Papiers à bulles ! N°14

Un polar ambiance années folles et mauvais garçons (prix du polar SNCF 2017), une histoire du sexe à travers les âges, humoristique et documentée, et deux BD très « nanas » ! Soledad Bravi, pour la cinquième année consécutive compile ses dessins parus dans « Elle » et Clara Cuadrado relate les affres d’une jeune institutrice en plein marasme sentimental , le tout avec un irrésistible sens de l’humour ! Bonnes bulles à toutes et à tous !

 

Un rade à la Bastille, les années 20. Bistrot désert, pas un client à l’horizon… Le serveur, pas stressé pour un rond, essuie des verres au comptoir quand déboulent un gus et sa gisquette, dont la traction vient de tomber en carafe, leur chauffeur, Raoul, se préoccupant quant à lui à refaire démarrer la mécanique. Jeune métisse au look de Joséphine Baker et à la gouaille d’Arletty, la gamine est maquée avec un sacré boulet pas l’air des plus rieur en la personne d’Eddy, hareng vulgaire plein aux as, format XXL. Le barbeau, aussi avenant qu’une porte de prison, s’installe illico devant le poste de TSF pour écouter les résultats d’une course où il a misé un gros paquet de biffetons. Ils se rendaient à l’hippodrome quand la bagnole les a laissés en rideau devant ce troquet miteux. La jeune femme, un brin délurée, commence à picoler grave Picon sur Picon et à flirter avec le barman à la tronche de baroudeur : édenté, gueule d’apache, celui-ci est tatoué sur tout le corps, ce qui intrigue la poulette éméchée à qui il apprend que ses tatouages ont été réalisés à Cayenne, lorsqu’il purgeait sa peine au bagne. L’un deux représente son frère, mort pendant la boucherie de la grande guerre… A l’annonce de la victoire de son bourrin et du tas de pognon qu’il vient pour le coup de gagner, l’adipeux Eddy s’écroule, victime d’une attaque… Au même moment Raoul se pointe pour annoncer que la tire est en état de marche et découvre son patron sous forme de macchabée… Pas de larmes ni de cris, sinon de liesse !  Une seule idée fixe : comment récupérer le jackpot du gros ? Les trois zigues vont se remuer les méninges (et aussi le popotin, la gazelle n’est pas farouche) pour trouver une combine pour se faire passer pour l’énorme afin de mettre la main sur son magot… « Apache » dégage, avec ses dialogues argotiques et son univers graphique en bichromie rouge et noir, une sacrée gueule d’atmosphère ! Vengeance, trahisons, appât du gain… Les protagonistes de ce polar sombre à l’humour noir et grinçant sont plus proches des canards sauvages que des enfants du bon Dieu ! A lire, en écoutant Fréhel, cibiche au bec et gapette vissée sur la caboche ! Un « Prix du polar SNCF 2017 » pas piqué des hannetons !

Apache d’Alex W. Inker, Sarbacane, 2016 / 22,50€

 

Si la sexualité est naturelle, selon les époques et la culture en vigueur, ses us et coutumes ne se traduisent pas de la même manière… De l’homo habilis à nos jours (et en envisageant comment elle pourrait se traduire dans le futur, brrr… ça fait pas rêver !), Philippe Brenot, anthropologue et sexologue, en dresse une histoire édifiante truffée d’anecdotes croustillantes et bien réelles (prouesses et liberté sexuelle des « grands » de ce monde tels que Louis XV, Henri IV, Victor Hugo, mais aussi George Sand et la reine Victoria !), en osmose avec le dessin coquin et humoristique de Laetitia Coryn. Marquée à travers les âges par la domination masculine, la violence des sexes est un trait particulier aux humains : on aurait en ce sens, beaucoup à apprendre de nos cousins les chimpanzés qui se traitent « d’égal à égale », ne se crêpent le chignon qu’entre individus du même sexe et ne pratiquent pas le viol… Serions-nous moins civilisés que nos ancêtres primates ?! Fruit défendu, éveil des sens, érotisme, masturbation, mariage arrangé, devoir conjugal, homosexualité… Les religions et les institutions ont pesé de tout leur poids en érigeant règles et tabous pour imposer à leurs contemporains une sexualité « dans les clous » et l’histoire du sexe n’a cessé d’osciller entre libertinage et répression parfois très sévère (on lapidait déjà les homosexuels chez les grecs et les romains…) Est-on vraiment libéré totalement de ces contraintes aujourd’hui ? Pas si sûr… Au cours de leurs longues études, pas une seule heure de cours abordant la sexualité n’est dispensée aux étudiants en médecine… Partout dans le monde, les sexualités dites « déviantes » par ceux qui en décident ainsi font encore et malheureusement trop de victimes… Sans parler de la haine et de la colère des partisans contre le mariage pour tous, qui refusent l’égalité pour des raisons de morale et de « sexualité non conforme »… Une fresque anthropologique foncièrement ludique qui aborde « tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander », avec intelligence et humour !

Une histoire du sexe de Philippe Brenot et Laetitia Coryn, Les Arènes, 2017 / 24,90€

 

 

 

Les lectrices de « Elle » connaissent bien les planches de Soledad Bravi. Pour celles qui ne les connaissent pas encore, cette compile qui regroupe les dessins de Soledad parus entre juin 2016 et juin 2017 dans les pages du célèbre magazine vont pouvoir s’en délecter (sans être polluées par les nombreuses pages publicitaires…) Ses petits dessins minimalistes et expressifs, légendés par des textes courts, reflètent avec humour les petits tracas ou questions existentielles des femmes d’aujourd’hui. Écologie, beauté, rapports hommes/femmes, maternité, vieillissement, sexualité… dans un second degré délicieux, Soledad égrène avec légèreté petits problèmes du quotidien et aspirations légitimes de la gent féminine ! Cet album étant le cinquième volume, il vous en reste quatre autres à découvrir. Pétillant, drôle et pertinent !

La BD de Soledad (La compile de l’année : 5), Rue de Sèvres, 2017 / 12,50€

 

 

 

Davantage motivée par la sécurité de l’emploi et par l’opportunité des longues vacances scolaires que par une vocation chevillée à l’âme, Hortense, en toute inconscience, démarre sa première année en tant que professeur des écoles. C’est dans une classe de CE1 au sein d’une ZEP qu’elle devra faire ses premières armes… Et il vaut mieux en effet s’armer, au minimum, de patience !!! Dès le premier jour, les mômes annoncent la couleur : chahut, manque d’intérêt, niveaux scolaires disparates …. Hortense, peu crédible dans son autorité, réussit l’exploit dès le jour de la rentrée de se faire faucher son portable, imprudemment posé sur son bureau… Et quand, ulcérée, elle pète un plomb en humiliant l’insupportable première de la classe (qui la reprend sur tout ce qu’elle dit ou écrit), elle s’attire d’emblée les foudres du papa de la gamine, plus que courroucé… ça commence fort ! Elle se fait bien sûr remonter les bretelles par Abdel, le directeur de l’école, qui ne voit pas d’un bon œil cette débutante peu enthousiaste et se fait remettre en place par ses collègues expérimentées qui n’apprécient guère, elles non plus, le dilettantisme d’Hortense… Comme si sa vie n’était pas assez compliquée, elle remet le couvert, un soir de beuverie, avec Igor, son ex désormais fiancé et prêt à convoler en justes noces… Ce « coup d’un soir » devient progressivement une relation toxique et addictive qui va faire plonger Hortense (doublement maîtresse !) dans la spirale de la jalousie et dans l’inconfort d’une liaison adultère… En plein burn out professionnel et sentimental, Hortense va devoir changer son fusil d’épaule si elle ne veut pas sombrer… Avec « Appelez-moi maîtresse », Clara Cuadrado nous offre une vision hilarante autant que désespérante du métier d’enseignant et déroule avec jubilation et réalisme les affres de la vie privée de cette jeune femme un peu superficielle, à qui l’on s’attache au fur et à mesure qu’elle prend de la maturité. C’est pas si facile d’être une femme libérée !

Appelez-moi maîtresse de Clara Cuadrado, Marabout, 2017 / 17,90€

 

Christine Le Garrec