Du côté d’ chez Swaz n°9

LA PLACE DES MOUSS !

Les « mouss » en breton, ce sont les mômes, et ce N° 9 leur est tout particulièrement destiné. Bien sûr, les grands qui ont encore un coeur en mousse pourront également se régaler, faire des bulles ! A l’honneur dans cette rubrique, deux maisons d’édition qu’il faut saluer pour leurs choix, leurs conceptions et leur esprit. Les Éditions du Jasmin et les CotCotCot éditions. Le catalogue du Jasmin est d’emblée un enchantement tant les titres et les couvertures des albums vous transportent dès le premier coup d’œil. Quant aux CotCotCot éditions, si elles cultivent la discrétion sur les circonstances de leur création, la part qu’elles octroient aux jeunes auteurs et illustrateurs fait d’elles une maison audacieuse et d’exception. Goûtez-y donc.

Vivre c’est choisir, nous « raconte » Romane Lefebvre en dessinant les aventures de ce p’tit homme ordinaire à qui n’arrive que de l’extraordinaire.

Servie par un dessin minimaliste, des couleurs primaires, un personnage fort expressif, l’histoire est rebondissante et, grande, la liberté du lecteur. En effet, De l’embarras au choix est une histoire, sans paroles écrites, qui stimule l’imaginaire enfantin et l’oralisation. On peut imaginer parler cette histoire à deux voix, introduire quelques subtiles variations soir après soir ou au contraire s’amuser à tout changer, lecture après lecture. Quand lecture rime avec aventure ! A partir de 4 ans.

De l’embarras au choix de Romane Lefebvre, CotCotCot éditions, 2020 / 15,50 € (Format 19× 24)

Un homme, un sac à la main, un sac au dos, en route. Il est seul parmi les autres, seul devant les obstacles, seul et déterminé à avancer malgré les murs, les portes fermées, les chutes et les culs-de-sac.

Nina Le Comte nous dessille : ce passant n’est pas une ombre, il est de chair et d’os – comme nous – et nous le croisons, imperturbables, sans lui proposer de quoi se reposer ni l’orienter véritablement. Depuis le temps qu’il est en marche, comment fait-il, cet homme, pour ne jamais s’arrêter ?

Cet album sans textes est dédié « à celles et ceux en situation de détresse, à celles et ceux qui leur offrent aide et réconfort. » C’est un livre pudique et percutant à la fois, les aplats, sombres ou blancs, rappelant la solitude de l’exilé et l’environnement inconnu dans lequel il se meut, décontenancé, parfois désespéré, mais finalement toujours déterminé. Un ouvrage qui vous étreint sans vous terrasser, merci Nina Le Comte. A partir de 4 ans.

Allers-Retours de Nina Le Comte, CotCotCot éditions, 2020 / 17 € (Format 18× 26)

Une petite fille raconte comment sa mamie l’émerveille. Une mamie magicienne qui transforme les mots, une mamie saltimbanque qui poétive la vie comme d’autres jonglent avec des balles, des anneaux ou des assiettes. Une mamie inspiratrice qui fait entrer les chansons de sa lointaine jeunesse et les voyages dans le quotidien immobile de l’appartement. C’est la candeur et l’affection de la petite-fille qui parent la grand-mère de tous ces pouvoirs quand d’autres seraient tenter de n’y voir que la déroute du grand âge.

Ma mamie en poévie est une ode à l’ intergénérationnel car inventions et plaisir se répondent de l’une à l’autre génération. Les deux partagent cette liberté du langage qui brasse imaginaire et mémoire pour faire émerger de nouvelles images.

Le texte est magnifié par les illustrations d’Elis Wilk : des photos habillées de dessins et de couleur, desquelles sourdent une pointe de nostalgie, de la joie et de la complicité. A partir de 4 ans.

Ma Mamie en Poévie de François David & Elis Wilk, CotCotCot éditions, 2019 / 14,50 € (Format A4)

Entrons, entrons dans la cabane-atelier d’un homme qui habite en poésie. Pas à pas, mot à mot, il nous initie à son art de vivre et de composer ces vers somptueux dans leur apparente nudité : les haïkus. Tout est là : le minuscule et le vibrant, la légèreté et le présent, l’inattendu et l’éternité tout entière contenue dans l’éphémère.

Les leçons du poète ne sont jamais impérieuses ni formelles. C’est à l’éveil de nos sens et à l’écoute de nos sensations qu’il nous invite, nous encourageant à la sobriété car  » trop de meubles finissent par rendre une maison inhabitable. » La beauté se niche dans le réel et n’attend que nos perceptions. Ce guide laisse également de la place au rire et à la facétie, ce qui contribue encore à rendre le haïku aimable et essentiel. familier et émouvant.

Rentrant de boîte de nuit

je déterre

les patates du voisin.

(Ewen. Collège, Lesneven)

Un livre tout en délicatesse qui encouragera petits et grands à cheminer en haïkus : Thierry Cazals est décidément un accoucheur de poètes ! A partir de 8 ans.

Des haïkus plein les poches de Thierry Cazals & Julie Van Wezemael , CotCotCot éditions, 2019 / 12,90 € (Format A5)

Mirabelle Prunier, pour des raisons qui n’en sont pas, affronte la méchanceté et ses corollaires nommés exclusion et injustice. Aux quolibets, elle oppose sa gentillesse, mais les harceleurs n’en ont cure. Alors, elle s’isole dans un coin de campagne et, telle une Baucis des temps modernes, se métamorphose en arbre. En communion avec les saisons, elle s’épanouira enfin et par l’entremise de ses fruits couleur de miel parviendra à se faire aimer.

Cet album traite d’un sujet grave et douloureux mais à la manière du conte, pour permettre au jeune lecteur d’aborder le thème avec un peu de distance. Ce procédé est aussi à l’oeuvre dans les illustrations de Nathalie Choux : en douceur et en beauté, elles glissent du réalisme à l’onirisme. A partir de 5 ans.

Mirabelle Prunier d’Henri Meunier & Nathalie Choux, Le Rouergue Jeunesse, 2020 / 16 € (Format 21×28)

Gladys, ce sont les années d’enfance, les années fondatrices d’une petite fille qui vit avec sa famille dans  » une ferme solitaire dans la montagne ». Gladys : prénom d’origine galloise signifiant « qui règne sur l’espace ». On le dirait spécialement créé pour cette fillette qui habite pleinement la nature qui l’entoure, connaît son peuple de plumes et de poils, nomme les arbres et les fleurs, travaille à la ferme.

La peinture de Ronald Curchod est à la mesure de cet espace immense dans lequel grandit l’enfant. Ses couleurs flamboyantes et pleines, ses contours chaleureux, saisissent les ciels et les montagnes, les animaux en liberté et les personnages de la famille, l’eau claire des ruisseaux et le cours des saisons. Un bel hommage à Gladys. A partir de 6 ans.

Gladys de Ronald Curchod, Le Rouergue Jeunesse, 2020 / 19 € (Format 23×28)

L’Incroyable Bibliothèque Almayer renferme « toutes les histoires du monde » à l’image de la pension Almayer qui offre l’hospitalité à toutes sortes de personnages. On vient y trouver refuge ou se trouver soi, on y rencontre des gens attentionnés qui vous accueillent avec vos manques et vos espoirs, on vous propose de l’aide et de la tendresse… Parfois bourrue.

A cette galerie de pensionnaires qui ont souvent choisi de ne pas subir leur destinée correspond une galerie d’auteurs qui cultivent la fantaisie à tour de pages. Il règne dans ce livre une atmosphère bienveillante, un état d’esprit unique, comme à la pension Almayer : tous différents et tous accordés. De même, les portraits des pensionnaires par Philippe Debongnie sont des tableaux composites et originaux qui révèlent l’unicité de chacun de ses modèles. A partir de 7 ans.

L’Incroyable Bibliothèque Almayer de Philippe Debongnie, Cindya Izzarelli et collectif d’auteurs, A pas de loups, 2020 / 18 € (Format 17×23)

Karine Naccache, dans des textes aux petits oignons, marie les homophones, pour le meilleur, en rythme et en rimes. De quoi réconcilier tous ceux qui se sont gratté le crâne ou senti ridiculement perplexes devant une panoplie d’orthographes pour un même son. Ses fables, inventives et amusantes mais pas abracadabrantes, se repaissent d’être lues à voix haute et s’offrent même le luxe d’être utiles : s’y glissent des moyens mnémotechniques pour ne plus hésiter face à l’écriture des homophones.

Jouer avec les mots, oser des rapprochements improbables est jubilatoire et incitatif : petits et grands inspirés par la liberté revendiquée de l’auteur voudront à leur tour regarder ce qui se cache derrière l’homophonie : le hasard, les circonstances, du sens ? Ce qui est certain, c’est que « Dans la famille Homophones, on ne s’ennuie jamais… et on peut jouer à vie » ! A partir de 6 ans.

Homophonie. Fables à ne pas prendre mot à mot de Karine Naccache et Serge Bloch, La Joie de Lire, 2020 / 18,90 € (Format 16×24)

Akenda-Mbani dont le nom signifie celui qui ne va jamais deux fois au même endroit, ne craint pas d’épouser la sublime Arondo malgré les exigences de son royal paternel. Mais chez les Otando, la parole est primordiale et puissante, et le roi Redjioua, lui-même, devra s’incliner devant cette règle souveraine.

Ce conte congolais servi par des dessins en noir et blanc qui restituent ses origines anciennes et célèbrent la grâce des humains et celle des animaux, peut se lire et se comprendre à tous les âges. A partir de 5 ans.

L’histoire d’Akenda-Mbani ou On ne fait pas deux fois la même route. Conte otando – Congo de Sami et Yann Lovato, Éditions du Jasmin, 2007 / 6,10 € (Format 17×25)

Zoran est un gros matou indifférent à la vie. Bougon et apathique, il se traîne dans la poussière de la ville jusqu’au jour où il se confie à un congénère :

« Je voudrais bien ronronner mais je ne sais pas comment faire. »

Accompagné par l’affection de Mirko, la sensibilité d’une famille tzigane et le savoir-faire d’un grand-père plus vieux que les Carpates elles-mêmes, Zoran verra sa quête des émotions aboutir.

C’est une belle histoire, rassérénante, qui rappelle combien les sentiments et les arts peuvent réveiller les âmes endormies et endolories. A partir de 6 ans.

Le chat qui ne savait pas ronronner de Roland Fuentès et Emmanuelle Moreau, Éditions du Jasmin, 2020 / 9,90 € (Format 19×13)

Un loup, un lion et un renard s’acoquinent pour une partie de chasse solidaire, soi-disant solidaire… L’illustratrice, Nathalie Paulhiac, par son dessin stylisé et haut en couleur, accompagne cette fable sobrement et pointilleusement traduite. Un conte à la conclusion édifiante qui rappelle que la loi du plus fort finit souvent par s’imposer.

On imagine que ce livre bilingue (français/arabe) est particulièrement adapté aux familles où coexistent les deux langues, l’histoire pouvant alors être lue alternativement dans l’un et l’autre idiome. Plus généralement, cette double écriture éveillera l’intérêt des enfants, le familiarisant avec un nouvel alphabet. A partir de 4 ans.

Le loup, le lion et le renard. Conte de Najd de Saäd Bouri et Nathalie Paulhiac, Éditions du Jasmin,(Collection Karé) 2020 / 14,90 € (Format 22×22)

Pour les enfants, et leurs parents (!), un recueil de dictées bien pensées, bien dosées, accompagnées d’un memento des règles d’orthographe et de conjugaison. Les difficultés sont progressives et un code couleur permet de repérer les difficultés. Pour ne plus s’arracher de cheveux (voir le pluriel des noms en -eu, p.12) et ne pas remplir de tension les heures (exception aux noms terminés par le son « eur », p. 5). A partir de 9/10 ans.

Mon cahier de dictées CM1, sous la direction d’Isabelle Petit-Jean, Nathan, 2020 / 4,60€.

Un cahier de lecture qui reprend les lettres et les sons pour aider les enfants hésitants ou en difficulté. Pour chaque accroc inventorié (confusions, inversions, hésitations ou mots proches), une double page avec des exercices variés pour progresser sans s’ennuyer.

Les parents sont également épaulés : les « corrigés » regorgent de conseils à leur intention afin d’aider au mieux l’apprenti lecteur. A partir de 7 ans.

Cahier de lecture d’Agnès Djellab, Nathan (Les cahiers dyscool, l’apprentissage facilité), 2020 / 7,95€.

Après celui de Chris, mon point de vue sur trois ouvrages incontournables !

Dans La brodeuse d’histoires, album en noir et bleu, Mila se souvient de sa rencontre avec Lucia, une voisine qui brode de jolis motifs et dévide ses souvenirs comme autant d’histoires anciennes. L’une ne peut se passer de livres et l’autre s’arc-boute à sa mémoire, mais toutes deux ont un  goût immodéré pour les histoires.

Martina Arenda, en touches délicates et sensuelles, tant au niveau des mots que des illustrations, nous fait doucement avancer vers ce que signifie rencontrer l’autre. La rencontre, semble-t-elle nous dire, ce n’est pas seulement être en présence de quelqu’un, mais créer un point de jonction entre deux êtres, comme lorsque broder et raconter se mêlent, deviennent une seule activité, un point de convergence. A partir de 6 ans.

La brodeuse d’histoires de Martina Aranda, CotCotCot Éditions, 2019 / 13,50 € (Format 18,5 x 24,5)

S’il n’y avait deux noms sur la couverture, Stéphanie Demasse-Pottier et Magali Dulain, on jurerait qu’Un monde à inventer est le fruit d’un unique auteur ! C’est vous dire l’harmonie entre texte et dessins et la belle complicité que cela présuppose !

Cet album est très graphique, euh… typographique. Original et attirant, il invite à se glisser dans l’ombre d’une petite fille à l’écoute de ses sensations. Curieuse de se découvrir, l’enfant observe et explore le monde et les arts et, par sa déambulation confiante, engage l’enfant lecteur à s’interroger sur ce que peut être son propre chemin. Réouvrir cet album quand le « ch’ais pas quoi faire …» grisaille les heures sera naturellement réconfortant et peut-être inspirant. A partir de 7 ans.

Un monde à inventer de Stéphanie Demasse-Pottier et Magali Dulain, L’Étagère du Bas, 2020 / 13,20 € (Format 21,5 × 30)

Voyelles ayant posé des couleurs sur les sons, depuis, avec Arthur Rimbaud, nous voyons l’O bleu. C’est dans cet univers phonique et chromatique qu’évolue Domino, une souris d’aujourd’hui et de jadis aussi. Une miss qui plaira aux enfants et aux parents pour sa pugnacité à trouver des réponses aux désordres observés, pour sa joie en découvrant la Terre, bleue comme une o……, et pour sa force à dépasser ses craintes.

Presque carré, avec une couverture cartonnée, ce petit album a un air vintage irrésistible. L’autrice s’est follement amusée, entre O et bleus, à concocter une histoire trépidante. Uno, c’est rigolo; secundo, c’est fait avec brio, tertio, les p’tiots s’acoquineront avec un tas de mots nouveaux. Un sacré numéro, cette Domino éponyme : ce n’est pas elle qui s’est ajustée au nom de l’auteur, mais bien Eva Offredo qui s’offre le luxe de rimer avec le titre de son album ! Bravo. A partir de 5 ans.

Domino de Éva Offredo, La Joie de Lire, 2020 / 12,90 € (Format 15× 20)

Swaz