Et voici mes derniers coups de coeur dans ce juke box à la « gueule d’atmosphères » où chacun trouvera son bonheur, dans des registres différents. Le Rascal vous salue bien et vous dit à très bientôt !
Voilà un groupe singulier. Auto-catalogué dans le folk-trad. Ils nous emportent bien au-delà des Pyrénées et de leur Occitanie natale. Un groupe où tout le monde écrit, compose. Où toutes les énergies convergent pour installer une fête intemporelle… Que ce soit pour mettre en lumière un poète occitan, redonner des couleurs aux textes du répertoire ancien, béarnais, italien ou autre. LAÜSA apporte sa touche magique, presque chamanique et nous embarque vers des destinations aux intonations diverses. Folk-trad vous avez dit ? Bien sûr, les gens dansent sur leur musique. Mais pas n’importe comment… En plus d’un travail d’archéologues des poèmes perdus, d’historiens, de musiciens et de créateurs. LAÜSA est aussi un merveilleux vecteur pédagogique. Le groupe prépare ainsi son public à la grand-messe du soir, par des stages de pratiques instrumentales et de danses. Transformant ainsi son auditoire en véritable acteur de leurs performances scéniques. En vieux rockeur matois, j’ai pu assister à une de ces « soirées » à la SORT13 de Pessac. D’abord un peu désarçonné par ces danses d’un autre âge. Puis rapidement charmé par un groupe plein de douceur dans l’énergie. Échangeant entre eux des regards complices et bienveillants. LAÜSA respire la sérénité et le don de soi. Ce qui marque en premier c’est la voix singulière de Juliette Minvielle, dans cette langue étrange, chantante et gutturale. De celles, déterminées des femmes en lutte pour le respect et la liberté. Ce n’est ni beau, ni laid. C’est LÀ ! En grande prêtresse raconteuse du mythe. C’est la combattante kurde, l’ouvrière italienne. C’est la maman qui berce son petit. Celle qui nous raconte des histoires à dormir debout. Mais la prêtresse ne se contente pas de psalmodier la prière des autres. Elle chante aussi les siennes, dans une poésie pleine de cohérence, avec ses racines et ses aspirations. Juliette est une grande chanteuse et oui c’est BEAU ! Puis les nuances d’accordéons de Lolita Delmonteil Ayral nous dessinent des rues de Lisboa, Buenos-Aires ou une plage de Bahia, quand la guitare de Julien Esteves nous attire le plus souvent, vers le désert de Tombouctou… Enfin le violon et la mandoline de Camille Raibaud se la jouent sublimement baroque, oriental ou celtique selon les circonstances. Et la combinaison de ces quatre magnifiques jeunes gens, nous offrent ENTALH, une merveille de disque. Le deuxième depuis la création du groupe en 2015, qui s’est laissé le temps de la maturation, pour produire une musique d’une rare ferveur où rien n’est anodin. Les trames classiques se mélangent à celles ethniques et nous laissent parfois sur les rivages étranges de jazz ou de rock progressif. Comme sur le transcendant «Qu’ei a». Un des sommets de cet album. LAÜSA s’est adjoint quelques invités, afin d’enrichir le propos. Dont un batteur qui booste l’ensemble et pallie au manque des roulements de pas des danseurs. Et des apports de synthés et de saxophones, par endroits, pour une touche de modernité. Des polyphonies, des instrumentaux, de la vielle à roue, des récitatifs, le panorama est complet ! Les quatre ont la classe internationale, à voir le parcours de leurs tournées, nul ne peut en douter. Ils baladent à travers le monde ce répertoire à la fois respecté, sublimé, mais aussi bousculé, boosté par la fougue et le talent ! Pour peu que vous vouliez sortir des sentiers battus et rebattus. Ouvrez votre cœur, vos oreilles et entrez dans la danse ! LAÜSA en sera votre guide de voyage…
Entalh / Laüsa / Tradethik Productions / Mai 2020 / 15€
A l’heure où deux grands maîtres de la musique africaine rejoignent le cimetière des éléphants il est réconfortant de savoir que la relève est assurée et ce depuis quelque temps. Moh ! Kouyaté, à l’origine du projet Guinéa Music All Stars, est loin d’être un inconnu. Issu d’une famille de griots, il est une star à Conakry. Sa voix, à l’égal des plus grands, nous enchante l’esprit, quand son jeu de guitare tétanise les foules… Il s’installe à Paris en 2007, à qui il fera trois bébés : Cilo, Loundo (Un Jour) d’où sera extrait le tube « T’en vas pas » et Fé Toki dont l’afro-beat teinté de blues déchaînera la critique. Avec Guinéa Music All Stars, Moh ! Kouyaté a voulu mettre à l’honneur les talents de son pays. A commencer par Sekouba Bambino, l’ex chanteur à la voix d’or du mythique AFRICANDO. Auquel s’ajoute Petit Koundia de la nouvelle génération et le rappeur Phaduba pour un flow tendu sur les dangers de l’immigration clandestine (CLANDESTINE). Cet EP, n’est j’espère que la partie immergée d’un iceberg, sous laquelle se cache un album… Avec cet ouvrage, Moh ! ouvre la boîte à souvenirs… Celle d’une époque où Youssou N’Dour, Salif Keita, Mory Kanté, n’étaient pas des super stars. Ils se produisaient avec l’Etoile de Dakar, les Ambassadeurs ou le Rail Band de Bamako… Ça se passait parfois à la Salle des Fêtes d’Arlac, futur KRAKATOA, organisé par les assos des différentes communautés… Toute une culture nous sautait à la gueule, nous pauvres zozos sédentaires, mal sapés, mal coiffés, maladroits. Mais nous nous régalions les yeux des élégantes en robe de soirée ou en boubous multicolores, des hommes impeccablement « encostumés » et de leurs danses élastiques, tout en frime et virtuosité… La musique aussi, évidement, nous faisait voyager vers des horizons nouveaux. Les percussions, les voix haut-perchées et les guitares insolentes qui ne cessaient d’agiter nos jambes. Il faut remercier Moh ! de ranimer cette flamme et d’y ajouter la touche urbaine du monde contemporain. Grâce à lui, je suis d’hier et d’aujourd’hui. Quatre titres, quatre pierres précieuses… Chacune avec sa couleur. Superbement taillée et polie… Le band se présente en formation classique : guitare, basse, clavier, batterie, enrichie de kora, ngomi et balafon. On ouvre avec SEWA (La joie) pour un afro-beat en mandingue ponctué de français. Trois traits de kora, l’instrument magique, une guitare rythmique imperturbablement efficace, la formule intemporelle fonctionne toujours. Les voix s’en mêlent et nous embarquent… KOUN FEKO reste dans la pure tradition mandingue. Une tendre balade tissée par la kora, quand le piment de l’impertinente ngomi vient nous titiller les papilles et provoquer la guitare… Un régal… CLANDESTINE pour un rap qui n’en est pas un. Si ce n’est le flow gracieux de Phaduba. On finit en beauté avec ANOUDJELI. On sort l’argenterie et on fait tout briller ! La guitare tricote un écrin soyeux à une cadence infernale. Comment allier autant de rapidité avec tant de sensualité ? Toutes les voix se retrouvent à nouveau réunies et nous laisse comme le goût amer d’une fin arrivée bien trop tôt ! Je remercie encore Moh ! Kouyaté et le Guinéa Music All Stars de m’avoir cueilli en douceur pour m’emmener si loin, dans l’espace et dans le temps…
Sêwa / Guinéa Music All Stars / Foli Son Productions / Mai 2020 / lien d’écoute ici !
Le disque d’un breton ? Sortez le biniou et la bombarde ! Tout faux ! Celui-ci se rêvait californien… James Eleganz ! Quand on choisit un pseudo pareil, on se doit d’assurer… Et dans son genre, James, il assure ! Une gueule à faire défaillir la gente féminine, sur une prestance qui dézingue la concurrence… Le garçon est béni des dieux. Côté musique la classe reste intacte. A l’image de « Lasso the Moon » magnifique porte d’entrée de la galette… Les guitares s’enlacent et s’entrelacent, souvent dans un rock soyeux et distingué… La voix chaude au phrasé impeccable nous secoue plus d’une fois l’épiderme. Elle n’est pas sans rappeler les accents enveloppants d’un Lloyd Cole… La slide guitare ouvre parfois le chemin comme sur le titre éponyme « The Only One ». Une musique faussement tranquille, avec des morceaux de bravoure comme « Forgive me, Forget me ». Après un démarrage cool-acide à la Paris Texas de Ry Cooder, le chant profond nous attire vers des envolées lyriques dignes des Bad Seeds. Avant un final piano-chœurs exaltant… Un pseudo boogie désarticulé pour l’étrange « Consolation », suivi d’une splendide balade qu’aurait pu signer Leonard Cohen, afin de convaincre sa belle qu’il sera un « Better Man ». Si ça ne marche pas là, ça ne marchera jamais…« Every Time I’m with you » dans lequel le son s’épaissit et le piano taquine une guitare de plus en plus agressive. On finit de se laisser bercer par la musique subtile de « The Last Walk », qui incite plus à la sieste crapuleuse qu’à la balade romantique. L’album se clôture avec emphase sur une chanson de mariage déjanté d’où la voix des anges jaillit d’un solo furieux de guitare distordue… Ça s’écoute d’une traite en sirotant un bourbon ou en soufflant les volutes parfumées d’un gros spliff… California ! We’re coming ! L’album a été enregistré à Joshua Tree. Produit par Toby Dammit, ex batteur d’Iggy Pop, une des idoles de James, dont il reprend « The Horse Song » à la manière d’un joaillier avec une pierre brute…James cite également Nick Cave. Le Monsieur a décidément bon goût… L’univers de James Eleganz, avec toutes les influences sous-jacentes, reste remarquablement original. On se balade dans ses histoires d’errance et de cœur, comme dans un lieu unique où nous serions les invités privilégiés… Vous l’aurez deviné : The Only One est la friandise du moment. Alors keep cool…Je m’en ressers une rasade ! James Eleganz a réalisé autour de cet album, une trilogie de clips qui nous embarque dans une dérive amoureuse, entre Bretagne et Californie… Ses deux « West Coast »…
The only One / James Eleganz / ZRP / Avril 2019 / 15€
J’ai suffisamment joué dans des rock bands, pour savoir que le choix du nom est un moment décisif dans la vie d’un groupe. Cela vous détermine, ça concrétise la chose… Mon premier c’était Perhaps, parce qu’on ne sait jamais… Puis la mode à Bordeaux était les noms en ST. Il y avait les Standards, Stalag, S.T.O, Strychnine… Pour nous démarquer et comme je roulais en Solex, on a fait Solexyne (le rock fumant !). Je vous laisse imaginer… M’enfin ça faisait sens ! Alors nous en venons à CLAVICULE… Franchement le jour du brainstorming pour trouver CLAVICULE, j’aurais adoré être là ! Ça devait valoir son pesant de cacahuètes, dans la rue de la soif ! La seule explication plausible, pour moi, ce serait un groupe d’étudiants en médecine, spécialisés en orthopédie, en plein craquage… Mais quand on voit leurs tronches de suspects sur le dos de la pochette je ne me vois pas au bloc avec eux… Pour rester dans le corps médical, ils se sont peut-être pétés la clavicule tous les quatre…Alors il manque un S à CLAVICULE ! A moins que, et ce sera ma dernière hypothèse, dans un accès de rage, ce gang de teigneux intègres n’ait voulu dénoncer la daube électro par un : « le clavier on l’enc… ! ». Même après NTM, pas fastoche pour trouver une maison de disques avec ça. Pour être épaulé en quelque sorte… Va pour un raccourci en CLAVICULE et l’honneur est sauf ! Il me tarde de les avoir en interview pour soulever la question. N’empêche, la genèse des noms de groupe a quelque chose de fascinant… Bon ces petits gars de Rennes font surtout de la musique et ça secoue plutôt pas mal. Ils ont beau annoncer que le « GARAGE IS DEAD » sur une somptueuse pochette, leur propos nous prouve tout le contraire. Du speed, de la fraîcheur, du speed, de la spontanéité, du speed encore… Kamil, Marius, Ian et Alexis font le job, comme si leurs vies en dépendaient. Un punk rock tout à l’éclate. Et c’est jouissif… Ça attaque fort avec « Asshole », enchaîné avec le très speed « Spécial Trip », sur le mode je démarre à fond et j’accélère ! S’ensuit « Today » qui pourrait se chanter comme un hymne punk. On souffle un peu sur l’intro de « My Time ». Mais ces gars sont des vicelards et ne vous lâcheront pas ! Leurs concerts doivent être incandescents ! Perso mon morceau préféré c’est « Cab » et son mur de guitares triomphantes se transformant en gigue Tarantinesque ! La course infernale reprend de plus belle avec « The Race » la bien nommée… On reste dans l’urgence sur « Wake Up », avant que « Vertigo », sous des dehors inquiétants, nous permette de relâcher un peu la pression… On croit avec « The Monkey » le neuvième track, qu’on va pouvoir se la couler douce. C’est sans compter sur son final d’épileptique… « Jericho » clôture sur un groove reptilien, tout en maîtrise, comme pour nous dire qu’il n’y a pas de mur qu’on ne puisse abattre. CLAVICULE un nom facile à retenir pour un groupe qui ne la joue pas « petit bras » !
Garage is dead / Clavicule / Beast Records / Juin 2020 / 16€
J’ai d’abord cru naïvement en écoutant ACQUIN, avoir affaire à un héritier illégitime de Serge Gainsbourg et son parlé/chanté, tendance Gainsbarre… Avec quelques teintes eighties des Daho et Bashung… Mais il fallait fouiller plus profond dans les méandres du rock français pour découvrir un album-hommage au ténébreux Daniel DARC. Comme un dessin caché dans un autre. Quand on l’a vu, on ne voit plus que ça… Et si l’ensemble donne irrémédiablement envie de réécouter l’original, l’objet en lui-même est déjà très original. Ça suit ? ACQUIN avec son look de Buddy Holly post-moderne et sa musique pour les « jeunes gens modernes » chers à ACTUEL dans les années 80, est un OVNI dans le ciel de la création musicale contemporaine… Rythmes bizarres, paroles décalées extraites de textes concis, mystiques, lubriques, énigmatiques… Le tout s’imbrique admirablement dans la mécanique… Laissez-le venir vous susurrer ses histoires dans le creux de l’oreille. Elles risquent de vous accompagner pendant longtemps… Je ne comprends pas toujours tout, mais je m’accroche… C’est plutôt bon signe… On entre pourtant là-dedans presque à reculons tant l’intro et le début du « Berceau » est austère, puis on se laisse bercer par la voix apaisante et les nappes de synthés éclairantes… «Bareback » nous embarque vers des dancefloors d’un autre âge, mais avec une touche de je ne sais quoi, qui fait que ça reste actuel ! « …Vous étiez beau !… », « Groupe » : alors là, je donne ma langue au chat… J’adore, l’atmosphère de bloc opératoire du docteur Mabuse et le texte sur lequel Hubert-Félix T. aurait pu se pencher, mais je suis infoutu de pouvoir vous dire de quoi ça parle et c’est très bien comme ça… « Restez groupé… Que rien ne cesse !» ,« Gender bender » pour retrouver les dancefloors avec Dieu, finir en after avec lui et qu’il vous parle comme à un fils ! Troublant mais bandant ! C’est « Mieux » quand ça démarre comme du Erik Satie en forme de Gymnopédies… Pour une poésie alanguie… Piano libéré par une guitare cristalline pour une mini balade qui nous emmène plus loin vers le « Bar » du marché ou autre… Et quelques brèves de comptoir avec Bernard et les autres poivrots du coin sur un rythme de plus en plus alerte…Une pop minimaliste, très efficace. Vient « Parallèle » et son texte aussi envoûtant que sa mélodie, pourtant toute simple… Une rengaine adultérine « …Couple parallèle nu… » Je suis fan ! « Homme » comme ça posé, tout con, tout seul, nous immerge dans une mer ambiguïté… « …Nous n’irons pas pleurer Sodome… », une orchestration hors pair, narguée par une clarinette pas nette ! Encore une de mes préférées… ACQUIN a de l’or dans les mains et un savoir-faire certain ! On finit par « X-in ». Pas mal non plus la Christine ! En plus j’en connais plein, ça va leur faire plaisir… Avec son « c’est EXTRA ! » ça tutoie le Léo !!! Je vous laisse en plan comme Christine… En conclusion, je répète. Laissez ACQUIN venir vous susurrer ses histoires dans le creux de l’oreille… Laisser entrez dans le cortex son labyrinthe linguistique aux sons de sa pop crépusculaire…
Bareback / Acquin / Eklektik / Février 2020 / 18,70€
Pascal David (Le Rascal)