Samedi 29 mars, David Geselson et Elios Noël ont tenu sous leur emprise le public de L’Empreinte, à Tulle. Personne n’est resté sur le bas-côté, ils nous ont embarqués sans retenue dans une histoire commencée il y a 100 ans.
Ce soir-là, nous étions les invités de David Geselson, aurait-on dit, et chacun s’est immédiatement senti proche de notre hôte qui racontait son histoire familiale. Immense privilège que d’être accueilli par tant de chaleur mâtinée d’humour.
Au fondement de cette histoire, un homme quitte sa Lituanie natale pour rejoindre La Palestine alors sous mandat anglais. Cet homme, c’est Yehouda Ben Porat, le grand-père maternel de David Geselson. D’abord éduqué pour devenir rabbin, il n’aura de cesse de bifurquer pour trouver sa propre voie. Il fut professeur d’histoire, pionnier des kibboutz; il s’engagea dans l’armée anglaise, voyagea en Europe, alla à New-York et vécut toute sa vie un amour fou mais contrarié. Contrarié aussi l’idéal qui l’animait à l’orée de sa vie adulte. « C’est à l’aube que tout commence », que tout commence, pour un homme et pour sa lignée, pour les peuples aussi.
Le roman familial de David Geselson s’est donc nourri de la vie de Yehuda, alimenté de souvenirs et de traces, palpables ou non. C’est ce récit qu’interroge l’auteur devenu adulte et lui aussi à une bifurcation de sa vie, car l’histoire peut devenir encombrante surtout quand elle ressemble à une hagiographie, quand la stature de l’ancêtre tutélaire étend son ombre sur les générations suivantes.
La mise en scène épouse magistralement la montée en puissance du noeud de la pièce. Elios Noël y incarne Yehouda avec une grande intensité, qu’il s’agisse du jeune homme surdoué qui décide de « trahir son père » pour partir construire un pays, ou du vieil homme malade et désenchanté. Il restitue, avec humour parfois, une époque où l’espoir se décline ailleurs et un personnage qui est moins monolithique qu’il ne paraissait tout d’abord. David Geselson, lui, n’est pas moins convaincant quand il questionne son grand-père (quels sont les faits ? Et qu’est-ce qui est reconstruction, mythe ?) et sans relâche doute, cherche ce qui se trouve sous les mots. « A force, les mots ça ment. » Ce questionnement, on le sent, lui est vital pour pouvoir se situer dans le monde.
Y a-t-il une Terre promise ? Et quel est le prix à payer pour l’atteindre ? Ce sont là les confins essentiels auxquels ce texte nous emmène. Les interprètes et le texte auraient mérité un public plus nombreux. En effet, les grands classiques attirent les foules à L’Empreinte et cela est rassérénant, mais ne s’oppose pas à ces créations contemporaines qui, sans alexandrins, savent nous parler de questions universelles.
Swaz