L’art est à l’honneur pour cette nouvelle rubrique ! Peinture, littérature, poésie, architecture et même gastronomie, avec la découverte de la cuisine traditionnelle vénitienne. Mais pas seulement … Je m’étais réservée cette chronique avec d’autres essais, mais je ne peux résister à attendre plus longtemps pour vous présenter l’enquête de deux courageux journalistes sur l’état actuel (et hélas à venir si on ne réagit pas …) du monde du travail, justement nommée « Boulots de merde ! » Un livre à découvrir et partager…
Avec ce cinquième volume « Manifeste incertain » (qui devrait en compter neuf d’ici 2020), Frédéric Pajak réinvente au fil de ses mots et de ses dessins ce peintre de génie que fut Van Gogh. Plutôt qu’une énième biographie sur le sujet, ce magnifique ouvrage nous invite à ressentir plutôt que voir et comprendre ce personnage complexe … Pari réussi… On dévore ce livre d’une traite avec le sentiment d’avoir vraiment croisé le chemin de cet homme en souffrance qui inspire autant de compassion que d’admiration … Rien n’était tiède chez Vincent, tout était extrême : son ardeur mystique qui l’a transformé en un prédicateur ascétique assez effrayant… Sa frénésie artistique avec tout au fond de lui la prémonition d’avoir une œuvre à accomplir, dans l’urgence … Van Gogh était un errant de l’âme, un illuminé génial qui a révolutionné, comme il le pressentait, le monde artistique… C’est à Arles qu’il a découvert son propre style grâce à un petit fétu de paille : le roseau de Camargue. Cet outil a modifié sa vision, bouleversé son dessin et invité les couleurs sur sa palette …C’est avec ce même roseau que Frédéric Pajak a illustré son texte de dessins dans un noir et blanc aux infinités de nuances qui semblent prendre vie, éclairés de l’intérieur… Un texte fort écrit avec sobriété et élégance, somptueusement illustré… Van Gogh ne pouvait rêver meilleur hommage, humble, respectueux et talentueux. Frédéric Pajak est un auteur dessinateur à suivre, assurément !
Manifeste incertain : Vincent Van Gogh, une biographie de Frédéric Pajak, Noir sur Blanc, 2016/ 23€
La lumière, les landes sauvages, la mer et les ciels bretons ont inspiré de nombreux peintres, tels Gauguin, Renoir, Monet, Signac ou Vallotton pour ne citer que les plus célèbres. Ils ont légué à la postérité leur vision poétique ou réaliste de cette région qui les a tous inspirés à un moment de leur vie. Mais les écrivains se sont eux aussi livrés à cette quête de l’âme bretonne, s’intéressant de près à la richesse de cette culture populaire, tels Balzac, Flaubert, Maupassant, Proust, Simenon, pour les plus réputés d’entre eux. En cinq chapitres : La nature ensorcelée, la mer, le sel de la nostalgie, une foi vibrante et terre de légendes, cet ouvrage compile des textes des auteurs ci-devant cités, mais aussi de beaucoup d’autres, plus contemporains ou moins connus du grand public. Chacun de ces textes est illustré par une œuvre picturale où là aussi, vous découvrirez des chefs d’œuvres méconnus aussi bien que des œuvres majeures. Par la plume ou le pinceau, tous ces artistes ont dépeint les sensations et les émotions qui les ont étreints au contact de cette belle région qu’ils ont magnifiée par la grâce de leur talent. C’est à cette anthologie littéraire et picturale que nous convie les éditions Omnibus pour un voyage original dans cette Bretagne mystérieuse et fascinante. Captivant !
La Bretagne comme ils l’ont aimée (Collectif), Omnibus, 2016 / 27€
Venu du Japon, le haïku possède traditionnellement dix sept sons sur trois phrases divisées en cinq, sept, cinq sons. La rime n’est pas de rigueur dans cette forme de poésie qui a le vent en poupe depuis maintenant quelques années, mais chacun de ces petits poèmes possède un thème bien précis. Qu’il aborde la nature, un sentiment ou une émotion, le but est d’exprimer des images qui se complètent, se comparent ou s’opposent jusqu’à la chute. Cette façon peut-être un peu rigide d’envisager et de mettre en œuvre cette forme de poésie est bousculée par les nouveaux auteurs qui revendiquent davantage de liberté. C’est le cas de Fred Ziegler qui nous offre avec “Un court instant être roi”, des petits moments de sagesse empreints de philosophie à goûter comme l’instant présent … Carpe Diem est le mot d’ordre de ce recueil qui débute par une citation d’Omar Khayyâm “Sois heureux un instant, cet instant c’est la vie” et se termine par un dernier haïku de Ziegler “Combien de temps nous prendra l’instant suprême ?”Entre temps, avec beaucoup de sensibilité et d’élégance, Ziegler égrène par petites touches légères et profondes à la fois, sur différentes thématiques y compris celles du quotidien, de petits instantanés exprimant sa vision poétique du monde … A savourer par petits bouts, selon l’envie et l’humeur du moment, comme une friandise !
Un court instant être roi de Fred Ziegler, EnVolume, 2016 /14,90€
Trois auteurs ont mis leurs talents en commun pour nous concocter ce magnifique ouvrage qui traite autant de l’architecture de Venise que de la spécificité de sa cuisine. Si l’on connaît ou croit bien connaître la beauté de la Sérénissime du point de vue architectural et historique, sait-on que Venise possède sa propre gastronomie ? Pour ma part, je l’ignorais, l’englobant dans la merveilleuse cuisine italienne dans son ensemble … Les recettes proposées dans ce livre, exécutées avec des produits locaux (poissons de la lagune et légumes issus des superbes jardins des îles) sont typiquement vénitiennes et mettent littéralement l’eau à la bouche, sublimées par les photos de Marie-Pierre Morel qui nous dévoile dans le même temps une Venise inconnue avec ses petits jardins bien planqués des touristes, loin de la place Saint Marc… Cerise sur le gâteau, les portes des maisons et des palais vénitiens s’ouvrent pour vous faire découvrir les merveilles qu’ils recèlent ! Tout plein d’anecdotes ponctuent cet ouvrage de référence, hymne à un art de vivre certes réservé à une élite qui garde habituellement fermées les portes de ces précieuses demeures où l’art se cache ou s’expose dans chaque recoin. Élégant, raffiné tant au point de vue culinaire qu’esthétique, un livre à offrir à tous les amoureux de Venise… et de la bonne chère !
Dans les palais vénitiens de Lydia Fasoli et Toto Bergamo Rossi, Photographies de Marie-Pierre Morel, Le Chêne, 2016 / 39,90€
Boulot de merde ! On l’a tous dit ou pensé au moins une fois, non ? Soit parce que les conditions de nos jobs sont difficiles, précaires, soumis au stress du dieu management et à son jargon insupportable (Plus personne n’y échappe aujourd’hui… quand j’entends le mot brainstorming, j’ai envie de hurler à la lune !) soit un peu tout ça à la fois ! Certains boulots dénués de tout sens font traverser des crises existentielles à ceux qui les exercent, les mettant face à leur inutilité totale vis-à-vis de la société… Ils s’emmerdent grave (Plus rares cependant dans les métiers pratiqués par le « petit peuple ») Bref, les boulots de merde, ça ne manque pas, et si en plus on rajoute le paramètre « salaire de merde », le phénomène devient exponentiel ! Julien Brygo et Olivier Cyran ont mouillé la chemise (et se sont mouillés tout courts, courageux, les mecs !) pour mener une enquête qui, de leur propre aveu est loin d’être exhaustive, faute de moyens … Ils s’en sont tenu aux exemples les plus frappants de ces victimes d’un capitalisme cannibale bien dans ses pompes qui grignote avec l’aide des gouvernements de droite comme de gauche chaque jour un peu plus nos libertés et notre bien-être … Ils ont rencontré des gens en souffrance, les ont écoutés et les ont laissé s’exprimer sur le calvaire qu’est devenu le monde du travail, sans plus aucun garde-fou pour les protéger (exit le code et l’inspection du travail, droit de grève en sursis et largement réprimé ces derniers temps …) Du cireur de godasses au distributeur de prospectus en passant par le milieu hospitalier ou la Poste, secteur privé et public subissent les mêmes tensions… Le Lean Management, vous connaissez ? Peut-être pas, mais vous le subissez sûrement ! Une formidable arnaque qui consiste à instaurer un soi-disant dialogue avec les salariés pour qu’ils consentent d’eux-mêmes à accepter la dégradation de leurs conditions de travail ! C’est pas pervers, ça ? Et la pré quantification du temps de travail, ça vous parle ? Pour un boulot donné, le patron fixe le temps nécessaire pour l’accomplir, et à moins d’être sous amphétamines H24, c’est mission impossible, bien sûr pour y arriver… Donc, heures supplémentaires non payées et taux horaire qui se révèle bien en-dessous du salaire minimum … Vicieux, hein ? Bon, j’arrête, vous l’aurez compris, il y a mille motifs pour avoir envie de monter des barricades en lisant le super boulot de ces deux journalistes qui, en plus, ont l’élégance d’avoir de l’humour ! Lisez « Boulots de merde ! » et faites le découvrir autour de vous, l’indignation, ça peut être contagieux ! Si tous les gars du monde, hein …
Boulots de merde ! de Julien Brygo et Olivier Cyran, La Découverte, 2016 / 18,50€
Christine Le Garrec