(RÉTROSPECTIVE 2# LA SORTIE DE TENET EST UNE OCCASION POUR SE REPLONGER DANS L’UNIVERS MUSICAL DE CHRISTOPHER NOLAN)
Bien décidé à marquer une pause entre deux Batman, le cinéaste sourcilleux s’en va réaliser un braquage onirique particulièrement maîtrisé, Inception (2010), marqué par sa troisième collaboration avec Hans Zimmer qui signe ici l’une de ses plus belles partitions pour le cinéma.
James Newton Howard n’aura jamais caché sa jalousie vis-à-vis de la petite escapade infidèle entreprise par Christopher Nolan et Hans Zimmer. Dans un rêve façonné par Dom Cobb (Leonardo DiCaprio), Inception (2010) aurait pu être composé à quatre mains et n’aurait pas compromis le retour du mélodiste sur The Dark Knight Rises – Newton Howard arguant que sa participation au futur triptyque était, selon lui, dispensable. Mais la mission du personnage interprété par l’acteur californien, un « voleur de rêves » fugitif pénétrant le subconscient de ses victimes pour y extraire leurs secrets les mieux gardés, est toute autre : implanter une idée dans l’esprit de l’héritier d’un riche industriel (Cillian Murphy), dans l’espoir de retrouver sa vie antérieure. Pour ce blockbuster de science-fiction aux airs indé, son brillant créateur souhaite « libérer l’imagination » de Zimmer, impliqué sans tarder afin d’esquiver le recours aux temps tracks/musiques temporaires, que Nolan réprouve avec une fermeté apparente. Il suffira d’un long meeting, du script et de quelques visuels de designs pour que le musicien édifie sa partition en simultané avec le tournage. A son épicentre, on y trouve une célèbre chanson Édith Piaf imaginée par Charles Dumont et Michel Vaucair en 1956; « Non, je ne regrette rien », mentionnée dans le scénario et diffusée lorsque la dream team transite vers une autre réalité. Zimmer confie que « le score est fait de subdivisions et de multiplications du tempo de la chanson d’Édith Piaf »: l’introduction « Half Remembered Dream » est un arrangement orchestral de la mélodie passée au ralenti puis réorchestrée (preuve à l’appui: https://www.youtube.com/watch?v=YB-wuKo9rW0) tandis que « Waiting For A Train » se contente d’une interpolation du refrain entêtant. Que l’on se rassure, le titre le plus populaire de la célèbre chanteuse française n’affecte pas l’entièreté de ses créations. La guest star de la BO reste Johnny Marr, le guitariste du groupe de rock anglais The Smiths venu tenter une première incursion dans l’industrie musicale hollywoodienne – et pas la dernière puisqu’il retrouvera son recruteur sur The Amazing Spider-Man 2 : Le Destin d’un Héros (M. Webb, 2014), Free Love (P. Sollett, 2015) et, prochainement, Mourir Peut Attendre (C.J. Fukunaga, 2020). Zimmer serait-il nostalgique ? Associer une guitare électrique à l’orchestre est particulièrement galvanisant pour lui et il s’avère que son auditoire n’a pas entendu de riffs zimmeriens depuis Mission Impossible 2 (J. Woo, 2002) notamment. « Dream Is Collapsing » révèle la performance de l’artiste qui, conjuguée à une section cuivrée vociférante, confirme une fois encore la formule gagnante du compositeur allemand. Ses notes grattées entourent la fabrication des rêves (« We Build Our Own World », « One Simple Idea ») sans oublier d’enchaîner les combinaisons détonantes (la batterie de « Mombasa »).
Au beau milieu de la nuit, j’étais assis là à écrire ce petit morceau et, soudain, je me dis qu’il sonnerait vraiment bien si Johnny Marr le jouait. Alors je lui ai téléphoné et il est venu.
Hans Zimmer
Bien avant le drum circle de Man of Steel (Z. Snyder, 2013), la brass section d’Inception faisait déjà parler d’elle. Six trombones basses, six trombones ténor, quatre tuba et quatre cor d’harmonie se réunissent au cœur du Lyndhurst Hall des studios AiR à Londres, sous la supervision de Geoff Foster. Zimmer estime n’avoir jamais convoqué autant de cuivres sur une même session, lesquels se voient conférés une violence hors du commun, d’une agressivité sans pareille pour l’audition. On pense ici au cinglant « Dream is Collapsing » mais aussi aux terminaisons des pistes ‘Radical Notion’ et surtout « Waiting For A Train ». Dom Com sombre dans les limbes, le spectateur lui, est maintenu dans un éveil permanent. L’un de leurs sons les plus percutants ; décrit par l’auteur comme « d’énormes cornes de brume sonnant dans une ville » (identifiable dans les dernières minutes de ‘528491’), est tout simplement devenu emblématique. Le Inception Sound ou « Braaam » s’entremêle à une revisite du célèbre « Mind Heist » de Zack Hemsey dans le propre trailer du film avant d’être exploité à outrance chez les concurrents soucieux de reproduire ce même impact auditif chez leurs clients potentiels. Excédé par cette utilisation abusive, Zimmer ne s’attendait sûrement pas à un tel entichement pour cette simple note définissant à présent la modernité d’Hollywood.
[Le script d’Inception] avait du sens pour moi, ce qui signifie probablement que je suis vraiment fou
Hans Zimmer
Ces imbrications de notes aux accents brutaux se retrouvent contrebalancées par une mélancolie latente : le love theme Dom/Mal Cobb (« Old Souls ») apparaît ainsi comme sommeillant grâce à l’emploi de nappes synthétiques lancinantes réhaussées de quelques violons romantiques. Le dénouement tragique de cette relation amoureuse, quant à lui, est rappelé par des cordes plus dramatiques lors d’un flashback lui étant dédié (« Waiting For A Train »). L’autodidacte allemand revient une nouvelle fois dans les harmonies pour célébrer la victoire du dream thief tout en concluant l’œuvre du cinéaste londonien d’une main de maître. Est-il nécessaire de vous présenter le mouvement « Time » ? Amplifié d’un crescendo orchestral majestueux, un piano mélancolique se faufile au travers du filage en nickel de la guitare électrique de Johnny Marr, qui n’aura cessé de rythmer ce braquage onirique. « C’est l’une des plus belles choses que je n’ai jamais entendus » peut-on lire dans les liner notes de Nolan sur l’édition CD produite par WaterTower Music. « Le chef d’œuvre de Hans Zimmer » s’exclament les bophiles. Effet de mode oblige, ses homologues n’auront aucun scrupule à se l’approprier à leur sauce avec, pour ne citer qu’eux, Henry Jackman (« Safe » dans Captain Philips) ou encore John Ottman (« Xavier’s Theme » dans X-Men : Days of Future Past); tous très probablement soumis aux effets de la temp track. Cette année, on a même eu le droit à une remixe d’Alan Walker dont on ne parlera pas. Le succès est retentissant : la bande-originale reçoit des critiques élogieuses ainsi qu’une avalanche de nominations (Golden Globe, Grammy, BAFTA, etc) dont une à l’Oscar remportée en 2011 par Trent Reznor et Atticus Ross pour The Social Network (D. Fincher, 2010). Oui, il s’agit là d’une vaste fumisterie…
Je remercie chaleureusement Graham pour m’avoir laissé utiliser sa sublime création en guise de photo de couverture. Avis à tous les cinéphiles mélomanes, sa boutique Etsy est à découvrir ici: https://www.etsy.com/fr/listing/204439044/theme-de-inception-time-de-hans-zimmer?ga_order=most_relevant&ga_search_type=all&ga_view_type=gallery&ga_search_query=inception+hans+zimmer&ref=sr_gallery-1-1&organic_search_click=1
David-Emmanuel – Le BOvore