Séance de rattrapage avec ce juke Box où bon nombre d’excellents albums attendaient patiemment le moment d’être enfin chroniqués… Et voilà, c’est chose faite ! Vous aurez donc enfin le plaisir de découvrir et de savourer la folie douce de Chamad Shango et leur électro swing survolté (mais pas que !), Le groove « funky soul » des canadiens de The Brooks, l’efficace « rock soul » de l’indomptable Bette Smith, la suave « soul jazzy » de Yasmine Kyd, et la gouaille tendre et énervée (et toujours empreinte de bon sens !) des Idiots ! Vous trouverez également dans ce juke box quelques albums tout frais sortis : le superbe album de Gabriel Saglio, qui mêle harmonieusement la très bonne chanson française aux rythmes festifs de l’Afrique, celui de Karen Lano qui nous offre un folk envoûtant, touché par la grâce de sa voix céleste, et celui de Bebly, dans un registre folk intimiste, dont les textes sombres et réalistes touchent en plein coeur… Belles et bonnes écoutes à toutes et à tous !!!
Incontrôlables, indomptables et bigrement talentueux, les Chamad Shango (Guillaume de Sacrafamès et Ory Minie) nous font battre le coeur à la chamade avec ce premier album fantasque et déjanté qui témoigne de leur sens inné pour la fête ! Dans la marmite de ce duo qui cultive un beau brin de folie, tous les styles sont mixés avec de vrais bons morceaux de jazz, d’électro Swing, de pop et de disco mais aussi de « trucs » non identifiés foldingues et accrocheurs qui font des bip et des zip… Pour un étonnant résultat qui donne instantanément la pêche ! Ce patchwork de sons bien barrés, décliné en ambiances « cabaret » ou « intergalactiques », fait en outre de savoureux petits détours chez les Aristochats ou chez les Rapetout, avec une aisance qui frise le respect ! Ce melting-pot survolté est néanmoins adouci par la voix caressante d’Ory (terriblement sexy !) dont les accents jazzy soul d’une puissance et d’une clarté folle nous embarquent direct vers les étoiles qu’elle allume dans nos yeux… Si l’on cherche les influences de ce duo explosif, il faut plutôt se tourner du côté de Parov Stelar ou de Caravan Palace… Mais la planète Chamad Shango a indéniablement son identité toute personnelle… Alors, ne cherchez plus, mettez à fond cet « Apokolo Libido » et laissez-vous porter par leur communicative folie créatrice, ça va vous faire un bien fou !!! Rhaaa Lovely !!!!
Apokolo Libido / Chamad Shango / Les Facéties de Lulusam / L’Autre Distribution / 16 Octobre 2020
Gabriel Saglio, toujours accompagné de son groupe « Les vieilles Pies », vient de sortir un nouvel album où chansons à textes et musique métissée de l’Afrique Lusophone font décidément bon ménage, dans une totale harmonie. Une musique festive et généreuse, nappée de sublimes voix africaines, qui embrasse chaleureusement la poésie de Gabriel, déclinée en dix titres mélodiques et dansants où il déclame son amour pour la vie sous toutes ses formes, en teintant de notes d’espoir et d’optimisme ses faces les plus sombres. Un album qui démarre sur une superbe déclaration d’amour à notre planète meurtrie (« Ma Terre« ) suivie de « Lua« , où la voix superbe et puissante de Bonga l’accompagne, « sous le regard tendre de la lune »… L’amour est bien sûr de mise au fil des plages de cet album, qu’il soit filial, amical, non partagé (« Stances à Marquise« , poème de Corneille accompagné des choeurs de Sekouba Bambino) ou charnel et fusionnel avec « Dans tes bras« , en compagnie de Lucia de Carvalho (« qu’il est bon de s’aimer sans retenue, quelle chance quand souffle ce vent là, juste là au meilleur endroit »)… En mots simples et touchants, Gabriel nous invite ensuite à « danser au milieu des averses » (« Demain« ), à laisser nos peurs « du vide, de la fin, d’une ride » (« Nuage« ), et à retrouver l’intelligence et la tolérance perdues de vue depuis que nous sommes tournés corps et âme vers nos écrans (« Intelligence« ). Retrouver le beau, le vrai, la joie et la danse, dans cette période où ces concepts sont cruellement absents de notre quotidien, ce n’est pas si compliqué finalement… Il suffit de rejoindre Gabriel sur son nuage, tout près de l’astre de la nuit, et de se réchauffer à la lumière chaleureuse qui émane de cet élégant et sensible magicien voyageur…
Lua / Gabriel Saglio / LVP / 5 Mars 2021
Ressortez vos pantalons pattes d’eph et vos longues jupes aux motifs psychédéliques de la naphtaline… Car vous allez vous retrouver illico presto au coeur de la musique afro américaine des 70’s avec The Brooks et leur funk monstrueusement groovy qui ressuscite James Brown et Fela Kuti d’entre les morts… Tout en les réinventant ! Mais de quelle planète peuvent bien venir ces musiciens au jeu créatif d’une totale liberté ? Du pays des caribous et des hivers interminables (si l’on excepte Alan Prater qui nous vient des USA) qu’ils réchauffent avec leur musique cuivrée et sexy en diable ! Avec ce troisième album qui dégage une sensualité des plus torride, ils déploient leur virtuosité en 12 titres flamboyants qui mêlent intimement, et avec une belle inventivité, un funk explosif et une soul voluptueusement élégante, sous la voix très charismatique d’Alan Prater, dont la tessiture n’est pas sans évoquer celles de Prince ou de James Brown ( y a pires références, non ? !). Vous l’aurez compris… « Any Day Now » nous met la fièvre… Et pas seulement celle du Samedi soir ! Si les petits ruisseaux font les grandes rivières, l’immense talent de ces « ruisseaux » canadiens a l’envergure du Saint-Laurent ! Le plaisir de jouer et la complicité palpable qui animent ces rois du funk et de la soul réunis se ressentent dès la première écoute… Un plaisir qu’on ne demande qu’à vérifier sur scène où ils doivent « dépoter » grave ! Vivement les concerts !!!
Any Day Now / The Brooks / Under Dog Records / 23 Octobre 2020
Ne rangez pas vos fringues des années 70’s, car on y reste encore un peu avec Bette Smith ! Sur un heavy rock sudiste, pêchu, énergique et délicieusement « vintage », la belle américaine laisse s’envoler sa somptueuse voix soul, chaude et rauque à souhait, qui laisse entrevoir une personnalité de battante tout en laissant filtrer ses fêlures et sa fragilité… Une voix dont la tessiture n’est pas sans évoquer la grande Tina Turner, avec qui elle semble partager bien des points communs ! Si cet album très « cinématographique » emprunte certains de ses titres aux westerns de Sergio Leone, son style groovy soul qui fleure bon la belle époque des années « Peace and love », colle quant à lui à la perfection au cinéma de tarantino (Quentin, si tu m’entends… Ne cherche plus la bande son de ton prochain film !). Avec quelques détours vers le blues ou le funk pour des titres tour à à tour dansants ou nostalgiques, « The good, the bad and the Bette » nous offre avant tout une soul sensuelle et puissante aux accents de gospel, sur les rythmiques d’un rock qui se fait par moments sauvage et rugissant sous des riffs de guitare électrisants… Et le mélange de ces deux styles donne un résultat détonnant et incroyablement énergisant ! Composé de 10 titres enchanteurs et envoûtants (dont deux reprises, Pine Belt Blues » de The Dexateens et « Everybody needs love » d’Eddie Hinton), cet album est une perle rare que les amateurs du genre vont adorer ! She’s feel good, yeah !!!
The good, the Bad & The Bette / Bette Smith / Ruf Records / Socadisc / 25 Septembre 2020
Sous un jazz d’une grande douceur, la voix sensuellement soul de Yasmine Kyd nous guide tout au long de cet album langoureux, au fil d’une croisière paisible où l’on se laisse bercer par d’apaisantes et ondulantes vagues. Pas d’orage au cours de cette traversée, mais une mer d’huile, seulement effleurée d’une brise légère, qui nous invite à la contemplation des étoiles… Au cours de ce voyage empreint de délicates émotions, le jazz se pare de couleurs Bluesy et de quelques notes de bossa nova pour mieux nous envoûter sous le charme de la voix de cette sirène bienveillante, dont le doux prénom évoque les mille et une nuits et les parfums d’orient… Cet album suave et feutré, en dix titres lumineusement hypnotiques (dont une superbe reprise de « Je suis venu te dire que je m’en vais » de Gainsbourg), nous procure un délicieux moment d’apaisement…
Night Sailin’ / Yasmine Kyd / Onde Music / Ropeadope / 30 Octobre 2020
Ouvrez la porte de l’univers de Karen Lano et vous passerez de l’autre côté du miroir, dans un monde fantasmagorique où sa voix cristalline et limpide, s’envolant en volutes de douceur mêlées d’énergie, vous envoûtera au fil des histoires que les muses lui ont soufflé à l’oreille : des contes féériques au coeur d’une forêt mystérieuse, sous la fraîcheur d’un sous bois peuplé d’êtres invisibles et bienveillants… Fermez les yeux et écoutez… Du ruisseau monte la plainte d’Ophélie, alors que Pégase s’envole vers le soleil… Au fil de textes empreints d’une douce poésie, la voix de Karen, accompagnée de chœurs célestes, nous fait tutoyer les anges sur un folk qui se pare de mille couleurs, tour à tour mélancolique, hypnotique, tribal ou davantage trad, qui nous donne envie de danser le pied léger. On doit certainement en partie cette ambiance mystique au fait que l’album a été enregistré dans une petite église de Normandie qui bénéficie d’une rare qualité acoustique, mais encore et surtout par l’alchimie qui se dégage entre la musique et la voix d’une exceptionnelle tessiture de cette magicienne touchée par la grâce… Un album d’une rare intensité qui nous élève et nous transporte ailleurs, bien loin des vicissitudes du monde…
Muses / Karen Lano / Le Chant des Muses / Modulor / 5 Février 2021
A l’origine, Bebly est un trio rock… Mais pandémie oblige, ses membres ont dû laisser guitares électrifiées et batterie survoltée en stand-by, comme tant d’autres groupes… L’occasion pour leur guitariste, Benjamin Blin, de se consacrer à d’autres projets plus intimistes, dont cet EP où il excelle dans un style Indie folk acoustique, intimiste et hautement vibrant. Accompagné de la mystérieuse De Nuit Loizeau, qui prête sa voix douce et claire au chant et aux chœurs, Benjamin déroule en textes ciselés ses bleus à l’âme en cinq titres sombres et réalistes, en autant de reflets de la désespérance de notre époque où il faut bien le dire, tout fout le camp… En mots puissants, il dénonce d’une voix d’écorché vif la responsabilité de chacun sur le triste état de la planète et sur la fin programmée de l’espèce humaine avec « L’extinction » (« On a tout saccagé, l’addition sera salée voire imbuvable… Faudra pas chialer quand il restera plus rien. La fin s’annonce sévère mais juste… ») ou l’urgence pour la jeunesse de « Prendre son courage à deux mains face à ses rêves dévastés et son avenir en cendres » avec « Mon inertie« . Un spleen qui se dévoile sur un air de valse mélancolique avec « Le spleen à présent » qui donne son titre à cet album sensible et percutant… « La violence du constat, la médiocrité régulière et la stérilité du débat » sont évoquées avec une justesse troublante par Benjamin qui aimerait qu’on l’aime « Avec ses défauts, pour ses défauts dès fois »… Et des défauts, il n’y en a aucun dans cet opus déchirant et prometteur… Vivement l’album !
Le spleen à présent / Bebly / 26 Mars 2021
Qui se cache derrière Les idiots ? Un trio qui se compose d’Arthur à l’accordéon, de Mika à la guitare et de Guillaume au chant. Et ces brillants Idiots cachent bien leur jeu car, sous ce patronyme peu flatteur, ils nous offrent un premier album magistralement intelligent où la chanson réaliste et le rock se mêlent intimement sous la voix rauque et gouailleuse de Guillaume qui fleure bon la gitane sans filtre et les insomnies récurrentes. Leur univers à la « Pigalle », qui lorgne parfois vers les « VRP », nous immerge avec un art consommé dans un style musical original et personnel, porté par des textes percutants où l’humour vache et la tendresse bourrue font cause commune avec de fabuleux coups de gueule sur l’absurdité du monde… Des textes en tranches de vie où l’on croise pas mal de jobards, toute une humanité qui porte elle aussi bien mal son nom, au coeur d’un système qui perd la boule. Vous y entendrez la complainte d’un chien d’ivrogne (« sac à puces du sac à vin, monsieur picole, moi je m’ennuie, de bar en bar, je vis sa vie… et moi j’dis que le bâtard, c’est lui »), ou celle d’un milliardaire pollueur et immoral (« Je m’torche avec la loi, après moi le déluge, j’amasse et j’empoche, politiques à ma botte »). Vous y croiserez un militaire en retraite adepte farouche de l’autodéfense (« Caméra dans l’sapin, grenade sous Grincheux, j’protège mon jardin, ma p’tite vie et mon chien, je n’recule devant rien, il est pas né celui qui volera mes p’tits nains ») et ferez un petit tour à « Lourdes « où des « bonnes soeurs en baskets s’émerveillent devant Bernadette, où on trouve de tout sauf des capotes, où la foi sent le fioul », sous le swing manouche de Sanseverino qui s’est invité au cours du voyage… Vous y prendrez connaissance de leurs dernières volontés pour de joyeuses « Funérailles » façon Brel (« J’veux qu’on s’amuse comme des fous, qu’ on danse autour de l’acajou, j’veux d’ l’amour et des guitares, de la gnôle et des pétards, même mort et enterré, j’veux vous entendre taper du pied »). Oui, « Tout le monde le sait » que « Les dés sont pipés, que du berceau à l’hospice, les pauvres restent pauvres et que les riches s’enrichissent, que le bateau coule et que le capitaine ment », que « la religion, comme le fist-fucking se pratique plus librement dans la maison que sur la place publique », que « Les chars sur les Champs Élysées roulent avec le fric des hôpitaux » et « qu’après avoir fait péter les plombs à la planète, il serait bon qu’on en prenne un peu dans la tête »… Et oui, on le sait, Les Idiots… Mais ça fait franchement du bien de l’entendre, énoncé aussi brillamment ! Si tout comme moi, vous êtes fan, vous trouverez photos, interview et compte-rendu de leur concert aux Nuits de Nacre en 2019, ici ! C’était trop bien !!!
Tout le monde le sait… / Les Idiots / 10h10 / Cristal Groupe / 6 Novembre 2020
Christine Le Garrec