Interview Anne-Sophie Versnaeyen – OSS 117: Alerte Rouge en Afrique Noire

Mélodies orientales et enlevées façon Vladimir Cosma dans Le Caire Nid d’Espion, bossa nova et samba brésilienne dans Rio Ne Répond Plus et big band aux sonorités aventureuses dans Alerte Rouge en Afrique Noire, le carnet de voyage d’OSS 117 n’a jamais manqué de couleurs musicales. Pour son troisième périple, Michel Hazanavicius et Ludovic Bource passent la main à Nicolas Bedos et Anne-Sophie Versnaeyen. A cette occasion, A Vos Marques Tapage est parti à la rencontre de la collaboratrice musicale d’un cinéaste qui met aussi la main à la patte !

@Crédit Photo: Zoe Forget

Le Bagage Musical de Nicolas Bedos

Quel est votre premier souvenir musical en rapport avec le cinéma ?

Mon premier souvenir musical est associé à John Williams ! J’ai commencé l’alto à 6 ans et, quelques années plus tard, j’ai intégré l’orchestre du conservatoire où l’on jouait notamment des pièces de musiques de films comme Stars Wars ou Les Chariots de Feu. J’adorais aussi les films comme Indiana Jones ! A l’époque, on pouvait acheter des partitions vendues avec des disques contenant la version orchestrale de la musique d’un film. Il y avait la partie contenant des thématiques que l’on pouvait jouer avec son instrument – me concernant, c’était la version alto. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose d’organique dans les musiques de John Williams : lorsqu’on les écoute, on est projeté corps et âme dans le film, on revoit les images. Pouvoir les rejouer dans sa chambre était très excitant !

Qu’est ce qui a donné naissance à cette vocation ?

Je ne sais pas comment cela s’est concrétisé mais ce qui est sûr, c’est que la musique a toujours eu une place très forte dans ma vie ! J’ai toujours aimé prendre mon alto et improviser : cette envie de composer était déjà présente mais je ne l’avais pas encore formulé. Dès l’âge de 10 ans, certaines personnes veulent déjà devenir compositeurs ou compositrices. Ce n’était pas mon cas, d’autant plus que je ne viens pas d’une famille de musiciens mais de scientifiques. Je savais seulement que je ferai de la musique alors j’ai continué mon parcours dans ce sens, tout naturellement. D’un point de vue créatif, ma musique et ma vie étaient liées. Peut-être que cela s’est concrétisé au fur et à mesure de mes rencontres…

Votre rencontre avec Armand Amar fut en effet déterminante pour votre carrière. Que retenez-vous de cette collaboration ? Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

On s’est rencontré pour le travail mais nous avons aussi développé une relation amicale et une forte complicité musicale. D’ailleurs, mon lieu de travail est situé dans son studio ! Il y a plusieurs années, Armand cherchait quelqu’un pour arranger et/ou orchestrer certaines de ses musiques. Il m’a tout de suite fait confiance – même si je sortais tout juste du conservatoire – en me confiant des morceaux, des directions artistiques d’orchestre. J’ai beaucoup de souvenirs liés aux enregistrements avec les musiciens. Cet instant où la musique prend vie est magique !

Comment s’est faite votre rencontre avec Nicolas Bedos ?

Nous nous sommes rencontrés sur le film Monsieur et Madame Adelman sur lequel je suis intervenue pour faire des arrangements. C’était une très bonne expérience et nous nous sommes bien entendu musicalement.  Alors qu’il présentait La Nuit des Molières sur France 2, il m’a recontacté pour composer ensemble le morceau d’ouverture de cette cérémonie. Ensuite est arrivé La Belle Époque, film pour lequel nous avons travaillé en co-composition. Dans notre travail avec un réalisateur, il est important de trouver un langage commun, apprendre à se comprendre, à dialoguer. Les collaborations répétées sont donc intéressantes car ce langage se précise et s’affine au fur et à mesure des projets où l’on apprend à décrypter l’autre, à connaître ses goûts. Avec Nicolas, on avait déjà un langage commun préexistant, ce qui est génial !

Il n’est pas courant qu’un cinéaste signe les partitions de ses propres films…

Le schéma classique est de travailler avec quelqu’un qui n’a pas de connaissances musicales – ce qui est normal. En tant que pianiste, Nicolas a déjà un bagage musical important doublé d’une grande culture musicale, et d’un amour profond de la musique. Il a des idées de thèmes pour ses films. Je pense que la musique représente une part très importante dans sa vie !

Vos méthodes de travail et vos choix artistiques, notamment dans l’instrumentation, ne s’opposent-ils pas malgré ces apports mutuels évidents que vous ressentez au sein de votre collaboration ?

Je pense plutôt que c’est le film qui va dicter le besoin, le type de musique à utiliser, à composer. Avec sa casquette de réalisateur, Nicolas pourrait restreindre certaines choses. Sur La Belle Époque par exemple, il ne souhaitait pas utiliser de cordes. Ça voulait dire : « Je ne veux pas de grands thèmes à cordes mélo », non pas parce qu’il n’aime pas les cordes mais parce que son film n’en avait pas besoin. Et finalement, on a quand même utilisé un sextuor à cordes ! A l’inverse, on s’est totalement lâchés sur OSS 117 : Alerte Rouge en Afrique Noire. Quand Hubert voit une femme, on sort les violons ! Il appartient à une famille de films différente avec un style à part. On est dans la parodie, il n’a donc pas les mêmes besoins musicaux. La force d’un réalisateur, ce n’est pas de composer avec ses goûts mais de savoir ce dont son film a besoin. Et puis, Nicolas et moi avons aussi développé une relation très précieuse avec la monteuse Anny Danché qui porte un regard très attentif sur la musique. Son avis sur le sujet est toujours considéré.

Composer la musique d’OSS 117

Les partitions de Ludovic Bource avaient ce cachet particulièrement vintage, marqué par un style très 60’s pour les deux premiers volets d’OSS 117, et son instrumentation colorée assez criarde qui rappelle parfois Vladimir Cosma. Avez-vous réfléchi à assurer une quelconque continuité avec ses partitions ?

Ce n’était pas une consigne, nous n’avons pas réfléchi à assurer une continuité mélodique ou une familiarité avec ces partitions même si l’on y retrouve une instrumentation similaire sur certains morceaux. Il y a une couleur assez cuivrée – nous avons fait des séances brass avec des saxophones, des trompettes – mais la dominante reste un mélange de couleur big band avec orchestre classique. OSS 117 reste OSS 117 mais le réalisateur a changé. Le film a donc ses propres singularités.

Chez nos collègues de Première, Nicolas Bedos résumait le film en trois mots : « Exotisme – Aventure – Transgression ». Comment cela se traduit-il en musique ?

On retrouve l’exotisme dans l’usage des percussions, l’aventure dans les thèmes à cuivres et à cordes un peu à la Indiana Jones ou même James Bond – il y a un côté assumé des références. Mais pour la transgression qui existe effectivement dans ce film… Je ne vois pas comment ça se manifeste en musique.

On imagine que la localisation de l’intrigue en Afrique a également une influence sur l’orientation musicale ?

Seules les percussions peuvent évoquer l’Afrique mais la musique se concentre principalement sur le personnage d’Hubert. Ce n’est pas une musique descriptive avec les stéréotypes de la musique africaine mais plutôt une musique d’un film d’aventure, d’action.

Le jeu de Jean Dujardin fait-il partie de vos inspirations ?

Oui, bien sûr ! La forme finale d’un morceau, sa manière de s’imbriquer est liée à son jeu mais aussi à celui des autres acteurs. Les éléments musicaux en dépendent tout comme la musique va s’insérer différemment en fonction de la scène. Et pour ça, Nicolas veille à ce que le calage de la musique soit parfait. Pour éviter qu’une réplique tombe à l’eau, il est nécessaire qu’un morceau ne soit pas placé trop tôt ou trop tard…

Quel a été le défi le plus intéressant à relever sur ce film ?

La particularité de ce film est d’avoir commencé à travailler dessus pendant le confinement. Nos rencontres physiques ont été limitées, ce n’était pas évident car il a fallu réapprendre à échanger, dialoguer, etc. Les sessions d’enregistrements représentaient une grande frustration car on a enregistré aux Air Studios de Londres… A distance ! Nous n’avons pas pu y assister physiquement pour entendre notre musique s’incarner grâce aux musiciens exceptionnels qui la jouaient. Seules les parties batterie, guitare, basse et percussion ont été enregistrées dans le studio d’Armand Amar. Et puis, à la différence de La Belle Époque où les musiques ont été écrites sur la base du scénario, celles d’OSS 117 ont demandé un process différent : il a fallu utiliser les séquences montées pour orienter la musique.

Voilà maintenant plusieurs années que vous avez pris votre envol. Avez-vous du recul sur votre évolution ?

Il y a des envies et des méthodes de travail qui changent. Par exemple, je ne composais pas sur la base du scénario alors que maintenant, je le fais de plus en plus. Au fil des années, il y a aussi un sentiment de sérénité qui apparaît, sur le rapport à la musique et au réalisateur. Certaines personnes me demandent parfois comment on fait pour devenir compositeur ou compositrice de musiques de films : je leur réponds qu’il n’y a pas de règles ni de parcours type ! Il faut multiplier les expériences car chacune d’entre elles nous apporte quelque chose d’utile – en matière d’orchestration, d’arrangement, de composition, etc. De mon côté, je dirai que mes expériences m’ont rendu solide. Je suis très heureuse de mon parcours !

Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?

Je travaille avec Armand Amar sur un film documentaire pour le cinéma sur les lynx et un téléfilm produit par France 2, Comme un Coup de Tonnerre, réalisé par Catherine Klein et avec Grégory Montel de la série Dix Pour Cent.

Photos de la recording session d’OSS 117 3

Propos recueillis par téléphone le 21/04/2021

Article originellement publié sur Atmosphères Le Mag (mais il est bien de moi 😉

Crédit Photo de Couverture: Zoe Forget

Je tiens à remercier chaleureusement Anne-Sophie Versnaeyen pour sa disponibilité, sa gentillesse et sa sincérité !!

David-Emmanuel – Le BOvore