Rencontre avec Guillaume Roussel : « La musique des Trois Mousquetaires est romanesque »

Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan lance sa révolution à la française en livrant les clés de son succès au réalisateur Martin Bourboulon et au compositeur Guillaume Roussel qui, expatrié à Hollywood depuis 2010, n’a fort heureusement pas oublié ses racines. Pari réussi pour cette adaptation maîtrisée qui exhume avec fougue le mythe d’Alexandre Dumas tout en redonnant ses lettres de noblesse au cinéma de cape et d’épée. De par son élégance lyrique qui embrasse la dimension romanesque du récit, l’atmosphère ténébreuse de ses violoncelles ou son thème fédérateur qui lui confère un souffle épique, l’écriture méticuleuse de Guillaume Roussel assure le spectacle et l’émotion avec une modernité saisissante, indispensable à l’expérience générée par le film. Une démonstration de force que le principal intéressé nous décrypte dans un entretien aussi palpitant que l’épopée des trois mousquetaires.

LA FRENCH TOUCH D’HOLLYWOOD

D’où vient votre amour pour la musique de film ?

Dans mes souvenirs, j’ai commencé à m’y intéresser grâce au Grand Bleu d’Éric Serra. C’était la première fois où j’ai vraiment été impacté par la musique au cinéma. A partir de ce moment-là, le regard que je portais sur les films venait de changer. Beaucoup d’autres bandes-originales m’ont marqué comme Star Wars, bien évidemment, ou Batman : Le Défi. Cette intro de Danny Elfman est incroyable, j’avais rarement ressenti autant d’émotions. L’expérience de la salle de cinéma n’y est pas pour rien : si je l’avais regardé en streaming, l’impact n’aurait sûrement pas été le même. A cette époque, je commençais à composer au piano. Et puis, en écoutant, entre autres, Éric Serra, Vangelis et Hans Zimmer, j’ai découvert le synthé. Vers la fin des années 80 et le début des années 90, il y avait beaucoup de musiques de films avec les synthés. Ça m’a encore plus sensibilisé à cette discipline mais aussi à la musique en général. Mon intérêt est donc né de parallèles entre des moments clés de cinéma et de découvertes sonores.

Comment avez-vous attiré l’attention de Hans Zimmer ?

C’est une combinaison de plusieurs facteurs différents… A l’époque, je faisais beaucoup de musiques démos pour des banques de sons virtuels. On était au tout début d’internet, entre 2005 et 2010, ça commençait à se démocratiser. Je pense que Hans les a sûrement entendues. Mais c’est grâce à un ami que nous avons en commun, Richard Harvey, que j’ai été présenté à lui. Mon travail a fini par se retrouver dans son cercle proche sans que je m’en aperçoive réellement. Un jour, j’ai reçu un e-mail m’indiquant que l’on m’attendait pour un meeting… Tout s’est enchaîné très vite ! Malgré tout, il a fallu attendre près d’un an pour organiser mon départ. Je ne pouvais pas débarquer du jour au lendemain pour travailler aux États-Unis sans avoir réglé les histoires de Visa.

Quels ont été ses enseignements les plus précieux ?

Au-delà de l’admiration que j’avais déjà pour lui, j’ai découvert des facettes de son talent que je ne connaissais pas, notamment son esprit de collaboration. Le fait de travailler à plusieurs est extrêmement enrichissant. Hans est toujours ouvert aux discussions et aime avoir des équipes différentes pour trouver l’idée qui va au mieux servir le film. En termes d’organisation, il cherche à être le plus efficace possible afin de rester concentrer sur cette idée. Travailler sur trois énormes productions à la fois est impossible si rien n’est structuré. Il y a donc toute une logistique très bien organisée… Enfin, son univers de production sonore est tellement incroyable. J’ai beaucoup appris dans sa manière de repousser les limites. C’est vraiment intéressant d’observer, en tant que collaborateur mais aussi en tant que spectateur, les rouages d’un blockbuster américain. Pour quelqu’un comme moi qui a fait des études classiques, d’orchestrations et de jazz, ce fut une expérience incroyable à bien égards.

Votre formation s’est achevée aux États-Unis mais votre filmographie est paradoxalement très française. Ça vous tient à cœur de retrouver vos racines en composant pour le cinéma français ?

C’est un peu lié au hasard… J’avais en moi cette envie d’aller aux États-Unis parce que le cinéma américain m’a toujours passionné. Rien ne me retenait vraiment en France alors je suis parti. Même si j’ai écrit quelques BOs de téléfilms en 2004, mon premier long métrage français ne m’a été proposé qu’en 2011/2012, lorsque je travaillais avec Hans. Le fait d’avoir collaboré avec lui m’a sûrement mis en lumière en France – dans un cercle réduit – et m’a donné plus de facilités. Quand mon nom était suggéré ou cité pour un projet, on parlait de ce que je faisais aux États-Unis. Mon premier long métrage, Les Seigneurs, m’a été proposé par Olivier Dahan, un réalisateur que je respecte énormément. La Môme, c’est un grand film, comment ne pas accepter de travailler pour ce grand réalisateur ? Malgré mon activité en France, je continue d’être sollicité aux États-Unis, comme sur le prochain Expendables. Le plus important pour moi est de travailler sur des projets intéressants qui me tiennent à cœur, qu’ils soient français ou américains, et de m’éclater dans mon travail. J’ai simplement envie de composer de la musique, c’est ce qui me plaît.

Rien que l’année dernière, on vous a entendu à l’œuvre sur pas moins de sept productions : C’est Magnifique ! Loin du Périph, Les Couleurs de l’Incendie, Kompromat, Novembre, King, Marie-Antoinette,

Oui parce que tous ces films me tiennent à cœur ! La musique, c’est aussi des gens, des rencontres, des collaborations. Et tout d’un coup, ces gens avec qui tu aimes bien travailler te sollicitent tous en même temps. Je ne cherche pas à faire six films par an. C’est juste que, parfois, les opportunités se présentent toutes à la fois. D’ailleurs, les années 2021 et 2022 ont été très compliquées à gérer pour moi…

Alexandre Desplat disait : « Ma musique est très française, c’est pour ça qu’elle a séduit les Américains ». Cette analyse a-t-elle du sens pour vous ? D’un autre côté, considérez-vous que votre approche hollywoodienne de la musique de film a également séduit les français ?

Il y a les gens qui connaissent vraiment ta musique et qui l’apprécient ou pas mais qui ont, en tout cas, une sensibilité musicale. Et puis, il y a ceux qui voient juste au travers de ta filmographie ou de l’image que tu véhicules et qui ont tendance à te mettre dans des cases. Pour schématiser, j’ai souvent eu l’impression qu’ici, aux États-Unis, on appréciait ma french touch – comme on dit -et qu’en France, on appréciait cette couleur américaine, façon blockbuster, épique et mainstream. C’est assez marrant de ressentir cette perception opposée en fonction du pays. Pour ma part, je n’arrive pas trop à me situer. C’est difficile de se définir… En y réfléchissant, je dirais que ma musique est plus française qu’américaine. J’ai cet amour pour l’orchestre et la musique impressionniste française. Je pense que cette inspiration définit ce que je suis. Et à côté de ça, ma passion pour la recherche sonore hybride très synthé me rapproche un peu plus des États-Unis.

Dans une saga aussi mainstream qu’Expendables dont vous prenez la suite, Brian Tyler avait pourtant réussi à proposer un score très riche orchestralement.

Expendables 4 est différent, il a un côté plus « moderne » avec des nouveaux personnages plus jeunes et des personnages féminins. Ils voulaient changer d’orientation avec un score très électro, un peu rock, plus « dans l’air du temps ». Dans la musique de Brian, on retrouvait l’esprit de Michael Kamen. C’était super sauf que les scènes du quatrième film ne s’y prêtent pas. Le cahier des charges m’imposait presque de ne pas utiliser l’orchestre. Mais comme les anciens personnages reviennent, je me suis battu pour ne pas tout changer.

Vos récentes partitions pour Bac Nord, Kompromat et Novembre s’inscrivent dans un climat très actuel. Était-ce un défi pour vous d’illustrer ces films inspirés d’histoires vraies et d’honorer le courage de ces différents protagonistes ?

Toutes ces histoires sont vraiment très différentes. Novembre se veut très proche de la réalité mais Kompromat et Bac Nord sont assez romancés, même s’ils sont inspirés de faits réels. C’est difficile d’établir un point commun entre les trois car les approches sont très différentes… Sur Novembre, on avait la pression de faire un film qui touche un point très sensible chez le spectateur. Il fallait garder une certaine pudeur, un respect dans notre travail. Cédric avait cette responsabilité-là. Mais tout le monde a été sensibilisé afin que le film ne paraisse ni vulgaire, ni arrogant, ni irrespectueux. On devait trouver un juste milieu, chercher où mettre le curseur entre un film d’action thriller et un film intimiste, vrai, réaliste, profond. Cet équilibre-là fut difficile à trouver. On peut rapprocher Novembre de Bac Nord car, en plus d’avoir été réalisés par Cédric, la musique se veut assez discrète pour favoriser l’immersion. Elle ne devait pas avoir un rôle parasite qui nous sorte de la réalité. On n’a pas de musique dans la vie de tous les jours. Il fallait donc être le plus réaliste possible, sans pour autant ressembler à un documentaire. Là aussi, c’était un équilibre à trouver. Enfin, Kompromat contient beaucoup plus de romance et de fiction. Le film est énormément axé sur l’histoire d’amour entre les deux personnages, la traque et la fuite. Alors la musique joue un rôle narratif qui la met plus en avant. Son côté romantique lui permet de s’élancer, de se libérer. J’ai beaucoup aimé travailler dessus parce que la musique est moins pudique. On est plus dans l’émotion, un peu comme dans Les Couleurs de l’Incendie ou King. Le problème avec les films réalistes et immersifs, c’est que la musique ne va pas nécessairement pouvoir s’exprimer beaucoup. Elle sera plus simple, plus discrète, plus pudique. Mais parfois, c’est la direction à prendre pour soutenir le film.

Votre collaboration avec Cédric Jimenez est de plus en plus fructueuse…

C’est un très grand cinéaste. Je suis heureux de faire partie de son univers. Participer à un bon film est toujours extrêmement gratifiant. Quand il me parle de son prochain film, je suis toujours très excité. D’ailleurs, le tournage du suivant n’a pas encore commencé, il n’y a même pas de scénario mais j’ai déjà écrit quelques musiques. Il m’en a juste parlé et m’a envoyé quelques éléments. Cette passion qu’il a, cette émotion qu’il parvient à injecter dans l’écran me mettent en ébullition. Son univers est tellement fort qu’il m’inspire et me passionne au plus haut point.

LES TROIS MOUSQUETAIRES : LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS

Comment avez-vous été approché pour composer la BO du diptyque Les Trois Mousquetaires ?

Je crois que mon nom a circulé grâce notamment aux superviseurs musique et à l’un des monteurs images – il y a deux monteurs, un pour chaque film – Stan Collet avec qui je venais de travailler sur Kompromat. Et puis, à ce moment-là, Bac Nord rencontrait un franc succès. Je sais que Martin Bourboulon aime beaucoup ce que fait Cédric. Ils se respectent mutuellement. Ça fait plus d’un an que je travaille sur Les Trois Mousquetaires, j’ai été approché assez tôt, en Décembre 2021 je crois.

Vous êtes-vous approprié l’œuvre d’Alexandre Dumas pour y trouver de l’inspiration ?

Je n’ai pas relu Les Trois Mousquetaires parce que c’est une œuvre qui est très ancrée dans l’inconscient collectif et la culture française. Je me suis dit qu’il fallait m’en détacher le plus possible pour essayer de rentrer plus facilement dans l’univers de Martin. Mais parfois, on me propose des adaptations de livres pas forcément connus, que je lis pour mieux comprendre la démarche du réalisateur.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Martin Bourboulon ?

Ça s’est très bien passé ! On est vraiment très contents de notre collaboration et on a maintenant hâte que le film sorte.  Elle n’est pas terminée d’ailleurs, parce qu’on enregistre la BO du deuxième film dans deux mois environ. Avec la distance, ce n’était pas toujours évident. Martin était très pris par le tournage. Rendez-vous compte : il faut faire deux films en même temps, c’est une masse de travail énorme. Pendant le tournage, j’ai travaillé d’arrache-pied avec la monteuse, Célia Laffite, en amont. J’aime bien procéder ainsi pour essayer toutes sortes de choses avant l’arrivée du réalisateur. L’avantage de travailler sur deux continents, c’est qu’on tourne en 3x8h. Martin visionnait le montage en même temps qu’il écoutait mes nouvelles musiques. S’il avait besoin que j’améliore un élément en particulier, il en parlait à la monteuse le soir. Le lendemain matin, les modifications étaient faites, il pouvait utiliser les nouveaux morceaux. Ce qui est intéressant avec Martin, c’est son oreille musicale. Il a une précision d’écoute assez incroyable : si je monte d’un demi ton sur un morceau, il va l’entendre aussitôt. Son challenge était de transposer l’histoire des Trois Mousquetaires sans trop de modernité. Il fallait trouver le juste milieu pour ne pas tomber dans une adaptation mainstream, populaire, popcorn… Martin voulait un film de qualité, à la fois épique et élégant, sombre et lumineux. Le texte, la façon dont s’expriment les personnages est assez classique mais la manière de filmer, la réalisation, les décors, la narration, la lumière ou le montage sont plus modernes. Le travail des acteurs est remarquable : il se sont appropriés le texte d’origine avec un ton plus décontracté, sans la verve d’antan. Et bien sûr, la musique prend aussi cette direction en mélangeant des sonorités lyriques et dark.

Le budget alloué – de l’ordre des 70 millions d’euros- est assez exceptionnel en France. La part accordée au score vous a-t ’elle permis de réaliser toutes vos ambitions musicales ?

Oui, comme c’est rarement le cas malheureusement… Je n’ai fait face à aucune réticence ni résistance vis-à-vis de mes demandes – qui ne sont pas si exceptionnelles que ça d’ailleurs. On devrait pouvoir mettre ça en œuvre à chaque fois. Ici, je me suis plutôt senti « gâté » parce que j’ai pu réaliser des enregistrements à Londres et Los Angeles. Mais la qualité est tellement au rendez-vous que ça ne me paraît pas aberrant. Même si les musiciens français sont très bons, je milite beaucoup pour aller enregistrer là-bas. En France, on manque d’un endroit comme AIR Studios où le son et les équipements sont incroyables. En plus, j’ai eu la chance de travailler avec Dennis Sands, un mixeur qui a bercé ma jeunesse : Il est derrière tous les films d’Alan Silvestri : Retour Vers Le Futur, Forrest Gump, etc. C’était vraiment chouette. Je trouve le résultat final vraiment très satisfaisant. Maintenant, j’espère que le film va marcher et qu’il va plaire au public.

Adapter un classique de littérature en un film d’époque impose-t-il de respecter certains codes musicaux ?

On s’est posé la question mais je pense qu’une musique classique aurait été la touche de trop. Le rôle du score était d’amener de la modernité, de ne pas paraître daté. On a donc cette écriture un peu hybride où l’orchestre se mélange à du synthé. Quand on l’écoute, on ne l’associe pas nécessairement aux Trois Mousquetaires. Parce qu’il n’y a pas d’éléments baroques, pas de clavecin ou d’instruments d’époque, contrairement à ce que j’ai composé sur la série Marie-Antoinette. Notre intention ; en tout cas celle de Martin et la mienne, était de ne pas donner au film une couleur musicale vive. On voulait vraiment que le score accompagne les personnages, sans trop empiéter sur les images. Il devait nous amener au cœur de l’émotion pure. Alors, on a développé un côté dramatique et lyrique très poussé. La musique est – presque – entièrement romanesque : c’est l’expression de leurs émotions, de leurs sentiments.

Même si l’électronique reste assez discrète, ce genre d’écriture hybride appliquée à un film d’époque amène toujours certains mélomanes à s’interroger sur le caractère intemporel de la musique…

Ça ne me choque pas… Au contraire, je trouve intéressant de proposer quelque chose d’étonnant sur un film d’époque ; dans la mesure où ça ne dessert pas le film. Tout ça reste très subjectif bien évidemment… Sur Les Trois Mousquetaires, on ne voulait pas que l’écriture, les accords ou les instruments sonnent trop « vieillots » ou trop classiques. Au départ, on a essayé d’inclure plus d’éléments électroniques mais ça n’a pas fonctionné. Il était important de rajouter des synthés mais il fallait garder un équilibre, ne pas partir dans les extrêmes. Alors, plutôt que d’utiliser des Tic-Tac ou des Hi-hats, on a par exemple choisi le col legno comme élément rythmique majeur.

Le thème principal fédère les mousquetaires avec sa dimension très héroïque et guerrière qui sied parfaitement au caractère épique de la scène (« Bois St-Sulpice »). Comment l’avez-vous élaboré ?

C’est bizarre mais ce thème m’est venu très tôt. Je l’ai noté directement sur mon téléphone. Pour moi, il n’y avait plus de doutes : c’était le bon. Quand je l’ai fait écouter, il a plu à tout le monde. C’est un thème très simple, ou plutôt un gimmick, un motif. La version initiale que j’avais envoyée était plus entêtante, je n’arrivais pas à m’en débarrasser. Pourtant, ça m’arrive rarement d’écrire des thèmes que l’on retient très facilement car je n’aime pas ce qui tourne en boucle dans la tête. Je préfère plutôt écrire des thèmes alambiqués, des mélodies qui se baladent. Finalement, la version finale a été retravaillée : que ce soit sur « Bois St-Sulpice » ou « Générique D’Artagnan », le thème est incomplet. J’ai notamment abandonné l’idée d’une rythmique qui ressemblait un peu à « We Will Rock You » de The Queen. C’était un peu too much, un peu trop guerrier.

Avez-vous pensé à différencier musicalement chaque mousquetaire ?

Non car on risquait d’en faire trop. Le premier volet est centré sur D’Artagnan. Pas sur Aramis, Athos ou Porthos. Le thème principal représente à la fois les Trois Mousquetaires et D’Artagnan. C’est un peu les deux en même temps, peut-être même plus D’Artagnan. On voulait se concentrer sur ce seul thème. Sur le second volet, on est en train d’en développer de nouveaux car Milady est au centre de l’histoire ; d’où le titre.

On imaginait que la musique tiendrait une place prépondérante dans l’action en l’accompagnant de ses accents grandiloquents. Pourtant, vous faites le choix de la laisser en retrait lorsque D’Artagnan et les mousquetaires engagent le combat.

Il n’y a pas vraiment de musique d’action parce que le film n’en contient pas tant que ça. Beaucoup de ces séquences sont filmées avec réalisme, caméra à l’épaule, en plan séquence. Martin a livré de belles performances de réalisation. D’une part, c’est délicat d’illustrer musicalement ce genre de séquences. La problématique reste la même que sur Bac Nord : il faut laisser place à l’immersion. D’autre part, la musique avait pour rôle principal d’appuyer l’émotion. On ne voulait pas donner l’impression de ne rien avoir à raconter ou d’en mettre plein la vue. Non, l’idée était de se concentrer sur l’histoire, le drama et les personnages. Sa place dans l’action est donc moindre par rapport à au reste du film.

Le violoncelle tient un rôle central dans votre partition. Comment avez-vous exploité ses sonorités ?

J’aime trouver des univers sonores pour chaque film. Pas seulement grâce aux synthés mais aussi grâce aux instruments dont je détourne les sons. Sur Bac Nord, j’avais expérimenté ça avec des guitares mexicaines énormes qui sortent de l’ordinaire. Sur Novembre, j’ai essayé de construire toutes sortes de sons avec les synthés. Je me suis notamment équipé en synthétiseurs modulaires. Et sur Les Trois Mousquetaires, je me suis amusé à travailler et expérimenter le violoncelle sous toutes ses formes. Il y a beaucoup de sons produits à partir de violoncelles, comme ces percussions graves que l’on entend et qui sont, en réalité, des violoncelles sur lesquels on tape. Un super violoncelliste est venu pour enregistrer toutes sortes de sons bizarres au cours d’une séance spéciale. On a fait plein d’expériences très sympathiques. La disposition de l’orchestre est aussi très intéressante : les violoncelles et contrebasses ont été placées au milieu pour avoir un rendu très dark. Il y avait d’ailleurs dix violoncelles durant la recording-session. Cette approche sonore donne une texture orchestrale bien plus moderne. Pour contraster, on aurait pu pousser le vice en plaçant les violons 1 à gauche et 2 à droite, mais on a préféré choisir un mixeur avec une approche très classique. Ça a permis de créer un équilibre très subtil entre ces différents mélanges de timbres et un mixage plus classique.

Le love theme « Constance & D’Artagnan » vient justement contrebalancer cette atmosphère très dark avec ses envolées romantiques qui embrassent la dimension romanesque de la musique.

Je suis rarement satisfait de ce que je fais mais je dois avouer que ce thème-là me plaît beaucoup. C’est le morceau que je préfère, plus que n’importe quel autre de la BO, car il prend le temps de se développer. Si le caractère épique de la musique est plus timide, l’aspect romantique de l’histoire d’amour m’a permis de prendre plus de libertés. J’ai essayé de mélanger une écriture à la fois moderne et classique en laissant les vraies cordes, celles des musiciens enregistrés à AIR Studios dans les meilleures conditions possibles, se mêler aux fausses, celles des synthés ou des basses synthés, pour lui donner une rythmique particulière. J’aime ce genre d’approche subtile qui confère une saveur intéressante à un morceau comme celui-ci.

Depuis plusieurs années, le cinéma français favorise davantage la production de comédies auxquelles vous avez-vous-même participé (Les Seigneurs, Le Crocodile du Botswanga, Fastlife, Barbaque). Aimeriez-vous poursuivre l’exploration de cet univers de cape et d’épée au cinéma ? Comme par exemple dans la future relecture du Comte de Monte-Cristo avec Pierre Niney ?

J’attends de connaître les attentes des réalisateurs qui s’en chargeront. Vont-ils vouloir faire un film avec un souffle épique ou, au contraire un film minimaliste. Chaque réalisateur est très différent. Pour le moment, je n’ai pas encore réfléchi à la question car je suis beaucoup occupé. Mais je suis ravi que des films de genre voient le jour. Tout ça, c’est grâce à la volonté de Dimitri Rassam ou de Pathé qui veulent proposer plus de diversité. On s’est mis la pression et on s’est pris au sérieux pour que Les Trois Mousquetaires rencontre son public. Alors, j’ai envie qu’il fonctionne. Non pas que je n’aime pas les comédies mais simplement pour que d’autres films comme celui-ci sortent en France. De toute façon, je fais moins de comédies qu’avant parce qu’il m’arrive de me sentir plus limité musicalement en fonction des projets ou des réalisateurs.

Qu’est-ce qui vous occupe autant ?

Je travaille actuellement sur Expendables 4. Puis, je vais retrouver Ashley Avis, après Black Beauty, pour un autre film Disney dont le montage est lancé. J’ai aussi commencé à travailler sur une série Netflix avec le réalisateur Cédric Nicolas-Troyan. D’ailleurs, le superbe score de James Newton Howard pour l’un de ses films, Le Chasseur et la Reine des Glaces, m’a servi de référence sur Les Trois Mousquetaires. Sans oublier que Marie-Antoinette va avoir droit à une saison 2… Il y a donc pas mal de gros dossiers qui se profilent et d’autres qui sont déjà prévus pour 2024 comme le prochain film de Cédric Jimenez et celui de Martin Bourboulon…

*Propos recueillis par Zoom le 14 Février 2023

(Crédits photos: Guillaume Roussel)

Je remercie chaleureusement Guillaume Roussel pour son extrême gentillesse, ainsi que Séverine Abhervé

David-Emmanuel – Le B.O.vore