Je vous propose aujourd’hui un « Arts et essais » sous le signe des sciences humaines ! De l’Histoire tout d’abord, avec François Reynaert qui dépoussière la nôtre de ses clichés avec talent (et en images !), de la politique ensuite avec l’analyse aiguisée et mordante de Juan Branco sur l’ère Macron suivie de celle de Datayolo en irrésistibles graphiques et camemberts, et des entretiens sur la décroissance avec Pierre Rabhi… « Hé, la mer monte » nous dessine dans la foulée, avec autant d’humour que de sérieux, les conséquences du réchauffement climatique sur nos littoraux, et Thierry Prado nous invite à l’accompagner sur ses chemins de traverse pour une éducation vagabonde et sans frontières… Pour terminer, je vous invite à redécouvrir le cycle d’essais « La vie de la nature » de Maurice Maeterlinck, réédités à tout petit prix chez Bartillat ! Bonnes lectures saines et instructives à toutes et à tous !
En démontant ses mythes, bien ancrés dans l’inconscient collectif, François Reynaert apporte un éclairage nouveau sur notre Histoire et incite le lecteur à en faire une analyse critique, épurée des nombreux clichés qui faussent son jugement, au fil des pages de ce très bel ouvrage richement illustré où il nous propose de revisiter l’Histoire, toujours « sans clichés, mais avec des images » ! Un travail de recherche, puisé dans celui des plus grands historiens, déjà édité en 2010, mais cette fois appuyé par une riche iconographie (illustrations de manuels scolaires, affiches de propagande, publicités, affiches de films, toiles de maîtres..) qui met en lumière la manière dont chaque période a inventé et représenté l’Histoire. Édifiant et passionnant, cet essai antinationaliste (mais pas « anti français » !) dépoussière les 2000 ans d’Histoire qui nous précèdent pour nous offrir, de manière claire et accessible à tous, « une Histoire de France à l’usage des citoyens du XXIème siècle », des gaulois à la révolution française, en 28 chapitres dûment argumentés et plaisamment illustrés. Un essai aussi brillant qu’agréable à parcourir pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui en appréhendant de manière plus juste son passé !
Nos ancêtres les gaulois et autres fadaises de François Reynaert, Fayard / EPA, 2019 / 29,95€
Le macronisme, nouvelle variante du fascisme ? C’est du moins la brillante thèse que Juan Branco (conseiller juridique de Julian Assange et avocat de quelques grandes figures des gilets jaunes) argumente dans cet essai en forme de brûlot. De sa personnalité ambigüe à sa manière autoritaire de diriger le pays, Juan Branco analyse finement et sans la moindre concession la personnalité de cet homme, inconnu du grand public et jamais élu démocratiquement pour aucun mandat, qui a été parachuté au plus haut sommet de l’état de manière vertigineuse… Pourquoi et comment ? Ses alliés dans la finance et dans les médias, qui l’ont surmédiatisé au cours de la campagne présidentielle, l’ont certes aidé à gravir les marches du pouvoir. Le contexte politique, soumis à de nombreux tiraillements à l’intérieur des partis historiques de droite et de gauche, a fait le reste : en se retrouvant face à l’extrême droite au second tour (avec 24 % des voix… ), sa victoire était assurée sans le moindre risque… Pour Juan Branco, une coquille vide se cache derrière le masque de compétence que Macron s’est forgé pour dissimuler son incapacité à incarner le pouvoir. Trop imbu de lui-même, celui-ci est incapable de comprendre les besoins de ses compatriotes, ou plutôt de ses « sujets », au vu de la morgue affichée envers les petites gens qui n’ont pas oublié les phrases assassines du genre « pour trouver du boulot, il suffit de traverser la rue », ou « Je ne cèderai en rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes »… Un mépris souverain qui suscite crescendo la colère des français de tous bords depuis le début de son mandat, une légitime colère qui ne trouve aucun écho auprès de Macron qui n’apporte en réponse que la répression de plus en plus musclée d’une police à ses ordres… Mutilations de manifestants par des policiers, arrestations arbitraires, jugements sévères pour de petits délits comme celui de décrocher le portrait de « Jupiter » : notre président « par défaut » n’autorise décidément aucune contestation, même symbolique, autour de sa précieuse personne… Son bilan à mi-parcours est celui des inégalités sociales et des injustices flagrantes, du démantèlement des services publics et des acquis sociaux gagnés de haute lutte par nos aînés, au profit d’une poignée de privilégiés. Si nous ne sommes pas encore en dictature, nous ne sommes déjà plus en démocratie mais dans le règne d’une oligarchie qui prend de plus en plus ses aises… Même si sa lecture n’est pas aisée du fait de sa forme littéraire et de la complexité du vocabulaire utilisé, cette « ontologie du monarque » nous éclaire de tous ses feux pour nous maintenir en vigilance en toute connaissance de cause. Si nous ne réagissons pas, nous laisserons s’installer une société de plus en plus injuste qui finira par tous (ou presque…) nous broyer…
Contre Macron : ontologie du monarque par Juan Branco, Plon, 2019 / 5€
Derrière DataYolo se cache Sophie Gindensperger, une journaliste (« Arrêt sur images », « Libération », « Slate.fr ») qui a eu la brillante idée en 2016 de commenter l’actualité politique sur les réseaux sociaux en utilisant la technique des graphismes de données. En voici un florilège compilé dans ce petit recueil au concept des plus originaux : page de gauche : la déclaration assassine (ou stupide !) de Macron ou d’un membre de la REM (ou des extraits d’articles de presse sur l’actualité), page de droite, le graphisme correspondant, issu de l’ingéniosité doublée d’humour de DataYolo, pour une revue de presse qui se veut aussi mordante qu’ironique ! En cinq chapitres (« Et en même temps », « Des gaulois réfractaires au changement », « Au lieu de foutre le bordel », « Les gens qui réussissent » et « Make our planet great again »), c’est toute la quintessence de la « start-up nation » qui se déroule avec pertinence sous nos yeux, en courbes, camemberts et histogrammes qui reflètent à merveille le ressenti de millions de français… Gilets jaunes, migrants, écologie, démissions de ministres, affaire Benalla, privatisation d’ADP, parcours sup, commémoration de Pétain… DataYolo, « au doigt mouillé » prend à merveille la température de l’hexagone en exprimant les émotions du peuple français face au mépris d’un président qui lui jette en pleine face sa poudre de perlimpinpin… Et c’est furieusement drôle même si parfois le rire se fait jaune !
Les vrais chiffres de la start-up nation / DataYolo, Les Liens Qui Libèrent, 2019 / 12,80€
Pollution des sols, de l’air et de l’eau, dérèglement climatique qui s’accélère, diminution drastique de la biodiversité, accroissement des catastrophes naturelles… Il serait temps de lever le pied sur l’hyperconsommation, les humains, avant que le ciel ne nous tombe sur la tête ! Si les citoyens du monde semblent prendre conscience qu’il faudrait changer notre mode de vie pour inverser le processus en marche, leurs dirigeants, malgré leurs beaux discours, ne prônent que croissance et profits et n’agissent pas ou si peu pour l’environnement, proposant de temps à autre quelques mesurettes pour donner l’impression que l’état de la planète les préoccupe… Cette croissance portée aux nues résout-elle les problèmes économiques dans le monde ? Les chiffres sont là pour nous affirmer le contraire. Bien… Mais pourrions-nous mieux vivre sans croissance, dans une sobriété heureuse et choisie… Et comment ? C’est ce que vous allez découvrir au fil des pages de ce nouveau « Carnet d’alerte », le cinquième réalisé par Juliette Duquesne et Pierre Rabhi (après « Les semences : un patrimoine vital en voie de disparition », « Pour en finir avec la faim dans le monde » (chroniques ici !), « L’eau que nous sommes : un élément vital en péril » et « Les excès de la finance ou l’art de la prédation légalisée »). Sous la forme d’une enquête minutieuse menée auprès d’une soixantaine de spécialistes (économistes, sociologues, politologues, entrepreneurs…) et par les témoignages qu’ils ont recueilli auprès de citoyens « lambda » (européens, africains ou asiatiques), ces « passeurs de savoirs » nous offrent une vision globale de la non-croissance et les solutions à notre portée pour l’atteindre, par le biais des réflexions et analyses qu’ils portent à notre connaissance tout au long des quatre chapitres qui composent ce nouveau carnet (« La croissance au détriment de l’humain », « La croissance au détriment de la nature », « Se développer avec équité » et « Organiser la sobriété au quotidien »). La transition écologique ne pourra se réaliser sans une réelle décroissance : à nous de faire entendre notre voix auprès de nos dirigeants pour changer en profondeur nos sociétés si nous voulons survivre et laisser une chance à nos malheureux descendants de vivre sur une planète « habitable » ! Avec bienveillance, sagesse et professionnalisme, Juliette Duquesne et Pierre Rabhi nous donnent les clés pour construire un nouveau monde plus équilibré et plus juste. Que nous soyons puissants ou misérables, ne jamais perdre de vue que nous ne sommes rien sans notre planète.
Vivre mieux sans croissance de Pierre Rabhi et Juliette Duquesne, Presses du Châtelet, 2019 / 15€
Tout au long de l’année 2019, Eric Chaumillon (professeur en géologie marine à l’université de La Rochelle), Mathieu Duméry (le fabuleux youtubeur écolo plus connu sous le nom de professeur Feuillage) et Guillaume Bouzard (dessinateur de presse (« Fluide Glacial », « Le canard enchaîné ») et de bandes dessinées) ont donné des conférences sur le changement climatique au cours de « shows scientifiques » où l’humour se disputait à la rigueur scientifique. Vous n’avez pu y assister ? Vous en retrouverez toute la saveur (et le sérieux !) dans ce petit bouquin aussi drôle qu’instructif ! Eric Chaumillon, le scientifique du trio, nous présente en dix chapitres un état des lieux sur les conséquences du réchauffement climatique sur nos littoraux, en partant de l’histoire de la Terre à notre époque soumise au développement des activités humaines, nous expliquant de manière limpide les mouvements verticaux des côtes, l’importance des sédiments pour compenser l’élévation du niveau marin et la nécessité de restaurer et de développer les zones humides pour piéger le carbone. Le professeur Feuillage, quant à lui, nous régale d’anecdotes et de « minutes » savoureuses pour renforcer les propos de son confrère, tandis que Guillaume Bouzard les illustre en dessins humoristiques aussi réjouissants que parlants ! Pour terminer, vous trouverez en fin de volume, un portfolio des zones littorales dans le monde, en autant de preuves par l’image qui vous aideront encore mieux à comprendre les thèmes évoqués tout au long de cet essai vulgarisateur qui traite son sujet avec le plus grand sérieux mais de manière ludique !
Hé… La mer monte ! Chronique d’une vague annoncée par Eric Chaumillon, Mathieu Duméry et Guillaume Bouzard, Plume de Carotte, 2019 / 19€
« Aucun vagabondage n’est inutile, aucune poésie n’est superflue ». On en est très vite convaincu lorsqu’on se plonge dans les récits de voyage de ce « pirate libertaire » qui nous apporte, avec un beau brin de poésie, son regard de vagabond céleste sur ses découvertes de la nature, sur ses rencontres avec les autres, mais aussi avec lui-même. Au fil des pages de ces passionnants « Savoirs vagabonds », nourris de sa philosophie de vie, de ses expériences et de ses réflexions, Thierry Pardo nous raconte ses pérégrinations en famille tout autour du monde, en compagnie de ses deux enfants à qui il offre une fabuleuse école buissonnière, sans nul doute bien plus enrichissante que celle proposée par l’éducation nationale… «Le vagabondage est un cadeau que j’offre à mes enfants parce qu’au-delà des multiples apprentissages, de l’ouverture sur le monde et sa mosaïque de cultures, l’aventure au quotidien procure un rapport apaisé aux risques et aux aléas de la vie.» Une « écoformation géopoétique » qu’il a mise en pratique en France et aux quatre coins du monde, du coeur des forêts de Haute Provence à celles de Bolivie, des sommets des montagnes du Népal à celles du Maroc ou du Pérou (pour prendre de la hauteur en « tutoyant les nuages »), dans les déserts de l’arctique canadien ou du Sahara marocain, ou bien encore sur l’eau, des chemins de la liberté aux USA au fjord de Saguenay du Québec où il a navigué à bord d’un voilier, avec les baleines pour compagnons de voyage… Le tumulte des villes n’est pas occulté par Thierry Pardo et ses semelles de vent l’ont mené de Chicago à Katmandou en passant par La Paz, alors en proie à de terribles émeutes… Quel terrain de jeu plus profitable pour la construction d’un enfant que cette éducation libre aux contacts des éléments ? Ces chemins d’errances heureuses parcourus avec une curiosité respectueuse nous offrent une réelle source d’inspiration : difficile de ne pas succomber au vent de liberté qui souffle sur ces récits vagabonds qui se dévorent comme un roman d’aventures doublé d’un récit initiatique ! Si tout comme moi vous tombez sous le charme de la philosophie de vie de Thierry Pardo, vous pouvez également vous procurer ses deux précédents ouvrages : « Une éducation sans école » (Ecosociété) et « Petite géographie de la fuite » (Les éditions du Passage).
Les savoirs vagabonds de Thierry Pardo, Ecosociété, 2019 / 15€
Couronné du prix Nobel en 1911 pour son oeuvre littéraire (poésie, théâtre, essais…), Maurice Maeterlinck a remporté auprès du grand public un honorable succès avec sa trilogie sur les insectes sociaux : « La vie des abeilles » (paru en 1901), « La vie des termites » (en 1927) et « La vie des fourmis » (en 1930). Ces essais sur la biologie animale, nourris des réflexions basées sur l’observation minutieuse de Maeterlinck, sont depuis leur lointaine parution toujours considérés comme des références sur la construction sociale du monde naturel. Des « classiques » intemporels à (re)découvrir de toute urgence puisqu’ils sont réédités, dans la jolie collection de poche « Omnia » des éditions Bartillat, à tout petit prix : vu la somme de connaissances qu’ils proposent, voilà une bien belle occasion de replonger dans cette passionnante exploration de la vie des insectes !
La vie des abeilles / La vie des fourmis / La vie des termites / de Maurice Maeterlinck, Bartillat, 2019 / 12€ (abeilles et fourmis), 10€ (termites)
Christine Le Garrec