Des romans graves, souvent perturbants, de l’humour, de la tendresse et des émotions positives, une belle touche de féminisme, du polar et des nouvelles à lire en apnée… Voici ma sélection pour ne pas bronzer idiot en ce mois d’Août ! Bonnes lectures à toutes et à tous !
Perdre un être cher peut se révéler être une épreuve insurmontable…C’est le cas pour Flavio qui perd totalement pied après la mort de sa princesse, son rayon de soleil avec qui il partageait tout, Nausicaa, sa fille adorée, assassinée alors qu’elle faisait son jogging… Sa mort n’a jamais été élucidée, mais Flavio ne ressent aucun désir de vengeance envers celui qui lui a ôté la vie. Il se sent juste vide, étranger à tout, à lui-même, à la vie… Taiseux par nature, il se renferme comme une huître, incapable de reprendre le cours de sa vie après le drame : ses rapports avec Hélène, son épouse, se distendent jusqu’à se rompre, il sombre dans l’alcool, perd son boulot… Et quitte tout. Sa maison où tout lui rappelle les jours heureux, les gens de son entourage dont il ne supporte plus la sollicitude ou le voyeurisme… Il part s’installer loin de tout, au bord d’une gravière, dans une vieille remorque abandonnée qu’il arrange vaille que vaille pour s’assurer un minimum de confort, et passe ses journées, seul, à nettoyer le terrain où est installé sa nouvelle « maison », de manière obsessionnelle et compulsive. Plus envie de parler, d’écouter… Seul le silence l’apaise, seulement perturbé par les quelques visites de sa sœur, bien sûr inquiète de le voir replié sur sa souffrance, et par celles d’un gendarme, brave type qui aurait pu faire carrière dans le social… Une solitude troublée à l’arrivée d’un « voisin » intempestif, un repris de justice, poivrot et agressif venu squatter la cabane de pêcheurs à proximité de son vétuste logis… Et puis, il y a les troublantes apparitions de Nausicaa qui vient le visiter de manière impromptue mais régulière… Hallucinations ? Peu importe… Flavio savoure le bonheur de revoir sa fille, immatérielle, mais si fidèle à ce qu’elle a été… Nausicaa, du pays des morts réussira t-elle à rattacher son père à celui des vivants ? François Bugeon (dont j’avais adoré le précédent roman Le monde entier (chroniqué ici !) où apparaît déjà Flavio) retrace avec une sacrée belle sensibilité le cheminement d’esprit de cet homme brisé, dont l’existence tient à un fil ténu entre la vie et la mort. Avec une rare justesse, il décrit son travail de deuil et sa difficile reconstruction, sans pathos et avec une extrême justesse, tout comme il évoque le délitement des relations familiales où, chacun emmuré dans sa douleur, n’arrive plus à communiquer jusqu’à l’inévitable rupture. Un roman vrai, fort et juste, qui « parlera » à tous ceux qui ont perdu de manière brutale un être aimé, car les mots de François Bugeon, reflètent à la perfection leurs émotions et leur désarroi. Emouvant et lumineux… Juste superbe..
Le chant de Nausicaa de François Bugeon, Le Rouergue, 2019 / 19€
Joseph Viterbo, en phase terminale d’un cancer, se meurt sur son lit d’hôpital. A son chevet, Daniel, son petit-fils de 16 ans, très proche de son grand-père, vient de subir un grave accident cardiaque. La vie n’a pas fait de cadeau à ce jeune homme qui, en plus de ses préoccupants problèmes de santé, subit au quotidien le joug d’un beau-père alcoolique qui ne le supporte pas… Un matin, Daniel entend Joseph prétendre s’appeler Dellacroce… Troublé, il pense que son grand-père perd un peu la boule… Mais force lui est de constater, vu les détails précis énoncés par Joseph, que le passé de celui-ci n’est pas aussi limpide qu’il le pensait… Daniel décide de mener l’enquête et ses investigations le mèneront sur une des périodes des plus sombres de notre Histoire, au cœur de l’Italie fasciste… Quel a été le rôle de Joseph dans cette guerre avant de s’exiler en France ? Pourquoi et comment a t-il changé de nom ? Daniel, de découverte en découverte, va ouvrir un pan aux relents nauséabonds de son histoire familiale… Secrets de famille bien enfouis mais non cicatrisés, quête d’identité d’un adolescent sur ses origines : à travers l’histoire de cet émigré italien qui, comme la plupart de ses concitoyens, s’est trouvé face à des choix douloureux pour sauver sa peau, Michel Maisonneuve nous dévoile une page complexe de la grande Histoire, avec autant de justesse que de puissance. Tout en retraçant le contexte de l’époque, il nous offre une galerie de personnages attachants ou carrément odieux avec une incroyable force, nuançant les comportements de ceux qui ont davantage subi qu’agi… Les salauds ne sont pas toujours là où on croit, même si pour certains, aucun doute ne peut subsister… Avec « Une vieille colère », Michel Maisonneuve nous offre un roman noir au suspense haletant, en forme de témoignage sur les soubresauts de l’Histoire qui n’en finissent jamais de s’éteindre…
Une vieille colère de Michel Maisonneuve, Gaïa, 2019 /18€
Après « Les chaînes : 1890 – 1930 » et « La résistance : 1930 – 1960« , Alain Leblanc clôture en beauté sa trilogie « Les conquérantes » avec ce foisonnant troisième volet qui nous tient en haleine de la première à la dernière ligne. Je précise que n’avoir pas lu les deux premiers volumes (ce qui est mon cas) ne nuit nullement à la compréhension de ce dernier roman, même si on n’a qu’une seule envie en le refermant… Se procurer les deux premiers au plus vite ! Des années 60 à nos jours, Alain Leblanc nous dévoile les mutations et changements sociétaux âprement gagnés de haute lutte par les femmes, à travers le destin de femmes fortes qui se sont battues pour obtenir l’accès au travail, leur indépendance financière et le droit à disposer de leur corps (un point hélas, en pleine régression depuis quelques années…). Marianne, avocate, défendra le droit à l’avortement, luttera pour obtenir des peines plus lourdes pour les violeurs, et combattra l’horreur de l’excision. Sa vie sentimentale sera marquée par sa rencontre avec un musicien américain, Steve, avec qui elle vivra un amour libre et tumultueux… Ninon, la sœur de Marianne, mal mariée à un macho qui lui interdira de continuer à exercer sa profession de gynécologue une fois mariée, finira par divorcer pour épouser Bertrand, médecin au planning familial, qui respectera enfin son besoin d’indépendance. Tous les ingrédients d’une (bonne) saga familiale sont réunis dans ce magnifique roman : de l’amour, des drames et des convictions qui peu à peu, à force de persévérance finiront par se faire entendre, faisant baisser d’un cran les ambitions d’une société patriarcale en perte de vitesse. Sur fond historique et politique (guerre d’Algérie, guerre du Vietnam, Mai 68, libération des mœurs des années 70, années sida… ), on suit avec un intérêt croissant les désirs et les combats de ces femmes au fil des 400 pages de ce roman qui se lit d’une traite sans voir passer le temps. Parsemé de flash Backs sur les parcours des femmes de cette famille de battantes au cours du siècle passé , « Un souffle d’indépendance » nous embarque dans le souffle de l’Histoire et nous rappelle que rien n’est jamais gagné… Les femmes devront se battre, encore et toujours, pour faire entendre leur voix. Un grand roman féministe à lire de toute urgence !
Un souffle d’indépendance d’Alain Leblanc, French Pulp, 2019 /19€
Emile, à 26 ans, n’a plus que deux ans à vivre : l’Alzheimer précoce que l’on vient de lui diagnostiquer va peu à peu lui ôter tout souvenir et le transformer en ombre de lui-même jusqu’à sa mort, inéluctable, dans les mois à venir… Attendre la fin branché sur un lit d’hôpital entouré de ses proches ? Emile s’y refuse… Il ne veut pas finir ses jours dans la compassion et la douleur qu’il lira dans les yeux de ceux qui l’aiment. Le mieux pour tous, c’est qu’il parte, là, maintenant, tant qu’il en a encore la force, avant sa déchéance annoncée… Il achète donc dans le plus grand secret un camping-car et pose sans trop y croire une annonce explicite pour se trouver un ou une partenaire pour son ultime voyage, lucide qu’il ne pourra mener à bien son projet en solitaire. Seul Renaud, son meilleur ami, est au courant : ils avaient tant rêvé de partir tous les deux qu’il ne peut prendre le large sans le lui dire… Mais Renaud, marié et père de famille, ne peut évidemment pas l’accompagner… C’est alors qu’il reçoit une réponse de Joanne, une jeune femme qui semble t-il a elle aussi quelques problèmes à résoudre… L’affaire est conclue, chacun ayant conscience des difficultés à venir, le deal pour Joanne étant d’éviter à tout prix de ramener Emile vers l’hôpital et sa famille, jusqu’à la fin… Mélissa Da Costa a le chic pour nous remuer les tripes de la première à la dernière page de ce roman lumineux, peuplé de rencontres éclatantes et d’aventures humaines simples et vraies, tout au long de ce parcours initiatique qui mènera les deux jeunes protagonistes à accepter la mort, leur sort, ce qui fait la vie dans sa beauté et sa brutalité… Sous la belle plume de Mélissa, les personnages prennent vie, on s’y attache durablement, et ils ne quittent pas notre esprit longtemps après avoir refermé ce livre qui fait un bien fou par l’humanité qu’il dégage. Un roman faussement léger, d’une sensibilité et d’une force incroyables, que l’on dévore le cœur serré ou le sourire aux lèvres pour le terminer, en larmes… Mais heureux d’avoir fait partie du voyage. Un gros coup de cœur !
Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa, Carnets Nord, 2019 / 21€
Baptiste vient de se faire larguer par Maxine avec qui il filait le parfait amour depuis six ans… Il a d’autant plus de mal à accepter sa trahison, qu’elle l’a quitté pour leur dentiste, au porte-monnaie bien rembourré, juste au moment où il traverse une crise de la page blanche et que son troisième roman (pas des plus attractifs, il faut bien l’avouer) s’avère faire un flop monumental. Déprimé, limite hygiène, Baptiste passe ses jours à zoner dans son appartement vide, consulte trente fois par jour le classement des ventes de son livre qui plafonne lamentablement à la 475 758ème place (derrière celui de Micheline Dax…) et ne sort de son antre que pour espionner son ex à la jumelle dans sa nouvelle résidence au coeur d’un quartier des plus chicos. Catégorie loser, on ne peut pas tomber plus bas… Et bien si ! Quand madame Halberstadt sonne à sa porte pour lui demander de garder Croquette, son vieux carlin obèse, le temps qu’elle se fasse opérer de la cataracte ! Baptiste a autant envie de se coltiner le clébard que de subir une coloscopie, mais sa voisine l’ayant dépanné à plusieurs reprises, il n’ose refuser et le voilà maintenant obligé de sortir deux fois par jour ce pauvre chien qu’il s’obstine à appeler Courgette… Mais, miracle ! Depuis que Croquette/Courgette vit près de lui, la roue semble tourner pour Baptiste… Ses ventes remontent en flèche, l’inspiration revient, il semble y avoir de l’eau dans le gaz entre Maxine et son arracheur de dents, et il rencontre une femme, contre toute attente ! Baptiste regarde d’un autre œil la bestiole aux yeux globuleux (qui ressemble furieusement à Angela Lansbury dans Arabesque), persuadé qu’il lui doit sa bonne fortune… Avec un humour féroce et décalé et un joli brin de tendresse, Stéphane Carlier nous régale avec les mésaventures de son personnage qu’il agrémente de situations aussi irrésistiblement drôles qu’improbables ! Pimenté de réflexions piquantes sur notre société qui sombre dans l’inculture la plus crasse, ce roman pétillant, savoureux et grinçant, est un pur moment de détente !
Le chien de Madame Halberstadt de Stéphane Carlier, Le Tripode, 2019 / 15€
Perrine déprime quand elle se retrouve au chômage… A cinquante ans, elle a encore trop besoin de se rendre utile pour se retrouver du jour au lendemain au rebut ! Le jour où elle recueille une petite chienne abandonnée, cette petite boule de poils, qu’elle prénomme Fanette, va ni plus ni moins changer sa vie, en l’obligeant à sortir de chez elle, mais aussi de son marasme… Cette adoption inopinée va permettre à Perrine de reprendre son destin en mains en décidant que, puisqu’aucun employeur ne désire l’embaucher à son service, elle consacrera désormais son temps libre à se consacrer au bien-être des autres en créant chaque jour une mission de bonheur bilatéral (« MBB »), envers des inconnus et en tout anonymat ! Faire du bien fait du bien, et rendre les gens heureux rend heureux, CQFD ! Mais un jour qu’elle promène Fanette, Perrine se fait renverser par une voiture et se retrouve plongée dans le coma… Un magnifique élan de solidarité va se lever suite à ce drame et une douzaine de volontaires, armés de leurs chiens, vont reprendre son flambeau en attendant et en espérant qu’elle se réveille… Amateurs de romans «feel good», vous allez succomber au charme de ce petit conte altruiste qui distille des émotions positives au fil de ces pages ! Empathie, bons sentiments et légèreté ne sont pas péjoratifs pour qualifier l’écriture de Cécile Pardi qui nous séduit par sa bonne humeur et son optimisme contagieux à travers cette histoire sans prétention qui est un véritable remède contre l’égoïsme et le repli sur soi ! Dans la morosité ambiante, semer du bonheur devrait être d’utilité publique, non ?!
Les semeurs de bonheur de Cécile Pardi, Albin Michel, 2019 / 16,90€
Une convocation à la préfecture des Bouches-du-Rhône pour une soi-disant enquête sur leurs origines, et la famille Herbet se retrouve plongée dans une profonde angoisse : descendre d’immigrés est devenu dangereux sous ce gouvernement qui met en place des purges pour éliminer tous ceux qui n’ont pas d’ascendance purement française… Et c’est le cas de Paul Herbet, d’origine juive, dont les parents ont transformé leur nom après avoir vécu les terribles rafles de la seconde guerre mondiale, et celui de Monia, son épouse, dont les parents d’origine maghrébine ont fait de même, dans un souci d’assimilation. Leurs enfants Célestin, Yseult et Rico apprennent les changements de patronymes de leurs parents en même temps que le danger qui les guette… Une peur justifiée car, peu de temps après leur entretien devant un fonctionnaire zélé, un commando armé jusqu’aux dents pénètre chez eux et massacre toute la famille, sous les yeux de Célestin, unique rescapé qui assiste impuissant à l’assassinat de tous les siens, en se réfugiant sur le toit… Tout comme ses grands-parents paternels l’avaient fait en leur temps pour échapper aux milices pétainistes, il se réfugie dans la forêt pour tenter de survivre, loin des hommes… A qui faire confiance dans cette société gangrenée par la haine de l’étranger ? S’ensuit une cavale oppressante où Célestin risque de tomber à tout moment sur un des nombreux contrôles policiers… Et au vu du mode opérationnel des flics aux ordres du gouvernement, il ne donne pas cher de sa peau s’il se fait arrêter… Denis Lachaud signe avec «Les métèques» un thriller oppressant et glaçant qui, s’il reste encore aujourd’hui du domaine de la fiction, résonne de manière assez troublante avec nos sociétés actuelles où la répression sécuritaire prend le pas sur la démocratie et les droits de l’homme… Ce « rêve » d’une France uniquement peuplée de français « pure souche » fait furieusement penser aux nauséabondes convictions de certains politiques et bien sûr à une terrible époque de notre Histoire où les policiers français raflaient ceux qui ne pouvaient y prétendre… Sans parler de la question brûlante des migrants et de cet ignoble délit de solidarité… Créé sous Pétain. Avec ce roman engagé qui soulève de multiples questions sur l’identité et sur notre humanité qui se barre en sucette, Denis Lachaud fait naître un malaise grandissant à travers le désarroi et l’angoisse de ce jeune homme traqué, dans un climat de totale suspicion … Un récit de politique fiction qui fait froid dans le dos, pour peu que l’on ait conscience d’être au bord de basculer vers une profonde inhumanité, qui commence à se faire sentir chaque jour davantage… Restons vigilants…
Les métèques de Denis Lachaud, Actes Sud, 2019 / 19€
Août 1930, Marvel, Indiana. Le lynchage programmé de trois jeunes noirs (des « fleurs de maïs ») suscite l’effervescence chez les blancs (les « soies de maïs ») qui se pressent en nombre pour assister au « spectacle », à des kilomètres à la ronde… Que ce soit en charrette, en voiture ou même en bus affrétés pour l’occasion, personne ne veut rater sous aucun prétexte cet « évènement »… Ottie, une rousse pulpeuse, accompagnée de Bud, son patron lubrique et impuissant à qui elle concède ses faveurs pour garder son emploi, et de Dale, son mari plus préoccupé par sa truie qu’il bichonne avec amour que par son épouse, comme les autres, avance vers ces morts annoncées… Calla, une jeune métisse, marche elle aussi vers Marvel cette nuit funeste, mais elle est quant à elle bien déterminée à mettre un terme à cette sauvagerie, grâce au pistolet planqué dans son panier… Laird Hunt évoque le lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith (qui a inspiré à Billie Holiday le superbe « Strange fruit ») dans ce roman au climat moite et malsain qui nous dévoile un des aspects des plus sombres de l’histoire des USA où, avec la ségrégation, la vie d’un noir valait moins que celle d’un animal… Les voix d’Ottie et de Calla laissent entrevoir des destins douloureux à travers leurs états d’âme qui s’égrènent comme autant de murmures sous la barbarie ambiante, où leurs destinées vont se mêler. Tout au long de ce road-movie nocturne, les gens avancent, aveuglés par la haine et attirés par une violence banalisée, enfermés dans leurs propres ténèbres et leurs préjugés. Ce roman qui dégage une force incroyable, puisée dans la noirceur de l’âme humaine, laisse un profond sentiment d’amertume…
La route de nuit de Laird Hunt (traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut), Actes Sud, 2019 / 22€
Davantage qu’un roman, Stanislav Petrosky nous livre avec ce livre coup de poing, un témoignage glaçant sur la terrible réalité des camps de concentration, à travers le destin de Günther, opposant au régime nazi, qui s’est retrouvé bien malgré lui, pour ses talents de dessinateur, illustrateur officiel du camp de Ravensbrück. Günther est un vieil homme désormais, mais il n’a jamais pu sortir de sa mémoire les visions insoutenables de son quotidien au cœur du camp… Il se souvient… Enrôlé très jeune sur le chantier de construction du camp par son père, un fermier qui le considère comme une bouche inutile, Günther va être le témoin de l’inimaginable en assistant chaque jour aux pires atrocités commises sur ces femmes et ces petites filles qui, pour seul crime, sont nées juives ou tziganes, ou encore pour leurs convictions politiques ou la « déviance » de leur sexualité… Obligé par les nazis d’assister à des scènes de torture ou d’expérimentations médicales particulièrement insoutenables (stérilisation de petites filles, dissection sur des prisonnières vivantes et non anesthésiées…) afin de « croquer » ces moments à leur « gloire », Günther n’a d’autre choix que d’obéir s’il ne veut pas passer de l’autre côté des barbelés… Où il se retrouvera après être tombé éperdument amoureux d’Edna, une jeune femme juive… Stanislas Petrosky, en évoquant l’horreur des camps de concentration et le sadisme des bourreaux qui y sévissaient, souligne dans le même temps le cas de conscience de ceux qui, enrôlés de force, ont dû faire face à leur lâcheté et à leur impuissance… Avaient-ils le choix ? La question reste ouverte… Une chose est certaine, vous ne ressortirez pas indemnes de cette lecture qui vous mène tout droit dans un voyage au bout de l’enfer… Un livre indispensable pour ne pas oublier « qu’ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants, ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent, ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des ombres »… (Jean Ferrat)
Ils étaient vingt et cent… de Stanislas Petrosky, French Pulp, 2019 /18€
Sept ans… Sept ans injustement emprisonné à Solikamsk, dans un camp au fin fond de la Sibérie… Le seul crime d’Ilya ? Avoir croisé le chemin de Petia Khazine, un officier de la brigade des stups qui l’a piégé en mettant un sachet de came dans sa poche, lors d’un contrôle dans une boîte de nuit moscovite… Ilya a tout perdu… Promis à de belles études, il se retrouve aujourd’hui démuni, sa copine l’a plaqué et il ne lui reste plus que sa mère qui l’a soutenu durant sa détention et qu’il a hâte de retrouver. Hélas, en arrivant chez elle à Lobnia, dans la banlieue de Moscou, il apprend son décès survenu deux jours plus tôt… Désespéré, Ilya n’a plus qu’une idée en tête : se venger de Khazine qui a ruiné sa vie… Sous l’emprise de l’alcool, il le trouve, le tue, et empoche son téléphone portable… Il espère que sa mort ne sera découverte que quelques jours plus tard, le temps de réunir assez d’argent pour offrir à sa mère une digne sépulture… En attendant, il utilise le portable de Khazine, envoyant des textos à ses contacts pour leur faire croire que celui-ci est toujours vivant… Et ce qu’il découvre lui offre des perspectives inattendues : le dénommé Khazine, totalement corrompu, trempait dans de juteux trafics de came… Il découvre également le conflit avec son père par les messages suppliants de sa mère qui aimerait les rabibocher… Et des vidéos croustillantes de sa petite amie, Nina, qui vient de tomber enceinte et hésite à garder l’enfant… Ilya, en communiquant avec ses proches et avec les voyous avec qui Khazine trafiquait, va entrer dans l’intimité de sa victime… Jusqu’au dénouement… Que je vous laisse découvrir ! Sur fond de constat tranchant sur la société russe contemporaine et sur les dangers de notre ère numérique, Dmitry Glukhovsky nous offre avec « Texto » un thriller haletant et captivant à la « 24 heures chrono » qui nous tient en haleine de la première à la dernière ligne ! Un roman sombre à souhait, diaboliquement bien construit !
Texto de Dmitry Glukhovsky (traduit du russe par Denis E. Savine), L’Atalante, 2019 / 23,90€
Sans limite… Voilà comment on pourrait qualifier l’imagination prolifique de Valéry Bonneau, qui nous régale de son écriture ciselée où l’humour noir fait loi, tout au long de ces 18 « nouvelles noires pour se rire du désespoir » ! Flirtant avec le surnaturel, il nous offre à travers ces courtes histoires, toute l’étendue de son talent déjà bien établi avec ses précédents ouvrages (« Une tarte dans la gueule », chroniqué ici et le délicieux « Le marketing sans s’emmerder », chroniqué là !). Ici, place aux mondes virtuels et à l’irrationnel déjanté dans une dénonciation totalement barrée des méfaits de la modernité et un constat sur les affres de l’âme humaine, à travers des histoires où l’on se perd dans l’espace temps avec jubilation. Imaginez un peu… Rentrer chez soi et découvrir que son compagnon, tout comme le canada dry, ressemble à celui-ci à s’en méprendre tout en empruntant les traits de quelqu’un d’autre, se réveiller après la cuite monumentale de la veille et découvrir que l’alcool n’a pas encore été inventé, « entendre » des crimes avant même qu’ils ne soient commis, rapetisser en cas de sentiment d’infériorité (ou le contraire !), être freluquet et se réveiller dans un corps athlétique… J’adore aussi celle des chiottes de bistrot où en poussant la porte on se retrouve à d’autres époques plus ou moins sympatoches (retour vers le futur dans les WC !), celle du « transfert de douleur » où l’on paye quelqu’un pour souffrir à notre place, le cri d’indignation d’un bipolaire ne supportant plus d’être traité de cyclothymique, ou celle d’un (pauvre ?) homme qui découvre qu’il aurait été nazi dès 1933 ! Rien à jeter dans ces nouvelles à l’humour décalé et à l’imagination débordante, carrément jouissives ! Vous pouvez encore vous procurer les trois premiers tomes de cette série de nouvelles déjantées sur le site de Valéry… Vous ne le regretterez pas, foi de chroniqueuse !
Sans limite : nouvelles noires pour se rire du désespoir (T.4) de Valéry Bonneau, Cartolivres, 2019 / 10€ le livre, 3€ en numérique (sur Amazon)
Christine Le Garrec