Un « Arts et essais » sous le signe de la beauté pour combattre la grisaille ambiante ! Pour débuter, je vous propose deux superbes ouvrages colorés sur le Street Art, le catalogue sur l’exposition consacrée au musée de l’Orangerie au peintre métaphysique Giorgio de Chirico (hélas interrompue…), et un passionnant et érudit « roman épistolaire » sur Camille Claudel ! Un peu d’histoire ensuite avec un très beau calendrier qui décline au fil des siècles et sous forme de jeu, la lutte des femmes pour leur émancipation… Et on continue avec plusieurs magnifiques ouvrages sur la photographie : portraits d’artistes par Doisneau, Corse « inédite » de Didier Ben Loulou, lieux abandonnés immortalisés par Henk Van Rensbergen, poignantes photographies de Mahmoud Alkurd sur Gaza, et guide pratique de Tim Cornbill sur la photo urbaine ! Place ensuite à la musique avec deux ouvrages sur Renaud (dont un catalogue de l’exposition qui lui rend hommage à la cité de la Musique, elle aussi interrompue, bien sûr…), deux biographies, la première sur le peintre chanteur Charlélie Couture et la seconde sur Jimi Hendrix, un ouvrage sur le rock au féminin avec les interviews de quelques-unes de ses icônes françaises, et un panorama très complet du « Soft Rock » ! Pour acheter toutes ces merveilles, ayez le réflexe « Click and Collect » que votre libraire met à votre disposition ou privilégiez les librairies indépendantes… Plutôt que de vous jeter sur Amazon et consorts, en attendant l’ouverture tant espérée des librairies ! Belles et bonnes lectures à toutes et à tous… Et prenez bien soin de vous !
Deux superbes ouvrages sur les Arts urbains et sur ses magiciens : illusions d’optique, trompe-l’œil et Street Art africain !
Vitalité, passion, engagement, pertinence, puissance évocatrice, virtuosité : les Street artistes africains n’ont rien à envier à ceux du reste du monde… Bien au contraire ! L’immense diversité culturelle et le mélange d’ethnies, de langues et de religions dessinent la particularité et l’identité de chacun de ces artistes qui valorisent l’espace public tout en faisant preuve, souvent avec humour et toujours avec une belle énergie, d’un engagement social, politique et éducatif. C’est ce que vous allez découvrir au fil de ce très bel ouvrage où Cale Waddacor retrace avec exhaustivité les spécificités du Street Art africain au coeur de chaque région du continent, en cinq grands chapitres (Afrique de l’Est, Centrale, du Nord, de l’Ouest, Australe), qui mettent en lumière la plénitude et la maturité de cet art qui explose et s’affiche en beauté dans ses grandes métropoles, mais aussi dans ses zones rurales. Au coeur de ces cinq dossiers, vous trouverez différentes rubriques : « Pleins feux » sur quelques pays (Kenya, Cameroun, Angola, Tunisie, Égypte, Maroc, Sénégal…), « Profils » avec les interviews de quelques artistes emblématiques (Bank Slave, Airjp Tagman, collectif Verkron, ST4 the Project, Nofal O-one, Ed One, Mad Zoo TRK, Moh Awudu, Sitou, Dekor One, Nardstar…) accompagnées de quelques-unes de leurs superbes oeuvres, « styles et techniques« , « Festivals et culture » (Afri-Cans, Graffup, Murais Da Leba, Jidar Toiles de Rue, Festigraff, City of Gold…), « L’art sur le terrain » (« L’esthétique agreste », « Rebelles et révolutionnaires », « Influence internationale », « Éduquer et valoriser », « Héros africains », « Échanges et connexions »…). Pour conclure, un tout dernier chapitre est consacré à l’essor et au bel avenir que le Street Art africain a devant lui dans cet ouvrage passionnant qui fourmille d’œuvres toutes plus originales et fascinantes les unes que les autres !
Street Art Africa par Cale Waddacor, Alternatives, 2020 / 30€
L’art du Trompe-l’œil a traversé l’histoire de l’art au cours des siècles, de la Préhistoire en passant par l’antiquité, le Moyen-âge ou la Renaissance. Si à l’origine cet art pictural visait à embellir et à agrandir un endroit clos, il est aujourd’hui dans la rue, s’amusant à jouer le rôle d’extension du décor en autant de fenêtres ouvertes sur l’imaginaire. C’est l’histoire et les grands principes de ce mouvement artistique que vous découvrirez en préambule de ce bel ouvrage, sous la plume de Codex Urbanus qui nous offre un passionnant dossier sur le sujet ! Chrixcel nous dévoile ensuite le portrait et les oeuvres représentatives d’une vingtaine des nouveaux maîtres de l’illusion du 21ème siècle. Vous découvrirez ainsi au fil des pages les oeuvres « flottantes » de Cinta Vidal, l’illusionnisme inventif et lyrique de Pejac, les collages photographiques humanistes de JR, les oeuvres « plastiques » de Shozy, les trompe-l’œil « classiques » de Wild Drawing, les vilaines et réalistes bestioles de Scaf (super connerie à faire !), les scènes et objets du quotidien mis en scène par Leon Keer, les fresques géantes réalisées au sol par Carlos Alberto GH et les minuscules pochoirs de Drasko Boljevic, qui maîtrisent avec une belle inventivité l’art du trompe-l’œil figuratif et l’art de l’anamorphose ! Les traits, bandes et lignes savamment orchestrés de Daniel Carey, les fractures et strates de 1010, les oeuvres kaléidoscopiques de Hoxxoh, les oeuvres « architecturales » de Soda, les oeuvres anamorphiques de Peeta, les immersives fresques en 3D d’Astro, les oeuvres « gonflées » de Huge, « l’art au pied de la lettre » de Ben Johnston, la typographie digitale de Bond Truluv, les « camouflettrages » de Ceser 87 et les oeuvres de Vile, « passe-muraille des friches », nous laissent ensuite admirer l’étendue du talent de ces héritiers de l’Op art ou de ces maestros du lettrage ! Pour terminer, place au camouflage optique avec les « body paintings » de l’homme invisible Liu Bolin, au bestiaire onirique de Ceepil et au petit bout de femme de Vinie qui se pare au gré de la végétation citadine, de sa désormais légendaire coiffure afro ! Ces artistes, venus de l’architecture ou des beaux arts pour la plupart d’entre eux, nous ouvrent en grand les portes de la perception avec leurs oeuvres hypnotiques qui laissent toute place à la poésie, au rêve et à l’humour… Alors ouvrez grand vos yeux, affutez votre curiosité et assouvissez votre soif de beauté avec ce livre, richement illustré et documenté, qui nous offre un fabuleux et exhaustif inventaire de cet art de l’illusion !
Street illusions : Trompe-l’œil et jeux d’optique dans le Street Art par Chrixcel et Codex Urbanus, Alternatives, 2020 / 29,90€
Ce très beau catalogue de l’exposition qui devait avoir lieu au musée de l’Orangerie jusqu’au 14 Décembre prochain (espérons qu’elle sera prolongée après le confinement…), nous offre une vision approfondie de l’œuvre de Giorgio de Chirico, un des fondateurs (avec Alberto Savinio, Carlo Carrà et Giorgio Morandi) de l’école métaphysique, qu’il définissait lui-même en ces termes : « L’abolition du sens en art, ce ne sont pas les peintres qui l’ont inventée. La découverte en revient à Nietzsche, Rimbaud fut le premier à l’appliquer dans la poésie, et c’est votre serviteur qui l’appliquera le premier dans la peinture ». Les influences artistiques et philosophiques de cet artiste viennent d’une part de sa culture classique mais aussi de sa rencontre avec la philosophie et l’art allemands (Nietzsche, Schopenhauer…) qu’il a découvert lorsqu’il était élève à l’académie des beaux-arts de Munich. Son oeuvre énigmatique, poétique et anticonformiste a séduit Guillaume Apollinaire, mais aussi les grands noms des cercles culturels et littéraires parisiens de son époque (André Salmon, André Breton, Paul Éluard, Jean Paulhan…) qui furent les premiers à s’intéresser à son travail et à le promouvoir. Vous trouverez dans cet ouvrage de nombreuses photographies et la reproduction de nombre de ses oeuvres (tableaux, esquisses, dessins…), mais aussi celles d’autres artistes proches de ce mouvement ou qui l’ont inspiré (Arnold Böcklin, Carlo Carrà, Max Klinger, Alberto Magnelli, Giorgio Morandi, Alexander Archipenko…). Les analyses de nombreux contributeurs sur la période la plus complexe de l’oeuvre de ce précurseur, ainsi que la chronologie de chaque période de sa vie, font de cet ouvrage, aussi passionnant qu’exhaustif, un formidable témoignage sur cet artiste hors du commun !
Giorgio de Chirico : la peinture métaphysique (sous la direction de Paolo Baldacci), Hazan, 2020 / 39,95€
D’une écriture limpide et fort agréable, Laurence Creton déroule pour nous le terrible destin de Camille Claudel par le biais d’échanges épistolaires imaginaires qui nous immergent, avec autant de sensibilité que d’érudition, au coeur de la personnalité complexe et du processus créatif de cette belle artiste. De 1883 à 1913, la vie, les espoirs et les passions de Camille se dévoilent ainsi au fil de lettres échangées avec son amie Jessie Lipscomb, (élève elle aussi dans l’atelier de Rodin) et avec son frère Paul, avec bien sûr toujours en ligne de mire son amour dévorant pour Rodin qui lui valut sans doute de perdre une partie de sa raison, déjà bien fragile. On y découvre une femme libre et rebelle, une travailleuse acharnée et infatigable qui plaça son art au-dessus de sa vie de femme, bien loin des conventions de l’époque. Une attitude qui lui valut l’opprobre de sa mère et de sa sœur et qui l’éloigna peu à peu de son frère Paul avec qui elle était pourtant très proche, notamment pour leur goût commun pour la nature et pour la poésie. Les difficultés de Camille à exister en tant que femme et artiste dans un milieu exclusivement masculin, ses déceptions récurrentes (commandes avortées, expositions toujours remises…) et le manque d’argent ont finalement eu raison de sa santé mentale et elle sombra dans la paranoïa et le délire de persécution avant d’être finalement internée de force par sa famille, dans un asile d’aliénés où elle mourut 30 ans plus tard, seule et oubliée de tous, des suites de malnutrition… Si Laurence Creton a quelque peu romancé son propos et brodé sur les nombreuses interrogations à son sujet (comme ses supposées maternités), il n’en demeure pas moins que cet ouvrage, particulièrement accessible à tous, nous en apprend beaucoup sur cette magnifique créatrice « d’enfants de marbre » qui a laissé à la postérité une oeuvre d’une grande maturité et d’une belle sensibilité. Une lettre de Rodin (véritable, celle-ci !) où transparaît toute son admiration et son amour pour Camille met le point final à cet ouvrage qui revisite une page de l’Histoire de l’art sous un angle vraiment très intéressant !
Camille Claudel : nos enfants de marbre par Laurence Creton, Élan Sud, 2020 / 18€
Au fil des siècles, ce calendrier vous propose de découvrir l’histoire des femmes et de leur lutte pour leur émancipation… Sous la forme très originale de défis à relever ! Chaque mois, une très belle illustration accompagnée d’un texte « grand public » annonce la thématique en cours (savoir, guerre, corps, maternité, travail, idéal féminin, religion, émancipation, éducation, sexualité, politique, presse féminine). Une question vous est ensuite posée chaque jour sur ce thème (sauf le week-end !)… A l’instar de l’iconique Rosie retroussant ses manches, vous allez devoir faire turbiner vos méninges et faire travailler votre mémoire pour y répondre ! Vous donnez votre langue au chat ? Le petit livret qui accompagne ce calendrier hors du commun vous fournira toutes les réponses ! Agrémenté de quelques portraits de femmes libres et rebelles qui ont contribué à changer le monde (et celui des femmes d’aujourd’hui… ), ce calendrier nous offre un tour d’horizon complet sur la place des femmes et sur leur rôle dans la société… A l’heure où leurs droits régressent un peu partout dans le monde, il est décidément à mettre entre les mains de toutes les filles de tous âges ! Les « matheux » peuvent également se procurer le calendrier « Le ciel dans tous ses états » et les amoureux de la langue française « Vous avez dit vintage ? » qui sont également disponibles. Un gros coup de coeur pour cette collection intelligente, ludique et passionnante !
Calendrier histoire 2021 : les femmes, quelle histoire ! (sous la direction de Philippe Barrière), Presses Universitaires de Grenoble, 2020 / 18,50€
Parues dans des journaux et des revues, de la fin des années 30 à celles des années 70 (« Vrai », « Le Point », « Paris Presse », « Vogue », « Paris Match », « L’œil »…), les 90 photographies de Doisneau compilées dans cet album nous immergent dans près d’un demi-siècle de création artistique, sous son regard aussi affuté que bienveillant et modeste. Bien loin des traditionnelles photos d’art posées et académiques, Doisneau nous offre des instantanés spontanés au coeur de l’intimité d’ateliers d’artistes « célèbres, marginaux de la peinture ou singuliers de l’art ». Une phrase de L’écrivain Georges Limbour résume à merveille le travail de Doisneau dans cet exercice de portraitiste d’atelier : « Si les objets des natures mortes étaient conscients, quels vivants et indiscrets portraits des peintres ils pourraient faire… Car ils connaitraient leur regard dans l’action, leurs pensées et leurs manies ». C’est tout à fait le sentiment que l’on ressent en visionnant ces clichés qui nous immergent dans le mystère de la création de ces artistes pris sur le vif, concentrés sur leur travail, statiques ou en mouvement, le regard fixé sur l’objectif ou surpris dans leur activité, rêveurs, sérieux ou espiègles, dans une totale confiance et une palpable complicité. Quant au dernier cliché présenté dans ce très beau livre, pris par Jean Bazaine dans son atelier, il immortalise un Doisneau au regard pétillant, dans le rôle de l’arroseur arrosé ! Un livre témoignage qui reflète toute la sensibilité de ce photographe humaniste qui fut et restera un des plus talentueux de son époque. Préfacé par Antoine de Baecque (un texte empreint d’admiration et nourri de passionnantes anecdotes !), ce bel ouvrage qui dévoile une des nombreuses facettes de l’art de Doisneau, va combler ses nombreux et fidèles admirateurs !
Robert Doisneau : un artiste chez les artistes, Flammarion, 2020 / 24,90€
Didier Ben Loulou, appareil photo en mains, nous restitue en instantanés d’une rare poésie, la beauté sauvage de l’île de beauté captée par ses soins dans une incroyable luminosité. Loin de la foule estivale, c’est une Corse secrète qu’il nous dévoile, une Corse aux ciels changeants où le soleil joue avec les nuages, une Corse où la mer se fait d’huile pour bercer les bateaux ou s’agite en éclats d’écume rageurs, une Corse « hors saison » où des promeneurs nonchalants savourent leur solitude… Petits chemins, fenêtres ouvertes sur la végétation ou sur la Méditerranée omniprésente, villas désertes, instantanés d’une vie paisible, au rythme d’une nature immuable, préservée des hommes… Une grande sérénité se dégage des clichés de Didier Ben Loulou. Et l’on se plaît à rêver en les contemplant que l’on s’évade pour un moment précieux sur cette route des sanguinaires, seul au monde et paisible… Un joli moment d’évasion !
Sanguinaires par Didier Ben Loulou, La Table Ronde, 2020 / 24€
Quand il n’est pas aux commandes d’un Boeing 747, Henk Van Rensbergen, en explorateur souvent téméraire, n’aime rien mieux que de s’imprégner de l’ambiance des lieux abandonnés, qu’il immortalise ensuite sur pellicule. A travers ce recueil de photographies captées tout autour du monde, ce chasseur passionné du vide et du néant nous offre un étonnant bouquet d’images de lieux inhospitaliers, désertés des hommes : usines et mines désaffectées, hôtels, discothèques, centres commerciaux, parcs d’attractions, châteaux, villas, théâtres à l’abandon… Chaque cliché nous immerge dans des sites où la nature reprend ses droits, où la décrépitude laisse entrevoir la grandeur passée. Tous ces lieux ont bien sûr une histoire que l’on se plaît à imaginer… Crise économique, guerres, catastrophes écologiques : chacune d’entre elles se lit en suscitant bon nombre d’émotions et en provoquant une profonde réflexion sur le devenir de notre civilisation, comme on regarderait les strates d’un monde perdu. Les plus touchantes sont certainement celles où les traces des derniers occupants sont encore visibles, mais aussi celles, nombreuses, prises en Abkhazie, ravagé par la guerre, où tout semble figé dans la désolation pour l’éternité… Henk Van Rensbergen, au fil de ses respectueuses et néanmoins souvent périlleuses déambulations, a également collectionné tout un tas d’anecdotes parfois hilarantes, d’autres fois glaçantes, qui accompagnent certains de ses clichés. Un ouvrage troublant qui ne peut laisser personne indifférent !
Abandoned places : images d’un monde perdu par Henk Van Rensbergen, Alternatives, 2020 / 15€
Gaza, verdoyante vallée entourée de déserts, vivait autrefois dans l’opulence et la paix… Jusqu’en 1947, lorsque l’ONU a attribué au peuple juif un territoire en Palestine (décision prise sans les principaux intéressés…) et où des milliers de réfugiés chassés de leur terre ont dû se replier sur la belle et paisible Gaza. Emmurée, occupée, cette bande de terre est devenue un enfer surpeuplé (près de deux millions d’habitants sur 360 km2…) où plus d’une personne sur deux est sans emploi et où la population survit dans une quasi absence d’eau potable et d’électricité, sans parler du manque de soins et de médicaments… S’il ne s’agit pas de remettre en question la légitimité d’un état israélien, on peut par contre remettre en cause la manière dont il a été créé et l’attitude colonialiste d’une violence rare que les israéliens ont exercé et exercent toujours sur le peuple palestinien… Une répression sanglante qui perdure depuis des années et qui, malgré de nombreux accords de réconciliation, n’a pas cessé pour autant, bien au contraire. Gaza lutte de toutes ses faibles forces contre cette oppression, mais, pierres contre armes lourdes, la lutte est inégale. Il suffit de regarder les chiffres pour s’en convaincre : pour un israélien tué, 100 palestiniens sont exécutés, dans la plus totale indifférence de la communauté internationale… Cette histoire sanglante et injuste est longuement évoquée dans la passionnante et instructive préface de ce livre, signée par Xavier Guignard qui, en toute objectivité, ne fait qu’exposer des faits avérés, en préambule du travail photographique d’une rare intensité de Mahmoud Alkurd. Des photographies troublantes, oniriques, sublimes de beauté et fortement évocatrices, où il met en scène des enfants dans toute leur innocence bafouée. Poignants et d’une esthétique irréprochable, les clichés de Mahmoud nous prennent aux tripes : ses photographies « habitées » où rôdent les fantômes des martyrs, où défile le long cortège des orphelins, où derrière ce mur maudit, on imagine la vie, l’insouciance, la liberté, l’opulence, le droit à l’éducation et aux soins médicaux, nous laissent entrevoir la profonde détresse d’un peuple en souffrance… La construction de ce livre est exemplaire : après une page d’histoire, les photographies de Mahmoud alternent avec des textes poignants, en tranches de vie tout aussi explicites. L’image et les mots se marient dans une totale perfection, laissant tour à tour la parole à une vieille femme usée, au-delà du désespoir, qui revoit sa famille exterminée, les exécutions sommaires, les maisons de son village détruites au bulldozer par les soldats israéliens, autant de scènes de guerre qui l’ont peu à peu fait basculer dans la folie… C’est ensuite le tragique destin d’un reporter qui, sous la forme d’un glaçant témoignage, relate la répression dans le sang d’une manifestation où un enfant et celle qui tentait de lui venir en aide sont froidement abattus… Le dernier texte, quant à lui, évoque le parcours désespéré et tragique d’un candidat à l’exil, avec en toile de fond l’ignoble trafic des passeurs, opportunistes de la misère… Un livre choc à tous points de vue, aussi bien politique qu’artistique, qui devrait être lu et contemplé par tous pour sa profonde humanité et pour la réflexion qu’il engendre sur un sujet d’actualité toujours aussi brûlant… Magistral.
Le phénomène Gaza par Mahmoud Alkurd, Images Plurielles, 2020 / 25€
Décors, lumières, architectures variées, population visible… La ville est une source d’inspiration et un formidable terrain de jeu pour les photographes. Tim Cornbill, architecte et photographe, délivre dans ce bel ouvrage, richement illustré de superbes photographies, une multitude de conseils techniques et artistiques aux photographes en herbe. Pour commencer, il leur offre une aide précieuse pour les guider dans le choix de leur matériel (appareil photo, objectifs, focales, filtres, logiciels de retouche…), avant de rentrer dans le vif du sujet : apprendre à repérer les lieux et à en révéler le caractère singulier, capter la vie nocturne, saisir l’instant (photos de rue), jouer avec la lumière, capter l’essence des paysages urbains en ayant une bonne vision architecturale… Au cours de chacun des dix chapitres qui composent cet ouvrage, il prodigue mille astuces pour perfectionner votre art en maîtrisant les réglages de votre appareil, et pour éduquer votre regard ! De nombreux focus sur de grandes villes du monde (Berlin, Barcelone, New-York, Birmingham, Dubaï, Paris, Florence…), et les portraits de quelques artistes emblématiques (Brassaï, Martin Parr, Cartier-Bresson, Vivienne Gucwa, Sébastian Weiss, Maciej Dakowicz, Michael Tomas), complètent cet ouvrage qui oscille entre guide pratique et livre d’art. Une mine d’or pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure de la photo urbaine… Photos à l’appui !
Le grand livre de la photo urbaine par Tim Cornbill, Dunod, 2020 / 29€
Deux très beaux ouvrages sur le « chanteur énervant » paraissent à l’occasion de la « Putain d’expo » qui lui est consacrée à la Cité de la Musique du 16 Octobre 2020 au 2 Mai 2021 ! Faites votre choix, ou achetez les deux… Ils sont très différents et complémentaires !
Allez, on commence par ce « Putain de livre ! », catalogue officiel de cette expo qui nous dévoile, en cinq passionnantes parties, l’univers si attachant de Renaud. Dans la première partie, son enfance, sa jeunesse et sa famille sont largement évoquées, ainsi que ses débuts de chanteur de rue, ses passages au Caf’Conc en première partie de Coluche et ses premiers engagements en Mai 68. L’accent est ensuite mis sur sur sa verve inimitable mêlée d’argot et de verlan à travers ses textes sur la banlieue chère à son coeur mais aussi sur celles où il révèle un vrai talent de « portraitiste (« Gérard Lambert« , « Manu« , « Germaine« , « La mère à Titi« , « La Pépette« …). On continue avec un coup de projecteur sur les scènes mythiques qu’il a arpenté… De sacrés souvenirs pour ceux qui ont eu la chance de le voir « en live » ! La quatrième partie est consacrée aux nombreux engagements de Renaud pour la classe ouvrière (avec notamment sa participation dans le « Germinal » de Claude Berri ou avec la poignante chanson « Oscar » dédiée à son grand-père mineur). Sont également évoqués sa collaboration à Charlie Hebdo et ses engagements humanitaires ou politiques (pour Tonton ou Mandela… Et contre Thatcher !). Pour conclure, la dernière partie de cet ouvrage exhaustif relate « le colporteur d’enfance et d’humanité »… Celui qui a su si bien trouver les mots pour évoquer le paradis perdu de l’enfance dans ses chansons devenues intemporelles (« Mistral gagnant« , « Morgane de toi » et tant d’autres…). 150 photos, dessins, manuscrits, archives rares et témoignages de proches collaborateurs de Renaud illustrent et complètent ce bel ouvrage qui nous offre un tour d’horizon complet sur la vie et l’œuvre de cet artiste populaire qui a marqué son époque et imprégné durablement les générations qui ont suivi. Une belle âme, un talent fou… Un homme attachant, fragile et fort tout à la fois. Un témoignage unique et sensible qui va ravir ses nombreux fans !
Renaud : Putain de livre ! Par David Séchan et Johanna Copans (commissaires de l’exposition), Plon, 2020 / 24,90€
Renaud décrypté de A à Z dans cet « Abécédaire d’enfer » teinté d’humour, à l’image de celui à qui il est dédié ! Avec ce très beau livre grand format, richement illustré de photographies inédites (issues des archives familiales), vous allez découvrir une biographie présentée de manière fort originale, détaillée en quarante entrées thématiques bourrées de références sur la vie et l’œuvre de notre « Chetron sauvage » ! Jeunesse, famille, racines, amitiés, amours, engagements, albums, musiciens, scènes mythiques, café théâtre, addictions (hélas…)… Tout a été passé au peigne fin par Thierry Séchan et Stéphane Loisy pour nous dévoiler au plus juste le portrait du chanteur au bandana rouge à la sensibilité d’écorché vif ! Renaud / Renard, toujours debout… Tatatiiiin !!!!
Renaud : abécédaire d’enfer ! Par Thierry Séchan et Stéphane Loisy, L’Archipel, 2020 / 22,95€
David Desvérité a entrepris un phénoménal travail de recherche sur la vie et sur le parcours artistique hors du commun de CharlElie Couture pour nous offrir cette exhaustive et passionnante biographie. Pendant plus de dix huit mois, il a fréquemment rencontré cet artiste surdoué (et travailleur acharné !) au caractère volcanique (autoritaire et déterminé mais aussi profondément humaniste !) pour recouper ses propos et ses souvenirs avec les témoignages de ses proches et des gens qui ont travaillé avec lui tout au long de sa carrière. A partir de tous ces éléments, David Desvérité a dessiné le portrait honnête et fidèle de ce poète, musicien, chanteur à la voix inimitable, plasticien et photographe, en mettant en lumière sa force et sa boulimie créative, son inépuisable énergie et ses incroyables talents qui ont indéniablement marqué notre époque. Racines et rapports familiaux, vie privée, carrière musicale et picturale, aspirations (pas toujours assouvies, elles amenèrent CharlElie à s’exiler de l’autre côté de l’Atlantique afin d’ouvrir sa propre galerie)… On s’immerge avec délices dans l’intimité et dans le processus créatif de cet artiste multidisciplinaire au fil de cette biographie passionnante qui se lit comme un roman ! Sa sortie quasi simultanée avec celle de l’album « Trésors cachés et perles rares » (bientôt chroniqué sur le site de « A vos marques… Tapage ! »), fait de cette année 2020 celle de CharlElie pour ses nombreux fans qui ont désormais deux bonnes raisons de se réjouir !
CharlElie Couture, poète rock par David Desvérité, L’Archipel, 2020 / 24€
Qu’ont en commun les benjamines Camélia Jordana, Jenny Beth, Lou Doillon, Jeanne Added et Imany, avec leurs ainées Vanessa Paradis, Charlotte Gainsbourg, Elli Medeiros, Françoise Hardy et Brigitte Fontaine ? Toutes possèdent une forte personnalité et la plupart d’entre elles exercent le métier d’actrice, tout en poursuivant une belle carrière dans la musique, exposant leur féminité parfois androgyne avec un indéniable charisme doublé de talent, et un esprit et une attitude foncièrement rock ! Ce sont les interviews intégrales de ces belles artistes, réalisées pour le film « Haut les filles ! » que vous pourrez découvrir dans cet ouvrage qui donne la parole à ces femmes qui ont damé le pion à ces messieurs dans le milieu très masculin du rock ! Libres et assumées, intègres, insolentes et rebelles pour certaines, réservées et timides pour d’autres (je vous laisse deviner !), ces « icônes » du rock à la française se sont prêtées avec humilité et honnêteté à ce jeu des vérités proposé par François Armanet et Bayon. Les portraits réalisés au cours de ces séances par la talentueuse photographe Sonia Sieff complètent cet ouvrage qui nous offre un intéressant échantillon des « parleuses rock » d’aujourd’hui… Dont la liste pourrait encore se décliner avec bien d’autres noms ! Haut les cœurs, les filles !!!
Haut les filles : le rock au féminin par François Armanet et Bayon, Flammarion, 2020 / 22€
Après « Sur la route de Janis Joplin » (chroniqué ici !), Jeanne-Martine Vacher nous interpelle une fois encore (et pour notre plus grand plaisir !) sur la vie, la carrière artistique et le destin tragique d’une autre icône des années 60 /70. Au fil de cet essai, elle nous offre cette fois ses variations sur un même thème : celui de sa passion quasi obsessionnelle pour Jimi Hendrix qu’elle nous fait partager avec ferveur, d’une écriture fluide et très littéraire. « Fondue » d’Hendrix, autant pour sa personnalité que pour son jeu de guitare révolutionnaire, elle s’est attachée à explorer, après avoir réuni de nombreuses archives souvent inédites (photos, articles, lettres…) les zones d’ombre de la vie tumultueuse et de la carrière fulgurante de ce « guitar hero » légendaire, disparu dans des circonstances dramatiques il y a 50 ans…. Et c’est à un passionnant voyage qu’elle nous invite, au coeur de la complexité de cet artiste qui a sans l’ombre d’un doute révolutionné le monde de la musique (en donnant au passage des complexes à tous les guitaristes de sa génération !). Jeanne-Marie n’a absolument rien laissé au hasard… Elle a décortiqué et analysé tous les textes de ses chansons, visionné une multitude de vidéos et écouté sans relâche ses albums aussi bien officiels que « pirates » pour étayer son propos. Je doute que l’on puisse trouver document plus « pointu » et plus émouvant sur le sujet ! Un livre de fan que les nombreux inconditionnels d’Hendrix doivent impérativement se procurer !!!
Jimi Hendrix variations par Jeanne-Martine Vacher, Le Mot et le Reste, 2020 / 17€
Après « Rock sudiste » (chroniqué ici !), Arnaud Choutet nous offre le panorama d’un autre mouvement musical d’une extrême richesse, né au début des années 70 en Californie : le « Soft Rock ». Dans une longue et passionnante introduction, il nous conte l’histoire de sa naissance, les différentes influences qui l’ont enrichi (folk, jazz, funk, soul, musique brésilienne et même disco), ses instruments emblématiques, le travail en studio, l’importance des auteurs compositeurs interprètes… En passant minutieusement en revue tous les ingrédients de ce cocktail léger et harmonieux qui définit son identité. Arnaud Choutet nous délivre ensuite une sélection d’une centaine albums d’artistes emblématiques du soft rock (un album par artiste) avec pour chacun d’entre eux sa carte d’identité (date de sortie, reproduction de la pochette) et la rédaction d’une chronique dûment détaillée, assortie d’une liste d’artistes similaires à se mettre également entre les oreilles ! Au milieu des albums fétiches de mes « chouchous » (America, Fleetwood Mac, Crosby, Stills, Nash and Young, Earth wind and Fire…), j’ai découvert pour ma part bon nombre de pépites qui m’étaient jusqu’alors inconnues ! Un guide passionnant, écrit par un passionné !
Soft Rock : Yacht vibes & California grooves par Arnaud Choutet, Le Mot et le Reste, 2020 / 21€
Christine Le Garrec