Histoire(s) de lire… N°27

Voici ma toute dernière sélection de romans que je vous propose de savourer autour du sapin… Ou si vous êtes allergique à la féérie de Noël, tranquilos et solitaire dans votre canapé ! Mystères non résolus, drames psychologiques, polars décalés, nouvelles surréalistes, secrets de famille bien enfouis… Noir et humour sont à l’honneur de ce dernier « Histoire(s) de lire » de l’année 2017 ! Je vous promets d’ores et déjà que 2018 va démarrer très fort pour les amoureux de la littérature… Je vous mets quelques pépites bien au chaud pour le mois prochain, promis ! D’ici là,  Passez de bonnes fêtes et à l’année prochaine !

 

 

En 1941, un triple meurtre fut commis avec une sauvagerie extrême (à coups de serpe !) au château d’Escoire, en Dordogne. Les victimes ? Georges Girard (fonctionnaire de Vichy en désaccord avec le régime), sa sœur Amélie (vieille fille et femme de tête qui gérait la fortune familiale) et leur bonne, Louise, qui a certainement eu le malheur de se trouver là, au mauvais endroit et au mauvais moment… A l’heure du crime, Henri, le fils et neveu des victimes, dormait à l’étage, dans une autre aile du château. Toutes les issues étaient fermées et aucune effraction ne fut constatée par la maréchaussée… A l’époque, cette affaire fit grand bruit, le principal suspect, seul héritier et celui à qui profitait sans conteste le crime, était considéré par la rumeur publique (dont il faut par essence, se méfier…) comme un bon à rien cupide et dépensier : Henri était donc le seul coupable possible… Il fut d’ailleurs emprisonné dix neuf mois dans l’attente de son procès qui, à la surprise générale, le lava de tout soupçon, grâce au talent de  Maurice Garçon, ténor du barreau de l’époque, mais aussi certainement à cause de certaines zones d’ombre qui ne permettaient pas d’affirmer haut et fort sa culpabilité… Henri, qui avait toujours clamé son innocence, dilapida ensuite son héritage en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, et s’embarqua pour le Venezuela dont il reviendra quelques années plus tard, fauché et malade, avec le manuscrit du « salaire de la peur » qui fut publié en 1950, sous le pseudonyme de Georges Arnaud. Alors… Henri, coupable ou innocent ? Et s’il avait été lui aussi une victime de ce drame ? Il a tout de même perdu l’intégralité de sa famille, sa mère étant décédée lorsqu’il était enfant ! Et dans ce cas, qui a tué les Girard et leur bonne, et pour quelle raison ? Ce fait divers mystérieux et la personnalité complexe et fascinante d’Henri Girard ne pouvaient laisser indifférent le fin limier Philippe Jaenada ! Après « La petite femelle » (sur l’affaire de Pauline Dubuisson, condamnée à perpétuité pour le meurtre de son amant) et « Sulak »(sur la vie du braqueur et gentleman cambrioleur) , Philipe Jaenada, pour la troisième fois, a mené l’enquête, traquant le moindre détail, fouinant dans les archives et prospectant sur place pour nous faire entrevoir une part de vérité sur cette affaire qui n’a en fait jamais été vraiment résolue … Ses conclusions ? Extrêmement plausibles !!! « La serpe » se dévore comme un (très bon) roman policier, d’autant plus que l’humour et les apartés de l’auteur du « chameau sauvage » et de « La grande à bouche molle » sont toujours aussi réjouissants ! Voiture de location défaillante, jets d’œufs en pleine rue, regards méfiants… La plongée du citadin Jaenada en milieu rural (et hostile !) est savoureuse et allège la dureté des faits véridiques énoncés. « La serpe » a obtenu le prix Femina 2017 et c’est grande justice pour la qualité du roman et l’opiniâtreté de son auteur ! Passionnant !!!

La serpe de Philippe Jaenada, Julliard, 2017 /22€

 

 

 

Années 50. Une femme erre sans but dans les rues de Turin, enveloppée dans son imperméable et ses idées noires… Elle vient de tirer une balle entre les deux yeux de son mari, alors que celui-ci s’apprêtait une fois de plus, de trop, à la quitter. Au cours de ses déambulations, la jeune femme se remémore les années passées… Leur rencontre et l’absence de passion, l’espoir ensuite avec la venue au monde de leur petite fille… Mais toujours l’incertitude et cette peur sournoise de l’abandon, à chaque  absence de son mari, empêtré dans une relation adultère avec la même femme, depuis des années, avant même qu’ils ne se rencontrent… En tuant cet homme, à travers ce geste commis froidement, sans réelle préméditation, cette femme a tué sa dépendance et sa propre lâcheté… Natalia Ginzburg à travers ce roman court et tranchant, signe l’autopsie froide comme l’acier d’une relation amère et sans amour. L’histoire d’un couple relié par le dépit, le mal de vivre et l’incompréhension mutuelle, froidement détachés l’un de l’autre sans jamais réussir cependant à rompre ce lien anxiogène, jusqu’à cet ultime geste qui mit un point final aux souffrances et aux amères désillusions. Une fine analyse psychologique et un texte fort dont les échos peuvent se révéler douloureux… Un petit roman loin d’être anodin.

C’est ainsi que cela s’est passé de Natalia Ginzburg (traduit de l’italien par Georges Piroué), Denoël, 2017 /14€

 

 

 

Début de la guerre de 14. Raymond Février est un flic aussi farouchement opposé à ce conflit qu’attaché à sauver sa peau : il n’est pas spécialement froussard, mais ne voit pas l’utilité de sacrifier sa vie au champ d’horreur, ce dont on ne peut le blâmer… Pour l’instant, il a réussi à échapper à la mobilisation (pour cause de pieds plats !) mais son côté flegmatique et son empathie envers les suspects et autres voyous ne lui attirent guère la sympathie de ses collègues… De là à être dénoncé et de finir en chair à canon, il n’y a qu’un pas ! Et voilà ! Le jour qu’il redoutait tant arrive… Lorsqu’il reçoit son ordre de mobilisation, prêt à tout pour échapper au massacre, Ray obtient d’une collègue compatissante une carte d’identité vierge, brûle ses papiers et file se réfugier chez Léonie, une prostituée gouailleuse qui doit à notre flic au grand cœur une fière chandelle. Ok ! Mais il faut bien vivre et les temps sont difficiles… Comment passer inaperçu et ne pas se faire choper ? Depuis le début de la guerre, les femmes ont envahi l’espace public et les emplois laissés vacants par les hommes partis au front… Et les mâles à moustaches, en dehors des vieillards ou des handicapés, ont disparu des rues de Paris ! Une seule solution… Se travestir en femme ! Ensuite ? Chercher du boulot en tailleur et talons hauts, soigneusement épilé et maquillé… Il ne ressemblera pas à Miss Monde, mais ça peut passer ! Et quel boulot conviendrait le mieux à un flic au repos forcé ? Détective, bien sûr ! Et justement, la jolie Cécily Barnett qui a repris l’agence tenue par son père, parti lui aussi pour la grande boucherie nationale, recherche urgemment quelqu’un pour l’épauler et pour ramener du fric dans les caisses qui sonnent le creux ! Ray, devenu Loulou Chandeleur, lui propose sur un plateau une affaire juteuse dont il avait eu vent juste avant de se faire la belle de la maison Poulaga… Une histoire sordide de chantage perpétré contre une riche baronne patriote et dévouée corps et âme aux malheurs des poilus. Si elle ne paie pas l’énorme somme demandée, son fils (qui se bat sur le front) sera zigouillé… Mais la baronne (dont la fibre maternelle ne se voit pas à l’œil nu…) préfère garder ses espèces sonnantes et trébuchantes pour acheter lits, couvertures et prothèses pour les valeureux soldats blessés plutôt que d’enrichir un salopard de maître chanteur. Elle est prête à payer le prix fort pour engager un détective, la police se souciant peu de ses petits problèmes en ces temps troublés… Une aubaine pour Cécily et Loulou Chandeleur qui vont s’atteler à cette lourde tâche… Après les aventures du juge Ti et le savoureux et jubilatoire feuilleton « Voltaire mène l’enquête », Frédéric Lenormand nous rend accro dès le premier opus de cette nouvelle série particulièrement prometteuse, aux dialogues truculents et aux rebondissements imprévisibles ! Tel « Tootsie, son  flic en jupons se glisse avec maladresse tout d’abord, puis avec délectation, dans la peau d’une femme, découvrant du même coup les problèmes que celles-ci rencontrent au quotidien … Qui deviennent les siens ! Pacifiste et terriblement humain, le personnage de Loulou Chandeleur est diablement attachant et on se délecte de ses aventures de la première à la dernière page de ce roman… En attendant déjà avec impatience le suivant ! Un polar réjouissant et original, à la sauce Lenormand, à déguster de toute urgence !

Seules les femmes sont éternelles de Frédéric Lenormand, La Martinière, 2017 /18,50€

 

 

 

Jeune journaliste en mission au Moyen-Orient, Fanny revient mutique et traumatisée de son dernier reportage … Arrivée à Paris, elle se replie sur elle-même, fuit ses semblables et décide de se mettre au vert dans la maison de Rachel, sa grand-mère paternelle, décédée quelques années auparavant. Elle n’était pas très proche de sa Mamie et ne sait pas grand-chose d’elle, en dehors du fait que jeune fille, ses parents l’avaient mise en sécurité dans ce coin de Corrèze, pour la protéger des persécutions qu’ils subissaient en tant que juifs… Eux ne sont jamais revenus des camps de concentration et Rachel a passé les années de guerre auprès de jeunes gens impliqués dans un réseau de résistance… Un peu désœuvrée et encore fragile des horreurs vues ou vécues dans l’enfer de Gaza, Fanny entre dans la chambre de Rachel  où elle trouve plusieurs carnets écrits par celle-ci pendant la période de l’occupation… Personne ne lui en a jamais parlé et elle doute que quiconque, y compris son père, soit au courant de leur existence… Qui les a posés presque en évidence ? Fanny, à la lecture de ces journaux intimes, va découvrir des révélations douloureuses et troublantes, qu’elle va creuser en menant une enquête auprès des rares amis survivants de Rachel qui l’ont côtoyée dans cette sombre période… D’une écriture aussi fluide que délicate, Josèphe Viallard nous offre avec « Fanny Z » un roman qui combine avec grâce et une vive intelligence le sens du suspense à une fine étude psychologique, où passé et présent s’entremêlent pour nous embarquer de la seconde guerre mondiale aux conflits tout aussi sanguinaires de notre époque. Une belle découverte de cette fin de rentrée littéraire !!!

Fanny Z de Josèphe Viallard, Les Ardents éditeurs, 2017 /19€

 

 

 

Gérald Cahen a laissé vagabonder sa fertile imagination dans ce recueil de dix sept nouvelles aussi réjouissantes qu’inattendues, nous offrant des portraits de personnages « border line » qui trouveraient place sans problème sur le divan d’un psychanalyste ! En cinq chapitres composés de trois à quatre petites histoires (les grands timides, les délirants, les rieurs, les mal élevés et les mal aimés), cet auteur inclassable, issu de la philosophie, aborde avec un humour délirant flirtant avec le surréalisme, des thèmes comme la nourriture, la quête d’identité, la religion, le savoir-vivre, la paternité… Déclinant de son écriture jubilatoire bon nombre de frustrations auxquelles nous sommes parfois confrontés. A leur lecture, il est palpable que Gérald Cahen s’est bien amusé à les rédiger ! Et pour ma part, le plaisir est partagé… J’ai dévoré ce petit livre avec délices ! Quelques mises en bouche pour vous mettre en appétit ? Vous y découvrirez un bon Dieu toujours en retard à la messe qui se fait démasquer par une effeuilleuse nommée… Ève ! Ou un jeune homme qui, traumatisé par les calamités culinaires de sa mère, n’arrive pas à s’épanouir auprès des femmes. Ou encore, un gardien du musée du Louvre qui  découvre progressivement à la rondeur de son ventre qui enfle que la célèbre Joconde est… Enceinte ! Cartésiens s’abstenir !

L’homme qui courait après son nez de Gérald Cahen (nouvelles), Ateliers Henry Dougier, 2017 /14€

 

 

 

C’est dans un parc de Copacabana, perchée sur un arbre, cigare aux lèvres et livre à la main, que l’auteure brésilienne Béatriz Yagoda a été aperçue pour la dernière fois … Depuis, plus aucune nouvelle ! Ses enfants, Raquel et Marcus, sont d’autant plus inquiets lorsqu’ils découvrent que leur mère a contracté d’énormes dettes de jeu… Béatriz a-t-elle fui la réalité ? Est-elle détenue par son usurier ? Ils n’osent appeler la police et décident dans un premier temps de garder confidentielle l’information de cette étrange disparition, dans l’espoir que Béatriz rentre au bercail. Dans le même temps, aux États-Unis, Emma, la traductrice de Beatriz, reçoit le coup de téléphone d’un soi-disant ami qui lui annonce la fugue de son auteure préférée, ainsi qu’une menace à peine voilée faisant comprendre sans appel que la dette de 50 000 dollars de madame Yagoda devra être honorée dans les meilleurs délais… Sans plus réfléchir, Emma saute dans le premier avion en direction du Brésil, au grand désespoir de son compagnon qu’elle doit épouser prochainement… Il faut dire qu’Emma n’est plus trop sûre de vouloir convoler en justes noces avec cet ennuyeux fan de jogging ! Pendant qu’elle est en route vers l’espoir de retrouver son auteure envolée, le premier éditeur de celle-ci reçoit d’étranges missives codées avec des personnages et des situations issus des romans de Béatriz, lui demandant une aide financière… Progéniture, traductrice et éditeur vont unir leurs forces pour retrouver celle qui est si chère à leur cœur, pour différentes raisons… Histoire d’amour, de filiation et d’aventures, jeu de piste littéraire, cavale et harcèlement d’usuriers sanguinaires, « Le jour où Béatriz Yagoda s’assit dans un arbre » nous offre un roman trépidant où la littérature tient une place de choix ! Premier ouvrage de fiction d’Idra Novey, traductrice (tiens, tiens !) qui s’adonne également à la poésie, ce roman mélange les genres avec un sens inné de la comédie noire, d’une écriture aussi précise que punchy !

Le jour où Beatriz Yagoda s’assit dans un arbre d’Idra Novey (traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Bouet), Les Escales, 2017 /20,90€

 

Christine Le Garrec