Papiers à bulles ! N°20

Un « Papiers à bulles » très éclectique pour terminer cette année 2017 ! Les fabuleux dessins d’humour d’Olivier Tallec réunis en coffret, Le parcours chaotique d’un joueur de blues dans les années 30 au fin fond du Mississippi, Un portrait du très controversé Louis-Ferdinand Céline à la fin de ses jours, les carnets de voyage de Belzoni, un des pionniers de l’égyptologie, et le premier tome prometteur de Schuiten et Sokal qui mêle aventures et science fiction !  Bonne fin d’année à toutes et à tous… Et bonnes lectures !

 

 

« Plaisir d’offrir ». Le titre de ce coffret est ambigu… Car, une fois que vous aurez dégagé de leur bel étui ces deux albums et que vous découvrirez le magnifique ex-libris qui les accompagne, vous n’aurez plus qu’une seule envie… Les garder jalousement pour vous ! S’en séparer ? Jamais !!!! Une fois l’ex-libris encadré et posé sur vos murs immaculés, soyez déjà assurés que vous aurez toujours la banane en le contemplant ! Maintenant, ouvrez ces deux ouvrages. Mais attention ! Seulement si vous êtes amateurs d’absurde et d’humour décalé et si vous prisez l’humour noir british à la Monty Python ! Si c’est votre cas, prenez tout de même quelques précautions : faites chauffer vos zygomatiques pour vous éviter de vous décrocher la mâchoire à coups d’éclats de rire ! (Ceux qui ne prisent que l’humour beauf et gras ne risquent pas ce genre d’accident, en dehors de forts grincements de dents, assez désagréables). Vous êtes maintenant prêts à découvrir, sur chaque page de ces deux albums, des histoires en un seul dessin pleine page (peint à la gouache) seulement illustré d’une légende courte et percutante… Animaux doués de parole (et d’humanité), hommes et femmes d’un autre âge, de la Préhistoire en passant par les vikings, jusqu’aux super héros ordinaires, Olivier Tallec traque en un seul croquis (mais quel talent !) tous les travers de l’être humain avec une délectation contagieuse. Dessin classe, texte efficace, effet immédiat ! Bon, il ne vous reste plus qu’à acheter plusieurs exemplaires de ce superbe coffret à vos amis (qui le méritent !) pour partager avec eux ce pur plaisir à lire et relire, sans jamais se lasser !

Plaisir d’offrir d’Olivier Tallec, Rue de Sèvres, 2017 / 28€

 

 

Mississipi, 1935. Un homme chante sur les chemins tout en grattant sa vieille guitare toute déglinguée. Il s’appelle Edward Ray Cochran et il vient de tout plaquer, son coin paumé, sa femme enceinte et son boulot, pour tenter de vivre de sa passion pour le Blues, qu’il a chevillée à l’âme … ça démarre plutôt bien pour lui avec la rencontre inattendue avec le grand Robert Johnson qui l’aidera à devenir « Meteor Slim »… Un nom prémonitoire puisqu’Edward va traverser, comme beaucoup d’autres, la galaxie Blues comme une météorite… Un peu frimeur, très orgueilleux, porté autant sur le whisky que sur les femmes, « Meteor Slim » va brûler une à une ses chances de se faire un nom au gré de ses colères et de ses cuites mémorables, qui lui fermeront à jamais les portes de la gloire… Bon, tout d’abord, ne cherchez pas la bio de cet Edward Ray Cochran, il n’existe pas ! Mais s’il est une pure invention, il représente néanmoins à la perfection l’univers du Blues et sa désespérance qui vous prend au tripes, que Frantz Duchazeau retranscrit à merveille dans ce rêve qui ne deviendra jamais réalité. Dessins en noir et blanc, expressions des personnages, décors… « Le rêve de Meteor Slim » nous plonge instantanément dans un univers à la « Huckleberry Finn » où la misère est palpable autant que la passion qui anime ces joueurs de blues et leur propension à se détruire en côtoyant la « loose »…On sent presque les effluves des mégots, on entend grésiller sur un antique phonographe les sillons d’un vieux 78 tours d’où sortent des accords de guitare déchirants accompagnés d’une voix enrouée par l’alcool et le tabac… Si son format atypique (carré) et sa qualité de papier font de cet album un bel objet pour les collectionneurs de BD, ses qualités graphiques et narratives et le sujet traité en font un cadeau idéal pour les amateurs de Blues … Et pour tous les autres !

Le rêve de Meteor Slim de Frantz Duchazeau, Sarbacane, 2017 / 23€

 

 

 

 

1960. C’est dans un modeste pavillon de banlieue, à Meudon, que le docteur Destouches, plus connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, termine sa vie… Une existence tranquille en apparence, entre son bureau où il rédige  « Rigodon », son ultime livre, et sa compagne, Lucette, professeur de danse qui fait répéter ses élèves à l’étage du dessus. Si Céline est désormais un vieillard malade, son esprit est toujours aussi vif et sa hargne intacte : misanthrope et aigri, il se complait dans sa déchéance physique, se réjouissant d’être pris pour un clochard lors de ses rares sorties en ville…  Sa sociabilité se résume de rares visites d’amis fidèles comme Arletty et Michel Simon et, lorsqu’il n’écrit pas, à exercer sa profession de médecin le temps de quelques consultations chez les pauvres du quartier… Une oisiveté qui lui laisse largement le temps de ruminer ses rancœurs et d’aviver ses souvenirs qui affluent sous forme de flashs… Son premier amour, Élisabeth… Mais surtout son passé de soldat pendant la première guerre mondiale qui lui a laissé une blessure toujours à vif et fut déterminant dans sa personnalité et ses écrits. S’il fut loin d’être irréprochable (on ne peut oublier son engagement envers l’occupant allemand et ses propos antisémites) Céline fut et restera l’auteur du fabuleux « voyage au bout de la nuit » qui a fasciné bon nombre de ses lecteurs (dont je suis). Le sale type aux idées fasciste qu’il fut, sans doute jusqu’à son dernier souffle (sur la fin, il en avait après les chinois…), a toujours été le caillou dans la chaussure de ses admirateurs… Doit-on dissocier un artiste de son œuvre ? Les idées nauséabondes privées, rendues publiques, condamnent elles l’écrivain, aussi talentueux soit-il ? Dilemme insoluble pour les amoureux des belles lettres… Jean Dufaux et Jacques Terpant, avec cet ouvrage somptueusement illustré, ne se font pas les avocats du diable. Sans angélisme, ils dessinent, en mots et en images, le portrait d’un écorché vif et laissent entrevoir les fissures et les contradictions d’un homme complexe et profondément intelligent (une des raisons pour lesquelles il est difficile de lui pardonner ses prises de position passées…), qui a marqué de son empreinte la littérature du XXème siècle. En évoquant le Céline affaibli des derniers jours, en retrait du monde et coincé dans ses souffrances passées, ils lui restituent sa part d’humanité qui, certes, n’est pas toujours facile à déceler… Brillant.

Le chien de Dieu de Jean Dufaux et Jacques Terpant, Futuropolis, 2017 / 17€

 

 

 

 

La vie de Giovanni Battista Belzoni (qui a réellement existé) est un véritable roman ! Géantissime (il mesurait près de deux mètres de haut !), ce fils d’un barbier de Padoue, passionné par les nouvelles technologies, était promis à une belle carrière d’ingénieur hydraulique. Mais, en 1815, il fut contraint de quitter l’Italie pour fuir Napoléon, et se réfugia en Angleterre. Il devint artiste de foire et surtout, fit la connaissance d’une « femme girafe », Sarah, qui devint son épouse… Au cours d’une tournée au Portugal, nos tourtereaux firent la rencontre d’un émissaire du pacha d’Égypte qui fit une proposition alléchante à Belzoni : monter un système d’arrosage automatique facilitant l’irrigation des champs bordant le Nil… Bien sûr, notre Hercule de foire sauta sur cette occasion inespérée d’exercer enfin son art ! Mais, une fois sur place, son projet, pourtant ingénieux, fut refusé… Une bonne étoile veillait toutefois sur les Belzoni ! Celle-ci guida leurs pas en direction d’un éminent représentant du British Museum, qui leur proposa un défi que personne encore n’avait pu relever : déplacer un gigantesque (et très très très lourd) buste de Ramsès II, afin qu’il puisse enfin intégrer les collections du musée londonien… Impossible ? Pas pour le géant de Padoue qui, en un tournemain, régla ce problème jusque là insoluble ! Il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, Giambattista ! Il décida de se rendre en Nubie afin de… désensabler le temple d’Abou Simbel dans lequel personne n’avait jamais pu pénétrer ! Mais ses exploits suscitèrent la jalousie de son concurrent, le puissant consul de France Drovetti, qui mit tout en oeuvre pour lui mettre des bâtons dans les roues… Cette adaptation des carnets de voyage de Belzoni (publiés en 1821) est particulièrement intéressante à plus d’un titre : on y découvre un personnage historique peu connu qui fut pourtant un des pionniers de l’égyptologie, soit. Mais le ton de l’album ne se résume pas à une bête biographie d’un personnage obscur de l’histoire (pour beaucoup, du moins !) … Les péripéties de Belzoni sont irrésistiblement drôles, la personnalité de Sarah, féministe et égale de son homme, est plus qu’attachante, et les illustrations en noir et blanc posées au milieu de décors tirés de gravures du XIXème siècle apportent à l’ensemble une petite touche d’époque originale et fort attrayante ! Vous en voulez encore ? Pas de souci ! Belzoni fut un grand voyageur et Gregory Jarry, Lucie Castel et Nicole Augereau s’emploient à vous dévoiler toutes ses aventures dans deux autres recueils ! Vivement la suite ! Vite !

Voyages en Égypte et en Nubie de Giambattista Belzoni de Grégory Jarry, Lucie Castel et Nicole Augereau (Premier voyage), FLBLB, 2017 / 20€

 

 

 

 

Dans le petit port de Roodhaven, l’émotion est à son comble depuis qu’une étrange créature en forme de gigantesque crabe s’est échouée sur la plage… La stupéfaction passée, les vieux baleiniers viennent voir de plus près cette bestiole, qui semble tout droit sortie de l’imagination d’un savant fou, et découvrent qu’elle est composée, entre autres, de métal et de bois provenant sans l’ombre d’un doute d’un bateau, le « Golden Licorn », disparu en mer vingt ans plus tôt… Face à cette découverte, les rancœurs contre la baleine géante, cause du naufrage, remontent à la surface des cerveaux embrumés (et alcoolisés !) des vieux marins qui ne pensent depuis lors qu’à se venger de ce géant des mers… La police locale, un peu débordée par les évènements, convoque un jeune scientifique, John Greyford, afin qu’il étudie ce phénomène qui, semble t-il, n’a rien de naturel… Entre l’intello à lunettes qui voit toute la portée scientifique de cette découverte et l’obstination des loups de mer prêts à tout pour se venger, la tension monte crescendo… Jusqu’à l’arrivée d’une créature, Aquarica, qui va bousculer tout ce petit monde dans ses croyances et ses certitudes… Stop ! Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas trop dévoiler la première partie de cette histoire (dont la suite devrait paraître l’an prochain) ! Une histoire qui se déroule au tout début du XXème siècle, entre aventures maritimes et science-fiction , qui nous immerge dans des univers à la « Moby Dick » ou « 20 000 lieues sous les mers » tout en nous évoquant le mythe d’Atlantis, univers fantastiques et oniriques que le dessin de Sokal et la narration à quatre mains co-écrite avec Schuiten mettent en lumière. Grand format, planches sublimes, (chapeau notamment pour la palette des couleurs en tons de brume qui est parfaite ! ), on n’en n’attendait pas moins de ces deux pointures que sont Schuiten et Sokal et le résultat est à la hauteur de nos plus hautes espérances ! « Aquarica », à l’origine devait être un jeu vidéo… On murmure aujourd’hui qu’il n’est pas impossible que ce scénario voit le jour sous la forme d’un film d’animation… En attendant, régalez-vous avec cette superbe BD qui va vous tenir en haleine… Jusqu’à l’année prochaine !

Roodhaven : Aquarica (T.1) de Benoît Sokal et François Schuiten, Rue de Sèvres, 2017 / 18€

 

 

Christine Le Garrec