Juke Box N°83

Vous aimez le reggae ? ça tombe bien ! Jah Light vient de sortir un album (une vraie et bonne pépite !) qui en porte les couleurs avec flamboyance ! Vous préférez la pop, plutôt baroque aux accents british ? Vous allez adorer Olivier Rocabois ! Vous êtes plutôt rock psychédélique ? Ne cherchez plus, c’est l’album de Ceylon qu’il vous faut ! Et tant que vous y êtes, rajoutez dans votre panier l’album de Claire Gimatt dont l’univers poétique et ensorcelant ne peut que vous charmer ! Et si votre coeur ne balance qu’aux rythmes du jazz, j’ai tout plein d’albums à vous faire découvrir, tous plus bluffants les uns que les autres : celui de Stefano Di Battista qui revisite en version jazzy les thèmes d’Ennio Morricone, ceux de Charley Rose Trio et de Rouge qui nous offrent un jazz contemporain de haute volée avec des sets improvisés époustouflants de virtuosité, celui de Diego Lubrano qui marie jazz et flamenco dans une fabuleuse et scotchante fusion… Des Balkans jusqu’en Afrique, laissez-vous ensuite envoûter par les guitares manouches et l’accordéon du Dan Gharibian Trio, au fil de leurs ballades mélancoliques entrecoupées de rythmes festifs… Et pour terminer, je vous laisse en bonne compagnie avec la « Bête » Barrut et ses troublantes et engagées polyphonies occitanes ! Belles et bonnes écoutes à toutes et à tous !!!

Après avoir arpenté les scènes de sa Côte d’Ivoire natale et celles du monde pendant plus de 20 ans, Jah Light vient de sortir son premier album solo dont le titre, que l’on pourrait traduire par « Les gardiens célestes de Zion », annonce d’emblée la couleur… Car Jah Light porte haut et fort les valeurs du rastafarisme et chante la gloire de Jah tout au long de cet album lumineux, dansant et délicieusement nonchalant, aux rythmes d’un reggae inspiré de la plus pure tradition jamaïcaine, qu’il métisse de tonalités africaines. Un reggae envoûtant d’une immense richesse, empreint de ferveur et d’optimisme, mais aussi de conscience politique : messages de paix, d’amour et de tolérance alternent ainsi avec des textes nous engageant à ne pas accepter la société actuelle avec son cortège d’injustices, en « chansons pour nous faire changer, et en musique pour se révolter »… Et oui ! Jah Light ne tourne pas sept fois son spliff autour du cendrier pour accuser les suceurs de sang de politicards qui vont finir par nous rendre « zombie » par leur avidité et leur incompétence ! Si les textes de cet album ont été majoritairement écrits par ce « gentil » soldat de Jah (« fier d’être rasta » et viscéralement attaché à ses dreads !), celui-ci nous propose néanmoins une exceptionnelle reprise du mythique « Knockin’on heaven’s door » de Dylan, dans une version reggae roots qui nous fait dresser les poils et nous embarque direct aux portes du paradis… Un album incontournable pour tous les fans de très bon reggae, qui apprécieront au passage les participations de Don Carlos , General Dimitri et Ras Kalif aux côtés de celui pour qui « La vérité par le reggae est la politique »… Sous sa voix et sous les rythmes ondulants de son reggae, elle devient la nôtre dès la première écoute !

Almighty Zion Keepers / Jah Light / AZK Productions / 9 Avril 2021 / Lien d’écoute et de téléchargement ici !

Olivier Rocabois a visiblement été influencé par le nec plus ultra de la pop anglo-saxonne des années 60/70… Et si, de sa chère Bretagne, il a traversé l’Atlantique pour puiser son inspiration chez les british, on peut dire sans l’ombre d’un doute qu’il a transcendé le genre avec élégance et inventivité ! Au fil des neuf plages de cet album, il nous offre une pop tour à tour baroque, symphonique, onirique, psychédélique, nostalgique, joyeuse, rêveuse, lyrique et un brin barrée qui, si elle entre par une oreille, ne ressort pas par l’autre pour rester bien en tête ! Avec une incroyable virtuosité, aussi bien dans la création de ses envoûtantes mélodies aux arrangements classieux, que dans le remarquable travail de sa voix qui grimpe, grimpe tout en douceur et volupté dans les aigus, Olivier Rocabois va plus loin et plus haut, c’est certain ! Imaginez un timbre à la McCartney, des choeurs aériens et harmonieux dignes des quatre garçons dans le vent, et un univers fantasque à la Bowie, revisités dans une sauce toute personnelle qui prend, sans la moindre faute de goût, dès la première écoute… Et vous voilà partis pour un good trip pétillant et ondulant, qui va vous procurer d’intenses ondes de plaisir ! Neuf titres en « montagnes russes » et en subtils changements de tonalités, dont les ambiances accrocheuses, nappées de cordes, de cuivres, de guitares, de claviers, de clavecin et de piano, nous enivrent et nous donnent le vertige, mais pas la gueule de bois, bien au contraire… Car on en redemande ! Olivier nous glisse qu’il aimerait faire sa sortie avec panache… Alors, prends ton temps avant de tirer ta révérence, Olivier, car tu fais une entrée aussi remarquable que remarquée avec ce flamboyant premier album ! Un gros coup de coeur que je vous invite vivement à partager… Car écouter Rocabois, c’est l’adopter !!!

Olivier Rocabois Goes too far / Acoustic Kitty / Differ-Ant / 2 Avril 2021 / 16€

Avec cet album concept à écouter, mais aussi à visionner puisque chaque titre s’accompagne d’un court-métrage réalisé par Raphaël Holt (« Sanctuary« , « La montée des marches » et « Jungle Yes« ), Ceylon nous murmure « Le grand secret des oiseaux de sable » au fil de trois titres enchanteurs où leur rock psychédélique se mêle intimement à des couleurs jazzy, sous l’exceptionnelle clarté de l’aérienne voix de Louise. Une bande son aux envolées rêveuses et aux langoureuses ambiances aquatiques qui nous embarque au creux d’un songe mystérieux et mystique, au coeur d’une nature païenne… Un rock planant et contemplatif, s’habillant de lueurs sauvages et tribales au son des guitares de Tristan et Lucas, de la basse de Pierre-Jean et de la batterie de Sacha, sublimé par le chant hypnotique et sensuel de Louise qui éclaire les zones d’ombres de leur univers très personnel, dont ils vivent corps et âme chaque note, dans une harmonie naturelle. C’est bien à un voyage sensoriel que les toulousains de Ceylon nous convient : un voyage qui nous mène des ressacs de l’océan aux forêts ténébreuses, pour nous élever jusqu’aux ciels étoilés où les oiseaux de sable et de vent apprivoisés par ces magiciens nous promettent une épopée radieuse, en mots effleurés d’une poésie pure… Trois titres, c’est peu, me direz-vous… Certes ! Mais sachez que chaque morceau (d’une durée de sept à neuf minutes) nous laisse tout le temps pour nous imprégner et nous délecter de l’ambiance qu’il dégage… Cet album envoûtant nous invite autant à la transe qu’à une bienveillante sérénité… Une pure merveille !!!

Le grand secret des oiseaux de sable / Ceylon / Lacouveuse / Ditto / 30 Avril 2021

D’une voix qui évoque la tessiture profonde d’une Barbara du Sud aux chaleureux accents méditerranéens parés de volutes orientales, Claire Gimatt nous envoûte et nous enlace au creux de ses rêves peuplés d’héroïnes mystérieuses, sur une musique « sur mesure » qui épouse comme une seconde peau les contours virevoltants de sa voix et de ses mots. Dix titres, dix histoires où l’on s’immerge dans un univers onirique et luxuriant où l’on croise des « géantes à têtes de fleurs », des arbres qui s’enfuient dans la nuit noire dans une course folle contre le soleil, des pleureuses qui nourrissent la mer de leurs larmes, une aviatrice « qui dessine des couleurs dans les couchers de soleil », une inquiétante « baronne au grand chapeau froissé qui hante le manoir de l’impasse de l’infortune », « une sorcière des sous-bois qui enchante l’hiver », une chasseuse de monstres marins qui devient « louve des mers », ou encore « un beau brin de fille au regard noir farouche, comme un poème qui marche sur le trottoir »… Cet album au joli grain de folie nous offre les clés de l’imaginaire perlé de poésie de cette sorcière bien aimée qui nous invite au son de sa voix ensorcelante au coeur de ses mondes irréels et surréalistes, en nous berçant de nuages de cordes, de synthés et de choeurs, où sonnent les notes cristallines d’un piano… Un album planant et fantasque, qui nous appelle à lâcher-prise et à entrer dans la transe… Plonger dans l’univers de Claire Gimatt, c’est entrer de plein fouet dans un tableau vivant ou sauter à pieds joints dans le terrier du lapin d’Alice : on est sûr d’y trouver des merveilles ! Scotchant !

Sorcières / Claire Gimatt / Le Prisme / Microcultures / 9 Avril 2021 / 15€

Ennio Morricone a marqué de son empreinte le cinéma… Et bon nombre de ses thèmes sont devenus intemporels, contrairement à certains des films qu’il avait honoré de son art ! Car si nous avons tous fredonné ou siffloté ceux de « Peur sur la ville », « Il était une fois en Amérique », « 1900 », « La femme du Dimanche », « Mission » et « Le bon, la brute et le truand », ceux de « Qu’avez-vous fait à Solange », « La drôle d’affaire », « Veruschka », « Disons, un soir à dîner » et « Le grand silence » sont davantage restés confidentiels… Et ils le seront bien moins grâce à Stefano Di Battista qui revisite ces onze thèmes (et nous fait cadeau de « Flora », un titre inédit que Morricone lui avait offert…) dans une version jazz éblouissante qui met en lumière le lien de parenté de la musique de Morricone avec ce genre musical, en démontrant avec autant d’élégance que de virtuosité que celle-ci s’y prête à merveille ! Avec cet album où il rend un respectueux et inventif hommage au maestro, Stefano Di Battista laisse parler son coeur et son admiration à travers son sax dont il joue avec autant de finesse que de raffinement, en nous offrant de belles envolées tour à tour fougueuses ou nostalgiques, en autant de bouffées d’émotions. Quant aux pointures qui l’accompagnent, ils ne déméritent pas, bien au contraire ! La batterie d’André Ceccarelli, le piano de Frédéric Nardin et la contrebasse de Daniele Sorrentino accompagnent à merveille les fulgurances du sax de Stefano, comme une évidence… Le jazz ondulant, voluptueux, radieux et exaltant de ce classieux quartet éclaire sous un jour nouveau la musique de celui qui restera pour la postérité le plus grand compositeur de musique de film, mais aussi le plus prolifique… Morricone nous a quittés il y a maintenant quelques mois… Mais tant qu’il y aura des artistes de la trempe de Stefano pour le célébrer et le réinventer, il continuera éternellement de nous faire rêver…

Morricone Stories / Stefano Di Battista / Warner Music / 2 Avril 2021 / 17€

Un piano débridé aux notes savamment dissonantes, une batterie exaltée, un sax enchanté, sautillant ou sensuellement langoureux… Le jazz contemporain et furieusement moderne que distille le Charley rose trio est libre de toute entrave et nous sort avec délices de notre zone de confort par ses envolées amplement improvisées. Truffée de trouvailles sonores inventives, leur musique joue sur tous les registres, qu’ils soient joyeusement explosifs ou délicieusement nostalgiques, pour nous embarquer dans un dédale musical tout en changements d’ambiances et de tonalités qui nous fait grimper au septième ciel ! Entre chaos et harmonie, l’univers exigeant et très personnel dessiné par ces trois martiens du jazz nous laisse entrevoir un autre monde à travers le prisme de leur kaléidoscope aux multiples facettes… Mouvante, toute en envolées et fulgurances de haut vol, leur musique est toujours en mouvement, s’attardant en plages hypnotiques et en longs poèmes oniriques, pour mieux s’envoler dans un tourbillon de sons qui nous titille, nous exalte et nous laisse époustouflé par tant de virtuosité et de liberté. La superbe pochette qui explose de couleurs est à l’image de ce premier album pour lequel Charley Rose est devenu un des lauréats du dispositif « Jazz Migration » qui les accompagne désormais dans leur projet artistique… Il ne me reste plus qu’à leur souhaiter la belle et longue route qu’ils méritent ! Une très, très belle découverte !

Charley rose Trio / Déluge / 9 Avril 2021 / 12€

Madeleine Cazenave maîtrise avec une rare virtuosité l’art de l’improvisation qu’elle partage dans une totale osmose avec le contrebassiste Sylvain Didou et le batteur Boris Louvet, sur cet album flamboyant où le jazz contemporain se mêle à des tonalités classiques en toute harmonie. Les thèmes tout en délicatesse nés de ses doigts et de son âme sur son piano, repris de manière époustouflante par ses compères, font éclore un jazz des quatre saisons où le froid et le chaud s’affrontent en mélodies envahissantes et répétitives, entre le bleu des abysses et le rouge d’un volcan en fusion… De la chaleur d’un petit matin ensoleillé aux premières froidures automnales arrosées de pluies et tourmentées de vent, le calme annonce toujours la tempête… On se réchauffe aux rayons du soleil dans une ambiance méditative avant de glisser, éclaboussé d’écume et de vibrations, dans l’élément liquide pour une seconde naissance… Solaire, contemplative, sereine et exaltante, la musique de Rouge nous transporte avec allégresse dans sa vibration collective, avec une aisance insolente. Également lauréat du dispositif Jazz Migration, Rouge devrait reprendre la route des concerts (on l’espère très bientôt…) pour nous faire vivre en « live » les intenses émotions que nous procure cet album éblouissant de poésie et de lyrisme… Et de bien d’autres encore, à n’en pas douter !

Derrière les paupières / Rouge / Laborie Jazz / Socadisc / Idol / 16 Avril 2021 / 15€

Il n’y a pas d’orage dans l’air ni d’eau dans le gaz entre le jazz et le flamenco au fil de cet album où Diego Lubrano abolit leurs frontières pour majestueusement les entrelacer, dans une union parfaite… Un mariage harmonieux où ses savants arpèges dignes d’un Paco de Lucia s’envolent pour embrasser la basse de Bernard Menu et les percussions d’Adrien Spica qui accompagnent cet envol avec finesse, en un jazz qui se fait discret et feutré, ou explosif et éclatant d’énergie au gré des thèmes apportés par la guitare de Diego, qu’elle soit acoustique ou électrique. Jazz et flamenco se mélangent, s’éloignent et se répondent sans rivalité dans un jeu sensuel au feeling diaboliquement efficace tout au long des douze pistes de cet album solaire, envoûtant et généreux qui bénéficie en outre d’une rare qualité d’enregistrement où chaque note se savoure en toute clarté. Tout feu tout flamme ou limpide et cristalline comme une eau pure, la musique de Diego, d’une totale liberté, nous transporte dans les plus hautes sphères par son époustouflante virtuosité… Magistral !!!

El Vuelo / Diego Lubrano / Absilone / 23 Avril 2021 / 12€

La voix profonde et chaleureuse, le teint buriné et le regard fier, Dan Gharibian est un seigneur dont la présence ne peut qu’inspirer le plus profond respect… Et pour l’avoir rencontré, (interview, report et photos du concert des Nuits de Nacre en 2018, ici !), je peux vous dire que le personnage est aussi intimidant que fascinant ! Il nous offre aujourd’hui, en compagnie de ses deux complices Benoît Convert et Antoine Girard, un album cosmopolite qui nous transporte des Balkans au Burkina Faso, sur un tapis cousu de ballades nostalgiques et de mélodies festives où les arpèges virtuoses et lumineux de sa guitare et de celle de Benoît s’accompagnent des trilles délicieusement mélancoliques de l’accordéon d’Antoine. Un voyage poétique et vibrant, bercé par la musicalité des langues grecque, arménienne, romanès, dioula (et française !), qui nous invitent à vivre l’instant présent, avec sagesse et philosophie, sous la voix chaude de Dan qui nous émeut jusqu’au tréfonds de l’âme. Fugaces moments partagés, histoires d’amour et rencontres fraternelles nous sont ainsi contées au fil des plages de cet album nomade, aussi enivrant que séduisant, avec ses parfums slaves et orientaux et ses envolées d’un jazz manouche exécuté avec autant de sensibilité que de dextérité. En 14 titres émouvants et exaltants (dont les lumineuses reprises de « Rimes » de Nougaro et de « Parce que » d’Aznavour), ce « marchand de rêves » et « Poète des grands chemins qui se joue des frontières » se livre « à voix nue pour nous apporter un peu de douceur de vivre dans la dureté du temps »… Et il nous touche droit au coeur par sa générosité et sa belle humanité, jamais démentie tout au long de sa longue carrière. Ces trois musiciens talentueux, unis dans une parfaite osmose, nous offrent d’intenses et précieux moments d’émotion, de joie, d’humour et de nostalgie… Alors, messieurs, on ne vous dit pas « Da Svidaniya »… Mais à très bientôt sur scène !

Da Svidaniya Madame / Dan Gharibian Trio / Lamastrock / L’Autre Distribution / 2 Avril 2021 / 13€

Une atmosphère étrange, qui semble venir de temps anciens où la nature sauvage dominait le monde, règne en maître sur « La part de l’orage » qui nous éclaire de sa fougue et de sa beauté. Constitué de « Polyphonie garanties 100% chanteurs naturels sans conservateurs ni correcteurs vocaux », cet album nous donne à entendre, seulement accompagnées de percussions, les voix puissantes de trois hommes et de quatre femmes qui explorent la musicalité de la langue occitane sur des textes engagés où poésie rime avec résistance… En explosions de voix hypnotiques, Barrut nous invite à faire la fête sur les ruines d’un monde « où règnent des bêtes affamées, avides, voraces et insensibles » et en appelle « aux armes contre la Bourse » pour que « nos corps en prison allument des feux au fil des raisons »… Ce discours révolutionnaire et empreint d’espoir que cette « bête » à sept têtes chante avec coeur et conviction pour que le « peuple se lève et que la lutte avance », nous invite à ne pas céder à la résignation ambiante et à garder notre force d’insoumission sous leur chant qui fait « taire l’angoisse en pagaille sur un monde en question »… Un album fascinant, puissant… Et d’une beauté sidérante !

La part de l’orage / Barrut / Ox’Ivent / Tanin Records / 9 Avril 2021 / 15€

Christine Le Garrec