Histoire(s) de lire … N°13

Besoin de vous détendre ? Je vous propose pour commencer cette nouvelle série de chroniques, le dernier roman de Marc Salbert dont le titre évocateur est à lui seul un remède contre la morosité ambiante. Si rire vaut un steak, indigestion assurée ! Pour continuer, un petit tour, en Italie où Amara Lakhous  nous entraîne dans une enquête journalistique après le viol présumé d’une jeune turinoise par deux jeunes Roms : faux semblants et vindicte populaire bien entendu au rendez-vous … Pour terminer, Dominique Falkner nous fait toucher du doigt le calvaire des mexicains qui tentent leur chance vers « l’Eldorado » américain…  D’actualité …  Bonnes lectures à toutes et à tous !

 

 

 

Flashback. Stanislas, producteur de films, est en plein tournage d’un bon gros nanar « Peace and love » comme on savait si bien les faire dans les années 70 (Paul Préboist est au générique, c’est dire !) Mais impossible de démarrer la journée sans les CRS pour boucler le quartier car les hommes casqués n’ont pas daigné se déplacer… Furax, Stanislas appelle les flics et pour leur donner l’envie de débarquer à toute blinde, il leur signale qu’une bande de drogués sème la panique sous le nez du génie de la liberté…. Mauvaise idée ! Car oui, comme prévu, les bleus arrivent à fond de cale… Et commencent à matraquer tous les figurants déguisés en Janis Joplin ou Jimi Hendrix !!! S’ensuit une belle pagaille (sous l’œil éberlué de Paul Préboist), des cavalcades, des coups et des bosses… Devant le tableau, Stanislas prend la fuite accompagné d’une jeune (et apeurée) figurante et tous deux se réfugient dans l’appartement de la donzelle. Stanislas la consolera si bien que neuf mois plus tard naîtra Martin, dans la plus grande indifférence de son géniteur… Les années passent… Stanislas, ruiné, débarque un beau matin à la maison de retraite « le jardin d’Éden » … Pas pour y finir ses jours, non, mais pour demander à Martin, qui en est le directeur, de l’héberger le temps qu’il se « refasse », Le moins que l’on puisse dire, c’est que le fiston ne saute pas vraiment de joie à l’idée d’accueillir son ersatz de père ! Mais, en bon fils (et avec sa bonne vieille conscience judéo-chrétienne), il accepte à contrecœur de l’accueillir quelques jours … Il n’en faudra pas plus à Stanislas pour transformer ce paisible lieu de retraite en un lieu de débauche, au grand dam d’un résident grincheux et autoritaire, militaire en retraite, surnommé « le colonel ». Stanislas épate la galerie avec ses souvenirs où starlettes et stars semblent avoir fait partie de son quotidien et, bien sûr, toutes les vieilles dames craquent sur « la vedette », tout en se demandant, quand même, si le vieux beau n’est pas un peu mythomane sur les bords… Affabulateur ou pas, Stanislas fait des ravages… Et crée des émules chez les petits vieux qui veulent goûter une dernière fois leur part du gâteau ! Dans les chambres du jardin d’Éden, chaque nuit, les ancêtres s’en payent une bonne tranche, copulant, picolant et fumant des substances illicites jusqu’au petit matin… Martin, pendant ce temps-là, certainement désinhibé par l’atmosphère plus que décontractée qui règne désormais dans son établissement, se lâche et déclare (timidement) sa flamme à Claire, le médecin qui travaille avec lui et dont il est secrètement amoureux… Mais le Colonel est en embuscade… La rage au ventre et la bave aux lèvres, prêt à tout pour éradiquer cette chienlit qui fait la loi au « Jardin d’Éden »… Il faut s’attendre à tout avec Marc Salbert. Sauf à bailler d’ennui. Cet homme possède des ressources, semble-t-il inépuisables, pour nous offrir d’épastrouillant moments de lecture où le burlesque fait mouche à tous les coups (Aaaargh, touchée !). Malgré son titre qui fleure bon la sitcom brésilienne, ne vous y fiez pas ! Certes, vous trouverez de l’amour, et même de la gloire dans ce roman (et des dentiers, pas de publicité mensongère !)… Mais foin de mièvrerie ! Et vive la démesure ! Celle que cet auteur déjanté à L’imagination débridée déploie pour notre plus grande hilarité… Si vous n’avez pas encore lu son précédent roman « De l’influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire », je vous engage vivement à en faire l’acquisition en même temps que ce concentré de bonne humeur ! Vous ne le regretterez pas, foi de chroniqueuse !!!

Amour, gloire et dentiers de Marc Salbert, Le Dilettante, 2017 / 19,50€

 

 

 

Après qu’une jeune turinoise de quinze ans affirme avoir été violée par deux jeunes Roms, un climat de vengeance et de défiance vis-à-vis de leur communauté déferle sur la ville de Turin… Enzo Lagana, journaliste de la presse locale, interviewe l’adolescente et retranscrit ses propos au conditionnel, vu que l’enquête est en cours et que les jeunes Roms ne sont encore que présumés coupables. Quand il découvre son article le lendemain dans le journal, Enzo est atterré et ulcéré de découvrir que son texte a été remanié sous sa signature : réécrit au présent, son article prend un tout autre sens ! Inutile de chercher le coupable de cet ajustement malhonnête, il lui suffit de lire l’éditorial, une vraie plaidoirie contre les Roms, pour savoir que cette usurpation vient du plus haut de sa hiérarchie… Pendant ce temps-, la colère monte dans l’opinion publique, attisée et confortée par les médias et Mario Belleza, président de l’association « Maîtres chez nous » organise une « marche » de protestation contre le laxisme des autorités. La manifestation dégénère rapidement et une femme et un enfant Rom sont grièvement blessés dans l’incendie des caravanes de leur campement … Enzo décide de mener l’enquête en profondeur et de se venger de ses supérieurs, quitte à perdre son job… Amara Lakhous signe avec « L’affaire de la pucelle de la rue Ormea » un roman choral. Outre la voix et le parcours d’Enzo, on suit en parallèle le cheminement d’une femme : Patrizia. Autrefois directrice d’une agence bancaire, celle-ci a pris conscience de l’infamie des pratiques financières et de leur immoralité, après le suicide d’une vieille dame qu’elle avait (mal et volontairement) conseillée sur des placements véreux. Patrizia a alors tout plaqué, ne supportant plus l’image de ce qu’elle était devenue : un être cynique et sans scrupules. Après avoir maquillé sa disparition en suicide, elle intègre sous le nom de « Drabarimos » la communauté Rom, où elle démarre une nouvelle vie sous le signe de l’entraide et de l’écoute de l’autre… Les destins de ces personnages vont se croiser au cours de ces douloureux évènements… Ce roman, avec humour et désabusion, délivre un vibrant appel à la tolérance et au respect de l’autre, ces clés du vivre ensemble qu’on a hélas tendance à laisser traîner au fond de nos poches…  Un antidote à la morosité ambiante !

L’affaire de la pucelle de la rue Ormea d’Amara Lakhous (traduit de l’italien par Élise Gruau), Actes Sud, 2017 / 20,80€

 

 

 

Tous viennent du Mexique et chacun d’eux a une bonne raison de vouloir rejoindre les États-Unis, quels que soient les sacrifices consentis et les risques encourus, pour rejoindre cette « terre promise ». Leurs motivations sont celles de tous les migrants : fuir la misère, chercher une vie meilleure pour soi mais aussi pour la famille restée au pays, avec l’espoir de pouvoir envoyer de l’argent … Cuauhtémoc était instituteur. S’il quitte son pays pour devenir un Mojado (migrant clandestin) c’est pour tenter de retrouver la trace de son père, parti des années plus tôt au Texas. Pour Ana, jeune maman de vingt-deux ans d’une petite Ximena de sept ans, c’est son frère qui vit à Cleveland qu’elle cherche à rejoindre. Guidés par un passeur, tous prennent la route, marchant des heures sous un soleil de plomb et dans une chaleur accablante, prenant garde aux serpents et scorpions dont morsure ou piqûre équivaudrait à une mort certaine… Les nuits glaciales, la faim, la soif et surtout la peur d’être repérés par une patrouille sont leur lot quotidien. Une nuit, Cuauhtémoc voit leur passeur envoyer des signaux, alors qu’il croyait tout le monde endormi… Deux véhicules déboulent alors à toute vitesse dans le campement : Cuauhtémoc n’a que le temps de s’enfuir, embarquant avec lui Ana et Ximena… Ils comprennent que ces hommes, complices du passeur, viennent pour dépouiller de tous leurs biens les malheureux candidats à l’exil et restent cachés le temps que ces derniers abandonnent leurs recherches… Il leur faudra donc continuer, leur route, seuls… D’autant plus périlleux que Cuauhtémoc est en proie à de fortes fièvres qui l’affaiblissent terriblement… Un accent de vérité et d’authenticité souffle sur « Mojado » : le fait que Dominique Falkner ait emprunté le même chemin que les personnages de son roman avant de l’écrire n’y est certainement pas étranger. Roman vérité, donc, mais initiatique également : une large place est concédée à la culture indienne sud-américaine, avec de magnifiques passages empreints de poésie, où l’on croise animal totem, « femmes à sortilèges » ou description de « voyage » sous peyotl… Mais assurément, Falkner signe avec « Mojado » un roman humaniste et politique, à l’heure où la frontière mexicaine est sous le feu des « projectueurs » de l’administration Trump… Lorsqu’on prend conscience du calvaire enduré par ces malheureux, la moindre des choses serait de leur accorder l’asile dans nos contrées riches et crevant sous le superflu, et de leur laisser la petite place qu’ils ont largement méritée… Inutile de construire un mur, leurs difficultés pour venir nous, vous « envahir » sont déjà bien assez inhumaines… Cassons plutôt le mur de notre égoïsme et de notre individualisme et ouvrons nos portes ! Je n’ai pas lu les autres ouvrages de Dominique Falkner que j’ai découvert grâce à celui-ci (qui est son sixième roman). Mojado m’a donné envie de découvrir les autres œuvres de cet écrivain-voyageur, qui, en plus d’une belle âme, est doté d’un style sans esbroufe qui va droit au cœur, tout simplement… Très belle découverte !

Mojado de Dominique Falkner, Envolume, 2017 / 14,90€

 

Christine Le Garrec