Histoire(s) de lire… N°43

Bientôt les vacances ! Que vous les passiez entre deux continents ou dans votre jardin, je vous propose une sélection de polars burlesques et un malicieux roman « Feel good » à déguster les doigts de pieds en éventail ! Je vous invite également à découvrir « Whitesand », le superbe roman de Lionel Salaün qui nous immerge au coeur du Mississipi ségrégationniste des années 70, « Mercredi blanc » où Dominique Lin dresse avec finesse le portrait d’une jeune fille passionnée et volontaire, La réédition de « Au poiss’ d’or » du mystérieux Alec Scouffi qui fut l’égérie gay du Paris des années 20, et une nouvelle délicieusement barrée de Véronique Bizot ! Bonnes lectures à toutes et à tous !!!

René au guet, Franco et le Chinois à l’action, Linceul au volant : ce vol à main armée aurait pu se dérouler les doigts dans le nez, si Linceul n’avait pas planté direct la bagnole sur un container à poubelles au moment de prendre la fuite ! Sirènes de flics, confusion totale et René, le plus branque des quatre, se retrouve embastillé par une bande de carabiniers… Qui ne sont autres que des membres d’une bande rivale, alléchés par le magot des branquignols ! Dans le même temps, Diego, le frère « rangé » de René, employé modèle à la caisse de retraite, se voit confier une mission très spéciale par son ministre de tutelle : repérer dans son fichier des noms de retraités, de préférence veufs, dans le cadre de l’opération « An zéro » qui a pour but d’éliminer purement et simplement les vieux, forcément inutiles, qui coûtent un bras à la société… Pas l’ombre d’un képi de carabiniers (hormis les faux !) dans cette histoire de gangsters et de cols blancs à la moralité douteuse, qui oscille entre polar déjanté et satire sociale ! Humour noir, personnages truculents et situations rocambolesques à tous les étages dans ce roman politiquement incorrect dont la noirceur n’a d’égale que l’âme de ses protagonistes ! Jouissif !

La course des rats d’Antonio Manzini (traduit de l’italien par Samuel Sfez), Denoël, 2019 / 21,90€

Après une carrière exemplaire de tueur à gages, Greg Vadim décide qu’il est temps de prendre une retraite bien méritée. Aujourd’hui, il n’aspire plus qu’à mener une vie normale, en bossant sur de petits chantiers avec sa célèbre boîte à outils qui a lui a valu le surnom de « French bricolo », et surtout à renouer avec sa fille dont il s’est peu occupé et qui lui fait payer très cher ses nombreuses absences… Oui, mais voilà, raccrocher le flingue va se révéler beaucoup plus compliqué que prévu… Depuis la mort de Périllat, son ancien « patron », l’organisation est aux mains d’un dénommé Kimmel qui a décidé d’éliminer un à un les anciens tueurs pour mettre à leur place des jeunes loups aux dents longues, totalement dénués de scrupules… Une épuration qui cible bien évidemment Greg qui, s’il veut sauver sa peau et récupérer son fric, bloqué sur un compte connu seul de Périllat et désormais aux mains de Kimmel, va encore devoir user de la gâchette… Epaulé par Vauvenargues, un tueur rangé des voitures reconverti dans le pinard, et par un psy peu orthodoxe, Greg va devoir ruser et faire preuve de finesse pour tenter de rester en vie et récupérer son pèze… Troisième tome de la série « French bricolo » (après « L’été des deux pôles » et « Vadim royal »), « Saison frivole pour un tueur » nous immerge, avec un humour aussi grinçant qu’un Colt mal huilé, dans le milieu sombre et violent des porte-flingues. Avec ses personnages décalés et ses multiples rebondissements, ce troisième volet vous tient en haleine de la première à la dernière page, sourire aux lèvres… Avec l’envie de découvrir les deux premiers volets des aventures de ce tueur pas ordinaire !!!

Saison frivole pour un tueur de Stephan Ghreener, Stephan Ghreener éditions, 2019 / 10€

C’est le ciel qui tombe sur la tête de la très pieuse Piedad de la Viuda lorsque Benito, son mari, décède dans un accident de voiture… Anéantie par le chagrin ? Certes… Mais surtout par les terribles révélations qu’elle apprend sur son salopard de mari qui l’a trompée allègrement durant tout leur mariage (y compris avec sa garce de meilleure amie) et qui s’apprêtait à prendre le large avec une jeune femme russe ! Et s’il n’y avait que ça… Piedad, dans sa grande naïveté, avait confié à ce traître les pleins pouvoirs sur l’entreprise héritée de ses parents… Résultat ? Bingo ! Après avoir trempé dans des affaires plus que louches, Benito comptait se tirer avec une bonne centaine de millions d’euros qu’il avait détournés en laissant l’entreprise au bord de la faillite ! Cocue, ruinée et veuve, à l’aube de la cinquantaine… C’est bon là, la coupe est pleine ? Hélas, non, dernier coup de massue pour Piedad quand elle apprend par la police que la mort de son mari n’était pas accidentelle… Du coup, la voilà en danger, car les assassins ne lâcheront pas le morceau tant qu’ils n’auront pas mis la main sur le pactole ! Piedad, qui n’a pas la moindre idée de l’endroit où Benito l’a planqué, va se mettre activement à sa recherche grâce aux indices que son mari volage et vénal a semés pour la mettre sur la voie… Poursuivie par un tueur à gages mandaté par un mafieux russe gourou et proxénète, la douce Pieda, pour sauver sa peau et retrouver son dû, va laisser parler la serial killeuse, sexy et mangeuse d’hommes, qui sommeillait en elle et va se montrer sans pitié : finies les fringues de nonne et la morale irréprochable, à elle les amants, l’alcool et les cohibas et gare à ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues… ça va saigner !!! Les cadavres pleuvent avec un rythme soutenu dans ce polar déjanté totalement addictif peuplé de personnages atypiques et truculents (dont un détective cuisinier de génie et un inspecteur de police fan de foot, digne de Columbo) ! Fous rires garantis avec ce roman aussi sensuel que burlesque à glisser impérativement dans sa valise, entre deux films d’Almodovar et de Tarantino !

Attends-moi au ciel de Carlos Salem (traduit de l’espagnol par Judith Vernant), Actes Sud, 2019 / 8,70€

Qu’est-ce qui cloche chez Clémence ? A bientôt 30 ans, plutôt jolie, intelligente et pétillante, elle peine néanmoins à trouver l’âme soeur… Sans même parler de l’amour avec un grand A, ça fait des lustres qu’elle n’a pas réussi à coincer un homme sous sa couette ! A chaque fois qu’elle pense conclure, Bam ! Le bon coup se révèle être un coup pourri, tel le dernier en date de la soirée en cours qui, après l’avoir chauffée à blanc, lui annonce qu’il rentre le lendemain… Dans les ordres !!! Trop, c’est trop ! Un jour, mon prince viendra ? Mon oeil, oui !!! Désespérée et totalement bourrée, Clémence quitte cette piteuse soirée pour s’égarer illico dans le quartier… Elle demande son chemin à une vieille dame (dehors à cette heure tardive ?) et s’épanche auprès d’elle en lui révélant ses frustrations et son impossible quête du grand amour… Une fée ? En tout cas, celle-ci lui annonce qu’elle lui a jeté un sort qui lui permettra de séduire tous les hommes qui l’approcheront… Mais attention, ce sortilège ne perdurera pas après son anniversaire… Donc, dans trois semaines ! Le lendemain, Clémence ne sait pas trop quoi en penser… A-t-elle rêvé cette rencontre ? Est-elle tombée sur une dingue ? Elle va être vite fixée car, à peine le nez dehors, elle provoque des émeutes dans son sillage, déclenchant des passions subites et irrépressibles chez les hommes qui ont le malheur de croiser son regard !!! Après toutes ces années d’abstinence, Clémence a bien l’intention d’en profiter au maximum… Mais tic tac, l’horloge tourne et dans quelques jours, si elle ne s’est pas décidée à choisir l’homme de sa vie, il sera trop tard… Laurent Malot signe avec « Tous pour elle » une comédie romantique délicieusement déjantée qui dégage une belle énergie euphorisante ! Avec une intelligence aiguisée, un humour à toute épreuve et un bien joli brin de plume, il nous dévoile les déboires de son héroïne, véritable Cendrillon des temps modernes, avec une jubilation des plus communicative ! Détente garantie avec ce « feel good » d’excellente facture !

Tous pour elle de Laurent Malot, French Pulp, 2019 /19€

Horace Benton, soupçonné d’avoir violé une petite fille blanche, meurt lynché sous les coups des hommes blancs de la petite ville de Huntsville, dans le Mississipi : nul besoin de preuves ou de procès, la couleur de la peau d’Horace suffit à elle seule pour le condamner… Trente ans plus tard, Ray débarque à Huntsville, après que sa voiture soit tombée en panne. Pour payer la réparation, le jeune homme se trouve un petit boulot sur place, malgré l’hostilité affichée des autochtones, méfiants vis-à-vis des étrangers… Il se lie d’amitié avec Norma, la jeune serveuse du bar, à qui il confie qu’il est à la recherche de ses origines… Est-ce vraiment un hasard si Ray a atterri dans ce bled isolé de tout ? La tension monte, palpable, les regards inquisiteurs surveillent tous ses faits et gestes et les âmes en se dévoilant, réveillent des secrets nauséabonds… Une ambiance à la « Délivrance », poisseuse et violente, plane sur ce roman de Lionel Salaün, qui nous plonge avec force dans le Sud raciste des années 70, peuplé de ploucs haineux, racistes et bornés, de son écriture fluide et élégante qui prend son temps pour mieux imprimer ce climat délétère dans l’esprit du lecteur… Il nous embarque sur le chemin de la vérité, pavé de mauvaises intentions et des instincts les plus vils, dans cette histoire forte, étouffante et venimeuse, qui retrace à la perfection la bêtise et la folie des hommes… Ce roman sombre dégage une sacrée gueule d’atmosphère…

Whitesand de Lionel Salaün, Actes Sud, 2019 / 19,80€

Leur père, alpiniste et guide de haute montagne ayant disparu lorsqu’ils étaient petits, et leur mère cumulant plusieurs petits boulots pour faire bouillir la marmite, c’est Lucie, adolescente de 14 ans, qui s’occupe la plupart du temps de ses quatre frères comme une petite maman : une vie en marge pour la jeune fille, bien loin des préoccupations des gamines de son âge… Solitaire, Lucie a une passion secrète : l’escalade, qu’elle pratique en douce dès qu’elle le peut, en grimpant cages d’escalier et échafaudages, au mépris de tout danger… Aussi, quand son prof de gym lui propose d’intégrer un projet de chorégraphie sur mur d’escalade, Lucie y voit la chance de sa vie ! Hélas, un jour de répétition, elle fait une mauvaise chute, qui va remettre en cause sa passion… D’une écriture soignée, Dominique Lin nous propose avec « Mercredi blanc » un roman à tiroirs où il aborde une multitude de sujets de fond : secrets de famille, transmission, roman social, dépassement de soi et portrait psychologique sont au cœur de cette histoire ordinaire peuplée de personnages extraordinaires, que l’on parcourt avec le sentiment de s’immerger dans une famille, en toute simplicité, au cœur de sa complexité. La vie entre les lignes… Un roman que vous pouvez mettre aisément entre les mains de vos ados !

Mercredi blanc de Dominique Lin, Élan Sud, 2019 / 19€

P’tit Pierre vole la caisse de la boulangerie familiale pour fuir sa banlieue et la violence de son beau-père, avec en tête le rêve de faire le tour du monde… Mais son périple n’ira pas plus loin que les quartiers chauds de Paris, dans une sordide chambre de l’hôtel « Au poiss’ d’or » à Montmartre où, pour subsister, il sera contraint de se prostituer, sous le surnom de Chouchou… Le jeune garçon perdra ses illusions et son innocence dans cette vie en marge sous la menace permanente de la répression, l’homosexualité étant considérée comme un crime dans les années 20… C’est tout le Paris interlope de l’époque qui se dévoile sous la gouaille et la langue imagée d’Alec Scouffi, dans ce roman sorti en 1929 et jamais réédité jusqu’à ce jour. Alec Scouffi, de son vrai nom, Alexandre Scouffos, était à lui seul un personnage romanesque : riche héritier, chanteur d’opéra, poète et romancier, il a été assassiné, vraisemblablement par un de ses amants, en 1932… Il nous laisse un témoignage sidérant, quasi documentaire, à travers cette étude de mœurs portée par une écriture poétique et fleurie : un roman unique, réaliste et cru, dans la lignée des chansons du genre…

Au poiss’d’or d’Alec Scouffi, Séguier, 2019 / 20€

Une grande maison à la campagne où un meurtre, jamais élucidé, a été commis. La dame de l’agence immobilière la fait visiter à de potentiels nouveaux locataires, un homme et sa femme, très belle et mystérieuse, accompagnée d’un élégant lévrier espagnol. Le fait que ce lieu fut le théâtre d’un homicide ne semble pas les déranger… Dans l’ombre, invisible aux yeux de tous, un homme, ancien résident de l’hôpital psychiatrique qui vient de fermer ses portes, regarde et voit tout, témoin silencieux… Un tueur à gages, Paul Prévert, est missionné pour tuer la femme au lévrier. Il n’avait juste pas prévu qu’il en tomberait amoureux… Véronique Bizot signe de sa fine écriture, non dénuée d’humour et de fantaisie, un texte empreint d’étrangeté, où un fou candide et clairvoyant mène le jeu d’un foisonnant jeu de piste, à travers le prisme des apparences… Un sacré exercice de style exécuté avec maestria par cette auteure inclassable… Jamais là où on ne l’attend !

Une complication, une calamité, un amour de Véronique Bizot, Actes Sud, 2019 / 11€

« Gide l’inattendu », une exposition de la galerie Gallimard !

À l’occasion de la commémoration des 150 ans de la naissance d’André Gide (1869-1951), la Galerie Gallimard rend hommage à celui qui fut l’un des grands inspirateurs de notre modernité. Le fondateur de La Nouvelle Revue française, par l’état d’absolue disponibilité à la pensée et à la vie des autres qui le caractérisait, fut à bien des égards la conscience critique et aventureuse de son époque. Trop respectueux de la liberté de chacun pour prétendre imposer la sienne à quiconque, il s’est attaché à garder les yeux ouverts sur l’inconnu, l’étranger et l’inconvenant. Ce fut toute sa morale et son grand désir, sa source première de plaisir – inséparable de sa quête de vérité et d’expression. Et c’est ainsi qu’en retour, Gide nous surprend encore, « Gide l’inattendu »… La galerie Gallimard propose ainsi un choix de documents et d’objets peu connus ou insolites témoignant de cette rare disposition d’esprit. On découvriora ainsi parmi une soixantaine de pièces exposées, une collection de masques mortuaires conservées par André Gide, un rare portrait de l’écrivain par son ami Maurice Denis, quelques portraits photographiques de ses auteurs préférés, un album d’images d’Epinal, une canne offerte par Francis Jammes, de rares éditions et fragments manuscrits… Deux artistes contemporains, Juliette Solvès et Pierre Antonelli, prolongent cet hommage patrimonial par la présentation de leurs oeuvres originales créées spécialement pour cet anniversaire sur la suggestion de la fondation Catherine Gide. L’exposition est visible à la galerie Gallimard jusqu’au 20 Juillet 2019.

Christine Le Garrec