Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultra secret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
“L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature -, l’amour s’y adapte” – Guillermo del Toro.
Après ces propos du réalisateur, La Forme de l’Eau (The Shape of Water en VO) prend tout son sens, dans son titre, mais également dans son rapport à l’eau qui est mis très en avant.
Le dernier né du réalisateur mexicain Guillermo del Toro, connu du grand public pour les films Helboy et Pacific Rim, vient s’inscrire dans un style que l’on pourrait classer dans la catégorie “conte de fée moderne”. La Forme de l’Eau, c’est une histoire d’amour, une sorte de Belle et la Bête moderne, une passion entre une jeune femme muette, mise de coté par la société, et une créature aquatique des plus étrange, maltraitée dans un laboratoire. La beauté de cette histoire réside sur le dialogue muet qui s’installe entre ces deux personnages et dans le fait qu’Elisa puisse dialoguer plus facilement avec une créature non humaine qu’avec les humains. La passion qui s’installe entre ces deux protagonistes ne tombe jamais dans l’excès ou l’obscène. Guillermo Del Toro, comme dans la plupart de ses films, rend l’humain plus monstrueux que la créature, et pour ça il va déshumaniser l’antagoniste : Richard Strickland, incarné par le superbe Michael Shannon, connu du grand public pour son rôle d’ennemi juré de Superman dans Man Of Steel. Del Toro va utiliser plusieurs éléments, en plus du comportement du personnage, comme une main aux doigts recousus, qui noircissent durant le film.
Les brèves scènes de sexe qui ont lieu au début du film, dont on ne voit pas bien l’intérêt sur le moment, sont cependant assez surprenantes. On se rend vite compte que Del Toro ne les a pas mises par complaisance, comme dans la plupart des films actuels. Il utilise ici la sexualité pour dresser une sorte d’opposition entre Elisa et Richard, l’héroïne et le méchant. Ces scènes où ils se dévoilent dans un besoin “primitif”, (bestial pour Richard !) vont permettrent de montrer l’évolution d’ Elisa dans ses rapports amoureux, tandis que Richard montrera crescendo la violence qu’il a en lui. Del Toro nous démontre ainsi que l’on peut utiliser la sexualité comme aide à la construction du récit et non juste pour faire vendre…
L’actrice Sally Hawkins, qui joue Elisa, nous offre une superbe interprétation, emplie de tendresse, de curiosité, de timidité et de passion. Son personnage étant muet, elle a su faire partager ses émotions de façon convaincante rien que par son son jeu de regards et ses expressions. Ses échanges avec la créature sont touchants, sublimés par la musique composée par le français Alexandre Desplat (The Grand Budapest Hotel, les 2 derniers Harry Potter, Valérian…) qui habille de façon très élégante le film et emmène le spectateur dans cet univers réaliste, teinté de fantastique. Côté décors, Del Toro privilégie « le vrai » aux images de synthèse : que ce soit l’appartement d’Elisa, le dinner du coin ou encore le laboratoire, tout transpire le réel. Pour jouer la créature, Doug Jones portait costume et maquillage pour tourner les scènes.: quelques retouches numériques furent ajoutées pour lui donner plus de vie, mais ce procédé a permis de conserver les expressions de l’acteur qui nous livre lui aussi une superbe interprétation. On notera également un très beau travail sur la lumière, que ça soit dans les environnements classiques (appartements, maison) ou dans le laboratoire et ses zones aquatiques qui font penser à l’esthétique du film Cure for Life, qui lui aussi avait un rapport particulier à l’eau. La façon de filmer en suivant les personnages caméra à l’épaule rend le film très plaisant à regarder.
Fantastique, romance, thriller (Une intrigue secondaire en pleine Guerre Froide, avec des espions russes, en bonus !)… Del Toro a habilement mêlé les genres. Deux scènes surréalistes font partie des plus beaux moments du film : une scène d’amour entre la créature et Elisa dans la salle de bains entièrement immergée, où les objets flottent autour d’eux, dans une lumière hypnotisante, et celle où le film bascule en noir et blanc pour nous offrir une mini comédie musicale, reprenant tous les codes du genre, où l’on voit nos deux héros danser et Elisa chanter malgré son handicap. Admirer cette belle jeune femme dansant aux bras d’une créature aquatique aux sons d’un orchestre dans un décor vintage est un moment puissant du film !
Touchant, parfois drôle et teinté d’une certaine noirceur, La forme de l’eau, tout comme le film « d’épouvante » Crimson Peak, manque cependant d’un petit on ne sait quoi, comme si l’idée, le concept de base était intéressant, développé, mais pas assez abouti au final. Il reste cependant un très agréable divertissement ! Le verdict de la profession sera dévoilé ce soir lors de la cérémonie des Oscars où il est nominé 13 fois, dont une nomination pour la musique d’Alexandre Desplat. La Bande Originale ? Parlons en ! Mais je laisse le soin à David-Emmanuel de vous faire part de son analyse sur toutes les nuances de la musique de ce film.
Alex
Et la Musique du Film ?
Alexandre Desplat réussit une fois de plus son exercice de style pour ce conte fantastico-romantico fabuleux en cassant les codes du film de genre. Pour créer « une sensation aquatique » chez le spectateur et le plonger dans l’imagerie de Guillermo Del Torro, le compositeur développe des mélodies ondulantes rappelant la texture de l’eau. Mais la fantaisie de sa partition s’exprime aussi à travers l’instrumentation : les flûtes hypnotiques et l’accordéon singulier viennent pimper ce score sentimental et lyrique, particulièrement abouti. Bien que l’orchestre exprime une certaine retenue, la musique d’Alexandre Desplat fait jaillir de plus belle les émotions des personnages à l’écran et s’affirme comme l’une des bandes-originales les plus inspirées de cette année 2018.
L’analyse complète sur ma page Facebook « L’actualité des musiques de films »
David-Emmanuel