Et hop! Voilà mes dernières lectures que je vous conseille ardemment ! Éclectiques, les romans que je vous propose aujourd’hui vous feront voyager dans des univers très différents… Vous y découvrirez un serial killer en puissance amoureux d’une vieille Pontiac, une maison qui console de chagrins bien lourds à porter, un homme d’affaires pas très claires du plus inquiétant, vous y ferez une immersion glaçante dans le milieu carcéral , vous y croiserez un assassin qui « Hosanna ! » découvrira la foi… Pour finir, deux ouvrages parlant de l’histoire : celle avec un grand H avec un épisode honteux de la guerre d’Algérie, l’autre explorant un secret de famille peu reluisant… Bref, je vous promets des moments de lecture captivants, sombres ou plus légers, mais tous d’excellente facture !
C’est l’histoire d’un deuil et d’une reconstruction… C’est aussi l’histoire d’une maison, celle des souvenirs heureux puis des moments douloureux qu’elle recèle, une maison qui devient une enveloppe protectrice, un refuge bienveillant loin des regards du monde, qui apaise et répare les chagrins insurmontables … Quand l’auteur, la narratrice, en ouvre la porte quelque temps après le décès de son père, mille émotions la submergent : les odeurs, la chaleur des tomettes sous le pied, les rayons de soleil filtrant des rideaux apposant des ombres familières sur les meubles et les murs, les voix aimées qui résonnent dans sa tête… Les mots ont déserté l’auteur qui n’arrive plus à trouver la force d’écrire… Pour les amadouer afin qu’ils reviennent trancher dans le vif tel un scalpel pour évacuer sa tristesse, l’auteur achète un simple cahier à lignes d’écolier. Tous les jours, à la piscine, elle s’épuise en nageant pendant des heures, suivant les lignes d’eau, se remplissant la tête de chiffres pour évacuer de son esprit les mots, les maux qui la bousculent en permanence et qui ne veulent plus se coucher sur le papier… Quelle justesse … Chaque mot de ce court et somptueux roman semble pesé pour approcher au plus près des sensations ressenties … D’une sensibilité à fleur de peau, sensuels, les mots de Laurence Vilaine touchent droit au cœur, leur puissance évocatrice exhale un magnifique hymne à la vie, à la résurrection. Un roman qui inspire un total respect.
La grande villa de Laurence Vilaine, Gaïa, 2016 / 8,50€
Une maison au bord de la voie ferrée. Y vivent une mère et son fils, le père est mort, la fille a quitté le nid et travaille à la supérette du coin. La mère élève des poulets, c’est à peu près son seul centre d’intérêt… Le fils, quant à lui, travaille dans une station-service. S’il n’a pas inventé la poudre ni le fil à couper le beurre, il n’est pas bien méchant, étant au contraire plutôt timide et doux. Un seul truc le branche vraiment : la Pontiac Bonneville achetée par le père, remisée au garage depuis des années. Son gros kif au garçon, c’est de s’installer au volant et de rêver à de grandes virées, de préférence en bonne compagnie … Mais il est seul et bien incapable d’aborder une femme… Afin de réaliser son rêve, il prend la décision de remettre en état la Pontiac. Mais pour ça, il faut trouver un mécano d’exception, et ça coûte cher, bien plus que son salaire ne peut le lui permettre… Pour se faire un peu d’argent, il tente de voler une bagnole mais trouve dans la boîte à gants de cette dernière un petit cercueil en carton… Bien malgré lui, il se retrouve embarqué dans une spirale où il deviendra un véritable serial killer, pas par haine mais juste pour effacer des témoins susceptibles de briser son rêve…. Au fur et à mesure que le roman se déroule, tel l’asphalte sous les roues chromées de la Pontiac, le personnage de Laurent Saulnier s’étoffe en même temps que la folie d’une logique implacable qu’il développe. Bonneville, c’est le récit d’une descente aux enfers par accident, ou par hasard, un jeu de dominos où les évènements s’enchaînent en en entraînant d’autres … Laurent Saulnier avec « Bonneville » nous offre un roman fort et noir comme le bon premier café du matin ! Celui qui réveille et peut vous donner des palpitations !
Bonneville de Laurent Saulnier, Le Dilettante, 2016 / 17€
Une femme, deux enfants, une belle maison, une entreprise prospère, cet homme a comme on dit « réussi ». Mais le jour où les clients désertent et que les dettes s’accumulent, par fierté, il ne dit rien à sa famille et jongle avec des prêts plus ou moins malhonnêtes, ponctionnant les amis qui lui restent en leur faisant espérer des bénéfices juteux. Sa femme ne sait rien de tout ça mais commence à avoir peur de son comportement de plus en plus violent et méprisant à son égard. Ses gosses le fuient. L’ambiance familiale devient insupportable… Cet homme pour qui paraître est essentiel va se montrer prêt à tout et même au pire pour ne pas passer pour un raté aux yeux de la société… La tension monte jusqu’au dénouement que l’on sent venir de façon inéluctable, en point final sanglant et brutal … En à peine cent pages, Ève Chambrot construit habilement son roman, alternant les pensées de cet homme et de son épouse. Partant d’un banal fait divers, elle nous offre un roman glaçant qui nous tient en haleine jusqu’au bout, entre thriller, tragédie et étude psychologique. Hypnotique et pervers, une réussite du genre.
La fuite d’Ève Chambrot, Envolume, 2016 / 14€
Quand son frère meurt après une courte vie chaotique et désespérée hantée par la Shoah, le narrateur mène une enquête pour comprendre… Dans cette famille bourgeoise semble planer un malaise permanent dont la cause semble être Raoul H. le grand père froid et autoritaire, autant craint que détesté par tous …… Il va commencer par interroger ses oncles, se heurtant à des réponses évasives pour finir par rechercher au sein des archives des réponses à ses questions. Raoul H., en 1941 s’est porté volontaire comme administrateur provisoire auprès du gouvernement de Vichy, officiellement pour faciliter la libération de son fils prisonnier dans un oflag. Mais bien après le retour de ce dernier, Raoul H. a continué son action auprès du commissariat aux questions juives, jusqu’en 1943… Ce rôle d’administrateur consistait à revendre les biens professionnels des juifs, en les spoliant totalement de leurs droits et les acculant à la misère, tout en prélevant au passage une part de cet argent honteusement acquis … Au fur et à mesure de ses découvertes, le jeune homme ressent une honte indicible, celle « de venir de là », comme s’il était responsable de ces actes ignominieux … A mi-chemin entre fiction et documentaire, Seurat fouille dans la plaie pour en extraire l’humeur et relate une histoire de haine ordinaire, de cupidité qui laissera des traces profondément ancrées au sein d’une famille à jamais salie et meurtrie. Dans un style froid et implacable, tel un chirurgien détaché du corps qu’il ausculte, il remonte les chemins de la mémoire mettant à jour l’inhumanité de son personnage. En voyant évoluer Raoul H., on ne peut s’empêcher de penser à la morgue d’Eichmann lors de son procès, drapé dans son sens du devoir et convaincu de son bon droit face à ses juges et ses victimes. Ces deux hommes sont faits du même bois, toute proportion gardée, bien sûr. Un roman glaçant et efficace dont la lecture ne laisse pas indemne…
L’administrateur provisoire d’Alexandre Seurat, Le Rouergue, 2016 / 18,50€
Si la littérature est un moyen d’évasion, une manière classieuse d’évoquer le monde et les sentiments qui animent l’humanité, elle a également le rôle précieux de servir la justice et la vérité … C’est dans cette optique qu’il faut découvrir le fabuleux roman de Joseph Andras, auteur mystérieux dont on ne sait rien, qui a refusé les honneurs du prix Goncourt du premier roman (comme une ultime élégance en égard au douloureux sujet de « A nos frères blessés » ?). Écrit à la manière d’une enquête, Andras relate un épisode enfoui de la guerre d’Algérie, particulièrement honteux … L’exécution d’un jeune homme de trente ans, Fernand Iveton, guillotiné à Alger en 1957, dont cet ouvrage réhabilite la mémoire et l’existence… Quel était donc le crime odieux d’Iveton pour terminer sa courte vie sur l’échafaud ? Épris de liberté et de justice, ce jeune ouvrier communiste militait pour l’indépendance de l’Algérie. Quand il rejoint l’organisation militaire du parti communiste algérien, il accepte, à condition que cet acte ne blesse ni ne tue personne, de poser une bombe dans l’usine de gaz où il travaille. L’endroit n’est pas fréquenté, la bombe de faible puissance, il s’agit plutôt d’impressionner les autorités que de commettre un acte terroriste … L’attentat n’a d’ailleurs pas eu le temps de se produire, Iveton ayant été dénoncé par un contremaître, il est arrêté avant que la bombe n’explose… Torturé pendant des heures (les scènes sont décrites avec toute la violence qu’elles imposent…) afin de dénoncer ses complices, Iveton tiendra le plus longtemps possible pour les protéger, le temps qu’ils se mettent à l’abri… En d’autres temps, Iveton aurait été traité en héros … Malgré qu’il n’y ait eu aucun dégât matériel et encore moins humain, Iveton est condamné à mort, en grande partie pour satisfaire l’opinion publique, enragée face à la décolonisation, qui réclame un exemple… Ses avocats, dont l’un commis d’office, n’ayant pas eu le temps matériel de préparer leur plaidoirie correctement, son procès bâclé est une véritable parodie de justice… Les demandes de recours puis les demandes de grâce auprès du président Coty, du président du conseil Guy Mollet et du garde des sceaux, François Mitterrand, seront toutes refusées… En montant sur l’échafaud, les dernières pensées d’Iveton ont certainement été destinées à sa femme adorée, Hélène… Mais « Je vais mourir, mais l’Algérie sera indépendante… » seront ses derniers mots … L’abolition de la peine de mort par Mitterrand en 1981, après la lecture de ce livre percutant, donne à penser que le président à la rose a pu éprouver quelques remords face à ce refus de gracier Iveton. Pour ma part, j’espère que cette lâcheté l’a hantée jusqu’à son dernier souffle… On ressort de cette lecture certes révolté, mais aussi avec le sentiment rassérénant que justice est enfin rendue… Qui que vous soyez, merci monsieur Andras…
De nos frères blessés de Joseph Andras, Actes Sud, 2016 / 17€
Christo a grandi dans le Nord à proximité de la prison de Bapaume. Cet environnement a suscité chez le jeune homme solitaire et taciturne une sorte de fascination et c’est tout naturellement qu’il passe le concours de surveillant pénitentiaire (après avoir tenté une licence d’anglais qui le menait droit au pôle emploi…) Muté à la prison de la Santé, il entre dans ses fonctions avec la volonté de comprendre et d’agir, se voyant davantage comme un ethnologue sur le terrain plutôt que comme un garde-chiourme… Son comportement un peu trop « humain » avec les prisonniers n’est pas du goût de ses collègues et il se retrouve bien vite isolé, enfermé dans un mutisme qui l’éloigne chaque jour un peu plus du monde réel … Le livre de Sylvie Dazy qui connait bien le monde carcéral puisqu’elle a travaillé comme éducatrice chargée de la réinsertion dans les prisons de la Santé et de Fleury-Mérogis, dépeint ce monde si particulier avec une grande sincérité. Sa « Métamorphose d’un crabe » (en argot, un crabe est un personnage peu recommandable) nous immerge dans la violence des rapports humains, dans l’enfermement et le silence des cellules, silence ponctué par le lancinant bruit des clés pendant à la ceinture des gardiens… Trafics de toutes sortes, suicides, trahisons, mouchards, on découvre que le manque de liberté fait des ravages des deux côtés des portes fermées à double tour… Sous forme de fiction, Sylvie Dazy nous fait part de son expérience, de son ressenti, à travers des personnages criants forcément de vérité. Ce livre écrit avec une sorte de détachement glaçant incite à une franche réflexion sur le sujet. Impitoyable …
Métamorphose d’un crabe de Sylvie Dazy, Le Dilettante, 2016 / 15€
Per Persson est réceptionniste dans un hôtel miteux. Il en veut à peu près à l’humanité entière (ou ce qu’il en reste …), mais surtout il a une dent contre son aïeul qui a perdu sa fortune en gérant mal ses affaires en ne négociant pas le nécessaire tournant vers la modernité. Bref, il est aigri, solitaire et souvent de mauvaise humeur quand il pense à l’héritier fortuné qu’il aurait dû être ! Comme résident dans son hôtel, il n’a pas que du beau monde, loin de là, mais la palme revient à Dédé le meurtrier qui sort de prison et devient carrément enragé dès qu’il a bu un coup de trop, ce qui lui arrive en gros tous les jours que Dieu fait ! Vous l’aurez compris, la vie de Per n’est pas vraiment celle qu’il avait rêvée… Un jour qu’il déjeune d’un sandwich sur un banc en broyant des idées noires, il est abordé par Johanna, pasteur contre son gré et par la volonté de son père… Johanna n’a pas la foi, ne l’a certainement jamais eu et à la mort de son géniteur, elle a tout plaqué en fanfare au cours d’une homélie où elle s’est fait virer du lieu de culte par les fidèles ulcérés. Ces deux là ont en commun une misanthropie galopante et Johanna ne manque pas d’idées pour remédier à leurs piteuses situations. Entre autres, pourquoi ne pas devenir l’imprésario de Dédé en touchant une commission sur les crimes et délits perpétués par ce dernier ? Tout roule à merveille jusqu’à ce que Dédé rencontre Dieu et qu’il ne veuille plus commettre d’actes contraires à la morale …Jonas Jonasson nous avait déjà habitués avec ses deux précédents romans à son style bien particulier et à ses revirements de situation loufoques. Son « assassin qui rêvait d’une place au paradis » navigue sur les mêmes eaux que les précédents. A savoir : vous allez passer un moment de détente sans vous prendre la tête ! Néanmoins, même si je ne me suis pas ennuyée avec ce dernier opus, ma préférence va nettement au « vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire », à mon avis, le meilleur roman de Jonasson… On attend le suivant …
L’assassin qui rêvait d’une place au paradis de Jonas Jonasson, Presses de la Cité, 2016 / 22€
Christine Le Garrec