Premiers romans chroniqués sur le site « A vos marques… Tapage ! » Je ne pouvais faire à moins que de vous présenter ces trois pépites ! Issues de deux belles maisons d’édition privilégiant les belles lettres, l’originalité et le talent, ces trois romans confirment leur belle ligne éditoriale. Je me suis régalée et vous souhaite autant de plaisir que j’en ai pris à leur lecture !
Dans « L’étranger » de Camus, rappelez-vous … L’homme tué sur la plage n’avait pas de nom, c’était juste « l’arabe »… Meursault, son assassin, n’a pas été jugé et condamné pour ce crime, mais uniquement pour son ostensible insensibilité à la mort de sa mère…Comme si la mort de l’arabe, son corps sans sépulture emporté par la mer, était anodine. Camus , qu’on peut difficilement taxer de raciste, dénonçait avec ce personnage de Meursault, l’aveuglement des colons, leur xénophobie ordinaire où tous les « indigènes » étaient identiques et interchangeables. Attitude qui a mené tout droit le peuple algérien à se rebeller pour retrouver légitimement son identité et sa dignité. Kamel Daoud a repris le texte de « L’étranger » et y répond comme en écho, offrant une identité, une famille, à cet homme mort dans l’indifférence générale. Il lui donne un nom, Moussa, un frère, Haroun, qui raconte son chagrin, son deuil et le sentiment d’injustice qu’il a ressenti face au mépris de cet anonymat. « L’arabe » prend désormais chair et existence sous la plume de Daoud, comme une réparation… « Meursault contre-enquête » est un véritable jeu de miroirs où les personnages s’interpellent d’un roman à l’autre. Le personnage de Daoud, Haroun, a également un crime sur la conscience, celui d’un européen. Lui non plus ne sera pas inquiété pour son acte en lui-même mais pour l’avoir commis après l’indépendance : En bon patriote, il aurait dû prendre les armes pendant le conflit… Un roman qui tient de la prouesse littéraire (Daoud a été jusqu’à compter le même nombre de signes que dans « L’étranger » …). D’une écriture intense, parfois virulente, Daoud rend avec ce texte un vibrant hommage au talent de Camus en réhabilitant l’histoire, avec un grand H. Brillantissime !
Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, Actes Sud, 2016 / 6,80€
Le jeune homme (il n’a pas de nom), dans sa bonne vieille voiture break , erre à la recherche d’une maison à la campagne. Il a bien une petite amie (étudiante, elle apprend le beau métier de sage-femme), mais bien qu’ils soient très épris, il se sent à l’étroit dans leur petit studio et surtout, il ne veut plus vivre en ville… Existe-t-elle la maison de ses rêves ? Dès qu’il semble toucher au but, le jeune homme hésite pour finir par se rétracter … Est-il vraiment décidé à se fixer quelque part ? Au cours d’un de ses périples, il rencontre dans la montagne (on ne sait pas où l’action se déroule) un berger qui vit avec femme et enfant dans un tipi. Et c’est la révélation : Se poser exactement là où on a envie de vivre, en osmose avec la nature ! Habile de ses mains, le jeune homme se lance donc dans la construction de sa future habitation où, à la manière de Thoreau ou du personnage de « Into the wild », il s’immerge dans la nature y puisant une inspiration qu’il va tenter de mettre en mots … Jean Cagnard signe avec « Plancher japonais » un roman étrange et envoûtant… Son écriture, poétique et délicate oscille entre surréalisme et ambiance mystique, en opposition avec son personnage parfois très terrien et rationnel … On l’envie ce jeune homme qui a su larguer les amarres pour vivre autrement et surtout, de manière authentique ! L’auteur nous donne d’ailleurs quelques idées : les plans du tipi apparaissent en croquis ici et là dans le roman … Allez … Vous imaginez …Bercés par la musique de Neil Young, la voûte céleste pour plafond, le feu de bois qui crépite, allongés dans le tipi … Laissez-vous porter par l’écriture à la puissance évocatrice nimbée de mystère de cet auteur iconoclaste et précieux… Séduite, la Chris !
Plancher japonais de Jean Cagnard, Gaïa, 2016 / 13€
Imaginez Athènes privée de son symbole, le Parthénon… Et la stupeur de ses habitants devant ce vide béant aux décombres fumants qui représentait leur identité … Impensable, non ? Et pourtant … CH.K, jeune homme exalté, commet ce geste irréparable : détruire ce monument que l’on pensait indestructible… Le gardien avait bien surpris son manège, tous les jours, il le voyait se poser pendant des heures, fasciné par le lieu… Mais comment imaginer un tel acte ? Et pourtant … Dans les années 40, un groupe surréaliste « Les annonciateurs du chaos » avait déjà écrit un manifeste pour la destruction du Parthénon… Le jeune homme n’a fait que reprendre l’idée à son compte, et même s’il ne peut expliquer de façon rationnelle son geste, il décrit qu’en voyant l’édifice s’écrouler, il a ressenti une forme absolue de liberté…Un moment unique qu’il revendique pleinement… Le lecteur de ce très court roman se retrouve dans la peau d’un juré d’assises écoutant les témoignages du gardien, des voisin de Ch…K, son audition auprès des autorités. Chryssopoulos dans ce court roman , habilement construit, nous amène à une profonde réflexion sur l’art, l’histoire, le sacré … Sur ce poids exercé par le passé qui écrase toute volonté de créativité. Mais aussi sur la beauté… En sommes-nous dignes dans notre monde consumériste où le paraître banal et souvent laid prend toute la place ? Lorsqu’on est volontairement tourné vers le passé, peut-on encore se tourner vers l’avenir ? L’auteur suscite en nous tous ces questionnements, avec une érudition parfois déroutante. Intelligent et passionnant.
La destruction du Parthénon de Christos Chryssopoulos, Actes Sud, 2016 / 5,80€
Christine Le Garrec