L’année 1994 marque un tournant décisif dans la carrière vertigineuse du célèbre compositeur Hans Zimmer ; véritable légende vivante de la musique de film qu’il n’est plus nécessaire de présenter tant sa renommée internationale fait parler de lui (GLADIATOR, PIRATES DES CARAIBES, THE DARK KNIGHT, INTERSTELLAR). Remarqué par les Studios Walt Disney grâce à sa partition pour LA PUISSANCE DE L’ANGE en 1992 – un long-métrage sur l’apartheid qui l’a amené à sillonner l’Afrique pour y enregistrer des chants africains avec Lebo M– on lui confie la conception musicale de ce 32ème « classique d’animation »: LE ROI LION ; réalisé par Roger Allers et Rob Minkoff. 15 ans plus tard et un Oscar en poche, Hans Zimmer revient signer l’adaptation live de Jon Favreau. Mais tout cela aurait bien pu ne jamais se produire…
Le Roi Lion (1994)
« Lebo M est la voix du ROI LION »
Hans Zimmer
Originellement, c’est Alan Menken, le collaborateur musical historique du studio aux grandes oreilles à l’origine de LA PETITE SIRENE, LA BELLE ET LA BETE ou encore ALADDIN, qui fut d’abord envisagé sur LE ROI LION. (Mal)heureusement trop occupé sur POCOHANTAS, il est contraint de céder sa place à une autre figure de la composition à l’image. Le choix légitime aurait été de se tourner vers un habitué du genre tel James Horner (LE PETIT DINOSAURE ET LA VALLEE DES MERVEILLES) ou même Bruce Broughton (BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS). Etoile montante au talent avéré à Hollywood, après une décennie très prolifique et couronnée de succès (RAIN MAN, THELMA ET LOUISE, BACKDRAFT, TRUE ROMANCE), c’est finalement Hans Zimmer qui suscite le plus de convoitises et qui hérite de la proposition du studio. Contre toute attente et fidèle à lui-même, il va éconduire cette proposition alléchante en justifiant son refus par son inconnaissance et sa négligence du genre. En effet, « l’homme à la veste de cuir » ne porte pas particulièrement d’affection aux œuvres de l’écurie Disney, qu’il compare ouvertement « à des comédies musicales de Broadway ». Et bien qu’il exprime de sérieux doutes à l’idée de porter l’entièreté d’un film d’animation sur ses épaules, un (premier) élément personnel va entrer en jeu pour motiver sa décision. Désireux d’accompagner sa fille Zoe, âgée de 6 ans, au cinéma pour visionner un film qu’il a illustré de sa musique, il va accepter de le faire « pour cette mauvaise raison ». Ce n’est qu’au cours du processus de scoring que Hans Zimmer va finir par s’approprier le projet de manière encore plus personnelle et « intense »… Lorsqu’on lui dévoile la mort du père de Simba, cette scène tragique est une véritable réminiscence qui le ramène instantanément à sa condition d’enfance en lui évoquant le décès de son père… Sa musique devient une nouvelle fois un exutoire à sa douleur. Il dédie cette partition à la mémoire de son père défunt ; la considérant lui-même comme un authentique requiem.
Si une bonne partie de l’écriture de cette bande-originale semble guidée par ce souvenir malheureux (‘Mufasa Dies’, ‘Remember Who You Are’), Zimmer n’en oublie pas pour autant de s’accorder avec la vision des cinéastes et du studio. Son objectif premier est de se démarquer des autres productions musicales Disney en conférant au ROI LION une esthétique surprenante tout en célébrant la beauté du continent africain. Mais pour respecter sa promesse, il est évident, si ce n’est essentiel, de renouveler sa collaboration avec le chanteur sud-africain Lebohang « Lebo M » Morake, alors réfugié politique. Un problème survient : l’artiste en question est « porté disparu » ! Zimmer procède alors à l’envoi d’une « une équipe de secours » pour rapatrier ce talent vocal dans son studio californien, portant jadis le nom de Media Ventures. La plus grande improvisation musicale cinématographique est sur le point de naître : Lebo M débarque dans les couloirs de Media Ventures seulement 10 minutes avant l’arrivée des producteurs qui accourent vers le studio de Zimmer : «Nants ingonyama bagithi Baba… » est enregistrée en une seule prise ! Cette séquence d’introduction très communicative nous happe instantanément « bien que personne n’en saisisse réellement le sens » ; devenant très vite le symbole musical du ROI LION (‘Circle of Life’). Émerveillés par ce morceau, les réalisateurs décident même de métamorphoser la séquence d’ouverture du film afin de pouvoir l’intégrer entièrement.
La musique de Hans Zimmer est un véritable hymne à la vie où se mêlent un orchestre grandiloquent, des synthétiseurs discrets et des sonorités africaines vibrantes. Caractérisée par sa tonalité sombre et mélancolique, on la considère comme une révolution du genre. Sur le marché, la bande-originale du film de Walt Disney Pictures a été un succès étourdissant en se vendant à plus de 15 millions d’exemplaires dans le monde ! La finesse de son écriture et la puissance évocatrice de ses mélodies amples lui ont valu un Oscar en 1995 (sa seule et unique statuette dorée à ce jour) ainsi qu’un Grammy Award et un Golden Globe ; lui ouvrant les portes de l’animation. Ainsi, il approfondit sa connaissance du genre sur LA ROUTE D’ ELDORADO, KUNG FU PANDA (avec John Powell), LE PRINCE D’EGYPTE, SPIRIT, MADAGASCAR, RANGO ou plus récemment LE PETIT PRINCE et BABY BOSS. Outre ses participations anecdotiques (en tant qu’arrangeur vocal) sur DINOSAURES et ATLANTIDE : L’EMPIRE PERDU de James Newton Howard, Lebo M a été rappelé sur les sequels LE ROI LION 2 : L’HONNEUR DE LA TRIBU (1998 – musique de Nick Glennie-Smith) et LE ROI LION 3 : HAKUNA MATATA (2004 – musique de Don Harper) ; directement parus sur le marché vidéo. Il supervisa l’ensemble des comédies musicales LE ROI LION et mit une nouvelle fois ses talents à disposition de Zimmer sur LES LARMES DU SOLEIL.
Enfin, à l’occasion des deux représentations « précurseuses » HANS ZIMMER REVEALED & FRIENDS à Londres en Octobre 2014 suivies des tournées de concerts HANS ZIMMER LIVE ON TOUR sur deux années consécutives en 2016 et 2017, Hans Zimmer & Lebo M partent sillonner le monde et enflamment les stades bondés de spectateurs avec notamment une suite du ROI LION, revisitée et interprétée de manière étincelante. Il n’est plus seulement question de réjouir les fans mais de leur démontrer que LE ROI LION est un score fédérateur doté d’une grande richesse émotionnelle. L’alchimie entre les deux hommes est palpable et un amour fraternel règne sur cette scène explosive. On pourrait presque révéler une analogie avec l’histoire du long-métrage de Roger Allers & Rob Minkoff : à la manière de Simba, Timon & Pumba, Lebo M et Hans Zimmer enterrent leur passif douloureux pour se laisser emporter par la poésie musicale : « Hakuna Matata » !
Le Roi Lion (2019)
« Tous les artistes aiment l’idée de pouvoir revenir en arrière et améliorer une de leurs œuvres. C’est ce que j’ai pu faire. »
Hans Zimmer
En 2019, la version live du ROI LION réalisée par Jon Favreau (qui avait déjà officié en tant que cinéaste sur une autre adaptation des classiques Disney en live : LE LIVRE DE LA JUNGLE avec John Debney au pupitre) permet à Hans Zimmer de procéder à une relecture plus moderne de sa partition. Comme il l’explique lui-même : « Tous les artistes aiment l’idée de pouvoir revenir en arrière et améliorer une de leurs œuvres. C’est ce que j’ai pu faire. ». Toutefois, l’artiste s’est montré particulièrement hésitant à l’annonce du « traitement live » de ce grand classique inter-générationnel. Il aurait d’ores et déjà annoncé à son équipe qu’il ne sera pas de la partie, avant d’être convaincu par le fils de Johnny Marr (le guitariste d’INCEPTION, THE AMAZING SPIDER-MAN 2 et FREEHELD) et les projections-test de Jon Favreau, révélatrices d’une révolution visuelle.
Pour mener à bien cette relecture musicale de sa partition la plus iconique dans l’animation, Hans Zimmer s’entoure des membres originaux ayant officié à ses côtés sur le film de 1994: le chef d’orchestre Nick Glennie-Smith, l’orchestrateur Bruce Fowler, l’arrangeur/compositeur Mark Mancina et bien entendu le vocaliste Lebo M qui livre ici une brillante réinterprétation de ‘He Lives in You’, une chanson uniquement présente dans LE ROI LION 2 : L’HONNEUR DE LA TRIBU. La tâche s’avère plus laborieuse que prévue, bien que son score s’affiche comme un copier-coller du modèle de 1994. Aussi, il n’est plus question de rendre hommage à son patriarche (chose déjà faite) mais de faire évoluer sa partition pour accompagner l’évolution de notre monde qui a sombré dans l’urgence climatique. Zimmer estime devoir se montrer « davantage sensible à l’Afrique » pour magnifier la richesse écologique de ce continent, à la manière d’un documentaire-nature- animalier, chose qu’il a expérimenté sur PLANET EARTH II (2016) et BLUE PLANET II (2017). En complément d’un ajout conséquent d’instruments africains, l’autodidacte allemand engage plus de 100 musiciens afin « d’interpréter le film comme s’il s’agissait d’un concert ». Une opération audacieuse mais onéreuse, qui se montre de plus en plus rare à l’heure actuelle « où un compositeur n’a pas besoin de musiciens pour créer de la musique ». Cet orchestre très populeux a pour effet d’accentuer le côté dramatique de sa partition avec un impact émotionnel qui s’en retrouve décuplé. A titre d’exemple, on peut citer les reprises de ‘Stampede’, ‘Remember’ ainsi que ‘Battle of Pride Rock’ qui se caractérisent par un puissant déferlement symphonique qui n’était pas autant marqué dans la BO de 1994. Le son des percussions retentissantes de ‘Battle of Pride Rock’ ne sort plus d’un clavier électronique désormais poussiéreux mais rappelle davantage le « drum circle » de MAN OF STEEL. Tandis que les cordes et les cuivres massifs qui s’entrelacent aux chœurs africains subliment le thème principal du Roi Lion dans ‘Simba is Alive !’ et ‘Remember’. On retrouve également la flûte soliste accompagnant le voyage initiatique de Simba tout au long de l’histoire (‘Elephant Graveyard’, ‘Stampede’). La construction musicale est note pour note ce qu’elle était dans le film il y a 25 ans bien que plusieurs morceaux soient condensés dans un seul (La version 2019 de ‘Stampede’ comprend ‘Stampede’, ‘Mufasa Dies’ et ‘If You Ever Come Back, We’ll Kill You’).
Il n’y a rien à ajouter si ce n’est que LE ROI LION 2019 est une brillante revisite de l’œuvre qui demeurera à jamais la plus intimiste et la plus profonde du compositeur allemand.
David-Emmanuel – Le BOvore