Des pigments sous les ongles & sous les yeux ce mois-ci : trois ouvrages qui traversent siècles et mers et où faiseurs d’images et tisseurs de mots se répondent.
Basquiat remix
Matisse, Picasso, Twombly
Cet ouvrage bilingue est un bel et honnête hommage à l’œuvre de Basquiat, évoquée subtilement en miroir avec certains travaux de Picasso, Matisse et Twombly. Ces maîtres furent des influences signifiantes dans le parcours du jeune new-yorkais et nous permettent d’en saisir la puissance formelle, poétique et politique. A l’avant-garde d’une modernité renouvelée à la force des couleurs primaires et d’une figuration radicale, jamais candide, les toiles se répondent et nous transmettent une énergie viscérale.
Page après page, on saisit la profondeur d’un langage polymorphe, riche, aux origines diverses et d’autant plus troublant qu’il est intime. La force de ce livre tient à ce choix d’oeuvres.
L’avantage de ce texte est qu’il aborde la position de l’artiste face au monde de l’art des années 80. Bien qu’en marge des écoles d’art, Basquiat entra résolument en contact avec l’élite des galeristes et artistes contemporains. Il était par ailleurs lucide quant à ce qu’on souhaitait faire dire à sa peinture, via des analyses racistes ou naïves, et ce malgré l’intensité directe de son geste.
Une interview avec Yvon Lambert, ami et galeriste qui exposa Basquiat à Paris en 1988, quelques mois avant sa mort, clôt l’ouvrage en nous offrant une image charnelle et sensible de cet artiste fulgurant.
Basquiat Remix Matisse, Picasso, Twombly (Collection Lambert) par Stéphane Ibars et Aude Marquet, Actes Sud, 2019 / 29€
© Éditions Soleil 2019 – Lacombe
Histoires de fantômes du Japon
Invités par l’étrange beauté de la couverture, cet ouvrage nous laisse découvrir les légendes et territoires recueillis par les yeux de Lafcadio Hearn, écrivain irlandais ayant pris nationalité et patronyme japonais à la fin du 19ème siècle.
Ces histoires nipponnes contées par une voix européenne procurent une mise en abîme singulière ; ici, point de morale manichéenne et un conteur qui s’interroge sur ce qu’il voit et perçoit.
Ces promenades folkloriques nous mènent dans de nouveaux espaces où surnaturel et réel se dévisagent, au fil des pages superbement illustrées.
Loin des spectres aux allures drapées de nos contrées, du sinistre et de l’austère, les dessins de Benjamin Lacombe font le lien entre les siècles passés et les imaginaires : il utilise diverses techniques et ses bleus redonnent toute leur sensualité aux apparitions mythiques.
Sans jamais verser dans le pastiche, ses images mêlent poésie et espièglerie jusqu’à nous amener à des jeux japonais anciens, revisités à la fin de cet ouvrage.
La fascination du Japon de ces deux hommes, Lafcadio Hearn et Benjamin Lacombe, nous est toute entière transmise.
Histoires de fantômes du Japon par Lafcadio Hearn, illustré par Benjamin Lacombe (collection Métamorphose), Soleil, 2019 / 30€
Max Jacob, lettres à un jeune homme 1941-1944
Converti au catholicisme et retiré à Saint-Benoît-sur-Loire, loin de sa jeunesse bohème montmartroise, Max Jacob entretient une abondante correspondance. Véritable prisme, ces mots sont précieux pour aborder la sensibilité du poète, peintre, romancier et ami.
Ce recueil de lettres écrites entre 1941 et 1944, contexte historique qui lui sera fatal, nous donne accès à l’intériorité de l’artiste : on y découvre le rythme de ses jours et le fond de sa pensée mis au service d’une jeunesse demandant conseil.
Une générosité de temps et d’attention, une bienveillance évidente se dégagent de ces lettres. Un véritable échange se tisse autour des notions d’esthétique et de spiritualité : Max Jacob répond aux interrogations du jeune homme en insufflant son expérience sans jamais faire montre de supériorité. La foi en est le sujet central : doutes et aspirations sont évoqués dans une écriture qui se veut un guide tendre et honnête.
A l’orée de cet ouvrage, Jean-Jacques Mezure, destinataire de ces lettres, préface ce portrait entre les lignes de Jacob et redessine le contexte de leur rencontre épistolaire.
Max Jacob : Lettres à un jeune homme 1941-1944, préface de Jean-Jacques Mezure (collection Omnia), Bartillat, 2019 / 9€
Nush