Juke Box N°87

De la bonne chanson française comme on l’aime, atypique et poétique avec Nicolas Jules, ou engagée sous la gouaille de Gaëtan Henrion… Un superbe hommage à Brassens avec les auvergnats de la Coopérative de Mai, et du reggae flamboyant sur des textes aussi bienveillants que rageurs avec Danakil… Missri nous invite ensuite au voyage et aux rencontres éphémères sur des airs de folk rock aux accents blues et cajun, tandis que Dreams Never Die nous embarque dans un délicieux périple dans les années 70, sur une bande son soul mâtinée de blues, de folk ou de funk, furieusement efficace… Voyage onirique et psychédélique ensuite avec Bloom Bat qui nous dévoile un premier EP totalement abouti aux couleurs électro jazzy, suivi de The Volunteered Slaves qui nous embarquent dans le cosmos pour tutoyer les étoiles avec leur jazz hypnotique aux accents funky… Pour terminer, deux albums de très bon jazz « classique » avec les fabuleux Étienne Guéreau, Gautier Garrigue et Marc Buronfosse, qui nous offrent un album imaginatif et loin d’être prévisible, et avec le fastueux Arteskor Orkestra de Laurent Bonnot qui unit jazz et musique classique au sein d’un big band composé d’une belle armada d’instruments à vent ! Belles découvertes à toutes et à tous !

Nicolas Jules est décidément aussi talentueux que productif : moins d’un an après le remarquable et remarqué « Douze oiseaux dans la forêt de pylônes électriques » (chroniqué ici!), il nous revient cette fois accompagné de l’ombre d’un invisible et mystérieux yéti, muet et omniprésent (dont il n’aurait retrouvé que le scalp et la déjantée fiancée…) qui se matérialise par intermittence au fil des 17 pistes de ce petit bijou, sous la forme de savoureux instrumentaux … Si, tel le yéti, Nicolas observe les comportements humains, il le fait quant à lui à haute et intelligible voix pour nous dévoiler la carte des sentiments qui nous animent, en mots doux susurrés et avec un humour aussi délicat qu’incisif. Sur une musique mystérieuse et hypnotique, savamment dissonante et truffée de sons non identifiés qu’il habille de sonorités mélodieuses et dansantes, il nous délivre de la poésie pure pour chanter les amours déçues et inabouties, où « les ascenseurs ne sont pas prévus pour supporter le poids de nos amours », en dévoilant l’indicible comme on dessinerait « la neige avec un crayon noir »… Loin d’être une copie conforme dans l’air du temps, Nicolas Jules cultive son originalité et nous l’offre en bouquets de chansons tour à tour drôles et émouvantes, en « taillant dans le vif et le sujet » avec une virtuosité sans faille. Nicolas « joue des chansons noires à qui veut les entendre » et on ne se lasse pas de les écouter et de savourer son univers atypique qui éclaire les ténèbres de nos « pays de cendre » avec un éclat hors du commun ! Du grand Jules !!! Dates de ses prochains concerts à découvrir ici !

Le Yéti / Nicolas Jules / 15 Juillet 2021 / 12€ (Lien Bandcamp ici !)

Il y a désormais fort, fort longtemps que Brassens a chanté sa tendresse pour l’auvergnat… Un hommage que les « auvergnats » d’aujourd’hui lui renvoient en miroir en revisitant son répertoire avec autant de respect que d’originalité ! Neuf groupes « locaux » se sont ainsi penchés sur neuf de ses chansons intemporelles, pour les habiller de leur personnalité et de leur talent… Et le résultat, aussi bluffant qu’inventif, aurait sans nul doute comblé Brassens ! Que ce soit en version électro dansante et hypnotique avec The Doug (« La mauvaise réputation »), nappée de choeurs de femmes africaines avec Les Mamans du Congo & Rrobin (« Chanson pour l’auvergnat »), ténébreuse et slamée par Iraka et Rrobin (« Hécatombe »), d’une douceur incomparable avec Belfour (« Heureux qui comme Ulysse »), ou incantatoire et habillée de percussions aux accents orientaux (et auvergnats !) par Sourdure (« Supplique pour être enterré à la plage de Sète »), en version épurée piano voix avec Comme John et Albin de La Simone (« Il n’y a pas d’amour heureux ») ou Pain Noir & Balzane (« La marche nuptiale »), en ballade pop folk sautillante avec Mustang (« Le petit cheval »), ou bien encore dans une version punk débridée avec Foxhole (« Les copains d’abord »), tout ce joli monde dévoile à sa manière sa vision très personnelle des chef-d’œuvre du poète, avec une liberté et une audace sans commune mesure. Enregistré et produit par la salle de La Coopérative de Mai (qu’on ne présente plus tant sa programmation est exemplaire), cet album, qui rend le plus bel et le plus tonique hommage qui soit à Brassens, est à mettre entre les oreilles de ses fans… Et entre celles de ceux qui pensent que Brassens, c’est dépassé !

L’auvergnat chante Brassens à la Coopérative de Mai / Flower Coast / 25 Juin 2021 / 15€ (Lien Bandcamp ici !)

Une voix rageuse et éraillée, des textes où souffle le vent de la révolte, un humour gouailleur et une palette musicale colorée où rythmes latinos, funky, rock ou jazz manouche côtoient de nostalgiques valses musette ou de douces ballades au piano… Le premier album de Gaëtan Henrion est décidément un bonbon pimenté qui donne autant envie de guincher que de lever le poing ! Et il a bien raison, ce talentueux jeune homme, d’affirmer qu’il n’est « Pas si seul » à se désespérer d’une époque mortifère où nos valeurs foutent le camp à la vitesse de l’éclair, où « la fraternité se meurt dans une démocratie de façade aux médiatiques manigances », parce qu’on a « vendu nos âmes pour l’ordre des finances »… « Fallait pas voter pour leurs monarques et leur porter sur un plateau la couronne », mais « casser tout et recommencer » plutôt que d’aller aux urnes, nous assène t-il à juste titre dans un texte pas si éloigné de « L’hexagone « du chanteur énervant ! Et des colères, Gaëtan en a plein sa guitare, à commencer pour l’arrogance de ceux qui nous gouvernent (avec une mention très spéciale pour « Manu » dans une lettre ouverte où il ne mâche pas ses mots !), mais aussi envers « les gens qui parlent fort qui ont plus souvent tort que ceux qu’on entend pas », sans oublier les inacceptables violences policières ou le tragique sort des migrants… Des colères noyées sous « des litres d’école » pour ne pas voir « son temps couler, les années parties en fumée et les rêves s’envoler »… Gaëtan est une « grande gueule » qui sait aussi se faire tendre quand il nous parle d’amour, quand il évoque celui qui n’a pas besoin d’un parchemin pour exister (clin d’œil à « La non demande en mariage de Brassens) ou celui, parfois incompréhensible aux yeux du monde, qui unit des êtres aux personnalités diamétralement opposées… Séduisant, émouvant et stimulant sans pour autant nous caresser dans le sens du poil, Gaëtan Henrion nous questionne sans ambages sur le sens que l’on veut donner à nos vies au fil des onze pistes de cet album totalement addictif. Attention ! La dernière piste terminée, patientez quelques secondes… Car un douzième titre, bien caché, n’attend que vos oreilles attentives pour dérouler le film de l’histoire d’une vie… Et ce serait franchement dommage de passer à côté de ce titre, comme de cet artiste attachant en diable !

Pas si seul / Gaëtan Henrion / Uni-Son / 15 Octobre 2021 / 13€

Danakil fête (déjà !) ses 20 ans de carrière et vient de sortir un onzième album somptueux (et fort attendu !) pour célébrer en beauté l’évènement. Un album, empreint d’amour et de bienveillance mais aussi et surtout de cris de révolte, qui tombe à point nommé cinq ans après leur dernier opus. « Rien ne se tait » et Danakil, plus « Naturel et déterminé » que jamais, semble avoir accumulé pendant toutes ces années ce qu’il avait sur le coeur pour nous le dévoiler en un bouquet de treize chansons engagées où il relate la mauvaise marche du monde. Des propos rageurs, adoucis d’espérance, posés sur un flamboyant reggae cuivré, nappé de choeurs harmonieux, qui donne une irrépressible envie d’onduler et de s’enivrer plutôt que de se désespérer. C’est là toute la force de Danakil : dénoncer ce qui nous mine en profondeur tout en laissant entrevoir la richesse que nous portons en nous pour renverser la vapeur, ces valeurs de justice et d’égalité qui font de nous des êtres humains. Dans ce « Monde de fous », c’est « l’amour de soi même qu’on tabasse, c’est la haine des autres qu’on amasse », alors que tout ce que l’on veut, c’est simplement être libre, se réchauffer à l’amour des siens, et remettre au goût du jour la liberté, l’égalité et la fraternité mises à mal par l’incompétence et la soif de pouvoir des puissants de ce monde. Deux voix pour demander le respect de l’homme et de la Terre (« Ils pensent que tout se consomme mais le géant s’épuise… La Terre a fait le maximum mais le terrain s’enlise… »), celles de Balik et de Natty Jean, accompagnées sur deux titres par Akhenaton et Manjul (dont le sublime dernier album, « Sound Therapy », sera chroniqué dans un prochain juke Box) pour affirmer que « Tout ça est égal » et que « La vie continue ». A nous d’imaginer un nouveau monde… Et pour cela, rien de plus facile. Il suffit de se laisser porter par les bonnes vibrations distillées avec amour au fil des pistes de ce superbe album… Danakil est actuellement en tournée. Alors, s’ils passent près de chez vous (notamment le 27 Novembre à la Coopérative de Mai !), filez vite recharger vos batteries à la chaleur de leurs mots et de leur musique !

Rien ne se tait / Danakil / Baco Records / 3 Septembre 2021 / 14€

Après trente ans de scène et de projets avec différentes formations, Stéphane Missri se lance dans une prometteuse carrière solo avec ce premier album aux sonorités Folk, Blues Rock, cajun et country, accompagné par d’excellents musiciens américains, canadiens et français (dont certains ont joué avec Chuck Berry, Percy Sledge, Tony Allen, Ray Lema ou encore Jim Murple Memorial… Rien que ça !!!). Un album cosmopolite et enchanteur aux textes ciselés où Missri dévoile, en même temps qu’une fort belle plume, un univers tout personnel peuplé de filles et de voyages au long cours, de road trips endiablés et de valses nostalgiques où l’ombre des bayous plane sous les pleurs de l’harmonica et les arpèges de banjo et de violon. Amours trahies, contrariées ou muettes, rendez-vous manqués ou cavales amoureuses… « Les filles sèment des présages qu’elles dispensent au gré des vents aux amants de passage » au fil des onze pistes de cet album envoûtant et dépaysant, sous les mots soignés de Stéphane qui ne manquent pas de poésie. Il ne vous reste plus qu’à nourrir votre esprit en écoutant « Toutes voiles devant » cette bien belle « galère » qui vous mènera « Juste un degré au-dessus de l’extase », au coeur de « La vraie nature de l’homme », malheureusement bien loin d’être sage… Un album qui tient toutes ses promesses en voguant avec allégresse sur la palette infinie des sentiments humains !

Vogue la galère / Missri / Juste une trace / Socadisc / 18 Juin 2021 / 12€

Les rêves ne meurent jamais pour Rocky Szostak (auteur, chanteur et vidéaste) et Félix Nico (musicien multi instrumentiste, compositeur et producteur) qui nous offrent, avec ce premier album éponyme, matière à rêver et à danser sur leur soul sensuelle et chaleureuse bercée de choeurs aériens et vaporeux, ponctuée de virevoltantes envolées pop, folk ou funky, avec de beaux éclairs de rock, et quelques couleurs bluesy et R’N’B pour pimenter le tout. Un son « vintage » et enveloppant qui nous transporte à l’époque bénie de la Motown des années 70, et qui donne une irrépressible envie de fredonner ces savoureux refrains, tout en claquant des doigts et en ondulant des hanches ! Rien à jeter dans cet album « home-made » qui groove d’enfer en jouant sur tous les registres avec un sens inné de l’harmonie, sur la voix « soul » et veloutée de Rocky qui nous embarque au septième ciel en un clin d’œil. Tour à tour mélancoliques, langoureux ou entraînants, les douze pistes de cet album nous invitent autant à faire la fête qu’ils nous bercent par leur douceur et leur fraîcheur réconfortante ! La grande classe !!!

Dreams Never Die / 17 Septembre 2021

Sous cet énigmatique pseudonyme de « Chauve-souris en fleurs », Baptiste Ugo nous dévoile, avec autant de panache que d’originalité, son univers onirique aux parfums voyageurs qu’il habille de solos ébouriffants de guitare, de délicats arpèges (exécutés avec un toucher d’une extrême légèreté) ou de voluptueuses envolées de clarinette, posés avec une extrême douceur sur des sonorités électro psychédéliques qui nous mènent tout droit vers la sérénité. En six titres, il nous révèle son immense talent et sa sensibilité exacerbée qui explosent sur des rythmes jazzy et entraînants, ou nous bercent au fil d’envoûtantes ballades aux mélodies imparables. Fort bien accompagné sur deux titres par la chanteuse australienne Serena Stranger qui lui apporte sa voix claire et sensuelle, et du rappeur américain Joe Bruce qui pose harmonieusement son flow sur un autre titre, Bloom Bat nous invite à lâcher-prise avec cet EP intuitif et envoûtant qui donne envie de se lover bien au chaud pour contempler le ciel étoilé jusqu’au petit matin. Une savoureuse mise en bouche… Avant la sortie d’un album que l’on appelle de tous nos vœux !

Full Dawn / Bloom Bat / 24 Septembre 2021 / Lien Bandcamp ici !

Pesquet à peine revenu sur Terre, je vous propose de partir à votre tour en orbite vers l’infini et l’au-delà, à bord du vaisseau spatial de The Volunteered Slaves en compagnie desquels vous croiserez des comètes échevelées et baignerez avec délices dans la voix lactée, sous la grâce de leur jazz solaire et hypnotique aux accents funky qui ressusciterait les étoiles mortes. Un voyage sidéral et sidérant sous l’égide de ces « esclaves volontaires » qui vous attacheront dès la première écoute, vous laissant sous le charme de vaporeuses nappes d’orgue et de synthés, ponctuées des rythmes sans faille de la basse et des percussions, sous d’époustouflantes envolées de sax. Un album intersidéral enivrant, porteur de vie et de liberté, qui vous donnera autant envie de danser que de rêver la tête dans les étoiles… En état d’apesanteur, bien sûr ! Totalement addictif !!!

SpaceShipOne / The Volunteered Slaves / Day After Music / 31 Août 2021 / 22€

Trois virtuoses en parfaite osmose aux commandes de cet album d’une franche originalité, bien loin d’être prévisible comme son titre l’indique ironiquement. Entre les compositions originales (signées par Étienne Guéreau) et les versions vibrantes et parfois étonnantes de quelques standards revisités avec classe et respect (« Beautiful love » de Victor Young« , « Cantique de Jean Racine » de Gabriel Fauré, « Étienne » de Guesh Patti et « Nature boy » d’Eden Ahbez), « So predictable » nous offre un jazz atypique, aussi libre qu’imaginatif, fait de subtils changements d’ambiances, de savantes dissonances ou d’envoûtantes mélodies, distillées au piano par Étienne Guéreau sous le velouté de la contrebasse de Marc Buronfosse et du tempo exemplaire mené par Gautier Garrigue à la batterie : trois artistes aussi talentueux que sensibles qui partagent l’espace de leur partition avec harmonie et générosité, sans qu’aucun des trois ne cherche à s’imposer. Du swing, de l’énergie pure, du feu et de la douceur : tout à la fois planant et ondulant, cet album très personnel nous offre une infinie palette d’émotions… Précieuses et raffinées !

So predictable / Étienne Guéreau, Gautier Garrigue, Marc Buronfossé / Arts Culture Europe / Inouïe Distribution / 24 Septembre 2021 / 17€

Laurent Bonnot nous propose avec « Hong » huit compositions originales tour à tour toniques ou feutrées dont l’originalité et la grande richesse harmonique sont mises en lumière par le pharaonique Arteskor Orkestra qui revisite le Big Band de jazz tout en le fusionnant avec la musique classique. Pas moins de dix musiciens d’exception ont été réunis pour nous offrir une avalanche de sons mélodieux, soufflés dans leurs instruments à vent par les bouches d’une armada de virtuoses (flûtes de Sylvaine Hélary, Hautbois et cor de Balthazar Naturel, saxophones de Stéphane Guillaume, clarinette d’Élodie Pasquier, clarinette et sax de Maxime Berton, cors d’Armand Dubois-Gourut et de Corentin Billet), déclinés au piano sous le toucher parfait et délicat de Manuel Rocheman, rythmés par la batterie de Louis Moutin (à qui l’on doit d’époustouflants solos !) et bien sûr de la basse claire et mélodique de Laurent Bonnot. Tout ce beau monde nous offre un jazz métissé, parfois étonnant, qui éclaire les ténèbres de notes d’espoir, se fait ondulant sous des rythmes orientaux, cosmique sous de superbes montées en puissance, ou doux et mélodieux pour nous inviter à une divine contemplation. Cette grandiose formation nous présentera ce projet aussi ambitieux qu’abouti le 3 Décembre au Bal Blomet (Paris). Alors, si vous êtes dans les parages, offrez-vous un moment de pure grâce en allant écouter ces sculpteurs de sons à la classe internationale !

Hong / Arteskor Orkestra / Juste une Trace / Socadisc / 27 Août 2021 / 12€

Christine Le Garrec