Une équipe de « A vos marques… Tapage ! » sera présente à Angoulême pour vous dévoiler le plus largement possible les arcanes du festival international de la bande dessinée ! En attendant, pour vous mettre en bouche et vous faire patienter, je vous propose une moisson d’ouvrages, très différents dans leurs propos, qui mettent en lumière toute la richesse du 9ème art ! Je vous invite donc à découvrir au plus vite le merveilleux « Eaux fortes » d’Amandine Meyer, véritable oeuvre d’art publiée chez Misma (dont trois ouvrages sont dans la sélection officielle, rien que ça !), de replonger dans les incontournables de la littérature en mode express et humoristique, de suivre Luz dans ses souvenirs de Charlie Hebdo, de rigoler un bon coup avec un Faux Graphiste et les « footeux du Dimanche », de tout savoir sur l’origine du vin ou sur Juliette Morris, personnage historique controversé, de partager le vertige de Jean-Claude Denis ou encore de revisiter les oeuvres des monstres sacrés que sont Will Eisner et Mike Mignola ! Bonnes lectures à toutes et à tous… Et à très bientôt !
Cet album est classieux à tous points de vue : pour la qualité artistique des aquarelles à l’eau-forte d’Amandine Meyer, bien sûr, mais aussi par son « enrobage » dans une édition extrêmement soignée qui met le travail de cette artiste singulière dans une sacrée belle mise en valeur. Alors que nous raconte, après « Histoire décolorée », ce nouvel opus d’Amandine ? Pas une histoire, mais des centaines, sans parole, à imaginer au fil de ses tableaux aux univers fantasmagoriques où l’enfance et la nature sont omniprésents… Ses personnages enfantins sans visage, les yeux parfois bandés, entourés d’une nature magnifiée, luxuriante et vivante, découvrent le monde à travers leurs jeux innocents dans un Éden opulent où les dangers rôdent toutefois sous les traits d’anges rédempteurs : vie et mort s’entremêlent dans ce théâtre des fantasmes originels dans une ouverture vers des mondes merveilleux et oubliés… Sous le trait fin et délicat d’Amandine qui décline ses univers colorés en une palette polychrome qui semble infinie, déesses de la maternité, bestiaire fantastique, forêts et ruisseaux nous rappellent que la vie est un jeu qui a un début et une fin et qu’entre les deux, tout est prétexte à émerveillement. Avec ce superbe ouvrage, Amandine nous ouvre les portes de ses mondes oniriques et foisonnants où l’on plonge avec délices dans les menus détails : une oeuvre incomparable de beauté et d’imagination à contempler avidement… Et à classer dans votre bibliothèque avec vos ouvrages d’art ! Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches…
Eaux fortes d’Amandine Meyer, Misma, 2018 / 18€
Vous les avez sans doute lus, souvent de mauvaise grâce pendant votre scolarité, un certain nombre des ouvrages proposés dans cet album faisant partie des « programmes »… Vous n’en n’avez plus le moindre souvenir ? Pas grave, séance de rattrapage, en humour décalé catégorie rapido ! Grâce à Soledad Bravi et Pascale Frey, vous allez vous rafraîchir la mémoire et aurez sans doute envie de relire vos « classiques » ou de les lire tout court si vous aviez fait l’impasse dans votre jeune âge sur ces chefs d’œuvre de la littérature française et étrangère ! Toutes deux revisitent avec une jubilation communicative vingt romans des 19ème et 20ème siècle, dévoilant en quelques planches commentées dans un langage très contemporain, les déboires (amoureux pour la plupart) et les liaisons dangereuses des personnages intemporels de Balzac, Maupassant, Zola, et de bien d’autres encore ! Pour chaque roman, une page est consacrée à une courte biographie de son auteur et au « pitch » de son histoire, agrémenté d’anecdotes tout à fait réelles qui apportent un éclairage différent à l’œuvre en question, puis, ce sont les dessins minimalistes et expressifs de Soledad qui vous relatent dans les grandes lignes la trame du roman. Drôle et sans prétention, cet ouvrage, en salutaire piqûre de rappel, vous remettra en mémoire « La princesse de Clèves », « Bel-ami », « Belle du seigneur », « Au bonheur des dames », « La promesse de l’aube » (entre autres !) dans un format aussi inédit qu’humoristique (à la manière du regretté Jean Rochefort mais en dessin (je ne résiste pas à vous donner le lien vers sa version de « Madame Bovary » en vidéo, ici) !). Parus pour la plupart dans le magazine « Elle », douze de ces « histoires » sont inédites. Allez, interrogation écrite, maintenant !
Avez-vous lu les classiques de la littérature ? de Pascale Frey et Soledad Bravi, Rue de Sèvres, 2018 / 14€
Après « Catharsis » où il évoquait son quotidien de survivant après l’attentat tragique où la plupart de ses amis ont trouvé la mort (il y a échappé en arrivant en retard ce jour là à la conférence de rédaction…), Luz nous offre aujourd’hui avec « Indélébiles » ses souvenirs de Charlie Hebdo, depuis sa rencontre inattendue avec Cabu, qui allait changer sa vie, lorsque, tout frais émoulu de sa Touraine natale, il eût la chance de croiser son chemin. Si le ton est nostalgique, l’humour transparaît dans chacun des portraits qu’il dresse de ses compagnons (gentillesse et gourmandise de Cabu (son mentor, présent sur chaque planche ou presque…), penchant égrillard de Wolinski, côtés potaches de Charb et de Tignous, sagesse des plus anciens, comme Honoré) dans ce roman graphique où il nous invite à regarder par le trou de la serrure pour assister aux bouclages, aux fous rires et aux coups de gueule de ces joyeux drilles. Pas de pathos ici… Sa souffrance ne transparaît que par bribes, laissant place aux moments de déconnades et au bonheur de dessiner. Il y relate également ses reportages sur le terrain (dont la tournée de Renaud en Bosnie) ses galères et ses moments inattendus qui ont fait son quotidien de 1992 à 2015. Cet ouvrage précieux a valeur de document sur l’histoire de notre presse satirique symbolisée longtemps par Charlie, qui était un véritable vivier de talents : une histoire d’humour à l’encre noire qui perdurera tant que le travail de ces magnifiques artistes sera exposé et que leur mémoire sera restituée avec justesse comme le fait si bien Luz dans cet hommage sincère et émouvant qui retrace ses souvenirs, forcément indélébiles, de cette belle et longue aventure…
Les indélébiles par Luz, Futuropolis, 2018 / 24€
Violette aimait la vie, les femmes, le goût de la compétition et du dépassement de soi : elle fut une sportive des plus titrées de France, mais en plus, elle battait les hommes sur leur propre terrain dans toutes les disciplines où elle s’engageait : boxe, natation, football, athlétisme, course automobile (elle se fit même faire une mastectomie pour être plus à l’aise au volant)… Issue d’une famille de la bonne bourgeoisie, sa singularité et sa « grande gueule », ses provocations et l’affichage de son homosexualité n’étaient pas franchement du goût de tout le monde dans ces années trente où la place des femmes était reléguée loin derrière celle des hommes… Elle fut également chanteuse de cabaret, ses rondeurs et sa forte taille sanglés dans des costumes masculins, et fut l’amie de Cocteau, de Brassaï (qui l’a immortalisée) ou encore de Joséphine Baker : une personnalité hors normes qui vivait sa vie à cent à l’heure sans souci de ce qu’on pouvait bien penser d’elle ! Arriva la guerre. Et là commencent les zones d’ombre de Violette qui aurait collaboré avec Vichy et les allemands, en espionnant pour leur compte : elle aurait fait preuve de tant de cruauté envers les résistants tombés sous sa coupe qu’elle fut affublée du surnom de « Hyène de la gestapo »… Violette Morris fut abattue par les FFI en 1944… A-t-elle été tuée pour sa façon d’être et pour sa liberté où est-elle réellement coupable des faits qu’on lui a reprochés ? Avec honnêteté et sans parti pris, les auteurs de cette BD ont repris son dossier sous la forme d’une fiction basée sur ces faits réels. Par le biais de Lucie, amie (fictive) de Violette pendant leur scolarité commune dans une institution religieuse, on remonte en flashbacks toute son histoire. Lucie, avocate juive et ancien membre actif de la résistance, mandatée par les familles en recherche de leurs disparus, est sur le terrain où les corps d’une famille de collabos viennent d’être retrouvés, quand, parmi eux, elle reconnaît le corps de son amie… « Violette Morris à abattre par tous les moyens » maintient de la première à la dernière case l’attention de son lecteur, par le rythme soutenu et pêchu de son intrigue et par la qualité du dessin, apparenté à celui de Tardi, qui colle comme un gant à l’époque des faits énoncés. Un dossier historique en fin de volume est également proposé à notre curiosité dans cette première comparution qui en appelle trois autres… Que nous appelons vivement de nos vœux ! Palpitant !
Violette Morris à abattre par tous les moyens (Première comparution) par Javi Rey, Bertrand Galic, Kris et Marie-Jo Bonnet, Futuropolis, 2018 / 16€
Will Eisner, précurseur du roman graphique qui a vu naître la BD dans les années trente, a « croqué » New-York tout au long de sa carrière. « New-York trilogie », disponible pour la première fois dans son intégralité (trois chapitres intitulés « La ville », « L’immeuble » et « Les gens », précédés d’une introduction de son auteur), est certainement son œuvre la plus emblématique. Dans la première partie, Will Eisner construit des histoires à partir de neuf éléments de l’environnement de la ville (bouches d’égout, perrons d’immeubles, transports en commun, poubelles, bruits ambiants, bouches d’incendie, boîtes aux lettres…). Dans la seconde, il s’intéresse aux liens entre les constructions du passé avec les plus récentes, dans une dimension fantastique où il met en scène, en autant d’histoires que de personnages, les fantômes des habitants qui hantent les lieux. Enfin, dans la dernière partie, c’est l’humain dans tous ses états qui est passé au crible de cet incroyable observateur qui, à la manière d un anthropologue, met en lumière les us et coutumes de ses contemporains à travers toute la palette de leurs comportements. Son dessin lumineux qui décline toutes les nuances de gris dans un trait caractéristiques des années 30/40, laisse transparaître son regard bienveillant et empathique posé sur les marginaux et les laissés pour compte du rêve américain, invisibles dans le tumulte et la multitude de la ville tentaculaire. Ces destins multiples, noyés dans l’indifférence et le chacun pour soi, sont dépeints sans pathos, traversés de lueurs d’humour et de tendresse qui dénotent toute l’humanité de ce grand monsieur qui restitue avec une belle justesse le monde dans lequel il a évolué. Sombre, désenchantée et réaliste, cette œuvre qui fait incontestablement partie du Panthéon de la BD, devrait se trouver en bonne place dans toutes les bibliothèques des « bédévores »… Cultissime !!!
New-York trilogie (intégrale) de Will Eisner, Delcourt, 2018 / 29,95€
Je vous avais déjà présenté l’hilarante première compilation de ce fondu de génie (vous trouverez ma chronique ici) qui s’amuse à détourner gravures anciennes et comics d’un autre temps. Et bien, Un Faux Graphiste n’a pas perdu la main et ce deuxième tome n’a rien à envier au premier : l’esprit toujours aussi affuté et prompt à déceler dans la moindre image une source inépuisable de gags potaches, ce roi du détournement nous fait de nouveau, avec la même pêche, nous gondoler devant ses pitreries de première classe ! Comics ringards et poussiéreux dévoyés de leurs propos et de leurs cibles initiales prennent une sacrée « gueule » sous l’humour noir totalement décalé et bourré de références de cet allumé à l’imagination débridée ! Fausses pubs vintage (gamme de parfums pour poupées gonflables, casque anti-harcèlement…), mini planches de BD de séries Z explorant tous les registres, du western aux univers de super héros, du fantastique à « l’eau de rose » (Capitaine non voyant : on ne lui avait rien demandé, le pet de trop : un gag qui a détruit leur couple, chasseur d’assistés : les chômeurs peuvent trembler dans leurs peignoirs en cachemire…) et extraits de romans photo délirants alternent dans un joyeux bordel qui n’engendre pas la mélancolie et vous fait partir dans de salvateurs éclats de rire ! On en veut encooore !!!!!!
Un faux livre (tome 2) par un Faux Graphiste, Delcourt, 2018 / 15,95€
Accompagné de son amie, Jean-Claude fait une belle balade sur le sentier des douaniers dans le Var, lorsqu’il s’arrête, tout à coup paralysé par le vertige… Il la connaît pourtant bien cette sensation vertigineuse puisqu’il souffre de la peur du vide depuis sa jeunesse, mais elle le prend à chaque fois, brutalement, par surprise… Dans « La terreur des hauteurs », Jean-Claude Denis se met lui-même en scène, au cours d’une discussion avec sa compagne où il analyse sa phobie qu’il ponctue d’anecdotes qui l’ont marqué. Le processus physique qu’il dépeint et les techniques utilisées pour contourner sa peur du vide, sont bien connus de tous ceux qui, comme lui, sont sujets au vertige : celui qui a systématiquement frôlé le malaise sur une route de montagne ou sur des montagnes russes, ou tout simplement sur un pont ou perché sur une échelle, reconnaîtra illico les symptômes décrits par Jean-Claude Denis ! Une œuvre introspective, au dessin réaliste et élégant, légère et profonde comme les précipices hautement appréhendés !
La terreur des hauteurs de Jean-C. Denis, Futuropolis, 2018 / 21€
Insolites et oniriques, les histoires courtes de ce recueil, baignées dans une ambiance victorienne « Steampunk », mettent en lumière le génie créatif du papa de « Hellboy ». Vous y croiserez une galerie de personnages étranges comme un agent secret androïde à la tête de vis, un haricot magique, un magicien pote avec un serpent, un empereur zombie et sa femme vampire, des fantômes, des martiens, des démons et le diable ! Que ce soit sur Terre, sur Mars ou sur le mythique continent Mu, tous évoluent dans des univers inventifs et tordus à souhait, sortis de ceux d’Edgar Allan Poe ou de Lovecraft, à la sauce Mignola, c’est-à-dire totalement déjantée ! Ésotérisme et mythologie, décadence et délires visuels, passé et futur s’entremêlant habilement : ce joyeux foutoir aux allures de cabinet des curiosités nous offre l’essence même de Mignola avec son humour absurde, ses répliques savoureuses, sa totale maîtrise de la couleur, déclinée en teintes sombres, et son sens inné du détail. Fin du fin, vous trouverez, en fin de volume, un carnet de croquis commenté par Mignola Himself qui nous dévoile la genèse de son travail ! Éliminez en vous toute rationalité et pénétrez dans ses mondes fantastiques et sombres, aussi absurdes que drôles, où le second degré tient la première place !
L’homme à la tête de vis & autres histoires déjantées de Mike Mignola, Delcourt, 2018 / 19,99€
La relation de l’homme au vin est ancestrale : instrument de culture religieuse et gastronomique de portée universelle, le vin, étroitement lié à l’histoire de notre civilisation, apparaît à bien des reprises dans les textes sacrés (dans l’ancien Testament, Noé apparaît comme le pionnier de la vinification !) et dans la mythologie grecque. Du jus fermenté de l’Antiquité aux grands crus d’aujourd’hui, les auteurs de ce docu BD très bien documenté nous emmènent au plus loin dans son histoire, étape par étape, avec Bacchus (représenté en hipster hirsute !) pour guide dans un voyage passionnant qui remonte chronologiquement le temps 10 000 ans avant notre ère. Parsemé de cartes didactiques, dans un dessin simple un peu enfantin, avec un humour empreint de références à la bande dessinée, au cinéma ou à la littérature, cet ouvrage nous offre mille anecdotes, en partant de la naissance du vin dans les rivages de la Méditerranée, jusqu’au développement de ses lieux de production au cours des derniers siècles (la moitié des pays du globe en produisent aujourd’hui…). Saviez-vous que le classement des vins remonte au premier siècle de notre ère et que l’invention de la bouteille date du 17ème siècle ? Avec cet ouvrage, que vous soyez novices ou amateurs, vous apprendrez tout plein de choses en explorant les différentes techniques, les différents contenants utilisés pour le conserver, ses modes de consommation… Un ouvrage érudit, cultivé et intelligent à déguster par petites goulées gourmandes, en prenant son temps !
L’incroyable histoire du vin de Benoist Simmat et Daniel Casanave, Les Arènes, 2018 / 22€
Cages de buts rafistolées avec les moyens du bord, jeu pas toujours (rarement !) académique, traçage anarchique des lignes, trous de taupes sur le terrain (souvent boueux et parfois même inondé), clopes et alcool jusque sur le banc de touche (quand ce n’est pas sur le terrain !), transport des joueurs en camion à benne… Après deux précédents opus (Vous trouverez ma chronique du premier tome ici !), cet ouvrage photographique retrace avec justesse le côté bon enfant des équipes de foot de district et l’esprit de camaraderie potache qui anime ses participants de toutes tailles et de tous âges ! Chaque photo est agrémentée de petites phrases entendues aux abords de ces terrains de foot de fortune où la débrouillardise et le système D font déployer des trésors d’invention ! Si les moyens sont petits, l’enthousiasme, quant à lui, est immense !
Les photos qu’on peut voir qu’au niveau district (Tome 3), Petit à Petit, 2018 / 10€
Après les photos, la BD ! Dans un langage fleuri, les auteurs ont mis en scène, dans des situations hilarantes qui sentent néanmoins le vécu, les joueurs de foot du Dimanche, en vingt-sept petites histoires qui feront bien marrer les fans de foot et de matchs pas sérieux entre potes ! « Causeries » du coach » (souvent le boucher-charcutier du coin), apéros dantesques d’après-match, coulisses des vestiaires, « impros » totales quant aux choix de la place des joueurs, arbitres improbables… Tout l’esprit du foot en district est retranscrit en bulles et en humour bon enfant dans ce premier tome qui en appelle d’autres !
Les footeux du Dimanche : une saison en district (Tome 1) d’Oliv, Aré, Berquin et Fauré, Petit à Petit, 2018 / 10,90€
Christine Le Garrec