Le Post Générique: Spécial Alexandre Desplat

En ce jeudi 6 Décembre 2018, Alexandre Desplat se produit dans un endroit qui lui est plutôt familier : La Maison de la Radio dont le studio 104 lui avait servi de lieu d’enregistrement en 2016 pour la bande-originale de VALERIAN (Luc Besson – 2017), interprétée par l’Orchestre National de France qu’il retrouve également à cette occasion.

C’est d’ailleurs par une suite de ce film, désigné comme le plus onéreux de l’histoire du cinéma français, que le compositeur au sourire malicieux amorce son concert. Pendant près de 15 minutes, Alexandre Desplat dirige avec fougue une sélection des morceaux les plus riches musicalement comme ‘Flight Above the Big Market’, ‘Valerian’s Armor’ ou encore ‘Medusa’. Dans un silence absolu et déconcertant, il salue son public et se retire sans même lâcher un seul mot à son public adulateur. Cela laisse transparaître une certaine introversion du personnage venu présenter sa musique en live… Mais ce qui s’ensuit est d’autant plus déstabilisant à mon goût : Desplat consacre le reste de cette première partie à une œuvre classique, dont il est l’auteur.

Celle-ci n’est pas mauvaise en soi attention, mais elle me paraît inappropriée pour cet évènement spécial qui me semblait être entièrement (ou du moins majoritairement) consacré à la musique de ses films. D’autant plus que PELLEAS ET MELISANDE et AIRLINES pour flûtes solo occupent une place prépondérante lors de cette soirée (près de 30 minutes au total !). Une bonne partie de l’auditoire semble avoir été dérouté par ce choix peu judicieux, les adeptes du compositeur peut-être moins que les néophytes. C’est alors qu’on se rend compte que le titre du concert « Au-delà de l’image » est plus équivoque qu’il ne paraît… L’entracte arrive déjà et nous devons attendre quelques minutes avant de découvrir cette deuxième partie entièrement dédiée à ses œuvres phares pour le cinéma…

Parmi elles, on trouve d’abord LE DISCOURS D’UN ROI (Tom Hooper – 2011) puis LA JEUNE FILLE A LA PERLE (Peter Webber – 2006), sa cinquantième partition qui lui a valu sa renommée internationale en 2006. On ressent ostensiblement l’excitation du public à l’idée de voir Mr Desplat diriger en live cette partition raffinée qui est sûrement à l’origine de leur admiration à son égard. Dans un tonnerre d’applaudissements, le compositeur enchaîne avec LA FORME DE L’EAU (Guillermo Del Toro – 2018), film à l’origine de son deuxième sacre obtenu à la Cérémonie des Oscars en Février dernier et, au passage, amplement mérité. On notera que le bandonéon associé à la créature argentine dans le score original est remplacé au profit d’un accordéon, ce qui n’enlève absolument rien à l’esthétique de sa partition aux sonorités ondulantes. Bien que moins nombreuses, les flûtes sont tout autant hypnotiques et elles se mêlent à l’orchestre à la perfection. On regrettera cependant le choix des morceaux qui font intervenir le même thème au cours de leur succession, rendant le tout un peu répétitif par moment.

Le public se remet de ses émotions puis la suite du score de BIRTH (Jonathan Glazer – 2004) intervient et nous fait (re)découvrir cette partition méconnue du grand public, sans doute à cause de son échec critique et commercial rencontré en 2004. Alexandre Desplat nous expose ses thèmes très organiques qui donnent clairement envie de se plonger dans l’écoute de l’album une fois de retour à la maison. Retour au cinéma français avec THE GHOST WRITER (Roman Polanski – 2010), mais toutefois composé d’un casting américain. Probablement l’une des œuvres les plus populaires de Desplat, écrite en toute indépendance de l’avis du cinéaste qui campait alors en prison. L’orchestre interprète avec brio cette partition à suspense dont le thème principal ‘The Ghost Writer’ est dominé par un ostinato de vents saisissant !

Enfin, le grand fan de John Williams conclut la deuxième partie de son concert sur HARRY POTTER ET LES RELIQUES DE LA MORT (David Yates – 2010 et 2011) qui englobe les deux volets de cette saga pour lesquels il opérait au score. Et j’ai envie de dire qu’il nous a réservé le meilleur pour la fin ! Avant d’entamer cette partie, il prend d’ailleurs son souffle, conscient de l’énergie qu’elle va exiger ! L’orchestre ne s’est pas autant déchaîné depuis le début du concert mais c’est encore plus grandiloquent et l’essentiel est là : ‘The Oblivation’, ‘Satues’, ‘Dragon Flight’ ou encore ‘Lily’s Theme’. Desplat fait ainsi rejaillir la nostalgie et les émotions que nous avons pu ressentir en découvrant le dénouement de la saga Harry Potter au cinéma en 2011. Sans nul doute la partie la plus réussie du concert et aussi la plus attendue peut-être.

Desplat rapplique ensuite pour deux rappels : le premier étant Grand Budapest Hotel (Wes Anderson -2013) qui lui a valu son premier Oscar en 2014 et le second, Lust Caution (Ang Lee – 2008), peu connu du public. Néanmoins, cela n’apporte rien de plus au concert bien que la surprise ait été appréciée de tous.

Le concert d’Alexandre Desplat aura donc été marqué par un grand nombre de moments galvanisants et nostalgiques (HARRY POTTER, LA JEUNE FILLE A LA PERLE) mais aussi de découvertes (BIRTH, LUST CAUTION). Le compositeur doublement oscarisé parvient à donner vie à ses partitions cultes, au-delà de toute image, et à témoigner de son amour véritable pour la musique. Le concert fait aussi éclater notre fierté vis-à-vis de ce créateur de mélodies pour le cinéma qui fait clairement honneur à notre pays et à la culture cinématographique française.

Cependant, il souffre clairement de quelques problèmes qui freinent notre plaisir… En premier lieu, le silence du compositeur qui a régné tout au long du concert. On ne doute pas une seule seconde de son amour pour la musique et le cinéma ni de ses compétences en direction d’orchestre mais son introversion, son manque de cordialité et son éloignement avec le public semblent lui faire défaut. Lui qui souligne si justement les émotions des personnages par la subtilité de sa musique, les faisant jaillir de plus belle ! C’est assez déstabilisant je dois dire. Sans doute parce qu’en comparaison, Hans Zimmer et James Newton Howard sont très bavards et chaleureux… (?).  On regrette aussi la place prépondérante de son œuvre classique dans le programme de la soirée. Une place qu’il aurait pu octroyer à d’autres musiques de films comme Godzilla, The Imitation Game, The Danish Girl ou encore Largo Winch. Des exemples parmi tant d’autres mais qui, je trouve, font partie des plus pertinents car ces scores seraient parfaitement adaptés pour un concert live.

Et justement ; pour terminer, il y a aussi le choix de la setlist qui déçoit un peu par moments (la faute à Solrey, directrice artistique ?) … Alexandre Desplat a indéniablement séduit son auditoire ce soir-là mais ces quelques détails majeurs viennent malheureusement entraver notre émerveillement total.

David-Emmanuel