Œuvrant pour le cinéma hollywoodien depuis près de 35 ans, le compositeur américain Danny Elfman est mis à l’honneur par la Philharmonie de Paris. Il renouvelle ainsi son séjour dans la capitale française après la série de concerts « Danny Elfman’s Music from the films of Tim Burton » au Grand Rex en 2015 et au Palais des Congrès en 2017. Pour ce week-end lui étant entièrement dédié, on lui octroie une liberté la plus totale dans l’élaboration du programme. Danny Elfman choisit ainsi de nous présenter en partie ses récents travaux de musique classique mais, bien entendu, sans renier sa carrière vertigineuse de compositeur pour le 7ème art !
14/03/2019: Ciné-concert ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (film de Tim Burton – 2010)
ALICE AU PAYS DES MERVEILLES aura été un succès à bien des niveaux ; ce qui justifie sans nul doute la création de ce Disney concert interprété par l’Orchestre National d’Île-de-France, lui-même dirigé par le chef d’orchestre John Mauceri et accompagné par l’ensemble vocal Les Métaboles. Outre le défi technique et visuel cherchant à combiner prises de vues réelles et images de synthèses dans un souci de réalisme, le casting 5 étoiles et deux Oscars en poche (Meilleure Direction Artistique et Meilleurs Costumes), le film peut se vanter d’avoir fait exploser le box-office mondial ; allant jusqu’à devenir le plus gros succès de Tim Burton ! Néanmoins, la partie la plus excitante reste bien évidemment l’enrôlement de Danny Elfman dans cette nouvelle folie burtonienne ; après cinq années de césure collaborative. En effet, le duo fétiche ne s’était pas côtoyé depuis CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE en 2005 ; l’adaptation de la comédie musicale SWEENEY TODD n’usant que des musiques existantes de Stephen Sondheim. Ce retour aux sources nous permet presque d’établir un parallélisme avec le rapatriement d’Alice au pays des merveilles…
Près de 10 ans après la première écoute du thème d’ouverture, le ressenti reste inchangé : Danny Elfman était assoiffé par ces retrouvailles ! Le ‘Alice’s Theme’ est porté par un chœur d’enfants angéliques qui ; associé aux clochettes, fait jaillir puissamment la féérie de cet univers. Le texte « Oh, Alice, dear where have you been ? So near, so far or in between ? » signifiant « Oh ma chère Alice, où étais-tu ? Si proche, si loin ou entre les deux ? ». Les violons évoquent l’aventure et les péripéties qu’Alice s’apprête à vivre tandis que les cuivres apportent une dimension plus épique à cette relecture du mythe au cinéma. En seulement un morceau, Danny Elfman est parvenu à capter à la perfection l’onirisme de Lewis Carol ; l’auteur des livres, et ; une nouvelle fois, celui de Tim Burton. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le ‘Alice s’ Theme’ figure parmi ses meilleures partitions pour le cinéaste gothique… et de sa carrière musicale ! Ce ciné-concert nous rappelle toutefois que sa version complète n’éclot qu’au moment du générique de fin, même s’il subit de très belles variations tout au long du film.
Le reste de sa partition interprété par l’Orchestre National d’Île-de-France nous fait tout autant vibrer et notamment les orchestrations amples de ‘Bandersnatched’, ‘Going to Battle’ ou encore ‘The Final Confrontation’, ceux-ci constituant une véritable fresque musicale épique faisant monter la tension dans la salle. Et même si le jeu des musiciens est réalisé en parfaite synchronisation avec les images, le piège d’un ciné-concert reste de se laisser happer par l’écran… Quoiqu’il en soit, on peut le dire : Danny Elfman fait des merveilles !
14/03/2019: Une soirée avec Danny Elfman – Concert Berlin Philharmonic Piano Quartet
« Tout le monde pense que j’ai un rapport très simple avec Tim [Burton] parce que je peux m’introduire dans son cerveau, mais c’est tout le contraire! »
Danny Elfman
La rencontre avec Danny Elfman propose une occasion unique pour le public de se familiariser avec ce personnage excentrique et d’interagir avec lui afin de mieux comprendre le processus de création musicale dans le cinéma. Avant que le micro ne navigue entre les membres du public, le compositeur survole l’ensemble de sa carrière à la demande du modérateur N. T. Binh ; spécialiste du cinéma hollywoodien et commissaire de l’exposition « Musique & Cinéma » à la Cité de la Musique en 2013. Des métros de Paris à son concerto ELEVEN ELEVEN, en passant le groupe de rock Oingo Boingo et Tim Burton, Elfman se livre à une série d’anecdotes croustillantes. Passage obligé, il revient sur la création du thème le plus iconique et reconnaissable mais surtout le plus « compliqué » de sa carrière : ‘The Batman Theme’ ; imaginé dans l’avion le ramenant du plateau de Gotham City et enregistré au dictaphone dans les toilettes afin de ne pas l’oublier! Doté d’un caractère bien trempé et d’un sens de l’humour exquis, Elfman semble s’affirmer comme un marginal qui se laisse tout simplement emporter par les opportunités se présentant à lui. On comprend alors qu’il soit le compagnon de choix pour Tim Burton ; dont la marginalité de ses personnages ressort dans chacun de ses longs-métrages.
Selon Elfman, la meilleure façon de relever un défi musical est de « s’introduire dans l’esprit du cinéaste pour s’imprégner et se rapprocher au plus près de sa vision » de l’histoire, des personnages, etc. Le public aura été fortement désillusionné en apprenant que ses collaborations avec Tim Burton sont les plus appréhendées; bien que toujours très fructueuses. Burton étant « la personne la plus indéchiffrable » parmi tous les cinéastes avec lesquels Elfman a travaillé ! De manière plus générale, le sexagénaire nous révèle que ses collaborations sont souvent source de clashs comme ce fut le cas sur SPIDER-MAN 2 en 2002 avec le réalisateur Sam Raimi qui souhaitait l’amener « dans une toute autre direction musicale »; de quoi compromettre sa participation à SPIDER-MAN 3 (mis en musique par Christopher Young).
En commentaire de ses récents travaux de musique classique, Elfman ; explique avoir « voulu sortir de sa zone de confort pour ne pas se faner comme une fleur », et s’immiscer une nouvelle fois dans le classique après SERENADA SCHIZOPHRANA en 2004. A l’instar des constats établis par ses confrères James Newton Howard (I WOULD PLANT A TREE) et James Horner (PAS DE DEUX), c’est une tendance qui déplaît jalousement aux compositeurs de musiques classiques. Ceux-ci estimant que « les compositeurs de musiques de films ne sont pas de [leur] bord et n’ont rien à faire là-dedans !». Le compromis lié à cette immersion incursive aura été de refuser de nombreux films par an, ceci justifiant d’autant plus sa motivation à nous présenter ces œuvres classiques durant ce week-end : le DANNY ELFMAN PIANO QUARTET et le concerto pour violons ELEVEN ELEVEN.
A l’issue de cette rencontre, le Berlin Philharmonic Piano Quartet vient interpréter le quatuor avec piano n°1 de Wolfgang Amadeus pour le confronter ensuite au piano quartet en cinq mouvements de Danny Elfman. Probablement pour que le public y relève une évolution d’écriture, d’esthétique à travers les différents âges du classique.
15/03/2019: Danny Elfman Symphonique
« Il y a quelques années, j’en suis venu à la conclusion que je ne voulais pas seulement écrire de la musique orchestrale totalement libre de l’influence du cinéma mais que je devais pratiquement le faire pour rester sain d’esprit »
Danny Elfman
Malgré sa filmographie épatamment dense, la moitié du programme du concert Danny Elfman Symphonique met l’accent sur ses compositions classiques. A la lecture du programme, on grogne déjà de ne pas y voir apparaître SPIDER-MAN, L’ETRANGE NOEL DE MR JACK, MEN IN BLACK, HULK, BEETLEJUICE ou encore MARS ATTACK… C’est le cinquième mouvement (intitulé ‘I Forget’) de la pièce SERENADA SCHIZOPHRANA, commandée par l’American Composers Orchestra en 2004, qui ouvre le bal. En revanche, le concerto pour violon et orchestre ELEVEN ELEVEN verra l’ensemble de ses 4 mouvements interprétés sur scène par la soliste virtuose Sandy Cameron et le chef d’orchestre de renom John Mauceri. Il s’agit des membres originaux crédités sur le premier enregistrement de cette pièce et qui participaient également à la tournée de concerts Danny Elfman’s Music from the films of Tim Burton. ELEVEN ELEVEN est une pièce riche en rebondissements sonores qui reste marquée par l’interprétation flamboyante de ces deux artistes en collaboration avec le Brussels Philharmonic. La patte du compositeur est immédiatement repérable notamment dans l’utilisation des cuivres et des cordes. Son influence cinématographique semble avoir déteint sur l’écriture de ce concerto écrit en 2017; si bien que l’on discerne même des variations du thème de HULK (Ang Lee – 2003). La construction musicale y est très similaire tout comme les ascensions de cuivres. Si les fidèles savent apprécier de (re)découvrir le résultat de son immersion dans le classique, les autres spectateurs impatients semblent se focaliser sur la deuxième partie entièrement consacrée à ses œuvres pour le cinéma ; et plus particulièrement sur le cinéma de Tim Burton.
Après une courte intermission, la seconde partie s’amorce avec la suite frissonnante de BATMAN (Tim Burton – 1989) et BATMAN : LE DEFI (Tim Burton – 1992). Une suite parfaitement concoctée qui regroupe l’essentiel des pistes les plus marquantes de ces deux volets consacré à l’homme chauve-souris. Les violons intrépides et les cuivres sombres du ‘Batman Theme’ font resurgir la nostalgie de la « Batmania » de la fin des années 80. C’est incroyable comme l’essence même du personnage ; qui souffle ses 80 bougies cette année, résonne toujours dans ce thème surpuissant. Une mélodie mémorable qui résiste durement à l’épreuve du temps et qui émerveille ; encore aujourd’hui, les plus jeunes fans du Chevalier Noir dont certains sont présents dans la salle ! Plongés dans la pénombre, les chœurs mystérieux de ‘Descent into Mystery’ nous donnent l’impression de nous engouffrer dans la Batcave, la ‘Waltz to the Death’ cherche à nous faire valser avec le Joker tandis que les cordes stridentes de ‘Selina Transforms’ nous font miauler d’effroi ! On regrettera l’absence de l’ouverture musicale de BATMAN : LE DEFI (‘Birth of a Penguin’) mais heureusement, on retrouve quelques portions de ce thème à la fois dramatique et fantaisiste à travers cette partie de la suite. Et peut-être aussi un lancer de chauves-souris dans la salle… Cette suite majestueuse ; qui donnerait presque les larmes aux yeux à n’importe quel fan absolu de BATMAN, se conclut brillamment sur le ‘Finale’ du premier film.
Après le ciné-concert de la veille, le thème entêtant d’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES (Tim Burton – 2010) résonne une nouvelle fois dans la salle Pierre Boulez avant de laisser place à une longue suite consacrée à la musique du film EDWARD AUX MAINS D’ARGENT (1990). Comment ne pas être ému face à la délicatesse de sa mélodie principale menée par des violons mielleux et des chœurs élégiaques ; relevant d’une écriture sensible et réfléchie ? La violoniste Sandy Cameron y fait une nouvelle intervention remarquée pour interpréter avec frénésie une version élargie et arrangée de ‘Edwardo the Barber’. Et même sans écran pour illustrer ce qui se joue devant nous, on se remémore parfaitement Johnny Depp s’agiter dans tous les sens pour taillader les cheveux de ses voisines. Le rappel réservé au public s’avère être une surprise de taille pour le moins inattendue : les clarinettes dévoilent le thème… de la série télévisée LES SIMPSON (Matt Groening -1988)! Enfin, sous une houle d’applaudissements, Danny Elfman se jette en courant sur la scène pour remercier son public encore sous un air amusé.
Ce week-end philharmonique fut l’occasion de renouer avec le mythique Danny Elfman ; qui paraît moins investi dans l’industrie cinématographique qu’autrefois, et de lui découvrir cette facette cachée de compositeur d’œuvres classiques. Avec ce programme riche et varié, on aura surtout été comblé par la rencontre et l’échange organisés avec cette légende de la musique de film ! Un week-end qui nous rappelle aussi que les mélodies enchanteresses de Danny Elfman ne font pas que bercer l’univers cabalistique de Tim Burton, elles-le façonnent !
David-Emmanuel – Le B.O.vore