Un art et essais « spécial Noël » avec tout plein d’idées de beaux livres à glisser sous le sapin ! Pour s’émerveiller, trois superbes ouvrages sur le street art (Banksy, portraits dans l’art urbain, stickers), les extravagants collages d’Emmanuel Pierre, les petits papiers de Frank Margerin… Un savoureux recueil d’Auguste Derrière et de Prunelle de Mézieux pour se mettre de bonne humeur… Des docu-BD sur Caravage et Bukowski, aussi ludiques qu’instructifs… Et deux livres relatant des histoires rocambolesques (mais vraies !) sur des cambriolages d’oeuvres d’art de haut vol, qui se lisent comme de bons polars ! Noël sera sous le signe de l’art ou ne sera pas !!! Belles fêtes de fin d’année à toutes et à tous !
Banksy apporte un éclairage d’une cruelle acuité sur notre société contemporaine, notamment à travers certaines de ses oeuvres directement inspirées des maîtres de l’Histoire de l’art. Des peintures paléolithiques de Lascaux au quatrième socle vide de Trafalgar Square (en passant par les oeuvres de Raphaël, Vermeer, Millet, Van Gogh, Magritte, Dali, Hopper, Warhol, Basquiat…), les « copies » irrévérencieuses et furieusement pertinentes de ce génie frondeur, bien loin de dénaturer les oeuvres qui l’ont inspiré, témoignent de la vivacité artistique de ce robin des bois du XXIème siècle, toujours prêt à pourfendre les injustices de notre époque déshumanisée. Dans chacune de ses oeuvres, on retrouve les chevaux de bataille (problèmes sociétaux, surconsommation, capitalisme à outrance…) de cet artiste aussi attachant par son talent que par son humanité. C’est ainsi que son « David » (Michel-Ange) porte un gilet pare-balles, que sa « Joconde » brandit une kalachnikov, que sa « vierge allaitant » (Elisabetta Sinari) porte à la bouche de son enfant un biberon empoisonné, que son « radeau de la Méduse » met en lumière le terrible sort des migrants… Pour la richesse de son iconographie et pour la fine analyse que nous offre Kelly Grovier sur ces oeuvres qui ne peuvent que nous interpeller, cet ouvrage est une pure merveille !
Comment Banksy revisite l’Histoire de l’Art par Kelly Grovier, Alternatives, 2024 / 25€
Durant des siècles, le portrait a orné les murs des salons de la bourgeoisie : se « faire tirer le portrait » était alors un signe d’appartenance à l’élite. Qu’en est-il aujourd’hui de ce genre cruellement mis en désuétude à l’arrivée de la photographie ? Et bien, on peut affirmer qu’il a retrouvé tout son prestige grâce aux artistes urbains qui ont dépoussiéré ses codes et ses modes pour lui donner un sacré bain de jouvence ! Preuves à l’appui au fil des pages de ce bel ouvrage qui nous dévoile l’art du portrait à travers les siècles, jusqu’aux productions actuelles de street artistes qui ont effectué une totale remise en question du genre selon différents procédés plastiques. « Artifices et mises en scène » (regards, angles de vue, postures), « Typologies » (portraits de famille, collectifs, d’illustres, de masse, sériels, sociologiques, ethniques, historiés, funéraires), « Autoportraits », « Styles et factures » (hyperréalisme, fragmentation des couleurs, primauté de la ligne, déconstruction des formes…), « La fabrique des icônes » (figures de stars, de saints, de héros), « Réinterroger le portrait » (dévoiler l’invisible, brouiller, dissimuler, effacer, défigurer, hybrider, reconfigurer)… Avec cet ouvrage copieusement documenté, et somptueusement illustré d’oeuvres d’hier et d’aujourd’hui, Cyrille Gouyette nous offre un fabuleux tour d’horizon de ce genre désormais offert aux yeux de tous, qu’il entrecoupe de « portraits » d’artistes emblématiques venus du monde entier (Vhils, Yz, Swoon, Levalet, Jorge Rodriguez-Gerada, El Mac, La Rouille). Aussi édifiant que passionnant !
Faces au mur par Cyrille Gouyette, Alternatives, 2024 / 30€
Cet ouvrage abondamment illustré nous offre un tour du monde exhaustif du sticker, de ses premiers balbutiements aux différentes formes qu’il revêt de nos jours. Réalisé par un collectionneur chevronné et par un fondu d’art urbain, ce très beau livre nous propose donc l’Histoire complète de cet autocollant pas comme les autres, qui a envahi progressivement l’espace public dans un but de propagande politique ou comme support de publicité, mais aussi comme autant d’objets d’art réalisés par des street-artistes. Une Histoire contée dans ses menus détails par des « stickophiles » aussi passionnés que passionnants, mais aussi par différents intervenants qui nous exposent chacun leur point de vue sur le sujet, comme Nhidi Bansal (collectionneuse indienne), 9.10DO (graffeur français), Clet Abraham (spécialiste du détournement de panneaux de signalisation) ou Olivier Baudach (directeur du « Hatch Kingdom » à Berlin, le seul musée du monde consacré au sticker). Débuts dans la pub, différents matériaux utilisés, décryptage des codes graphiques, sticker digital… Jean-Pierre Dewerpe et Quentin Gassiat nous dévoilent tout en mots et en images sur ces objets qui nous interpellent ou nous font sourire à chaque coin de rue, en associant l’idée d’une affirmation identitaire individuelle à celle d’une communauté de partage de valeurs. Et comme huit planches de stickers inédits sont offerts (dont deux stickers réalisés par notre Nush !)… Ce livre est indubitablement LE cadeau à offrir à un collectionneur !!!
Stickers : entre Art de rue et culture populaire par Jean-Pierre Dewerpe et Quentin Gassiat, Alternatives, 2024 / 28€
Entrer dans l’univers d’Emmanuel Pierre, c’est s’offrir une jolie tranche de rêve et d’évasion. Car il suffit de s’imprégner du climat poétique et joliment surréaliste qui émane de ses audacieux et sublimes collages pour en apprécier toute la saveur… Et le joli brin de folie ! Étranges, drôles ou inquiétants, ses personnages, affublés de noms que l’on prend plaisir à goûter en bouche (Anne-Féline Bredaine du Bredon, Sybil Misanplidestropez, Iris-Ajonc Lepoulaiflambe, Sidoine Poilsancoeur…) défilent ainsi élégamment au fil des pages de cet ouvrage, en happant irrésistiblement notre regard qui s’attarde pour faire peu à peu apparaître leur personnalité, nichée dans une multitude de minutieux détails. Un plaisir des yeux mais aussi de l’esprit par la grâce de petits textes de présentation qui ne manquent ni de sel ni d’humour… Je ne résiste pas à vous présenter celui qui accompagne l’illustration ci-dessous : « Pal Faubourdafric donne des cours de chant-racaille dans le salon de sa belle-mère et complète ses chiches émoluments par de douteuses parties de billard Nicolas avec les sommités scientifiques du collège horticole voisin. Il aurait mis un joli pactole de côté et pourra bientôt se gâter d’un pavillon en meulière avec un toit de tuiles mécaniques et des fenêtres en kératine. » « Extravagant » et jouissif à souhait, ce bel ouvrage vous ouvrira des horizons… insoupçonnables et insoupçonnés !!!
Extravagants par Emmanuel Pierre, La Table Ronde, 2024 / 22€
Avec « Lucien », « Manu » ou « Momo le coursier », Frank Margerin a incontestablement légué à la postérité une empreinte indélébile sur une époque désormais révolue. Son trait reconnaissable au premier coup d’oeil, délicieusement « vintage » et rock’n’roll à souhait, fait mouche auprès des vétérans des années 60 aux années 80 en leur apportant une bonne dose de nostalgie… Et il séduit tout autant les jeunes générations par son son humour ravageur ! Mais si Frank Margerin est indubitablement une icône de la BD « Made in France », il a également mis tout son talent au service de la publicité et dans la conception de sublimes pochettes de disques, d’affiches de films ou de spectacles. Avec cet ouvrage, qui compile plus de 200 de ses croquis (dont un quart d’inédits jamais publiés), Margerin nous immerge en profondeur dans les coulisses de sa création… Car cette multitude de petits « crobards » griffonnés sur des bouts de papier et accompagnés de ses notes, expriment l’essence même de son travail ! Un livre « collector » qui va combler les nombreux admirateurs et admiratrices de cet artiste si attachant !
Dans les petits papiers de Margerin, Robinson, 2024 / 30€
Ce docu-BD (la marque de fabrique des éditions « Petit à Petit » !), nous propose de découvrir la vie et l’oeuvre de Caravage, maître incontesté du clair-obscur, sous la forme d’une bande dessinée entrecoupée de pages documentaires rédigées par un collectif de spécialistes. La BD nous dévoile ainsi des épisodes marquants de la vie de cet artiste tourmenté, sous des dessins oniriques et percutants qui évoquent à merveille son chaos intérieur, établissant de manière lumineuse le lien qui relie ses névroses à la puissance de son oeuvre. Une mise en lumière confortée par les conservateurs des musées du Louvre, de Milan, de Nancy et de Rouen, qui nous exposent une analyse claire et limpide sur son travail (origines et années de formation, techniques, influences…) tout en nous présentant quelques-unes de ses oeuvres les plus emblématiques. Un ouvrage qui nous offre une exploration ludique sur cet artiste torturé dont la vie ne fut qu’une succession de drames et de violence, mais aussi sur son oeuvre magistrale qui a influencé bon nombre d’artistes. Aussi passionnant qu’instructif !
Caravage : l’ombre du peintre par Ernesto Anderle, Petit à Petit, 2024 / 24,90€
Des histoires de cambriolages d’oeuvres d’art et de voleurs de haut vol !!!
Au fil de ce palpitant ouvrage, vous découvrirez dix histoires, spectaculaires et pourtant authentiques, sur dix importants vols d’oeuvres d’art, commis dans des musées du monde entier, du début du XXème siècle à nos jours. Certains de ces cambriolages n’ont d’ailleurs jamais été résolus et bon nombre de ces oeuvres d’art n’ont hélas jamais été retrouvées… C’est dans un style narratif très agréable que Philippe Durant nous immerge au coeur de ces « casses » qui ont mis sur les dents les services de police, Interpol et l’office central de la lutte contre le trafic des biens culturels. Et c’est avec minutie qu’il nous relate le récit des préparatifs et de l’exécution de ces vols d’oeuvres prestigieuses (« La Joconde » de De Vinci, le « Portrait du duc de Wellington » de Goya, « Le cri » de Munch, toiles de Norman Rockwell, Breughel l’Ancien, Hans Holbein, Van Dyck, Turner, Renoir, Rembrandt, Matisse, Picasso, Dali, Van Gogh, Le Tintoret…) perpétrés avec une sacrée audace par des gentlemen cambrioleurs de haut vol ! Cet ouvrage, qui nous propose en conclusion de passionnantes annexes documentaires nous dévoilant le point de vue des autorités, se lit comme un roman !
Cambriolages au musée : 10 vols, 10 pays par Philippe Durant, Nouveau Monde éditions, 2024 / 22,90€
Avec l’aide de sa compagne, Anne-Catherine Kleinkaus, Stéphane Breitwieser a commis plus de 250 vols d’oeuvres d’art entre 1995 et 2001, dans des musées de France, de Suisse et de Belgique… Et c’est avec une belle dose d’habileté et sans la moindre violence (juste « armé » d’un grand manteau et d’un couteau suisse !), qu’il a commis ses larcins en plein jour et à la vue de tous, pour un butin final de plusieurs millions d’euros ! Ce collectionneur compulsif, créatif et passionné, a agi pendant des années avant de finalement se faire arrêter par les autorités… Un véritable exploit que nous relate Michael Finkel, entre autres grâce à sa rencontre avec le célèbre voleur d’art alsacien, au fil de ce récit aux multiples rebondissements qui se dévore comme un bon polar ! Incroyable… Mais vrai !!!
Le voleur d’Art : une histoire d’amour et de crimes par Michael Finkel, Marchialy, 2024 / 22€
Alcoolique invétéré, misanthrope et misogyne, Bukowski est sans conteste l’auteur le plus controversé de l’histoire de la littérature contemporaine. Politiquement incorrect, il a défrayé la chronique par ses excès en tous genres, mais a été et restera le porte-parole de l’Amérique des ouvriers et des laissés pour compte, à travers une multitude de romans, de nouvelles et de recueils de poèmes… Avec une remarquable finesse, ce docu-BD explore les multiples facettes de cet artiste tourmenté et authentique, excessif en tout, insupportable et néanmoins attachant, pour nous offrir le portrait cru et sans concession de ce « vieux dégueulasse », véritable « rock star » de la littérature américaine. Un portrait qui se décline sous la forme d’une BD au trait réaliste qui retrace en une dizaine de chapitres sa vie tumultueuse, entrecoupé de passionnantes pages documentaires agrémentées de photos d’archives. Un document exceptionnel pour découvrir l’âme de ce poète qui a su transformer ses tourments en une oeuvre magistrale, durant une vie de liqueur et d’encre… Fascinant !
Bukowski : de liqueur et d’encre (collectif), Petit à Petit, 2024 / 24,90€
Mais qui sont donc Auguste Derrière et Prunelle de Mézieux ? Sans l’ombre d’un doute les meilleurs ambassadeurs du bon mot, du calembour et de l’humour absurde ! Et cet ouvrage qui nous offre un florilège de proverbes à l’humour potache accompagnés d’une multitude de publicités décapantes réalisées dans un design délicieusement « rétro » , va au mieux vous faire sourire quand il ne vous fera pas rire aux éclats ! Après les irrésistibles « Les moustiques n’aiment pas les applaudissements », « Les fourmis n’aiment pas le flamenco » et autres recueils du même tonneau, cet opus où le non-sens fait loi ne déroge pas à la règle d’or de ces trublions de génie : nous apporter une dose Ô combien bienvenue de bonne humeur ! Un livre à mettre impérativement sous le sapin pour fuir la morosité ambiante… Car son contenu est nettement plus efficace qu’un antidépresseur ! Et précipitez-vous sur leur boutique où vous trouverez affichettes, cartes métal, posters, marque-pages, magnets, plateaux, carnets et autres cartes postales à prix tout doux… Vous ferez des heureux ! J’adore !!!
Les pieuvres ont le vent en poupe par Auguste Derrière et Prunelle de Mézieux, Hugo Publishing, 2024 / 20,95€
Christine Le Garrec