qui n’est pas toujours possible » John Williams
LA DERNIÈRE CROISADE – DIVINE SYMPHONIE
On connaît tous ce célèbre dicton qui prétend que les troisièmes volets sont toujours les moins réussis. Ladite règle n’est cependant pas toujours vérifiable : preuve en est avec Le Retour du Roi (et le chef-d’œuvre d’Howard Shore !), La Revanche des Sith… ou Indiana Jones et La Dernière Croisade (1989) qui conclut magistralement sa trilogie à tous les niveaux, en appuyant son récit sur la quête du Saint Graal, le précieux calice du Christ, mais avant tout, sur la relation entre un père et son fils. C’est d’ailleurs par le prisme de cette filiation que Williams aborde l’écriture du score qui mènera la profondeur émotionnelle du héros à son paroxysme. Son caractère intimiste éclot au fil d’une croisade traversée de moments plus complices, voire comiques, comme ce fabuleux scherzo de flûtes traversières en proie à une fanfare nazie plus diabolique que jamais (« Sherzo For Motorcycle and Orchestra », « Alarm ! ») ; passant de la frigidité de leurs retrouvailles, où l’absence de musique règne, à la genèse d’un thème commun qui scelle leur complicité et illumine leur soif d’aventure (« Keeping Up With the Joneses »). Mais, à l’exception de quelques envolées lyriques (« The Penitent Man Will Pass ») ou solennelles (le début de « The Canyon of the Crescent Moon » / « Finale & End Credits ») lorsque la mort menace de les séparer, Williams ne déroge pas à la règle de la subtilité émotionnelle : un sentimentalisme exacerbé ne collerait pas à la personnalité des Jones et occulterait la dualité du père, obsédé par l’ampleur de sa quête mais soucieux de préserver les liens du sang. Alors, quand Indy cherche à capter son attention après avoir « dérobé » la Croix de Coronado ou à le délivrer des nazis au château de Brunwald, Williams mobilise le thème du Graal comme pour nous rappeler que le caractère divin de sa quête supplante son amour paternel. A travers la pureté des cordes et la splendeur des cuivres, il y évoque la grandiloquence du pouvoir divin, la pureté du Christ et la noblesse des Chevaliers du Graal mais aspire aussi à une certaine spiritualité; sans pour autant caricaturer la musique liturgique (« Ah Rats !!! », « Finale & End Credits »). Plus tard, leur soif d’aventure mènera les Jones jusqu’au temple du Graal où ils devront, pour espérer y récupérer le précieux calice du Christ, passer plusieurs épreuves soumises au merveilleux des chœurs et au lyrisme des cordes (« The Penitent Man Will Pass ») ; le Chevalier du Graal étant quant à lui, auréolé de cuivres cérémoniaux et magnifié par la sagesse du cor anglais (« The Keeper of the Grail »).
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Au-delà de la présence de Sean Connery, l’influence de James Bond est plus que jamais manifeste : que ce soit dans l’élégance des cordes (« Journey to Austria », « The Autrian Way »), les couleurs de ses escales (les mandolines de « Escape From Venice », l’orientalisme de « Canyon of the Crescent Moon »), le machiavélisme de ses cuivres (« The Boat Scene », « Brother of the Cruciform Sword ») ou ses crescendos épiques (« On the Tank », « Belly of the Steel Beast »), il y a de quoi faire pâlir John Barry ! Le maître-mot de cette nouvelle aventure semble être l’innovation. Car, en plus de ne pas céder aux itérations faciles de la Raiders March pour surligner les exploits d’Indy, Williams n’en convoque que quelques fragments et s’émancipe totalement des thématiques développées précédemment, au profit de nouvelles prouesses musicales toujours plus audacieuses et savoureuses, qui donnent l’impression que l’univers a évolué. On pense bien sûr aux tonalités explosives de « Belly of the Steel Beast » ou « Escape From Venice » mais surtout à l’incroyable « Indy’s Very First Adventure » qui, durant près de 15 minutes, nous conte la genèse du mythe. Dans ce nouveau sommet de virtuosité, on assiste là à un véritable foisonnement mélodique avec, en première ligne, ostinatos de cordes et scherzo de flûtes symbolisant la fougue de la jeunesse ; soutenus par un orchestre dissonant et une fanfare circassienne (trompettes, tubas et cymbales) reflétant astucieusement l’origine de son ophiophobie et l’envers du décor. Williams apparaît comme à l’apogée de son art. Pas étonnant que Spielberg décrive la musique d’Indiana Jones et la Dernière Croisade comme la quintessence de son travail et sa préférée de toute la saga !
LE ROYAUME DU CRANE DE CRISTAL – MARCHE NOSTALGIQUE
Pourquoi diable avoir lancé un quatrième film près de 20 ans après la sortie de La Dernière Croisade ? Le sort du célèbre aventurier semblait pourtant scellé : Spielberg jurait vouloir passer à autre chose et Ford manifestait des réticences liées à son âge. Lucas peine à imaginer une suite pertinente qui puisse convaincre ses troupes de rempiler ; jusqu’en 1994 où l’idée d’une confrontation avec les extraterrestres émerge. Hélas, la carrière explosive de Spielberg, les réécritures successives du scénario et la mise en chantier de la prélogie Star Wars achèveront de retarder le développement du long-métrage. Pendant ce temps, Williams patiente tranquillement dans son coin, en espérant de tout cœur pouvoir renouer avec ce vocabulaire musical qu’il chérit tant. Entre temps, il aura accouché de quelques chefs d’œuvres inestimables : Hook : La Revanche du Capitaine Crochet (1991), Jurassic Park (1993), La Liste de Schindler (1993) ou Il Faut Sauver le Soldat Ryan (1998) chez Spielberg et, bien sûr, La Menace Fantôme (1999), L’attaque des Clones (2002) et La Revanche des Sith (2005) chez Lucas. L’attente aura donc été longue mais bénéfique pour nos oreilles. Alors, quand sonna l’heure des retrouvailles, il ne fut pas surprenant de le retrouver en forme olympique. L’élégance et la malice de son écriture n’ont pas pris une ride et Williams trouve encore les ressources pour se renouveler.
Les nouvelles pérégrinations d’Indy s’accompagnent de consonances plus épiques, parfois plus proches de Star Wars dans la syntaxe et l’orchestration (« The Spell of the Skull », « The Departure »), mais aussi de sonorités plus mystérieuses, comme cet ensemble de cordes et de bois hypnotiques évoluant vers un crescendo de cuivres qui révèle le pouvoir incommensurable du crâne de cristal d’Orellana (« The Call of The Crystal », « Return », « Oxley’s Dilemma »). Un mystère qu’Irina Spalko (Cate Blanchett) tente de percer à jour, motivée par ses cordes maléfiques trahissant son avidité de pouvoir ; ses origines étant, quant à elles, rappelées par un saxophone aux influences russes (« Irina’s Theme », « The Jungle Chase »). Peuplé de nombreux motifs à déconseiller aux entomophobes (les fourmillements de « Ants » ou « Secrets Doors and Scorpions »), le score fait la part belle au suspens pour magnifier chaque découverte (« The Spell of the Skull », « Hidden Treasure and the City of Gold »), sans oublier de souligner les couleurs de l’Amérique du Sud, berceau des crânes de cristal, à coup de folklore amérindien (« The Journey To Akator ») et de percussions tribales (« Grave Robbers »).
Et, comme toute bonne saga qui se respecte, la reconnexion musicale avec les précédents volets s’établit à travers différentes séquences, dans un souci de cohérence. Les plus aguerris d’entre nous ont ainsi pu reconnaître les thèmes de l’Arche d’Alliance, lorsqu’Indy investit la Zone 51 sous la menace des russes (« The Spell of the Skull ») ; le thème de Henry Jones Sr, à l’évocation de sa mort au détour d’une conversation ou de sa mémoire, au décollage de la soucoupe volante d’Akator, et, bien évidemment, le thème de Marion, exhumé à l’occasion du retour de l’actrice Karen Allen, dont les cordes romantiques célèbrent par la même occasion l’union matrimoniale de nos deux tourtereaux (« Finale »). Hélas, les offrandes de Sir Williams ne suffisent pas à pallier les kitscheries visuelles et scénaristiques qui viennent galvauder la frénésie de cette réunion nostalgique. Mais celles-ci ont au moins le mérite de rendre les apparitions de Mutt Williams (Shia LaBeouf) plus supportables grâce à un thème exaltant, fort de ses éclats symphoniques ludiques où les trompettes s’en donnent à cœur joie (« The Adventures of Mutt », « A Whirl Trhough Academe ») . On en oublierait presque le traitement lamentable réservé à ce Henry Jones Jr (troisième du nom), vraisemblablement plus enclin à incarner le fils de Tarzan que la progéniture du plus célèbre des archéologues… Cette vaine tentative de leg n’ira, fort heureusement, pas plus loin car ; même si le final laisse planer le doute entre un adieu symbolique et l’annonce d’une potentielle aventure menée par Mutt, son père ne semble pas disposé à lui laisser son chapeau !
LE CADRAN DE LA DESTINÉE – LE CHANT DU CYGNE
Après une quatrième aventure tant conspuée par les puristes, l’avenir nous aura donné raison : Indy is back ! Dépossédé de ses créateurs, on aurait pu craindre un traitement plus woke et mainstream de la part des studios Disney ; soucieux de rentabiliser le rachat de la franchise en pressant un peu plus le citron déjà bien pressé. Spielberg pensait « être le seul à savoir réaliser un Indiana Jones ». Nous aussi. Mais force est de constater que James Mangold assure le spectacle et l’émotion avec passion et nostalgie. Pire encore : on aurait pu craindre que Michael Giacchino, héritier spirituel de Williams très sollicité par Disney (Doctor Strange, Rogue One, Coco) ou même Marco Beltrami, collaborateur privilégié de James Mangold (3H10 pour Yuma, Logan, Le Mans 66), reprennent le flambeau tandis que Williams se heurtait malheureusement à quelques problèmes de santé. Deux compositeurs de génie, très appréciés, vénérés par certains, mais qui nous auraient pourtant privé d’une nouvelle création du maître. Une frustration inimaginable, dirions-nous, quand on prend conscience que ses implications se raréfient et qu’il a déjà consacré énormément de temps à une trilogie qui n’en valait pas la peine (coucou les Star Wars de Disney).
Nul besoin de se justifier, ce chant du cygne ne pouvait pas s’achever sans ses prouesses musicales, tant les parallélismes entre le héros et le compositeur sont d’autant plus éloquents : Indy est au crépuscule de sa vie mais il n’hésite pourtant pas à se remettre en selle pour une ultime aventure – la der des ders ; à l’instar de Williams, assurant vouloir mettre un terme à sa carrière avant de réaliser que la musique lui est aussi vitale qu’à un film. Ces vétérans de leur art ont traversé différents âges et se retrouvent confrontés aux mutations sociétales : tandis que le premier n’hésite pas à renfiler sa tenue des années 30, monter à cheval ou lutter avec un fouet ; le second reste aussi fidèle à l’essence de son style et l’authenticité de son écriture. Sauf que, contrairement à l’archéologue de 80 ans qui peine à convaincre en se parachutant d’un avion en feu ou en dévalant les rues de Tanger en tuk tuk, « papy Williams » – comme l’appellent affectueusement les fans – puise dans ses dernières ressources pour nous offrir un final… intriguant.
« Cette foutue musique me suit partout. Ils la jouent à chaque fois que je monte sur scène ou que je quitte une scène. Ils l’ont même jouée dans la salle d’opération au moment de ma coloscopie »
Harrison Ford
Il n’empêche que cette conclusion musicale, aussi belle soit-elle, semble déconnectée de l’univers et de ses traditions. Sûrement parce que Mangold a fait le choix d’insuffler une intensité dramatique plus prégnante au détriment d’un spectacle plus jovial (la dangerosité de la mission est à son comble, les blessures émotionnelles d’Indy se dévoilent, etc). En résulte une instrumentation ouvertement plus grave (« Voller Returns », « The Airport », « Battle of Syracuse ») ou mélancolique (« To Morrocco », « Perils of the Deep », « Centuries Join Hands », ou « New York 1969 »), une expressivité orchestrale diminuée (« Tuk Tuk in Tangiers », « Battle of Syracuse ») mais surtout une formule mélodique étrangement absente (Teddy, Archimède, Basil, Renaldo) ou minorée (la machine d’Anticythère = le cadran de la destinée). Ce contraste surprend d’autant plus après le passage du prologue qui alimente la nostalgie des fans en réincorporant, tels des easter eggs, les accents vigoureux de La Dernière Croisade (« Alarm ! », « On The Tank », « Belly of the Steel Beast »), des Aventuriers de l’Arche Perdue (« The Medaillon », « Desert Chase ») ou même du Royaume du Crâne de Cristal (« Ants ») dans l’avorté « Germany, 1944 » où Ford apparaît rajeuni numériquement. On regrette dès lors de ne pas retrouver cette même formule ; ce même classicisme pétaradant, dans la suite du récit, comme pendant la course-poursuite à cheval en pleine parade de célébration de la mission Apollo 11, rythmée par un underscore atmosphérique anodin (d’ailleurs absent de la B.O.) ou bien pendant la séquence des enchères à Tanger (« Auction at Hotel L’Atlantique ») qui, au lieu de se réapproprier notes pour notes les violons intrépides des Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (« The Adventure Continues »), aurait pu nous gratifier d’une nouvelle création inédite.
Rassurez-vous, le thème d’Helena Shaw (Phoebe Waller-Bridge), la filleule d’Indy, vous apportera un lot de consolation suffisant. Celui-ci vous est d’ailleurs peut-être déjà familier puisqu’il a été dévoilé, il y a près d’un an, dans une vidéo captée par quelques fans chanceux venus assister au Hollywood Bowl, où Williams présentait en avant-première mondiale la nouvelle ligne directrice de sa conclusion musicale. Tour à tour romantique ou mystérieuse, l’allure de ses cordes dégage une sensualité étonnante qui la rapproche sans aucun doute d’une James Bond girl (une fois n’est pas coutume !), insaisissable et énigmatique, mais révèle aussi ses ambitions, sa cupidité et sa quête de gloire (« Prologue to Indiana Jones and the Dial of Destiny », « To Morocco », « To Athens »). Il faudra attendre l’avancée du récit pour que son thème, alors confronté aux accents tyranniques de Voller, s’imprègne d’héroïsme et se rapproche de la grandiloquence de la Raiders March sans, bien entendu, pouvoir prétendre s’y mesurer ou s’y comparer (« The Airport »). Frustrant ? Insuffisant ? Incohérent ? Indiana Jones et le Cadran de la Destinée fera couler beaucoup d’encre. Mais s’il y a bien un point sur lequel tout le monde sera d’accord, c’est que le retour de John Williams était indispensable. La boucle est maintenant bouclée !
WILLIAMS FOREVER
La musique d’Indiana Jones, c’est notre madeleine de Proust. Une invitation à l’aventure, un coup de fouet à la musique de blockbuster. Synonyme de frissons, elle aura laissé une empreinte indélébile dans la musique de films grâce à une mythologie aussi complexe que l’histoire de nos civilisations passées. Maintenant, il semblerait bien que son compositeur soit prêt à raccrocher la baguette. Que dire de plus si ce n’est : chapeau l’artiste !
« Bien entendu, le fouet, le chapeau et la veste font partie de l’iconographie d’Indiana Jones. Mais ce qui donne vraiment un cœur et une âme à Indy, c’est la musique de John Williams »
Steven Spielberg
David-Emmanuel – Le B.O.vore