Et voilà une toute nouvelle brassée de bonnes BD, émouvantes, troublantes, drôles, édifiantes ou déjantées à souhait, à savourer sous le soleil estival ! Bonnes lectures à toutes et à tous !
Chacun à leur manière, les rescapés de Charlie Hebdo ont témoigné de leur souffrance post-traumatique à travers écrits ou dessins : Luz (« Indélébiles« , chroniqué ici !), Philippe Lançon (« Le lambeau« ), ou encore Chloé Verlhac, la femme de Tignous (« Si tu meurs, je te tue« , chroniqué là !)… Coco exorcise à son tour ses démons et le poids de sa culpabilité au fil de ce bouleversant roman graphique qui nous submerge d’émotions… Ce sinistre 7 Janvier 2015, sous la menace des armes des terroristes, c’est elle, tétanisée par une peur plus que justifiée (ces tarés de fanatiques n’auraient pas hésité une seconde à l’abattre comme un chien), qui a tapé le code de la porte blindée de la rédaction de Charlie… Et elle qui, la première a vu ses amis massacrés… Depuis, les « si » tournent dans sa tête… Et si elle avait réussi à s’échapper et à appeler à l’aide… Et si elle avait tentée de se défendre… Et cette terrible « Solitude d’être vivant », éprouvée par tous ceux qui ont échappé de justesse au massacre, n’en finit pas de la submerger… Évoquer cette détresse en mots est si difficile… Alors, Coco dessine et se met en scène au coeur de son tsunami émotionnel, plongeant dans les abimes sans fond de la dépression pour remonter en apnée vers les vivants… Elle dessine encore et encore une immense vague bleue pour laver le rouge sang de l’horreur absolue à jamais imprimée dans sa rétine comme un tatouage indélébile, cette lame de fond qui a tout emporté, sa joie de vivre, son insouciance et ses amis les plus chers… elle se souvient des fous rires, des coups de gueule et de la complicité qui les unissait, et les fait revivre sous son trait l’espace de quelques instants précieux… Coco nous invite sur le long chemin de sa reconstruction, avec autant de pudeur que de sincérité, avec cet ouvrage qui nous offre, entre présent et passé, le témoignage de son indicible souffrance adoucie de souvenirs heureux où plane encore et toujours un vent de liberté. Aussi beau que poignant…
Dessiner encore par Coco, Les Arènes, 2021 / 28€
Philippe, Christine, Mireille et Nicole tiennent les rênes de l’association « En toute conscience » qui milite pour le droit pour tous de choisir le moment de sa mort… En toute conscience et dans la dignité. La loi française n’ayant toujours pas légalisé l’euthanasie volontaire, contrairement à ses voisins suisses ou belges, l’équipe de l’association se procure en toute illégalité l’anesthésiant létal pour permettre à ses membres, âgés ou malades, de franchir le pas lorsqu’ils sentent que le moment est venu, en les accompagnant dans leur démarche avec une grande bienveillance. Quand Vincent, un jeune homme de 25 ans en pleine santé, vient solliciter leur aide après un gros chagrin d’amour, il leur est bien sûr impossible de l’aider à mourir… Mais David est têtu et bien décidé à en finir, avec ou sans eux. Une situation délicate que Philippe va mener finement, en demandant au jeune homme d’accompagner pour son dernier voyage Éléonore, une jeune femme condamnée qui n’en peut plus de souffrir… Cette confrontation, qui aura sur David l’effet d’un électrochoc, lui permettra de relativiser son propre mal être, indécent face à celui de la mourante… Le sujet délicat de l’euthanasie volontaire est abordé ici avec autant d’intelligence que de délicatesse par Olivier Peyon qui a subtilement contourné les écueils du pathos, et par Livio Bernardo qui, par l’expression de son dessin, nous rend profondément proches les protagonistes si attachants de ce récit. Tous deux réussissent même à glisser quelques touches d’humour… Ce qui est un véritable exploit pour traiter pareil thème ! Les profondes convictions, mais aussi les doutes et les peurs, humaines, forcément humaines, de ces hommes et de ces femmes face à la mission qu’ils se sont assignés pour les autres, mais aussi pour eux-mêmes, sont évoqués sans fard, sur le vif… Il en de même pour les candidats à « l’interruption volontaire de vie » qui dévoilent les motivations qui les animent, en suscitant une profonde réflexion au lecteur sur sa propre conception de la vie… Vivre en état végétatif ou dans d’atroces souffrances, ou préférer partir de son plein gré, chez soi et entouré des siens ? Quelles sont les limites que nous nous fixons pour vouloir continuer à vivre ? Inspirée des actions bien réelles de l’association « Ultime liberté » (le personnage de Philippe est inspiré du père de Livio Bernardo, membre actif de cette association), cette BD aborde avec tact ce sujet qui nous concernera tous, un jour où l’autre… Brillant !
En toute conscience par Livio Bernardo et Olivier Peyon, Delcourt, 2021 / 25,50€
Billie, étudiante en médecine à Bruxelles, reçoit un appel de sa mère en plein désarroi : Soledad, qui vit en famille d’accueil chez eux depuis des années, a décidé de repartir vivre chez sa mère biologique, avec l’autorisation du juge qui n’a même pas pris la peine de les consulter… Une décision aberrante lorsqu’on sait la fragilité de cette adolescente tourmentée qui a le sentiment de n’être nulle part à sa place, malgré tout l’amour dont elle est entourée… Billie, déjà en manque des siens, n’hésite pas une seconde à rejoindre sa tribu peu ordinaire qui vit au milieu des bois, cultivant plantes médicinales et faisant pousser ses légumes en même temps que des enfants à la dérive… Car en plus de Soledad, Noa, une petite fille de trois ans, est accueillie dans leur foyer… Qui compte déjà quatre enfants ! Billie retrouve ses parents autant en proie à la colère qu’au découragement face à ces arbitraires décisions administratives qui détruisent en un instant des années d’efforts, lorsque Soledad, qui a fui une fois de plus sa mère, revient plus déboussolée que jamais… Au fil d’un récit intimiste et doux amer, Tiffanie Vande Ghinste nous fait partager, en mots et en dessins joyeusement colorés, son expérience de « soeur d’accueil » au sein d’une famille aimante et dévouée pour qui l’altruisme n’est pas un vain mot… Le statut de famille d’accueil en Belgique étant purement bénévole ! En nous immergeant au coeur des ressentis de chacun des membres de sa famille où chacun est engagé coeur et bras ouverts dans cette aventure humaine, elle nous offre un touchant témoignage empreint d’une belle humanité, qui nous touche en plein coeur !
Déracinée : Soledad et sa famille d’accueil par Tiffanie Vande Ghinste, La Boîte à Bulles, 2021 / 20€
Une nuit, alors qu’elle allaite Lucie, sa petite fille âgée de quelques mois, Rebecca aperçoit dans la rue deux hommes en train de charger un lourd paquet dans leur camionnette. Un épisode étrange qui resurgit de sa mémoire quelques jours plus tard, lorsqu’elle apprend la mystérieuse disparition d’Eduardo Morales, un paisible travailleur à domicile qui habite juste en face de chez elle… Elle fait immédiatement le rapprochement avec la scène aperçue l’autre nuit et contacte la police qui lui paraît bien peu désireuse de résoudre l’affaire… Toujours flanquée de Lucie, entre tâches ménagères et séances de « jogging poussette », Rebecca, sans tenir au courant son mari de sa toute nouvelle activité de détective en herbe, décide de mener sa propre enquête… Qui se méfiera d’une jeune maman qui ne sort jamais sans sa progéniture ? Avec cette histoire originale et bon enfant, l’auteur québécois Pascal Girard met en scène sa propre famille (Rebecca et Lucie étant tout simplement son épouse et sa petite fille !) au fil d’une enquête menée de main de maître par une maman curieuse et têtue qui occupe à plein temps son congé maternité… Et c’est avec grand plaisir que l’on suit ses investigations au rythme de la poussette de Lucie, entre deux tétées et trois changements de couches ! Avec ses dialogues truculents à la québécoise et son dessin agréable et coloré, cette BD nous offre un rafraichissant moment de lecture qui devrait se prolonger avec un second volet déjà en préparation… Où Rebecca ira enquêter au Saskatchewan en compagnie de sa grand-mère ! A suivre !
Rebecca & Lucie mènent l’enquête par Pascal Girard, La Pastèque, 2021 / 17€
Ce recueil d’histoires, parues dans la presse entre 1988 et 2003 ou totalement inédites, nous propose dix-sept tranches de vie où Jean-Claude Denis (grand prix d’Angoulême en 2012) dépeint avec un humour grinçant les comportements de ses contemporains face à des situations absurdes ou inattendues. Un beau-frère envahissant et quelque peu sans gêne, des pros du bronzage intégral, une chirurgie esthétique un peu trop réussie, un timide baratineur, des vacances en zone un peu trop blanche, un chien pris en otage pour échapper aux notes de bar et de restos, une course poursuite en plein rassemblement de voitures vintage, un mortel cri de chouette, des vacances tranquilles perturbées par le chant des cigales et la coupe de monde de foot, une entraîneuse de foot sexy, une roublarde miss bug 99, un amour de jeunesse trop vite perdu de vue, une ridicule planche à repasser face aux planches des surfeurs, une chanteuse peu douée mais qui a des relations fort convaincantes, la recherche assidue d’un livre pour des raisons bien loin d’être intellectuelles, des lunettes de soleil trompeuses qui s’avèrent dangereuses, une société idéale, cauchemar pour certains, rêve utopique pour d’autres… Les personnages de Jean-Claude Denis, croqués de son trait caractéristique si attachant, nous offrent en miroir une parfaite cartographie des sentiments humains, bien souvent loin d’être nobles ! Qu’elles soient courtes ou davantage développées, ces histoires de l’ancien et du nouveau monde, légères, subtiles et drôles, procurent un pétillant moment de lecture ! Vous trouverez en fin de volume, annotées par son auteur, genèse et anecdotes sur chacune d’entre elles. Réjouissant !
Reliefs de l’ancien monde par Jean-Claude Denis, Futuropolis, 2021 / 17,95€
« Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir, oh vieillir… » Chantait fort justement le grand Brel… Un refrain que Georges, à 73 balais bien sonnés, ressent dans chacune de ses articulations ! Mais si le corps grince aux entournures, la tête carbure quant à elle à 100%… N’en déplaise à ses enfants qui, inquiets pour sa sécurité, veulent le faire déménager de sa maison où il a tous ses repères et souvenirs, pour l’expédier dans une résidence médicalisée ! Certes, il est quelque peu déboussolé depuis la mort de Jeanne, son épouse adorée… Mais de là à finir chez les croulants, à baver devant d’insipides programmes télé en buvant de la tisane, y a pas moyen ! Ses enfants, qui veulent rendre hommage à la mémoire de leur mère, ont organisé une petite fête… L’occasion d’inviter Jean-Pierre, son vieux compère perdu de vue depuis des années, avec qui il avait fondé un groupe de rock dans les années 60… Histoire de se taper un bœuf dans sa cave insonorisée où il a réuni tout le matos de cette époque bénie ! Un Jean-Pierre qu’il retrouve lui aussi quelque peu décrépit et solitaire, mais dont l’oeil se rallume instantanément à l’évocation de leurs souvenirs rock’n’roll ! Après une soirée bien arrosée d’alcool et de riffs de guitare, l’accord est conclu : ils vont remonter le groupe dès qu’ils auront trouvé un batteur et une chanteuse ! Ils dénicheront la seconde, une mamie ridée aux cheveux blancs prénommée Colette, en passant tout à fait par hasard sous ses fenêtres ouvertes alors qu’elle chantonnait… Et le premier, Jean-Claude, à la mémoire aussi fiable que celle d’un poisson rouge, dans une maison de retraite… Indéniablement gâteux, le Jean-Claude a néanmoins gardé tous ses réflexes dès que résonne un accord de rock ! Voilà, le groupe est au complet… Alors, le troisième âge, la scène, c’est pour quand ? Dans le prochain tome qui paraîtra en début d’année prochaine… Et j’avoue avoir carrément hâte tant j’ai été séduite par cette histoire ! Jouant de l’humour avec la dextérité d’un guitar hero sur sa Stratocaster, Phil Castaza nous offre avec « Sold out » un récit tendre et nostalgique où les dialogues fusent avec une belle causticité, sur un dessin expressif et réaliste terriblement attachant ! Ces forts en gueule qui refusent de vieillir et ressuscitent par le biais de leur passion commune, sont irrésistibles… Et on n’y résiste pas ! J’adore !!!
Sold out par Phil Castaza, Soleil, 2021 / 14,95€
Précieux et rêveur, Orlando passe ses journées au sommet d’une colline à déclamer de la poésie, pour laquelle, il faut bien l’avouer, il n’est guère doué… Un comportement qui commence à taper sérieusement sur le système nerveux de sa mère qui décide de l’envoyer à la cour du roi où, du moins l’espère t-elle, il deviendra un homme davantage viril ! Un voeu pieux qui ne se réalisera pas, bien au contraire… Car le démon de la versification ne lâche pas pour autant son fiston qui, malgré son évident manque de talent, ne désespère pas de devenir le poète attitré de la cour ! Il y rencontrera Sacha, une poétesse exilée qui ne peut exprimer son art, la poésie et les belles lettres étant exclusivement réservées aux hommes, à qui il proposera de lire ses poèmes en s’attribuant leur paternité… Et ceux-ci rencontreront un franc succès, contrairement aux siens ! Fin du rêve quand Sacha, soupçonnée d’espionnage, se voit obligée de quitter la cour et quand Orlando, qui erre comme une âme en peine depuis son départ, se voit nommé ambassadeur d’un lointain pays d’Orient… Un nouveau départ dans tous les sens du terme pour Orlando qui trouvera sa vraie nature en devenant femme… Et vivra de longues et belles aventures où il épousera un prince, s’enfuira avec des tziganes et deviendra artiste de cirque, avant de revenir à la chère colline de son enfance… Où il sera enfin reconnu comme poétesse ! Entre récit de voyage et quête initiatique, Delphine Panique nous offre avec « Orlando » sa vision très personnelle du roman éponyme de Virginia Woolf… Et sa perception de cet attachant personnage en proie aux questions existentielles concernant les liens amoureux, la question de genre et les affres de la création, est aussi originale que diablement drôle ! Sous son trait sensible et épuré, et sous son humour subtil et nourri de références littéraires, les gaffes, la profonde naïveté mais aussi l’extrême liberté de son Orlando provoquent à chaque page sourires et éclats de rire, tout en suscitant de profondes réflexions sur les sujets qui le titillent ! Un vrai bonheur !!!
Orlando par Delphine Panique, Misma, 2021 / 18€
Titus le lapin, qui se rêve écrivain, puise son inspiration dans divers substances, sans, il faut bien l’avouer, atteindre de notables résultats quant à la qualité de son écriture… N’est pas Bukowski qui veut ! Quant à ses amis, ils ne valent guère mieux… Que ce soit le cochon qui lui sert de colocataire, friand d’expériences scientifiques qui tournent invariablement à la catastrophe, le canard qui se révèle être un bien piètre mage ou la fleur rêveuse et férue de botanique, ces quatre là forment une brave bande de bras cassés ! Tellement invivables et insupportables que leurs maisons en ont ras le toit d’abriter les frasques et les expériences foireuses de ces feignasses alcooliques qui vivent dans leur crasse et se bagarrent sans cesse ! Elles décident donc sans préavis de se faire la malle, leurs nuisibles locataires sur leurs talons (euh… Fondations !) avec la ferme intention de les ramener à la raison… Et à la maison ! Un récit muet, des aventures effrénées et rocambolesques, un expressif dessin en noir et blanc tout en contrastes : le talentueux auteur québécois Thom nous offre avec « Casa Rodéo », un univers absurde et décalé, truffé d’hilarants gags visuels savamment mis en scène dans un esprit « cartoonesque »… Qui laisse néanmoins entrevoir la profondeur philosophique de la quête existentielle de ses personnages ! Une BD génialement déjantée qui se passe de mots… Et de commentaires !
Casa Rodeo par Thom, Pow Pow, 2021 / 19€
Cid et Nathan, deux jeunes cambrioleurs à la petite semaine, sont en quête d’un appartement vide pour organiser une fiesta avec leurs potes… Et bingo ! Ils viennent d’en trouver un, immense et parfait pour faire la bringue, qui est en plus bourré d’antiquités qu’ils pourront refourguer à bon prix chez leur receleur ! Mais leur bonheur va être de bien courte durée… Lorsqu’ils deviendront les proies d’une chasse à l’homme sans pitié, au cours de laquelle ils devront chèrement sauver leur peau ! Car ces inconscients viennent de cambrioler la diabolique usurière qui, malgré son air de Mamie Nova, sa passion pour les confitures et son ironique surnom de « Maman », tient toutes les mafias de Paris dans une poigne de fer… Et la seule chose qu’il ne fallait pas lui voler, sous peine de représailles sanguinaires, c’était bien le carnet où, sa mémoire flanchant sur les bords, elle note les dettes de chacun de ses débiteurs ! Et ce précieux carnet, objet de toutes les convoitises, était planqué dans le secrétaire volé par Cid et Nathan… Nos deux cambrioleurs malchanceux devront faire preuve de ruse pour échapper aux malfrats accrochés à leurs basques… D’autant plus que le prospecteur, un mystérieux et terrifiant personnage dont personne ne connait le visage caché sous un cône de signalisation, a été mandaté pour récupérer le carnet à n’importe quel prix, y compris celui du sang, bien évidemment… Tristan Roulot nous offre avec cet album bourré de psychopathes de tous poils, un scénario dopé à l’adrénaline digne d’un Tarantino ou d’un Guy Ritchie, où la plus extrême violence côtoie un humour noir délicieusement déjanté ! Au fil des pages de ce délirant western urbain où les sabres remplacent les colts, il nous dévoile un Paris violent où règne la loi du plus fort dans une inquiétante banalité, où les combats à mort de gladiateurs ont remplacé le tiercé, où les plus vulnérables se planquent dans les catacombes transformées en cour des miracles, et où les politiques sont plus corrompus que jamais… Servi aux petits oignons par le dessin explosif et expressif de Corentin Martinage, ce one shot aussi trash que fun va ravir les amateurs du genre !
PsykoParis par Tristan Roulot et Corentin Martinage, Soleil, 2021 / 22,95€
Venise. Un vieil homme, curieusement habillé d’un costume traditionnel chinois, prend la route pour Rimini. Son guide venant brutalement de l’abandonner, le pauvre homme se retrouve à voyager seul sur un chemin qui peut s’avérer bien dangereux… Aussi, lorsqu’il croise un jeune vagabond affamé qui lui propose de l’accompagner en échange de nourriture, il accepte bien volontiers sa précieuse compagnie ! Intrigué par son allure excentrique, le jeune garçon commence à lui poser de légitimes questions auxquelles le vieil homme s’empresse de répondre… Ébahi, le gamin découvre alors qu’il est en compagnie de Marco Polo qui, de confidences en confidences, va lui raconter sa fabuleuse épopée… C’est en s’inspirant des récits de Marco Polo (« Le devisement du monde« , plus connu sous le nom de « Livre des merveilles ») qu’Étienne Le Roux a construit le scénario de cette envoûtante BD qui nous invite au voyage, sur les pas du célèbre marchand vénitien… Et tout comme le jeune vagabond, on reste sous le charme de ce récit enchanteur, servi par les magnifiques illustrations de Vincent Froissard qui évoquent, en tons estompés et avec un art consommé, la peinture traditionnelle chinoise… Dépaysant, et d’une sidérante beauté, ce livre des merveilles… Est tout simplement merveilleux !!!
Le livre des merveilles (librement adapté des récits de Marco Polo) par Étienne Le Roux et Vincent Froissard, Soleil, 2021 / 16,95€
A l’âge de douze ans, Arsène, gosse des rues injustement condamné pour un crime qu’il n’a pas commis, est envoyé au terrible bagne pour enfants de la Haute-Boulogne… Il sortira de cet enfer grâce au comte de La Marche qui, troublé par sa ressemblance avec son fils décédé, l’adoptera et en fera l’héritier de sa richesse, mais aussi de son combat contre l’odieuse confrérie des Lombards qui gouverne le Monde… Après l’extrême violence subie à la maison de correction, Arsène s’installera sans transition dans une confortable vie bourgeoise et bénéficiera de la meilleure éducation dans un pensionnat suisse… Avant que le destin ne fasse de lui le plus célèbre des gentlemen cambrioleurs… Réalisé dans un graphisme « rétro » qui retrace l’époque et les ambiances avec autant de talent que de sensibilité, « Arsène Lupin, les origines » (initialement paru en trois tomes : « Les disparus », « Le dernier des romains » et « Il faut mourir »), nous immerge avec panache dans la genèse de l’histoire du fameux personnage de Maurice Leblanc, au fil d’un captivant récit dont les multiples intrigues et rebondissements nous tiennent en haleine de la première à la dernière page… Une fois celle-ci tournée, il nous vient l’irrésistible envie de nous replonger dans l’oeuvre de Leblanc et de revoir la multitude de films réalisés à la gloire du plus malin et du plus classe de tous les voleurs ! Passionnant !
Arsène Lupin : les origines par Benoît Abtey & Pierre Deschodt (scénario), Christophe Gaultier (dessin) et Marie Galopin (couleurs), Rue de Sèvres, 2021 / 18€
1994. En pleine séance de pose pour la postérité, Mitterrand se retrouve face à une journaliste pour laquelle il a accepté de se livrer sans langue de bois, après lui avoir fait promettre de ne divulguer ses propos que 25 ans après sa mort… Il faut dire qu’au centre de leur conversation, seront débattues trois affaires sensibles qui ont impliqué le futur président et suscité de vives polémiques au cours des années 50… Tout d’abord, « L’affaire des fuites », lorsque les délibérations du conseil de défense furent communiquées au parti communiste français après la défaite de Dien Bien Phu : Mitterrand, alors ministre de l’intérieur, fut finalement blanchi dans cette affaire après enquête de la DST… « L’affaire du bazooka » ensuite, où le commandant Salan, chef de l’OAS, échappa à un attentat organisé par le général Cogny qui voulait le commandement en Algérie. Un complot qui a impliqué le sénateur Debré que Mitterrand, alors garde des sceaux, a protégé en ne levant pas son immunité parlementaire et en stoppant l’instruction à son encontre… Dernière affaire évoquée, celle de « L’observatoire » où Mitterrand aurait organisé un attentat contre lui-même : une affaire qui semble directement liée à celle du « Bazooka » et où Debré serait encore impliqué… Largement occultées des livres d’Histoire, ces affaires sont ici révélées au grand jour, grâce au patient travail de documentation de l’historien Patrick Rotman, qui nous dévoile, en détail et en profondeur, les coulisses d’une quatrième république rythmée de règlements de comptes vicieux et de pratiques politiques discutables, sous le dessin expressif de Jeanne Puchol. Une BD « témoignage » où Mitterrand lève le voile sur une bonne part de ses ombres… A chacun désormais de se faire sa propre opinion sur ce monstre politique dont l’ambition démesurée n’avait d’égale que la profonde intelligence… Édifiant !
Mitterrand et ses ombres par Patrick Rotman et Jeanne Puchol, Delcourt, 2021 / 17,95€
Christine Le Garrec