Retour en Arles, pour la énième fois… Toujours un plaisir d’être ici. Une ville à taille humaine, bien dans ses pierres dorées au soleil provençal. Au programme, bien sûr, les Rencontres photos, avec cette année, une ribambelle de japonaises. Côté musique, c’est le festival des Suds qui nous attend, pour trois soirées exceptionnelles et une myriade de lieux historiques ou insolites à découvrir…
Cette année encore, nous serons en compagnie de Jean-Pierre ENOC, régional de l’étape. Peintre, poète, écrivain, conteur… Défenseur de l’art singulier et de l’union des gauches. Même si à 83 ans, il ne va plus très vite, sa compagnie est un régal de faconde, d’érudition et d’humour…
Mardi 8h30… Ouais c’est parti tôt… J’ai pas dormi of course. Cinq heures de train destination d’Arles !
Je vous parle d’Arles…
14h30 le Monoprix avec nos valises à roulettes. Pas pour faire les courses, mais si vous suivez les flèches au sol, jusqu’à l’étage dans la réserve, le grand voyage au pays des images peut commencer. Il va durer cinq jours avec les sites extra-muros et surtout avec de bons gros bouts de musique dedans !
Et cela ne tarde pas, après une petite sieste réparatrice, nous récupérons Jean-Pierre, nos badges d’accréditation et volons vers le Théâtre Antique, dont les colonnes de fond de scène offrent un décor digne des plus beaux péplums.
Nous arrivons juste, pour Éléonore Fourniau, qui chante en kurde, sur des musiques kurdes et dont pas un seul membre du groupe n’est kurde ! Un drôle d’attelage, avec un breton aux instrus à vent, un valencianos aux cordes, un contrebassiste grec aux cheveux peroxydés et un élégant percussionniste macédonien de Bordeaux !
Et ça fonctionne. Au milieu de cette tour de Babel, dont le langage universel est la musique, Éléonore Fourniau pose sa belle voix entre son saz et sa vielle à roue. Elle devient reine Zénobie à Palmyre, paysanne kurde ou combattante pour la liberté… Une jolie découverte…
Vous n’allez pas me croire, mais depuis toutes ces années à courir les concerts dans tous les sens, je n’avais jamais vu Tiken Jah Fakoly. Il fallait venir aux Suds pour réparer cette lacune. Il est vrai que dans le reggae africain, j’avais une petite préférence pour Alpha Blondy que je trouvais plus excitant… Mais quand même quelle carrière ! Combien de refrains qui nous collent dans la tête, et de couplets qui nous ouvrent les consciences. Tiken Jah Fakoly donne son point de vue africain, sur le continent et aussi sur l’état du Monde et ce soir il nous raconte ça en « Acoustic »…
Non, pas tout seul à la guitare au coin du feu, mais avec un band à l’africaine. Il y a là un balafon, une kora, un n’goni à double manche, une poignée de percussions et deux sublimes choristes en boubous bleus. Le Maestro peut apparaitre dans sa grande cape dorée, tel un impérator ! Décidément ces colonnes… Un impérator qui se fait prophète d’une Afrique unifiée et militant des droits humains.
Un discours qui trouve écho dans le public, tout au soulagement des résultats électoraux de dimanche…
L’exercice en acoustique, ramène à l’essence même des morceaux. Et d’Africain à Paris jusqu’à Ça va faire mal en passant par Le Prix du Paradis, Plus rien ne m’étonne, Tonton d’America ou Ouvrez les Frontières, on se laisse aller à chanter, porté par la voix du patriarche, sur une musique somme toute beaucoup plus africaine que reggae…
La semaine va être belle !
Mercredi 11h00. Passage par Croisière pour écouter religieusement, Dina Mialinelina et Rija Randrianivosoa. Un rossignol malgache et son guitariste au touché de velours. Se laver des scories de la nuit avec cette voix limpide, qui va de soupirs en claquements de langue et douces mélopées… Un ravissement.
Petit tour par le marché du mercredi qui est en train de fermer. Quelques primeurs plus loin, nous abordons l’Église des Frères Prêcheurs pour l’expo de Cristina de Middel sur le périple des migrants à la frontière mexicaine. Poignant.
En sortant, nous rencontrons Étienne Racine, l’homme qui tapisse la ville de ses photos grands formats de motards indiens et de danseuses flamencas. Inratable !
Le musée Réattu pour un savant mélange des genres entre peintures et photos. La piaule est à deux pas. Petit en-cas et direction la cour de l’Archevêché pour un « moment précieux », c’est pas moi qui le dis, ça s’appelle comme ça… Le cadre médiéval sied à merveille à Haratago, pour une musique basque, plus proche de la chanson de geste que de la Peña Baiona. Je rigole, mais c’est du sérieux. Violoncelle, vielle à roue (ça revient à la mode !), clarinette et une voix qui navigue entre les différents territoires. Le chœur des choucas et la chorégraphie aérienne des pigeons, aigles et cigognes autour du clocher de la cathédrale St Trophime en font effectivement un moment précieux…
21h30 Amphithéâtre. Barbara Pravi chante Dalida. Oui je sais, y’en a qui vont me vanner… Et j’avoue que sans Aälma Dili dans les parages, je me serais peut-être abstenu. Et j’aurais sûrement eu tort…
Je découvre une personnalité attachante, une voix et une réflexion musicale autour d’une artiste qui, qu’on le veuille ou non, nous a accompagné de longues années. Dalida, Diva Tzigane. Il fallait y penser et se sortir de la tête OSS 117 qui chante Bambino. Mais avec les quatre d’Aälma Dili, que nous avions vu enflammer le Welcome in Tziganie en avril, Barbara Pravi a tiré les bonnes cartes. Entre les chansons très connues et celles sorties du fond du tiroir, la set list est plutôt bien construite. Pour ma part, j’ai jubilé du début à la fin, comme devant un show TV de Maritie et Gilbert Carpentier, un samedi soir dans le salon avec mes parents…
23h00. Il est apparu au milieu des gradins de l’amphithéâtre tel un Peter Gabriel jaillissant du public dans les années 80. Quatre blocs noirs savamment éclairés, pour accueillir quatre DJ musicos. Une longue nappe et cette voix unique qui s’envole.
Rodrigo Cuevas est là, le show peut commencer, toute la scène lui appartient. Un look à la Freddy Mercury et la gestuelle de Prince, pour chanter de sa divine voix, les canciones de son village, là-bas dans les Asturies. Des trucs « un peu trad, un peu pas... » La musique est belle, les arrangements, les chœurs… Rodrigo, ce personnage abandonné d’un scénario d’Almodovar peut se permettre le stand up pour sa tchatche intarissable ou bien lâcher la bête (ou la belle…) se transmuter en fantasme sexuel, lancer un strip-tease général ou nous enrôler dans une gigantesque Romeria, pour une fête totale !
Je venais pour Dalida, je repars avec Rodrigo. La nuit va être caliente !
Jeudi. On fait le break. Enfin histoire de parler.
11h00 Croisière pour un quintet de filles a cappella d’un charme irrésistible. Les cinq voix de Kyma, racontent leurs racines gasconnes et leurs voyages vers les Balkans, la Grèce, la Turquie, les îles Féroé et le lointain Rajasthan… Un set plein de joie, de sourires et de fraîcheur, malgré la chaleur qui monte…
Croisière c’est un lieu de rencontre autour de deux scènes et de multiples salles d’exposition. Nous sacrifions à l’hilarant « Fermier du Futur » et ses légumes gigantesques travaillés à l’IA et une histoire des Wagon-resto. A l’heure de déjeuner, c’est radical !
Après le sandwich SNCF, nous filons vers la tour Luma et le site des anciens ateliers, de la SNCF justement. Et là où il fallait une journée entière de visite dans des conditions précaires, une heure suffit pour faire le tour de la Mécanique Générale et d’une salle au sous-sol de la Luma… Il est normal que les choses bougent, et cette tour est un peu le Guggenheim d’Arles, mais c’est tout un pan de l’histoire des Rencontres qui fout le camp…
Pas grave, la ville est animée par l’envie de montrer. Il n’y a qu’à voir les affiches sur les murs, la rue est la première des galeries. Et le Off s’organise avec 70 galeries, restos, boutiques et librairies qui exposent.
Tout pour nous retenir dans ce Bouillon de Culture… Mr Pivot…
Vendredi 11h00. Un rapide salut à Stéphane K. directeur de cette merveilleuse machine à rêves que sont les Suds et nous rejoignons le set d’Hamraaz sur la scène de Croisière.
Si hier le réveil se faisait a cappella avec les filles de Kyma, ce matin ce sera instrumental, avec une flûte, un tar et un oud. Le tout manié avec dextérité, là encore, par trois jeunes femmes. Et toujours, la qualité d’écoute d’un public de connaisseurs, pour ces musiques toutes en dentelles. Happés par l’instant on se dessine un paysage. La moindre nuance se fait à fleur de peau. On nous parle d’Iran et d’Arménie et chacun fait son voyage, dardé par un soleil à peine atténué d’un filet d’ombrage.
Un petit café chez l’épicier marocain d’à côté et l’on passe dans l’Atelier des Peintres pour une énième virée photos…
21h30. Un Ovni ! Que dis-je deux Ovnis sur la scène de l’Amphithéâtre !
Un jeune prodige au piano, d’une sensibilité exacerbée. Pour qui chaque note compte. Il accompagne, mais devrais-je dire, porte musicalement, un clown triste. Un rocker enfermé dans un costard cravate, qui se transforme en crooner des bars paumés de Rio de Janeiro.
Arnaldo Antunes nous balance sa poésie et ses chansons en pleine face, de la voix profonde et désenchantée d’un Léonard Cohen. Le duo avec Vitor Araùjo tourne à la démonstration et les envolées percutives sur les cordes du Steinway, n’est pas sans rappeler les expérimentations de Tom Waits.
Du grand Art !
23h00. New’Garo…Pour rendre un hommage digne de ce nom à Claude Nougaro, il vous faut un Big Band. Et qui de mieux pour former un Big Band que Fred Pallem, le placide bassiste au chapeau, qui nous avait déjà régalé l’année dernière d’un show irrésistible sur François de Roubaix avec le Sacre du Tympan…
Section de cuivres, harde de violons, violoncelles, marimbas, grand piano, guitare, batterie, m’enfin la totale ! Vingt soldats au service du swing. Chanter avec ça au cul, c’est comme rentrer du casino en limousine… Tout va bien !
Et on fait le plein de voix aussi, faut pas mégoter !
Thomas de Pourquery dévasté par le virus, mais qui s’attaque gaillardement aux morceaux de bravoure.
Ô Toulouse… Cécile… Hélène...
La belle prestance de Marion Rampal, la classe de Souad Massi. Siân Pottok en duo avec Ray Lema pour un Bidonville chargé de sens. Et Siân enchaîne un Nougayork sur vitaminé !
Autre dynamiteur Jowee Omicil, grand baratineur et bon joueur de saxo, aussi à l’aise en duo, en trio, qu’en solo.
Et puis il en faut, toujours un pour faire le con. On prend le grand Sanseverino, on le déguise en punk japonais et on l’envoie chanter les Kayous dans un théâtre romain ! Effet garanti… Et tout ce petit monde se mélange, pour ajouter des couleurs sur la palette du maître. Le public ne s’y trompe pas et fait un triomphe à chaque intervention.
Une heure vingt, pour revisiter un répertoire qui va du jazz à la java en passant par la bossa… Ben ça passe en un claquement de doigts…
Dans la nuit. Un bassiste furieux, un saxo qui ne l’est pas moins, avec son drôle d’instrument que l’on croirait sorti d’un magasin de farces et attrapes, mais qui envoie des graves à vous déplacer les organes. Le trio se complète avec un piano électronique vintage. Et ça vous bouge aussi les jambes, dans une irrépressible envie de danse ou de faire une ronde !
On dirait Morphine qui jouerait de la bourrée électro, mais non, c’est Fleuves, un groupe de bretons, comme dans tout bon festival… Et c’est l’éclate…
2h00 c’était la cour de l’Archevêché. Tout ce qu’il fallait pour finir en beauté ce séjour arlésien. Bien sûr demain, il y a du flamenco, mais un Sud plus au Sud m’appelle…. On dirait le Sud...
Samedi 10h00. Boulevard des Lices, ça sent bon le marché provençal. En chemin pour l’Espace Van Gogh et la rétrospective sur Mary Ellen Mark, une des pionnières de la photographie américaine, nous tombons sous le charme d’Eva, une jeune artiste, qui fait son vernissage le soir même dans un restaurant. Nous ne serons plus là, mais les photos sont en place et son travail est visible… Une quinzaine de photos éclatantes de couleurs et de vitalité. Des portraits très travaillés, accolés à une recherche sur la décomposition des roses… Tout à fait glamour…
Cette matinée est à l’image de ces derniers jours. De l’authentique, des racines, l’avenir. C’est toute la démarche des Rencontres et des Suds… Pourvu que ça dure !
Le Rascal (photos Catherine Charvet)