Nous avons planté le campement sur les hauteurs d’Angoulême. Tout en haut des remparts, avec vue imprenable sur la Charente qui coule paisiblement. Et surtout un formidable balcon sur la Grande Scène des Musiques Métisses et ses notes magiques qui montent jusqu’ici. Ce festival est tellement ancré dans cette ville qu’il en rejaillit sur les murs, à l’instar des héros de BD qui colonisent la cité. Angoulême est magique !
Jeudi 19h00. L’air se sature d’un parfum de reggae oriental. Vu d’en haut, ce n’est pas la foule, mais 47Soul insuffle l’esprit de la Palestine par delà la rivière. Le festival Musiques Métisses est parti pour trois jours, dans notre nid d’aigle, nous serons aux premières loges ! On se dépêche de plonger dans cette descente vertigineuse et de découvrir ce nouveau lieu, que le festival occupe depuis quatre ans. L’écrin est splendide, entre les chais de Magelis qui accueillent le musée de la BD, et la Charente qui borde le site. On passe de la Grande Scène à celle du Jardin en longeant la belle architecture des chais. Très classe. Sur l’esplanade, des food trucks et des tables. Rien ne manque. Fini le temps dans la gadoue sur l’île de Bourgines.
Nous arrivons pour la fin du set de 47Soul. Ils sont palestiniens, le drapeau en atteste. Le beat est plus électro que reggae, mais les sonorités sont bien orientales. Les synthés donnent ce groove puissant et des gimmicks gracieux, tandis que la guitare rappelle le désert âpre cher à Tinariwen. Le trio est une belle découverte et 47Soul lance formidablement ces trois jours de fêtes musicales.
Pendant que la foule reflue vers les stands de bouffe, il se passe des choses intrigantes à la Caravane. Le lieu dédié aux DJs. Un personnage androgyne est à la platine et je ne sais si l’on remarque d’abord ses cheveux bleus ou sa musique. Un électro beat tribal savamment maitrisé. C’est DJ Koyla qui tient les manettes pour un set mêlant l’afrobeat à la techno, et que le public adoube par la danse !
The Gladiators, c’était ce son à la fois cool et joyeux. La finesse de la guitare se mélangeant à merveille aux chœurs haut-perchés. Le père Griffiths n’avait plus qu’à poser sa voix et vous de recracher la fumée… Depuis le père a légué le poste à son fils. Al reprend le répertoire d’Albert et l’histoire continue. Des jeunes et des vieux dans la même vibration. La basse à cinq cordes fait des ravages dans les entrailles et pas un « skank » ne manque… Et surtout ils jouent Looks is Deceiving que j’adore… Un grand coup de nostalgie pour mes premiers concerts du genre dans les 80’s… les U Roy, Culture, Burning Spear, Toots, Bob, et bien d’autres. Pour nous le reggae c’était un peu le prolongement du « Peace and Love », une autre manière d’être « cool »…
Al dit bonsoir. C’est déjà fini ? Nous suivons bêtement un groupe qui se dirige vers la sortie… C’est en attaquant la montée, que je me rend compte que nous sommes partis trop tôt. Le show des Congos démarre… Et c’est là que la magie opère. La côte est raide, le souffle est court, mais la grosse basse et le quatuor de voix envahissent l’espace et le beat plombé de ce reggae antédiluvien nous propulse lentement mais sûrement vers le sommet. Nous finissons cet étrange concert, assis sur le parapet de pierre qui borde le rempart. A la fois penauds et ravis de ces instants inattendus.
Vendredi fût la journée la plus étrange… Au petit déjeuner déjà (pas à 8h00 hein ?) la balance pour la caisse claire et la grosse caisse de la batterie commence. Toum ! Toum ! Toum ! Quelques sons de guitares et l’ambiance est mise, la fête se prépare.
Petit tour en ville à la recherche des héros de notre enfance, dans un grand jeu de piste… Mais la plus belle des BD n’est-elle pas cette façade de cathédrale ? On pourrait venir que pour elle… Pendant le repas, c’est le chant incantatoire de Moonlight Benjamin qui monte jusqu’ici. Toutes les fenêtres sont ouvertes ! Puis c’est Flavia Coelho qui s’y colle, elle a l’air en forme, cela promet pour ce soir… La sieste est bercée par le groove intersidéral d’Orange Blossom. La BO de cet appart est hallucinante ! Le problème c’est que ça rend fainéant. Nous laissons passer Kaya Byinshii tout en grignotant et en s’habillant. De loin, le son de la rwandaise ressemblerait au folk song d’une Tracy Chapman africaine. Sympa. On écoute le Maloya un peu roots d’Oriane Lacaille dans la descente et nous arrivons à point sur la Grande Scène pour voir débouler Flavia Coelho en blouson Keith Haring et lunettes noires. Le sourire aux oreilles et une patate inoxydable !
Elle étrenne là son cinquième album dans un show bouillant d’énergie et de bonne humeur. Flavia, je l’avais connue par un concert au Rocher de Palmer en conclusion d’une résidence d’artiste, pour son premier ou deuxième album. J’avais déjà été subjugué par son aisance et son magnétisme. Puis, plus tard au Reggae Sun Ska, pas du tout impressionnée par les stars jamaïcaines. Et la voilà ce soir, souveraine, devant un public de tout âges, qui connait les chansons et ne se prive pas de reprendre les refrains. La grâce est communicative !
En repartant vers la scène intime du Jardin, nous tombons sur JF mon vieil ami du Lycée Polyvalent. Section CAIC. On en a fait des choses ensemble… Il a même épousé ma sœur ! Avec Florence, ils sont bénévoles des Musiques Métisses depuis 28 ans. Tout d’abord comme hébergeants d’artistes en résidence, et depuis 15 ans, JF est chauffeur du festival. Il multiplie les allers-retours entre Angoulême et l’aéroport de Bordeaux. Il est vanné, mais il adore ça. Il nous décrit les rouages de la bête, toutes les « petites mains » qui font que cela est possible et que tout soit bien organisé. La relation avec les artistes, les anecdotes… Motus…
JF nous accompagne pour le show de Moonlight Benjamin…
Elle est venue présenter son petit dernier Wayo. On aime ou on aime pas. Mes compagnons n’ont pas aimé, j’ai adoré. Tous les goûts sont dans la nature… Son album m’avait interpellé. Tant d’énergie pour un si petit bout de femme, ça demande vérification. Je confirme, c’est scotchant. Une fusion de Tina Turner et Janis Joplin réincarnée en grande prêtresse et accompagnée pour servir la messe par quatre lascars échappés d’un pur groupe de hard. Le combo tout de noir vêtu emballe un rock-vaudou aussi ravageur qu’hypnotique. Moonlight Benjamin a un charisme au-dessus de la moyenne. Son regard vous transperce, sa voix vous transperce, et son chant vous transporte d’incantations en rage. Une rage, qui va si bien avec ce rock qui déménage !
Après cette séance de vaudou électrique, direction la Grande Scène où tout est en place pour une cérémonie dont seul Orange Blossom a le secret.
Un truc qui vous charme et vous rentre dedans en même temps. Une voix dans la lignée des grandes chanteuses égyptiennes, qui sublime chaque note, chaque mot. Une basse ? Pas besoin quand le pied de la grosse caisse vous rentre comme ça dans le bide ! Surtout si l’on rajoute un percussionniste maousse costaud pour faire bonne mesure. Niveau beat nous sommes parés ! Reste plus que les deux coloristes, un guitariste précis-puissant relativement calme et ce génie de violoniste, Jiminy Cricket sous amphètes qui rameute une foule subjuguée, qui ne demande qu’à s’enflammer…
Samedi, j’ai juste un truc marqué en rouge: Shantel à 22h00 ! Le reste c’est du bonus. Il y a bien Elysian Fields à 17h00, mais leur rock éthéré ira plutôt bien avec la sieste… Et je pense que j’ai dû dormir, car les souvenirs ne me reviennent que sur la descente vers le site, en compagnie de la Cumbia délirante de Puerto Candelaria. J’y entends des reliefs de Madness et du Rock Lobster des B-52’s passés à la moulinette latino par de furieux colombiens. Nous tombons direct sur la scène Jardin bondée, pour un duo tout en délicatesse. Une voix et une guitare tout de blanc vêtu, rejointes parfois par une batterie et un trombone. C’est beau, ça permet de reprendre son souffle et ça s’appelle Okali.
21h45, sur la Grande Scène, Shantel est déjà là, crâne rasé sous son chapeau de cowboy à chauffer le rare public, il est impatient d’en découdre ! Shantel c’est d’abord un Dj dont les compilations ont fait connaitre à beaucoup, dont moi, pas mal de pépites des Balkans. Il vaut mieux se renseigner quand il est à l’affiche d’un festival, s’il vient seul avec ses disques comme à la Tziganie l’an dernier ou avec dix musiciens grand standing avec section de cuivres et choristes intégrés à Floirac il y a quelques années. Ici le Bucovina Club Orkestar est un combo de quatre. Deux guitares bien trempées. Un batteur tout droit sorti d’un film de Kusturica et un tromboniste. Exit la basse ! C’est quoi le problème avec les bassistes ? Bien sûr le père Shantel a des cartes dans sa manche. Des cartes électroniques qui balancent des boucles de sons imparables. Et l’on fait le tour des Balkans et plus loin même. Pas une minute de répit. Nous passons d’un bouge de Budapest à un bar à chicha d’Istanbul. Le Maestro est juste chagriné que le public ne connaisse pas son Disko Partizani… C’est vrai que c’est dommage…
Il donne gentiment un cours de chant à l’assistance, pour que ce morceau prenne tout son éclat. Disko ! Disko ! Partizani !
Puis Disko Boy et danser comme une star jusqu’à la Planet Paprika…
Nous n’avons plus qu’à nous écrouler devant Ladaniva. On y voit rien, mais l’herbe est fraiche et la musique arménienne est tout à fait compatible avec le fait de ne penser à rien et de se laisser bercer par cette belle voix de femme… Dernier retour vers la Grande Scène pour le final avec Opsa Dehëli et sa cohorte de supporters. Faut dire qu’ils sont flashants dans leurs chemises à fleurs. Une section de cuivres bondissante, avec trompette tordue et saxes en tous genres. En arrière plan, un classique, guitare, basse , batterie. Tiens un bassiste ! Et pour faire encore plus joli, des percus, un steel drum et un accordéon. J’oubliais, un chanteur muy latino ! Pour dépoter, ça dépote ! Une banda électrique, on n’arrête pas le progrès ! De la Cumbia, de la Salsa, ça gicle de partout, le public est en feu et c’est la moindre des choses… A mi-concert, d’un commun accord et tout à fait consciemment, nous remontons cette colline qui nous tord les poumons et nous prive de jambes. Et de rejoindre le parapet qui nous sert de balcon sur les Musiques Métisses.
Sentir dès le matin battre le cœur d’un évènement culturel majeur, suivre sa respiration tout au long de la journée et faire la fête le soir avec ses invités ! Je suis passé par beaucoup de festivals en France et un peu partout en Europe, mais je n’avais jamais eu cette sensation d’en être complètement enveloppé, imbibé pendant trois jours. Et dire que les voisins se plaignent…
Vraiment Angoulême est magique !
Un grand merci à l’organisation du festival et en particulier à Pauline, Nicolas et tous les bénévoles.
Pour Florence et Jean-François
Le Rascal