Du côté d’chez Swaz N°11

LA PLACE DES MOUSS !

Et si, avec les vacances, venait le temps de regarder ? Ou, mieux, si l’été favorisait un regard neuf ?

Les éditions Motus et Cotcotcot nous y invitent au travers d’albums variés qui tous ont en commun de proposer un regard décalé sur ce qui nous entoure et que l’on ne voit plus, parce qu’embarqué « dans le tourbillon d’une vie » à 100 à l’heure.

Coup de chapeau à ces auteurs qui savent la sagacité des enfants et combien subtil peut s’avérer leur regard, connaissent la nécessité de nourrir et d’ouvrir les espaces imaginaires aux jeunes pousses. Et si c’était cela d’abord les vacances ? Aborder de nouveaux lieux, rencontrer des réponses aux questions latentes qui font grandir…

Je vous souhaite de joyeuses découvertes et des lectures marquantes, en 3 mots : de bonnes vacances !

Qui suis-je ? interroge Tony Durand dans ce petit album qui met en scène un personnage qui pourrait être vous, qui pourrait être moi, ou elle, ou lui, ou n’importe lequel d’entre nous.

Faussement candide, l’histoire questionne l’identité et conduit le lecteur sur la voix de réponses plurielles et polymorphes. Être, avec les autres êtres, un peu comme eux et un peu différent, jamais figé, jamais fini. La valeur de cet ouvrage est inversement proportionnelle à son format et démontre, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas d’âge pour philosopher. C’est un livre-toise, car le redécouvrir au fil des années et noter les réponses de l’enfant au fur et à mesure qu’il grandit, lui permettra, mieux que des photographies, de mesurer le chemin parcouru.

A l’image du texte, les illustrations de Tony Durand sont primesautières et engageantes : une touche d’humour, un brin de gaieté et hop ! on suit et on est le personnage dans la quête de son identité. Dès 6 ans.

Qui suis-je ? de Tony Durand, éditions Motus, 2021 / 11 € (Format 13× 15)

Qui s’attache aux taches ? ou Comment trouver sa place quand on vous reproche de faire tache.

Pas facile, la vie, pour cette petite tache que personne n’accueille avec le sourire. Jamais la bienvenue, elle n’entend, à peine installée quelque part, que des mots de dépit : « Misère », « Mince », « Zut ». Jusqu’au jour où… elle trouve l’atelier d’un peintre pour qui les taches ne sont pas défauts mais tableau. Sa vie en sera transformée : elle qui était vouée à la poubelle deviendra admirée et exposée dans un musée avec ses soeurs taches ! Il a suffi d’un regard différent pour inverser une trajectoire.

Le texte de cet album ne dit pas plus qu’il n’en faut. Sa sobriété laisse la place aux couleurs, aux expressions des visages, aux lignes de fuite pour traduire les sentiments de la tache, sentiments qui, par capillarité, s’attachent bientôt au lecteur, jusqu’à la joie communicative des dernières pages. Une belle histoire qui finit bien ! Dès 6 ans

Qui s’attache aux taches ? de Marc Solal et Mathieu Sauvat, éditions Motus, 2021 / 14,50 € (Format 23× 29)

Ce recueil de poèmes transpire d’allégresse : les mots y sont pris au sérieux et la pensée s’envole sans entrave, parant de logique des propositions sympatico-poétiques. C’est certain, David Dumortier et Pierre Pratt s’en sont donné à coeur joie, cela se voit et s’entend. Ce plaisir est contagieux et inspirant et ne peut que susciter chez le lecteur l’envie d’écrire de nouvelles petites pièces pas prétentieuses pour un sou, mais rigolotes et surprenantes.

C’est un livre écrit à hauteur d’enfant, mais jamais infantilisant, et cela nécessite beaucoup de talent. D’ailleurs, les associations d’idées n’étonnent peut-être que les adultes qui ont oublié avec quel naturel on peut se laisser porter par le nom des choses.

Des ciseaux

Mal écrits par un enfant

Sont devenus des oiseaux.

Maintenant ils coupent le vent

Tout ça à cause d’un enfant

Qui faisait des poèmes

dans ses fautes.

Tout est dans le regard porté aux êtres et aux choses, vous disais-je plus tôt. Dès 6 ans.

Les chaussures de l’hippopotame de David Dumortier et Pierre Pratt, éditions Motus, 2021 / 12,50 € (Format 21× 15)

La petite voix de la ficelle, c’est elle qui vous relie au monde sensible et fait de vous un poète. Thierry Cazals, toujours à l’écoute de cette voix qui vient de l’enfance, révèle comment la poésie se niche dans le quotidien et s’exprime sans fracas ni paillettes. « On n’écrit bien que ce qu’on ressent » prévient-il dans ce recueil destiné aux poètes en herbe et ses conseils prennent eux-mêmes la forme la plus jolie, celle de la poésie. Avec lui, écrire devient simple :

Nul besoin de préparation

seulement

d’abandon

Sans doute le savions-nous déjà, qu’être poète c’est un état d’esprit, mais les mots de Thierry Cazals nous prennent par la main et nous conduisent sur le chemin du poème car pour en écrire, il faut, dit-il,

Être

comme la truite arc-en-ciel

qui écoute

chaque pierre

lue

par la cascade

Des illustrations d’une folle douceur et d’un doux onirisme accompagnent cette « lettre à un jeune poète » : c’est sûr, Joanna Boillat, elle aussi, entend les mots de la petite ficelle. Dès 6 ans.

La petite voix de la ficelle de Thierry Cazals et Joanna Boillat, éditions Motus, 2021 / 12,50 € (Format 15× 21)

Je connais peu de mots est un leporello (quel joli mot !), à déplier en accordéon donc, pour tous ceux qui ont l’impression de perdre pied dans l’apprentissage d’une langue aux multiples chausse-trapes. Allégorique et apaisant, usant de peu de mots, mais de mots choisis avec la justesse de l’expérience, ce petit livre d’Elisa Sartori encourage les apprenants : bientôt, c’est certain, ils nageront avec aisance parmi les mots et les règles d’orthographe, et aborderont des îles nouvelles qui ne leur seront plus étrangères.

A garder déplié sur l’étagère au-dessus de son bureau ou sur sa table de chevet, pour ne pas perdre confiance. Dès 7 ans.

Je connais peu de mots d’Elisa Sartori, CotCotCot Éditions, 2021 / 15,50 € (Format A6)

Ce soir, grande réunion annuelle sur la colline. La fourmi arbitrera les débats. Éléphant est intimidé car il posera la question qui le taraude à toute l’assemblée, puis chacun lui apportera un avis basé sur son expérience personnelle.

« Comment sait-on quand on est amoureux ? » Point désarçonnés, les participants racontent leurs sensations quand l’amour se pointe, les émotions que leur procure l’aimé (e) et même parfois leur ignorance du sujet. Les réponses finissent par former un kaléidoscope du sentiment amoureux grâce auquel Éléphant comprendra ce qui lui arrive.

Les illustrations sont à la hauteur de LA question, à la mesure de son universalité, et abondent de détails délicats. Dès 5 ans.

Éléphant a une question de Leen Van Den Berg et Kaatje Vermeire, adaptation d’Emmanuèle Sandron, CotCotCot Editions, 2021 / 15,50 € (Format 23,5 x 33,5)

Dans Des mots en fleurs voisinent deux conceptions différentes du jardin. D’un côté de la clôture, Monsieur Terre, affairé et organisé, sème, plante et cultive, avec méthode, ses légumes. Son jardin au carré est prolifique. De l’autre côté, Monsieur Mots est un épicurien, un contemplatif qui prend le temps de savourer le passage des saisons. Mais surtout, il cueille les mots qui éclosent dans le coeur des fleurs ou sur la terre brune de sa parcelle. Les deux hommes ont chacun un cahier où ils notent leurs observations et leurs récoltes. Autant dire que ces cahiers sont aussi dissemblables que le sont leurs auteurs. Cependant, après quelques péripéties jardinières, la petite barrière rouge du jardin sera témoin du rapprochement des deux jardiniers…

Cet album fourmille d’expressions »potagères » et de fantaisies lexicales qui vous mettent l’eau à la bouche. A la fin de l’ouvrage, il reste même quelques pages blanches pour continuer la collecte de mots. Dès 5 ans.

Des mots en fleurs de Marie Colot et Karolien Vanderstappen, CotCotCot Editions, collection Écrire et lire 2 fois, 2021 / 13,50 € (Format A5)

De ville en ville explore tous les possibles et aussi l’improbable. Il suffit, suggère Emmanuèle Sandron, de chercher et de regarder l’envers du décor et les mille et mille petites vies qui y vivent pour découvrir sa place parmi la multitude et son identité au milieu de toutes ces existences qui se frôlent, se mélangent et parfois interagissent. Les collages de Brigitte Susini transportent le lecteur dans un univers connu et recomposé où les quêtes et les émotions, le quotidien et les rêves se côtoient pour réinventer l’espace habité.

Aussi riche que la vi(e)lle elle-même, cet album vous embarque sur un tapis volant et capte votre regard pour discerner cette diversité du vivant dans son environnement citadin. Un fort bel ouvrage qui porte longtemps. Dès 5 ans.

De ville en ville d’Emmanuèle Sandron et Brigitte Susini, CotCotCot Editions, 2021 / 23 € (Format 32×25)

Swaz