Arts et essais N°52

De l’art tout d’abord avec les catalogues de trois expositions en cours (suspendues, hélas…) qui nous permettent de découvrir en beauté l’univers du Pop Art au féminin, le fabuleux travail du danois Peder Severin Krøyer et celui de Maurice Denis, « le nabi aux belles icônes »… Un petit tour dans le jardin d’amitié de Zao Wou-ki conté sous la belle plume de Dominique de Villepin, avant d’atterrir sur le balcon du photographe Philippe Enquin qui a capté avec une belle humanité des instants inédits du confinement du printemps 2020… Place à la musique ensuite avec un superbe catalogue de 1001 guitares, déclinées sous toutes les formes possibles et imaginables (un rêve de guitariste !), suivi d’une biographie exhaustive sur Eric Clapton et de deux passionnants essais sur les Floyd et les Rolling Stones : le premier évoquant les raisons de la séparation des Floyd avec Syd Barrett et le second nous relatant les coulisses du tournage de l’hallucinant « Rock’n’roll circus » ! Du cinéma avec deux ouvrages sur le grand Méliès, dont le musée vient d’être inauguré à la cinémathèque française, et on continue avec le témoignage d’une honnêteté glaçante d’Anne-Laure Chanel qui relate son vécu et son ressenti de grande sœur d’un frère polyhandicapé… Pour terminer sur une note légère, quoi de plus jubilatoire que les « touits » de Gérald Arno qui nous dépeint avec un humour décapant les affres de la société (et les siennes !) d’une écriture délicieusement surannée ! Belles découvertes à toutes et à tous !!!

« She-Bam Pow Pop Wizz ! » : ce chouette titre, qui sonne comme des onomatopées à la Gainsbourg, a été choisi par le MAMAC de Nice (qui fête cette année ses 30 ans) pour désigner une exposition célébrant les « amazones » qui ont apporté leur large contribution au mouvement Pop international, durant les années 60 et 70. Un slogan qui claque autant que les oeuvres des 35 artistes représentatives de ce style coloré, joyeux et irrévérencieux, qui y sont exposées ! C’est toute l’étendue du prodigieux travail de ces artistes qui ont exploré et imaginé un langage visuel inédit dans une totale liberté, avec l’ambition de mettre à jour un monde meilleur où les femmes prendraient enfin une place légitime, que vous découvrirez au fil des pages de ce très beau catalogue d’exposition. Richement illustré de reproductions de leurs oeuvres, il vous propose également d’érudits essais qui expriment l’essence même de leur art. Le premier chapitre (rédigé par Hélène Guénin, directrice du MAMAC) présente l’exposition et nous offre un historique du Pop Art avec une mise en lumière de la contribution des femmes à l’histoire de l’art. Ce sont ensuite Didier Semin (professeur d’histoire de l’art), Géraldine Gourbe (philosophe et critique d’art) et Sid Sachs (commissaire d’exposition) qui dévoilent leur vision sur le sujet (« Vroom vroom, le désir et les corps élégiaques » , »Arts de l’emballage », « L’ange du foyer et ses modernes solitudes », « Pop Art et méthode », « Demain sera meilleur ? » et « Réflexions élargies sur les femmes et le Pop Art »). Les notices biographiques des artistes présentées, une chronologie du Pop Art (évènements artistiques, sociopolitiques et culturels marquants de 1952 à 1973) et la liste des oeuvres exposées mettent un point final à ce formidable ouvrage qui offre une chance à tous ceux qui ne pourront visiter l’exposition (initialement prévue jusqu’au 28 Mars prochain) de découvrir l’univers de ces « Amazones » !

Les amazones du Pop (collectif), Flammarion, 2020 / 35€

L’heure bleue… Juste avant le crépuscule, une lumière très particulière qui efface la limite entre ciel et terre, apparaît à l’extrême Nord du Danemark, là où les eaux de la Baltique rencontrent celles de la mer du Nord… Une lumière prisée par Peder Severin Krøyer qui avait fait du village de pêcheurs de Skagen (comme beaucoup d’autres artistes…) son lieu de villégiature et de travail. C’est sur cette période que repose l’exposition qui lui est consacrée au musée Marmottan Monet (jusqu’au 25 Juillet prochain) où une soixantaine de ses oeuvres réalisées à Skagen sont exposées. Le catalogue de l’exposition que je vous présente aujourd’hui vous en donnera une vision des plus exhaustive : richement illustré de reproductions des oeuvres du maître, ce très beau livre vous propose de plus une analyse complète sur son travail (« Peder Severin Krøyer et sa carrière internationale », « Un amant de la lumière sous le ciel parisien », « Peder Severin Krøyer et la peinture de plein air danoise ») sous les plumes de Mette Harbo Lehmann (conservatrice) et de Dominique Lobstein (historien de l’art). Vous y découvrirez le parcours de ce maître danois qui a tissé des liens étroits avec la France (il fut l’élève de Léon Bonnat à Paris) et l’incroyable étendue de son talent à travers ses paysages marins (où ses pêcheurs au travail et ses enfants à la baignade ne sont pas sans évoquer ceux de Sorolla), ses portraits et scènes de la vie quotidienne… Il émane une incroyable force de vie dans l’oeuvre de Krøyer, par la lumière qu’il a su retranscrire à la perfection, mais aussi par son exceptionnel sens du mouvement et des expressions : le scintillement du soleil qu’il imprime sur la mer nous éblouit, on ressent les efforts des travailleurs de la mer à travers leurs muscles tendus et les crispations de leurs traits, on entend les cris et les rires des enfants qui s’ébattent joyeusement dans les vagues… Un artiste à découvrir grâce à ce classieux catalogue qui est une pure merveille !

L’heure bleue de Peder Severin Krøyer, Hazan, 2021 / 35€

Fondateur du groupe des nabis (avec Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Paul Ranson et Henri-Gabriel Ibels), Maurice Denis fut surnommé le « Nabi aux belles icônes » pour son goût des petits formats et son inclination pour les thèmes chrétiens. Il s’attacha ensuite aux arts du décor, puis au vitrail (dont il fut l’un des meilleurs rénovateurs au 20ème siècle) et aux arts de l’estampe et de l’illustration, avant de s’orienter vers un nouveau classicisme après un voyage à Rome où il fut fortement impressionné par les oeuvres de Raphaël (il réalisa alors de nombreuses commandes pour l’église). Tout en continuant la peinture au chevalet qu’il pratiqua en multipliant les genres, il fut également conférencier, historien de l’art et critique… Cet artiste aussi prolifique que talentueux, qui nous a laissé une production picturale d’une immense richesse et de nombreux écrits théoriques sur l’art moderne, est à l’honneur d’une exposition au musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (jusqu’au 16 Mai prochain). Au fil des pages de ce très beau livre qui en est le catalogue officiel, vous retrouverez la reproduction de ses oeuvres majeures (certaines dûment commentées) mais aussi sept passionnants essais rédigés par des spécialistes de sa vie et de son oeuvre : « L’itinéraire de Maurice Denis jusqu’en 1914 » par Fabienne Stahl (chargée de la valorisation des collections au musée départemental Maurice Denis), « Maurice Denis théoricien » par Jean-Paul Bouillon (professeur d’histoire de l’art), « Maurice Denis, le nabi aux belles icônes » par Isabelle Cahn (conservatrice au musée d’Orsay),  » Maurice Denis au temps du symbolisme » par Pierre Pinchon (maître de conférences), « Une terre promise, la Bretagne de Maurice Denis » par Guillaume Ambroise (directeur du musée de Quimper), « Maurice Denis, à la recherche du tableau perdu » par Catherine Lepdor (conservatrice au musée cantonal des beaux-arts de Lausanne) et « Maurice Denis et la Suisse » par Claire Denis (petite fille du peintre et initiatrice du catalogue Maurice Denis). Des repères biographiques (assortis de nombreuses photographies) et une bibliographie sélective complètent ce bel ouvrage qui nous offre une vision des plus exhaustive sur cet artiste curieux de tout (et boulimique de travail !) qui a laissé une belle empreinte dans l’histoire de l’art. Superbe !

.Maurice Denis : Amour (collectif) Hazan, 2021 / 35€

C’est avec une grande classe que les éditions Flammarion ont célébré le centenaire de la naissance de Zao Wou-Ki, avec ce superbe ouvrage où vous découvrirez huit poèmes inspirés et inspirants de Philippe de Villepin qui accompagnent une série de huit encres de chine (de 2006 )et 18 aquarelles inédites du maître, issues d’un carnet de voyage de 1950. Philippe de Villepin qui rend en fin de volume un émouvant et respectueux hommage à celui dont il fut l’ami et l’un des plus fervents admirateurs… Tout n’est que beauté, raffinement et plaisir des sens lorsqu’on s’immerge au coeur de ce livre délicat : les pages se déploient, laissant apparaître les textes en chinois, suivis des oeuvres de Zao Wou-Ki et des poèmes d’une sensibilité à fleur de peau de Dominique de Villepin. Des poèmes où sont évoqués la Chine mais aussi l’atelier parisien du peintre (« Le songe de Nankin », « Pékin, visages dans une foule », « Pékin, le palais d’hiver », « Wuhan, dans les brumes du fleuve », « Route de la soie » », « Shanghai, avant l’exposition », « Shaanxi, eaux et montagnes » et « Rue Jonquoy, souvenirs d’un jardin de toiles »). Ce livre précieux qui nous offre en fin de volume une biographie de Zao Wou-Ki augmentée de nombreuses photographies, est décidément incontournable pour tous les amoureux de ce peintre de l’impalpable et de l’invisible… Et des belles lettres.

Mots cueillis dans un jardin d’amitié par Zao Wou-Ki et Dominique de Villepin, Flammarion, 2020 / 39€

Captés durant le confinement du printemps 2020, sous le regard aussi malicieux que bienveillant d’un jeune photographe de 85 ans, les clichés de cet album sont les témoins d’un printemps peu ordinaire… Commerces fermés (du moins les « non essentiels »…), rues de Paris, vides et enfin respirables, où les oiseaux s’ébattent et où la nature reprend ses droits sans les pétarades polluantes de la circulation… Quelques travailleurs pour éviter le chaos, des passants nonchalants qui savourent le soleil printanier, des amoureux enlacés, des gens pressés, chargés de leur provision de PQ (un des grands mystères du confinement, non encore élucidé !), des gens à leurs fenêtres qui conversent avec leurs voisins et applaudissent chaque soir les soignants pour leur rendre hommage… Des SDF, davantage visibles dans des rues qui les rendent à leur solitude, seulement ponctuée par les gestes bienveillants de passants empathiques et par le passage des veilleurs des associations caritatives… Des sportifs, des cyclistes, des lecteurs absorbés le nez dans leur livre, des enfants qui retrouvent pour un moment trop court l’insouciance d’une liberté retrouvée… Chaque photo, d’un noir et blanc profond et lumineux, retrace ces petits moments d’un quotidien inédit, en « étincelles d’humanité », commentées avec autant d’humour que de tendresse. Le reportage photographique de Philippe Enquin nous redonne foi en une humanité qui, si elle est capable du pire, peut également l’être du meilleur : en captant de son balcon les élans de fraternité qui ont également fleuri en ce printemps étrange, il pose un voile de douceur sur l’atmosphère de gravité qui a pesé sur nous tous lors de cette période anxiogène. Je ne pourrais en parler mieux que François Morel qui signe l’élogieux préambule de ce livre « témoignage » (que vous pouvez acheter en ligne sur le site de Philippe Enquin ou dans certaines librairies (ici !) : « Ses photos ne sont pas dans l’air du temps, elles sont dans le souffle de l’instant, quand la vie ne se résigne pas à baisser les bras, quand l’humour devient un acte de courage, quand le regard bienveillant devient la plus belle arme pour résister à la morosité ». Merci Monsieur Enquin de nous avoir offert ce florilège de tranches de vies aussi émouvantes que porteuses d’espoir d’un monde meilleur…

De mon balcon : chroniques d’un confinement parisien par Philippe Enquin, 2020 / 26€

Histoire de la guitare, catalogue des meilleures guitares jamais construites, « bible » en direction des amoureux de la guitare… C’est à un fabuleux voyage à travers le monde, les époques et les styles musicaux, que nous convie ce fabuleux ouvrage qui va faire rêver (et baver d’envie !) « gratteux » professionnels ou amateurs ! Quelles sont les guitares sélectionnées dans ce Panthéon ? Celles ayant une portée historique et culturelle et les classiques des productions (bas de gamme ou hors de prix !), mais aussi d’obscurs modèles et des curiosités (certaines sont en forme de paquet de corn flakes (si, si !), de nuage, d’étoile, de hache, à l’effigie d’Hello Kitty, de X Men, de Bob l’éponge…). De toutes formes et de toutes couleurs (de véritables oeuvres d’art…) celles-ci sont présentées par décennies, des années 30 à nos jours (un premier chapitre présente également les guitares réalisées à partir du 16ème siècle). Pour chaque guitare sélectionnée (acoustique, basse, électrique), vous trouverez sa photo, son type et ses caractéristiques, son fabricant, un texte relatant son histoire et son guitariste emblématique (tous styles confondus : baroque, classique, jazz, flamenco, rock, swing, blues, métal…). Cet impressionnant inventaire trouvera une place de choix sur les étagères des bibliothèques de tous les fondus de guitare… Une bible, vous dis-je !

Les 1001 guitares avec lesquelles vous rêvez de jouer (sous la direction de Terry Burrows ), Flammarion, 2020 / 25€

Cette biographie retrace avec une belle exhaustivité la vie tumultueuse et l’exceptionnelle carrière d’Eric Clapton, guitariste de génie qui a indéniablement marqué l’histoire du rock et du blues. Amours contrariées, drames familiaux, addictions à l’alcool et à la drogue… Le parcours de ce musicien (et chanteur !), star bien malgré lui, est loin d’avoir suivi le cours d’un long fleuve tranquille. Mais quelle carrière ! Clapton a d’abord exercé son art au sein de groupes prestigieux (The Yardbirds, John Mayall & The bluesbreakers, The Glands, Cream, Delaney & Bonnie, Derek et les dominos) avant d’accompagner les plus grands et de se lancer en solo… Il nous a offert d’intemporels « tubes » (Ah, « Layla« , « Tears in heaven« …), de superbes reprises (« I shot the shériff » de Bob Marley, « Cocaïne » de J.J Cale, dont il est un fervent admirateur)… Et une impressionnante discographie ! A la lecture de cet ouvrage, on découvre derrière le virtuose un homme fragile mais aussi un homme de coeur qui a fondé un centre de désintoxication aux Caraïbes et participé à de multiples concerts caritatifs… Cette biographie, qui se lit comme un roman, nous offre un fantastique panorama de la scène musicale internationale des sixties aux années 2010, où Clapton règne en bonne place, sa légendaire modestie dût-elle en souffrir… Passionnant !

Eric Clapton : Blues power par Jean-Sylvain Cabot, Le Mot et le Reste, 2021 / 22€

Si Syd Barrett n’avait pas été évincé du groupe, la musique et l’histoire des Pink Floyd aurait été bien différente… Il suffit d’écouter les mythiques albums « Dark side of the moon », « Wish you were here » et « The wall » (sans parler du titre « Shine on you crazy diamond » qui lui est dédié), pour être convaincu que Waters, Wright et Mason ne se sont jamais vraiment pardonnés de l’avoir abandonné, alors qu’il basculait dans la folie, pour le remplacer par David Gilmour, un autre de ses amis d’enfance… Mais, Syd, devenu ingérable par sa consommation accrue de LSD et campé sur son idéal artistique au détriment des impératifs de l’ascension fulgurante du groupe, ne leur a pas vraiment laissé le choix… Roger Waters, dans une interview, s’était expliqué à ce sujet : « Bien sûr que Syd a été très important… Le groupe n’aurait jamais pu exister sans lui parce qu’il composait toutes les chansons. Cela n’aurait pas pu se produire sans lui mais d’un autre côté, cela n’aurait pas pu continuer avec lui ». L’ont-ils trahi ? Sont-ils responsables de son tragique destin ? Auraient-ils pu l’aider davantage ? Ce passionnant essai qui retrace avec objectivité le parcours des Floyd (« Quand Syd Barrett est Pink Floyd » (genèse et apogée des Floyd de Syd Barrett), « La croisée des chemins » (choix douloureux de l’éviction de Barrett et arrivée de Gilmour), « Le miroir inversé des destins : 1968 /1970 » (descente aux enfers de Barrett) et « La culpabilité envers Syd au coeur des concepts du Floyd ») nous offre, en toute connaissance de cause, l’occasion de nous faire notre propre opinion sur le sujet… Brillant !

Pink Floyd & Syd Barrett : la croisée des destins par Alexandre Higounet, Le Mot et le Reste, 2021 / 19€

Conçu par Mick Jagger et financé par les Stones, « The Rolling Stones Rock’n’roll circus », réalisé en 1968, était à l’origine un projet pour la télévision. Les Stones ayant finalement renoncé à toute diffusion, le film a croupi des années dans des cartons chez Mick (qui voulait même le détruire…) avant de finalement sortir en 1996, grâce au pouvoir de persuasion de son réalisateur, Michael Lindsay-Hogg. Grâce lui en soit rendue, car il eût été fort dommage d’être privé de pareil témoignage sur l’énergie créatrice de ces années « psychédéliques » ! Imaginez un peu, vêtus de vêtements extravagants aux côtés d’artistes de cirque (trapézistes, cracheur de feu…), la fine fleur des artistes de l’époque réunie au sein du même groupe : The Who, Marianne Faithfull, Jethro Tull, Taj Mahal, John Lennon et Yoko Ono, Eric Clapton, Ivry Gitlis… L’égérie Brigitte Bardot avait même été pressentie par Jagger pour jouer le rôle de « Madame Loyal » avant de se désister (engagée sous contrat chez CBS) ! Figurants, témoins, projets aboutis ou avortés, mise en scène, titres joués, tensions entre musiciens, scènes coupées au montage… C’est avec autant de minutie que d’enthousiasme qu’Édouard Graham nous invite au fil des pages de cet ouvrage dans les coulisses de cet évènement sans commune mesure. Grâce à son sens du détail et à sa plume alerte, il nous immerge avec délectation au coeur de cette aventure aussi exceptionnelle que délirante, nous faisant traverser les couloirs du temps avec une jubilation teintée de nostalgie ! La dernière page de ce livre tournée, vous n’aurez plus qu’une envie… Découvrir le film !

The Rolling Stones rock and roll circus : les coulisses du film par Édouard Graham, Le Mot et le Reste, 2021 / 17€

Créateur d’histoires fantastiques et d’univers féériques, Méliès fut le premier à saisir la portée artistique du cinématographe, dès la première projection des frères Lumière, en Décembre 1895… Artisan indépendant et enthousiaste, il construisit à ses frais le tout premier studio de cinéma, monta sa propre maison de production (« Star film »), se fit metteur en scène, comédien, scénariste, technicien, décorateur, peintre et costumier pour réaliser entre 500 et 600 films… Copié par l’industrie cinématographique en pleine expansion et freiné par l’arrivée de la première guerre mondiale, il se retrouva ruiné et dut se résoudre à prendre un emploi de vendeur de jouets à la gare Montparnasse, après avoir détruit toute son oeuvre… Toute ? Heureusement non ! Grâce à sa petite fille et à Henri Langlois (fondateur de la cinémathèque française) qui ont réussi à retrouver ses oeuvres dispersées, un véritable trésor est désormais exposé à la cinémathèque, au coeur du tout nouveau musée Méliès (automates, tables de magie, lanternes magiques, plaques photographiques, jeux d’optique, affiches, caméras, stroboscopes…). Ce livre qui nous offre une biographie condensée de ce créateur de génie à qui l’on doit les premiers effets spéciaux de l’histoire du cinéma (« Méliès et l’art trompeur », « Méliès cinéaste », « Le studio de Montreuil », « La féérie chez Méliès et ses successeurs », « Le voyage dans la lune »), nous expose également les grandes lignes de l’histoire du 7ème art (« L’émergence du cinéma », « Les effets spéciaux après Méliès »). Servi par une riche iconographie (reproductions des pièces exposées au musée, photographies…), cet ouvrage nous donne à voir et à comprendre le talent visionnaire de ce magicien qui continue encore et encore à nous faire rêver… Sur le même sujet (et toujours chez Flammarion), vous pouvez également vous procurer le très bel ouvrage de Laurent Mannoni (ici) et visionner le film « Hugo Cabret » que le grand Scorsese a réalisé en l’honneur de celui à qui les réalisateurs d’hier et d’aujourd’hui doivent tant…

Musée Méliès : la magie du cinéma, Flammarion, 2021 / 14,90€

Ce conte onirique que l’on doit à Julien Tauber (conteur qui intervient dans le cadre de visites guidées d’expositions, notamment à la cinémathèque française), nous offre le rêve ultime et fantasmé de Georges Méliès, sous le regard complice de la lune qu’il chérissait temps… Ce voyage poétique et fantastique dans l’espace et le temps, qui nous entraîne fidèlement sur les traces du « magicien de Montreuil », fera le bonheur des grands, mais aussi des plus jeunes qui découvriront sous une autre forme le parcours de cet artiste précurseur !

La nuit magique de Monsieur Méliès par Julien Tauber, Flammarion, 2021 / 14€

Lorsque Léon et Paulin naissent prématurément, à six mois et demi, la vie de leur sœur et de leurs parents va basculer dans un autre monde… Car si Léon survit sans séquelles, il n’en n’est pas de même pour Paulin qui, après une hémorragie cérébrale, se retrouve polyhandicapé… Temps et espace sont désormais aménagés autour de ce petit garçon totalement dépendant, laissant peu de place aux enfants « bien portants » qui ne demandent bien évidemment pas autant d’attention de la part de leurs parents… Une lourde charge et un parcours du combattant qui ne prendront pas fin, bien au contraire, lorsque ce fils et frère deviendra adulte : les démarches sans fin et la recherche d’un centre adapté pour l’accueillir dans la bienveillance et la dignité se révèleront tout aussi épuisants… Des chapitres courts, des mots percutants pour dire l’amour mais aussi la culpabilité de la honte ressentie bien malgré soi face au regard des autres… Des mots écrits comme en apnée, dans un élan libérateur pour évacuer des sentiments contradictoires jamais vraiment exprimés… Mais comment faire entendre sa propre souffrance lorsqu’on est confronté à un drame qui touche si durement votre famille ? C’est avec une honnêteté sans faille qu’Anne-Laure Chanel nous dévoile la dualité de ses sentiments, ses doutes et ses états d’âme parfois inavouables qui ne masquent cependant pas sa profonde affection pour ce frère dont elle est si loin et si proche à la fois… Un témoignage d’une « sœur sans bruit » qui libèrera la parole de bien d’autres frères et soeurs confrontés au même parcours… Car si la douleur des parents est souvent et justement évoquée face à pareil drame, on occulte encore trop souvent le traumatisme des frères et soeurs face à un tel bouleversement familial… Un récit d’une force émotionnelle rare qui soulève au passage les manquements de notre société à l’égard des handicapés mais aussi de leurs familles…

Sœur sans bruit par Anne-Laure Chanel, Le Rouergue, 2021 / 20,80€

Étienne D., D comme Dorsay, le héros incarné par le regretté Jean Rochefort dans deux célèbres films du non moins regretté Yves Robert. Gérald Arno a décidément fort judicieusement choisi son pseudonyme pour balancer ses « touits » sur la Toile… Car il partage avec l’interprète de « Nous irons tous au paradis » une élégance innée, si l’on en croit ses mots choisis avec délectation dans une langue délicieusement surannée, peu courante dans le flot des messages qui fleurissent à tout va sur les réseaux sociaux ! La moindre info captée sur les ondes se transforme illico sous sa plume en de jubilatoires instantanés, enrobés d’un humour caustique que n’aurait pas renié Desproges ou les Monty Python ! Mais l’actualité, même si elle est très présente dans ses textes (le Covid et le confinement y tiennent une bonne place aux côtés de l’inanité du monde politique à l’échelle mondiale) n’est pas son seul cheval de bataille… Car ce noble pourfendeur du royaume de Twitter tire à boulets rouges sur tout ce qui l’agace (sans s’épargner lui-même) en fustigeant, dans le désordre, les lundis, les trottinettes, les fêtes de famille (qui n’en portent souvent que le nom), la fête de la musique, les collègues de travail, le travail tout court, les adeptes de légumes crus trempés dans des sauces bizarroïdes ou les transports en commun (pour ne citer que les plus récurrents). Le bougre ne passe néanmoins pas tout son temps à râler… Il lui arrive même de clamer son amour pour la sieste ou le céleri rémoulade ! Je ne peux résister à vous proposer un petit florilège de quelques-uns de ses « touits » qui m’ont personnellement procuré un intense moment de plaisir ! Celui-ci, par exemple : « Oui les bars ferment, et je suis tristesse de voir en berne ces lieux de sociabilisation. Mais Michel Houellebecq sortant demain un recueil vantant les mérites de Trump, Poutine et Zemmour, c’est bien le signe que, parfois, il est bon de se tenir à l’écart de la bouteille. Santé. ». Et celui-là : « J’oppose à la brutalité des sushis livrés par un autoentrepreneur à bicyclette pour être bâfrés au coin d’un bureau conçu par un scandinave probablement tatoué, la douceur vintage d’un œuf mayo savouré dans une assiette Arcopal posée sur une table revêtue d’une nappe Vichy ». Allez, un petit dernier pour la route ! « Petite astuce que je partage ici afin de passer devant tout le monde à la caisse au Franprix. Je fais mes courses avec un cabas « Souvenirs de Wuhan »… J’adore !!!

La vie rêvée d’Etienne D. par Gérald Arno, Marabout, 2021 / 15,90€

Christine Le Garrec