(RÉTROSPECTIVE 4# LA SORTIE DE TENET EST UNE OCCASION POUR SE REPLONGER DANS L’UNIVERS MUSICAL DE CHRISTOPHER NOLAN)
Tic…Tac…Tic…Tac… Quand une montre de poche rencontre John Carpenter, cela donne la bande-originale de Dunkerque (Hans Zimmer). A déconseiller aux personnes cardiaques !
Dunkerque a beau être annoncé comme le « Il Faut Sauver Le Soldat Ryan » de Nolan par les premières critiques, personne ne s’attend à entendre des airs de trompettes patriotiques apparentés à ceux d’un certain John Williams. Les fins connaisseurs du tandem ne misent pas non plus sur d’innombrables envolées de violons lyriques façon Pearl Harbor (M. Bay, 2001) ou La Ligne Rouge (T. Malick, 1999). Car Nolan et Zimmer riment avec réinvention. S’inspirant librement de l’opération Dynamo, cette nouvelle épopée nolanienne revient sur l’évacuation en catastrophe de 400 000 soldats britanniques acculés sur la plage de la ville française par les armées nazies au printemps 1940. Pour la première fois de sa carrière, le metteur en scène s’empare d’une histoire vraie. Dès lors, comment susciter l’excitation chez une communauté de fans habituée à des intrigues quelques peu alambiquées ? La réponse est simple : proposer une expérience cinématographique immersive réalisée à partir « d’une fusion inédite entre l’image, le son et la musique ». Nolan s’aventure lui-même sur le terrain de l’expérimentation musicale avec l’investissement qu’on lui connaît tandis que le commandant en charges des opérations Zimmer – ici dans son genre de prédilection – semble relégué au rang d’un simple exécutant. Chacune de ses idées s’avère être à l’origine des fondements du score qu’il souhaite dénuer de toute émotion, estimant que son adaptation en comporte un lot suffisant. La notion de temps étant, une fois encore, omniprésente, il commence par capturer le tic-tac d’une montre à gousset « au bond particulièrement insistant ». Chargé de bâtir des pistes sonores à partir de cet enregistrement, Zimmer déploie ses troupes – on retrouve notamment Benjamin Wallfisch et Lorne Balfe aux musiques additionnelles, Tina Guo au violoncelle électrique ou encore Satnam Singh Ramgotra aux percussions – puis mitraille le spectateur de boucles électroniques invasives entièrement destinées à dicter le rythme du récit. Des pulsations sonores innervent ses créations synthétiques tout droit inspirées des méthodes du « Maître de l’Horreur », John Carpenter (« Supermarine », « Impulse »).
[La musique de John Carpenter] s’apparente à des battements de cœur, et nous avons suivi cette démarche pour écrire la musique […] On s’est efforcés d’explorer la relation sonique entre un battement de cœur qui s’accélère et le « tic-tac » d’une montre. On voulait créer une bande-son expérimentale autour de cette relation entre la représentation technologique du temps et sa forme organique, notre corps. Et comment cette relation change sous l’influence du suspense, de la peur ou d’une action intense.
Christopher Nolan
Étonnamment intemporelle, la musique devient une véritable composante rythmique continuelle et anxiogène épousant au passage les différents enjeux de l’histoire pour y adapter sa texture. Celle-ci se décompose selon trois dimensions bien localisées : la terre, la mer et l’air. Zimmer développe des motifs plus lancinants soulignés par quelques traits de violoncelle pour les parties terrestres (la scène d’introduction « The Mole ») et maritimes (l’appareillage des bateaux britanniques dans « We Need Our Army Back ») avant d’entreprendre une montée en intensité surprenante, augmentée de palpitations électroniques nettement plus marquées, lorsque le Spitfire de Farrier (Tom Hardy) réalise ses premières piquées (« Supermarine », « Impulse »). Tout colle au millimètre près du travail de montage de Lee Smith, récompensé d’un Oscar, sans jamais perdre un instant l’attention du spectateur, maintenu dans une nervosité permanente par les effets d’accélérations/décélérations d’une musique quasi-cinétique (« The Oil », « Impulse », « Home »). En écoute isolée, c’est une autre histoire… Nolan a justement conscience que son caractère purement atmosphérique peut en déconcerter plus d’un, d’autant plus qu’il est parfois difficile de démêler la partition du sound design. Le tandem s’amuse en effet à incorporer de nombreux bruitages incommodants tels que de véritables détonations ou des vrombissements de moteurs d’avions et de bateaux qui tendent vers une expérience plus sensorielle. « Tout cet ensemble sonore devait donner l’impression de bouger plus vite que le film lui-même » insiste le cinéaste. Selon lui, le croisement entre ces deux départements artistiques semble n’avoir jamais été poussé aussi loin.
Le cliquetis incessant du mécanisme de la montre continue de traduire l’écoulement du temps jusqu’à l’arrivée inespérée des marins britanniques venus secourir leur armée prisonnière : les variations victorieuses du symbolique ‘Nimrod’ (Sir Edward Elgar, 1898/1899) triomphent alors sur l’anti-mélodisme. On ne vous surprendra pas en vous révélant que son utilisation découle, là encore, d’une idée de Nolan… Cette figure musicale anglaise écrite par l’un des plus éminents compositeur du 19/20ème siècle se manifeste selon un modus operandi similaire au traitement des mélodies d’Edith Piaff dans Inception. Quelques morceaux comme « The Mole », « The Tide » ou « Regimental Brothers » l’annoncent discrètement aux oreilles du public, une fois les mailles de multiples tableaux de remixages franchies. Une véritable préparation auditive pour le spectateur, à bout de souffle, qui finira par « l’accepter » sous une forme plus identifiable jouée par un orchestre luxuriant lorsque les troupes britanniques regagnent peu à peu leur terre natale (« Home », « Variation 15 », « End Titles »). Dunkerque n’est peut-être pas le retour en force tant-espéré de Zimmer – qui s’accorde une longue « pause » musicale à l’occasion d’une tournée de concerts de par le monde – mais on ne peut que saluer la technicité et le génie de sa « bouillie électronique » tant conspuée par ses détracteurs…
On a voulu opérer une fusion inédite entre le son et la musique. La raison à cela est qu’il y a très peu de dialogues dans le film et cela laissait un espace à remplir avec le son, dans l’optique de retrouver le langage du suspense. Je voulais une bande-son qui souligne continuellement la structure en trois couches du script (terre, mer, air), lesquelles s’imbriquent dans un élan permanent, pour une intensité allant crescendo
Christopher Nolan
David-Emmanuel – Le BOvore
(Source Photo de Couverture: hdqwalls.com)