Histoire(s) de lire … N°4

Un roman d’aventures haletant, une biographie romancée de Monet, Duteurtre qui dévoile avec sensibilité ses états d’âme et ses coups de gueule, un petit tour chez les malfrats parisiens des années 60 et pour finir … Une bonne tarte dans la gueule assénée par Valéry Bonneau ! ça vous tente ?

 

 

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Fin du 18ème siècle. Gaétan de Kervillis, commandant de la goélette « Le cougar » et ses deux fils maîtres à bord de « La Marie-Morgane » et de « L’Orion », sillonnent les Antilles à la poursuite de navires anglais et américains afin de récupérer, souvent par la force, leurs cargaisons illicites. Tout à fait légalement puisqu’ils sont corsaires et en mission pour l’empire ! Louise, sa belle-fille, étant sur le point d’accoucher, Gaétan est contraint d’accoster précipitamment sur les côtes du Venezuela. L’affaire se présente plutôt mal… Guidés par un matelot aveugle mais à l’ouïe exceptionnelle, ils traversent la jungle hostile et terrifiante pour rejoindre un petit village où Louise sera entre de bonnes mains. Elle mettra au monde, au péril de sa vie, deux jumeaux dont l’un d’eux est assez mal en point… Alertés par une canonnade du « Cougar », la famille Kervillis doit à tout prix rejoindre le bateau, mais avec seulement un des bébés : le second, trop fragile est confié à la garde du chef du village en attendant de venir le rechercher à la première occasion… Les années passent, trop certainement, car quand Louise peut enfin venir rechercher son fils, celui-ci a disparu… 1986. Un important accord commercial doit être signé entre la France et les USA. Mais il y a un bémol, et de taille, ces derniers réclamant la coquette somme de 85000 milliards à l’état français, considérant ce montant équitable pour le préjudice causé à leurs navires par les corsaires français, deux siècles auparavant… Au sommet de l’état, c’est la panique ! Deux flics, Célestin Coquillard de la police judiciaire chargé des affaires culturelles, et Robert Matois, chef de la brigade des contrefaçons, sont sommés de mener rondement l’enquête et de trouver les preuves incontestables afin d’invalider cette dette exorbitante … Roman d’aventures, d’espionnage, enquête policière, passions amoureuses, vendetta familiale profondément ancrée, ce livre est un peu tout ça à la fois ! Montoriol nous offre une épopée où souffle un vivifiant vent d’aventures dans ce roman à la construction parfaite où classique et moderne s’alternent, distillant goutte à goutte un suspense haletant. « Le baiser de la tortue » se lit d’une traite (difficile de le lâcher !), offrant un bonheur absolu de lecture par la grâce de l’écriture raffinée et précise,  sans être pompeuse, le sens du détail et l’érudition de cet auteur dont j’attends avec impatience le prochain roman ! Sans hésitation, allez à l’abordage de ce formidable bouquin !

Le baiser de la tortue de Thierry Montoriol, Gaïa, 2016 / 22€

 

 

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C’est à la biographie à peine romancée de Claude Monet que Michel Bernard nous convie. Bien sûr, l’œuvre du maître impressionniste est omniprésente dans ce roman mais l’auteur s’est également longuement attardé sur l’intimité du peintre, ses amitiés et ses amours… Frédéric Bazille fut l’un de ses plus précieux amis avant de tomber au front durant la guerre de 1870 où il s’était engagé. Peintre prometteur, il venait d’une famille prospère et a souvent été le mécène de ses amis peintres bien souvent fauchés… La mort de Bazille a profondément affecté Monet et l’ombre de cet ami sincère et loyal l’a hanté toute sa vie durant … Renoir et plus tard Clémenceau (ce dernier ayant été présent à ses côtés jusqu’à son dernier souffle) ont également fait partie du cercle des intimes de cet artiste taiseux, parfois en proie à des colères noires que seule Camille savait dompter et apaiser… Camille qui fut son modèle, sa maîtresse, sa femme et la mère de ses enfants, sa compagne douce et attentive, sa muse… Après sa mort, Monet s’est remarié, mais jamais il n’a pu oublier son seul et véritable amour, ce qu’Alice, sa seconde femme, a très mal vécu : elle supportait tellement mal cette rivalité où elle ne pouvait lutter qu’elle détruisit toutes les photographies où Camille était représentée… Monet « planquait » même certaines toiles à son regard pour ne pas attiser cette (légitime) jalousie ! Des années de bohème à sa reconnaissance artistique, de sa maison d’Argenteuil à Giverny où il a fini ses jours, Michel Bernard nous retrace la vie de cet artiste magnifique dans une époque riche en bouleversements artistiques, bien sûr, mais aussi en proie à la violence des guerres qui l’ont traversée. Il nous dévoile la genèse des toiles emblématiques de Monet, leur apportant un éclairage « humain » et vivant, trouvant les mots justes pour décrire son amour pour la lumière, les jardins, les arbres et les fleurs dont Giverny, encore aujourd’hui, reste le témoin le plus parlant … Et, bien évidemment, son amour pour Camille, omniprésente dans son œuvre … Il nous raconte les joies, les chagrins, les questionnements de cet artiste majeur dans un style poétique au charme fou, avec une belle élégance. Monet, Camille, Frédéric, tous ses personnages deviennent vivants dans ce roman riche en émotions où l’on apprend aussi beaucoup sur les affres de la création … Émouvant, précis, le roman de Michel Bernard est un formidable témoignage doublé d’un bel hommage… Une belle et attachante immersion dans une époque qui, si elle ne fut pas facile, nous paraît aujourd’hui être LA « belle époque » ! Pour info : l’exposition « Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme » est toujours exposée à Montpellier jusqu’au 16 octobre prochain … Plus que quelques jours !

Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard, La Table Ronde, 2016 / 20€

 

 

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Benoît Dutertre se lance dans la littérature érotique ? Tiens donc … Et bien, non ! Malgré ce titre qui peut prêter à confusion, « Livre pour adultes » ne nous abreuve pas de galipettes et de prouesses en chambre ! Entre autobiographie et fiction que Duteurtre alterne dans une construction plaisante et originale, ce dernier roman semble être celui de la sagesse et des prises de conscience, celles que l’on attrape l’âge venant … Au décès de sa mère (petite fille de René Coty), femme rigoureusement optimiste qui lui a transmis une irrésistible joie de vivre, Duteurtre, tout en faisant ce douloureux deuil nous fait part de ses réflexions sur la mort et la déchéance qui souvent la précède. Ce choc émotionnel fait remonter à la surface des souvenirs enfouis dans l’enfance, mais met également en lumière ce qui l’ancre profondément dans le présent, telle l’amitié qu’il partage avec son meilleur ami, ses escapades dans ces « pays » heureux que sont la Normandie ou les Vosges … On entre sur la pointe des pieds dans l’intimité de cet auteur, sans voyeurisme ni pathos, ses doutes, ses peurs, ses bonheurs  ressemblant comme deux gouttes d’eau aux nôtres… Mais Duteurtre n’a pour autant pas perdu de son mordant quand il dénonce la déshérence du monde rural où les normes hygiénistes et tellement absurdes font disparaître les unes derrière les autres les petites fermes familiales, transformant les petits villages en piège à touristes … On sent tout l’amour de la terre et de son authenticité à travers les propos de cet homme, sa nostalgie d’une époque qui fera bientôt partie d’une imagerie d’Épinal désuète et folklorique … Les nouvelles issues de l’imagination fertile de Duteurtre sont, quant à elles plus légères, certaines étant carrément comiques comme celle où de très sérieux scientifiques croient débusquer une tribu « sauvage » et préservée du monde moderne… Je vous laisse le plaisir de découvrir ces univers multiples, démêler le vrai du faux, et vous promets un agréable moment de lecture en bonne compagnie avec cet auteur humaniste et délicat !

Livre pour adultes de Benoît Duteurtre, Gallimard, 2016 / 19,50€

 

 

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Leur quartier général à Bouboule, la Tenaille, la Douleur, le Manchot et Robert perd son froc, c’est un petit rade qui ne paie pas de mine, perché sur la montagne Sainte Geneviève. Ils en sont un peu la gloire locale et un silence respectueux les accueille à chaque fois qu’ils font l’honneur au patron et à sa clientèle de venir parler turbin dans un petit coin qui leur est d’office attribué. Et leurs affaires, à nos margoulins, n’ont pas franchement pignon sur rue ! Ils ont monté un petit commerce lucratif de déménagement illégal et vident sans état d’âme les maisons de privilégiés imprudemment laissées sans surveillance … Tout roule ma poule jusqu’au soir où Robert se fait serrer par les flics après un coup qui s’était avéré comme celui du siècle, qui pouvait les mettre à l’abri jusqu’à ce que la camarde vienne les faucher tous les cinq, à un âge avancé… Profil bas pour les malfrats en attendant que les choses se tassent et, qui dit inaction, dit gamberge ! Et ça trottine dans leur tête ! Qui a dénoncé Robert, nom de Zeus ? Les soupçons se portent au début sur la gonzesse de la Tenaille (Faut se méfier des frangines, ça parle à tort et à travers) puis sur la Douleur qui, depuis ce dernier coup, semble surchargé de boulot en transbahutant des antiquités dans les marchés aux Puces  … Robert Giraud aimait fréquenter les bistrots parisiens et la cloche… Les moindres recoins de Paname n’avaient aucun secret pour ce noctambule invétéré !  Rien d’étonnant donc que ce roman noir où l’argot des mauvais garçons fleurit à chaque mot ait des accents de sincérité et d’authenticité ! Sacré personnage que « Bob »… Ami de Doisneau, des frères Prévert, de Mérindol (auteur du fabuleux « Fausse route » paru cette année chez le même éditeur) ou encore de Jean-Paul Clébert (auteur du non moins fabuleux « Paris insolite »), ce type là a vécu libre et fauché jusqu’à son dernier souffle, en 1997, riche de ses belles rencontres et de la vie qu’il s’était choisie. Sacré destin, sacrée plume, sacré mec ! Merci au Dilettante de rééditer ces petits bijoux qu’il serait dommage de dissimuler aux nouvelles générations car ils sont la richesse de notre patrimoine littéraire et des témoins privilégiés de notre histoire, celle des petites gens … Total respect !

La petite gamberge de Robert Giraud, Le Dilettante, 2016 / 17€

 

 

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Olivier est serveur dans un bar. Un matin, un client qui s’est déjà enfilé quelques bières alors qu’il est à peine dix heures, lui balance une bonne tarte en pleine tronche et part sans payer … Furax, le patron d’Olivier lui demande de régler l’addition de l’indélicat. Le ton monte, et paf ! Olivier se prend une seconde ration de phalanges en pleine face, ce coup-ci par son patron ulcéré ! Trop, c’est trop, Olivier démissionne. Quand il rentre chez lui, sa femme n’accueille pas la nouvelle avec le sourire et décide de chercher elle-même un boulot pour faire bouillir la marmite. Ils ont un fils de quelques mois, Olivier n’aura qu’à s’en occuper (sous-entendu, l’incapable). Au début, il est content, le nouveau père au foyer ! Il se projette des après-midis console et glande, la belle vie, quoi, mais c’est sans compter sur son fiston qui ne l’entend pas de cette oreille ! Au bout d’un mois, Sylvie, sa compagne, abandonne ses recherches restées toutes infructueuses et laisse la main à son homme qui a, du moins le croit-il le misérable, une idée de génie : monter sa propre boîte, un petit bar restau sympa dans le quartier de Belleville. Il a deux potes, un peu, beaucoup portés sur la bouteille (mais lui-même ne donne pas sa part aux copains) dont l’un est serveur et l’autre cuisinier. Mais aucun des deux n’a le moindre kopeck à mettre dans l’affaire … Commence alors la pêche au prêt et toutes les banques lui claquent la porte au nez…Ses parents n’ont pas un rond non plus à lui prêter, sa sœur pas plus (de toute façon, il ne la supporte pas)… Son frère est pété de thunes, mais ils sont fâchés … Ne reste que Franco, usurier à la réputation sulfureuse, pour permettre à Olivier de réaliser son rêve, autant dire jouer avec le feu ! Et après bien des péripéties (hilarantes), il va quand même réussir à l’ouvrir, son rade ! Mais c’est fiesta tous les soirs, alcool et coke pour tous, et les emmerdements ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez, jusqu’au dénouement, aussi inéluctable que glaçant … En voilà un roman noir comme je les aime ! Humour à tous les étages, désabusion et chute diabolique ! Non seulement, on ne s’ennuie pas une seconde, mais en plus, je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, sinon je vous le redis, Valéry a une très belle écriture et est à l’aise comme un poisson dans l’eau dans le roman (ou les nouvelles) noires comme de l’encre de seiche ! N’hésitez pas à visiter son site, il fourmille de petits trésors ! Quant à sa « Tarte dans la gueule », elle vous sera aimablement donnée par votre facteur si vous avez le bon sens de commander ce petit livre incontournable à un prix vraiment tout petit, petit ! Des tartes comme celle là, on en redemande !!!

Une tarte dans la gueule de Valéry Bonneau, Cartolivre, 2015 / 10€ version papier, 1€ en numérique (disponible sur Amazon, Fnac, Kobo)

 

Christine Le Garrec