Arts et essais ! N°15

Dans quelques semaines, nous serons tous conviés dans les bureaux de vote pour élire un nouveau président. Dans cette quinzième édition de « Arts et essais »,  je vous propose trois essais qui, chacun à leur manière, abordent la politique. Dans le premier ouvrage, Nicolas Lebourg nous invite à une analyse sociologique des électeurs potentiels du Front National. Dans le second, Olivier Le Naire et Clémentine Lebon décortiquent pour nous « l’utopie réaliste »  du revenu de base. Pour finir, une première traduction de l’ouvrage d’une écossaise, qui relate son « exil » en France, dans un petit village cévenol, pendant la seconde guerre mondiale.

 

 

 

Telle la bébête de la comptine (mais en nettement moins rigolo …), l’extrême droite n’en finit plus de monter, à tel point que sa présence au second tour des présidentielles devient de plus en plus une évidence… Sur le terreau du chômage et de la précarité, sur la vague des attentats et, il faut bien le dire, sur l’échec des politiques de droite comme de gauche, le front national fait son nid, avec démagogie et populisme. L’essor de « Marine » et l’engouement qu’elle suscite en séduisant de plus en plus de catégories sociales, est le fruit d’une nouvelle forme de communication qui, à priori, fonctionne à merveille, si l’on en croit les sondages … Alors, qui sont ces nouveaux électeurs ? Nicolas Lebourg, spécialiste des droites radicales, a établi leur portrait robot et a analysé les comportements et les motivations de ces citoyens tentés par le front national, qui, jusqu’alors, votaient traditionnellement pour les partis de droite ou de gauche. Sous forme de lettres, il s’adresse à ces personnes fictives, de tous âges et de toutes catégories sociales (professeur, retraitée, ouvrier agricole, caissière, plombier, gendarme, médecin, étudiant gay, femme en situation de précarité…) sans les juger ni imposer sa vérité contre la leur. Il mesure leurs déceptions politiques, leur sentiment d’abandon mais les confronte à leurs contradictions en pointant les limites et les impasses du FN. La précarité, la peur de l’autre, de l’étranger, amènent au repli sur soi et à l’exclusion, c’est un fait. Et l’amalgame entre chômage et immigration a toujours été le fer de lance de l’extrême droite… Mais pas seulement ! Rappelons-nous les discours de politiques de droite dite « modérée » qui prenaient à leur compte les slogans du FN : « La France qui se lève tôt », « Les bruits et les odeurs » et autres « La France on l’aime ou on la quitte »… Ce genre de discours a banalisé et décomplexé la parole et le comportement de milliers de gens se sentant autorisés, sans honte, à prôner leur rejet de l’immigré, bouc-émissaire de tous nos problèmes et d’évoquer la « paresse » des chômeurs et autres précaires… Nicolas Lebourg, avec ces lettres, nous offre une fine analyse socio-politique dont la lecture est passionnante autant qu’édifiante. Espérons que ces bouteilles à la mer seront lues par ceux à qui elles s’adressent… Faisons en sorte de leur mettre en mains et de débuter, enfin, un dialogue constructif, dans l’intérêt général… Ah… Une piste pourrait bousculer cette triste donne : le revenu de base qui mettrait tout le monde sur un pied d’égalité. Avec la baisse de la précarité, gageons que le discours du FN serait moins séduisant pour ceux qui, aujourd’hui, y adhèrent…

Lettres aux français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout de Nicolas Lebourg, Les Échappés, 2016 / 13,90€

 

 

 

L’idée d’un revenu de base qui revient dans les débats régulièrement (sans pourtant avancer d’un pouce…) a déjà été abordée au seizième siècle par un anglais, Thomas More, puis par Thomas Paine (encore un anglais) au dix-septième et enfin, en France au cours de la révolution française… Depuis rien, ou pas grand-chose, à part quelques expérimentations toutes positives çà et là dans le monde (Inde, Namibie, Kenya, Brésil, Angleterre, Alaska, divers états d’Amérique du Nord, Canada, Québec, Finlande, Pays-Bas…). Mais aucune mise en place à grande échelle jusqu’à présent… En quoi consiste le revenu de base ? A verser un revenu mensuel décent, à tous, sans condition ni contrepartie, de la naissance à la mort. A l’heure de la disparition du CDI, le travail devient une denrée rare du fait (entre autre) de la robotisation qui s’amplifie d’année en année (Lire à ce sujet l’édifiant « Mon collègue est un robot » de Valéry Bonneau, éditions Alternatives, 2016). Avec l’intensification du chômage et de la précarité, la mise en place de ce revenu résoudrait une grande partie de ces problèmes et sonnerait l’ère d’une nouvelle civilisation où le travail ne serait plus une valeur étalon, mais un choix consenti par chacun en fonction de ses affinités et de ses possibilités. Cet ouvrage, en sept chapitres, explique au citoyen lambda pas ou peu informé, les grandes lignes de cette mesure et toutes les interrogations qu’elle suscite : prime à la paresse ou alternative épanouissante laissant du temps libre à consacrer au milieu associatif ou à la création de sa propre activité ? Outil pour repenser le travail et refonder notre contrat social ? Quelles sont les pistes pour le financer ? Les auteurs s’appuient également sur les différentes expérimentations existantes ou les projets en cours. On ressort de cette lecture avec l’argumentation que l’on attendait sur le sujet et les explications claires, doublées du souci d’objectivité de ses auteurs, répondent à bon nombre de nos interrogations … Le débat reste ouvert. A nous tous de se l’approprier et de faire pression sur nos politiques pour obtenir une expérimentation fiable et sérieuse, pour transformer cette « utopie » en projet réaliste. I have a dream…

Le revenu de base d’Olivier Le Naire et Clémentine Lebon, Actes Sud, 2017 / 18€

 

 

 

Janet est née en Écosse, dans une famille aisée d’universitaires. Elle a bénéficié d’une jeunesse dorée et reçu une éducation où l’apprentissage des langues, dès le plus jeune âge, n’était pas une option. Ainsi, Janet qui parlait couramment le français et l’allemand, a beaucoup voyagé entre Vienne et Paris avant-guerre. En 1930, elle rencontre et épouse un français, François Teissier du Cros. Deux premiers garçons naîtront de leur union, en1933 et 1937. Puis vint la guerre… Janet se réfugie avec ses enfants dans sa belle-famille à Valleraugue, dans les Cévennes. François est fait prisonnier. Janet, peu habituée aux tâches ménagères et aux privations, se retrouve seule à gérer sa famille dans des conditions de plus en plus difficiles : très vite confrontée aux problèmes de ravitaillement, elle doit parcourir des dizaines de kilomètres chaque jour, à bicyclette, pour trouver de maigres rations… Lorsque l’Angleterre, à son tour, entre en guerre, ses relations avec ses beaux-parents, pétainistes (mais non collaborationnistes), deviennent compliquées. Janet cherche donc un autre logement pour éviter une cohabitation houleuse… Heureusement, autour d’elle gravite tout un milieu cosmopolite de réfugiés juifs ou politiques (russes, belges ou anglais) avec qui elle lie de forts liens d’amitié. Solidarité et entraide entre tous ces exilés adouciront un peu leur sort… Jusqu’à la fin de la guerre, Janet consignera les moments importants de sa vie ou de l’évolution du conflit, mais s’épanchera aussi sur ses états d’âme, son ressenti, ses moments de désespoir et de découragement mais aussi les moments de joie et de bonheur qu’elle savourait à chaque fois qu’ils se présentaient. Janet nous offre avec « le chardon et le bleuet » un formidable instantané de ce que fut cette période noire de notre histoire, par la grâce de son écriture minutieuse au fort pouvoir évocateur. Il aura fallu attendre plus de cinquante ans avant que ce livre ne soit traduit en français : Il eut été dommage que sa lecture ne profite qu’aux seuls anglophones…

Le chardon et le bleuet : une écossaise dans la France occupée de Janet Teissier du Cros (traduit de l’anglais par Florence Causeur, Claude Chastagner et Jean Vaché), Le Rouergue, 2017 / 23,80€

 

Christine Le Garrec