Je vous propose un bain de jouvence et de beauté pour commencer cette nouvelle rubrique, avec un ouvrage fabuleux de Michel Rauscher, peintre et photographe … Puis, une autobiographie d’Alexandre Romanès, directeur de l’unique cirque tzigane au monde, toute en poésie, mais non dénuée d’humour et d’humanité… Ensuite, c’est à une rétrospective en dessins de l’année 2016 que je vous convie… Les deux derniers ouvrages sont davantage politiques et d’actualité : un livre et un disque qui aborde le douloureux problème de la migration et un essai fort bien argumenté sur comment sortir du capitalisme en se basant sur l’expérience des zapatistes du Chiapas … Bon, je crois qu’il y en a pour tout le monde, non ? A vos envies !!!
Peintre et photographe, Michel Rauscher a fait de nombreux séjours en Afrique, Asie et Amérique latine. De ses voyages en terre humaine, il a su capter toutes les couleurs et les beautés du monde, les réinventant en symphonies sur ses toiles et dans ses photographies où la lumière danse avec les ombres, dans une beauté et une harmonie à couper le souffle … « Lumières vagabondes », nous restitue le regard de ce voyageur qui prend le temps, celui de la contemplation qui rend perceptible l’indicible et dévoile la beauté, évidente ou bien cachée, dans un éclair de lumière… Petits moments fugaces mais non volés où un simple objet, un regard, un sourire ou un paysage vous remplissent d’émotion par leur seule humanité, nue et éclatante de vérité … Ce magnifique ouvrage, par sa mise en page, fait ressortir tout le talent de Rauscher, en mettant en parallèle tableaux et photos, dans des camaïeux de couleurs sortis d’une palette d’une incroyable richesse… On ne saurait dire ce que l’on préfère des toiles ou des clichés, les deux étant tellement liés qu’ils en deviennent indissociables…Il y a de la magie dans les œuvres de cet artiste hors du commun, un mouvement, une grâce incroyable… Véritable poème sans mots, l’œuvre de Rauscher vous happe littéralement par sa sensibilité … Un magnifique artiste à découvrir impérativement ! Carrément, sous le charme, votre chroniqueuse… Scotchée !
Lumières vagabondes de Michel Rauscher, Hazan, 2016 / 49€
Après deux recueils de poésie et un autre de nouvelles, tous parus chez Gallimard, Alexandre Romanès a repris la plume, cette fois-ci pour nous parler de lui, de son parcours et de la culture tzigane dont il est issu, avec pudeur et sincérité. Enfant de la balle, Alexandre a toujours vécu dans le milieu circassien, car le cirque est une affaire de famille chez les Romanès, depuis plusieurs générations. En son temps, l’arrière-grand-père était montreur d’ours et se produisait avec sa famille dans les petits villages au gré de leurs pérégrinations… Alexandre, lui, fut tour à tour équilibriste sur échelle et dompteur de fauves dans le cirque familial ! En 1994, avec son épouse, Délia, Il a fondé son propre cirque qui a la particularité d’être le seul cirque tzigane au monde… Au fil des pages de cette belle autobiographie au titre si poétique et évocateur, Alexandre égrène ses souvenirs… Ses rencontres, ses déboires, ses moments de joie… Je garderai en mémoire l’évocation de sa belle rencontre avec l’actrice israélienne Ronit Elkabetz (superbe actrice disparue il y a peu de temps… Je l’adorais…) à qui il avait offert l’hospitalité sous son chapiteau pour qu’elle puisse jouer sa pièce, n’ayant trouvé aucun théâtre pour l’accueillir… Ou cette scène où, accompagné de sa petite fille, il assistait à une messe. Quand il partagea l’hostie avec sa gamine qui voulait y goûter, le curé les mit tous les deux dehors en hurlant au sacrilège. Très calme (peu courant chez le personnage, plutôt sanguin !) Alexandre répondit au prêtre haut et fort : « Je ne pense pas que Jésus approuverait votre attitude, mon père ». Deux exemples significatifs sur la personnalité de cet homme… Ami de Genet, Bobin et de la poétesse Lydie Dattas (qui fut son épouse et qui lui apprit à lire), Alexandre Romanès est un véritable personnage de roman qui semble avoir vécu mille vies (il a même été décoré de la légion d’honneur, très récemment)… Son chapiteau est installé dans le seizième arrondissement de Paris, et par la grâce et la qualité des spectacles poétiques et hors du temps que les Romanès proposent, le public y vient nombreux. Depuis quelque temps, ils sont pourtant la proie d’actes malveillants : vols, dégradations matérielles, manifestations d’extrême droite devant le chapiteau… Des associations ont même été créées par certains riverains pour reprocher aux Romanès « d’abîmer l’image du très chic seizième arrondissement » et les accusent même de manger les chats !!!! Alors, si vous passez par Paris, n’hésitez pas à les soutenir en allant voir leur spectacle, et, en attendant plongez-vous dans la jolie écriture d’Alexandre !
Les corbeaux sont les gitans du ciel d’Alexandre Romanès, L’Archipel, 2016 / 19€
L’année 2016 se termine et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle fut riche en évènements, hélas plus souvent dramatiques que joyeux …Ce livre propose une rétrospective sous une forme bien originale … En dessins ! A la manière de « Où est Charlie », vous devrez reconnaître dans chaque scène l’évènement qu’elle représente ! Pas toujours facile, je vous préviens … Mais cet exercice aura le mérite de faire cogiter votre mémoire et votre sens de l’observation ! 100 faits ayant eu lieu entre septembre 2015 et septembre 2016 sont ainsi relatés sur des sujets d’actualité artistique, sportive, politique, etc… Le but est d’en reconnaître le plus possible, pourquoi pas en créant des challenges, en famille ! Si vous coincez, les réponses dûment détaillées et documentées vous sont proposées ainsi qu’une frise chronologique en fin d’album. Alors, qui est le pro de l’info, chez vous ?
2016, 1 année -1 dessin de Cosinus et Ixène, Larousse, 2016 / 9,95€
Cent personnes ont contribué à la réalisation de cet ouvrage : écrivains, réalisateurs, journalistes, architectes, membres d’associations humanitaires, photographes, psychologues, anthropologues, musiciens … Ils sont bien trop nombreux pour tous les citer…Certains sont connus, d’autre moins ou pas du tout, mais là n’est pas l’important…En onze chapitres et un épilogue, chacun d’entre eux prend la parole pour parler de ceux qui ont fui la guerre, la précarité économique ou l’intransigeance politique en payant le lourd tribut de leur déracinement et de la séparation avec leurs proches …Ils décrivent la réalité de ce qu’ils ont vu et ressenti, chacun de leur point de vue, d’après leurs expériences dans l’univers de ces camps, jungles ou bidonvilles…Les nombreuses photographies qui illustrent le livre, bien loin de l’iconographie médiatique, captent des instantanés de la vie des migrants dans les camps, rendant visible l’invisible ou le fugace, laissant des traces de ce qui a eu lieu, et nous incite à une profonde réflexion sur les parcours migratoires. On pourrait résumer en quelques mots ce document exceptionnel : écouter, regarder, témoigner, penser, agir. Écouter les récits des migrants, regarder leurs conditions de vie, en témoigner, réfléchir à des solutions et aider à leur mise en place. Un CD est joint à ce livre, une bande son exceptionnelle pour un ouvrage nécessaire et généreux. A diffuser le plus largement autour de soi, entre frères humains …
Décamper : De Lampedusa à Calais, un livre de textes et d’images et un disque pour parler d’une terre sans accueil, La Découverte, 2016 / 24€
Jérôme Baschet est historien et partage son temps entre la France où il enseigne à l’école des hautes études en sciences sociales et le Mexique où il enseigne également, à l’université autonome du Chiapas. Le Chiapas qui a mis en place une « utopie réelle » depuis maintenant plus d’une décennie sous la forme d’un auto gouvernement, une politique non étatique fondée sur la dé spécialisation et la réappropriation collective à participer aux prises de décision…Un exemple frappant, qui fonctionne, de politique altermondialiste où le peuple prend les décisions nécessaires et justes dans l’intérêt de tous et non d’une poignée de nantis …ça fait rêver, non ? Et si nous aussi, on pouvait y arriver ? Baschet nous invite avec cet essai aussi brillant que convaincant à réfléchir à la conception d’une autre société et à une autre manière de vivre post capitaliste. En analysant le présent, il nous éclaire sur la nécessité de dépasser le capitalisme qui n’engendre que souffrances et absurdité. Depuis la crise de 2008, les remèdes pour sortir de ce marasme n’ont fait qu’engendrer d’autres crises, celles des états et du surendettement… La sur-accumulation du capital devient intenable et le système ne parvient plus à se relancer par la consommation… Le travail reste la valeur centrale, mais il se fait de plus en plus rare …Baschet, se basant sur la révolution zapatiste qu’il connait sur le bout des doigts, exprime l’urgence de lutter contre la résignation et d’ouvrir les yeux : d’autres possibilités existent !!! Il serait bon de commencer par se désintoxiquer de la surconsommation qui nous conduit tout droit vers une crise écologique sans précédent, sans même aborder la dégradation des liens sociaux et du mal-être où le capitalisme nous plonge tous. Un essai passionnant, convaincant et remarquablement argumenté…Ya Basta !
Adieux au capitalisme de Jérôme Baschet, La Découverte, 2016 / 8,50€
Christine Le Garrec