Histoire(s) de Lire… N°25

Des relents nauséabonds de la seconde guerre mondiale s’invitent en pleine campagne électorale dans l’ultime et magnifique roman de Pierre Charras. Eric Reinhardt, entre roman et autofiction, nous relate sa descente aux enfers d’où il est sorti plus fort que jamais. Marion Vernoux sauve les meubles et nous offre un bilan doux amer de sa vie, entre dérision et douleur… Pour finir, le grand Gunnar Staalesen nous fait courber l’échine dans une tempête de vents violents… Accrochez-vous ! Bonnes lectures à toutes et à tous !!!

 

 

 

Une élection dans une petite ville de Province. Après vingt-cinq ans de mandat, Michaux, le maire sortant, se retrouve en ballotage défavorable à l’issue du premier tour. Son parti, pour lui (leur) éviter une trop grosse raclée, dépêche sur place Goneau, un spécialiste des causes désespérées qui, s’il ne réussit pas à obtenir la victoire de Michaux, tentera tout au moins de limiter les effets dévastateurs d’une défaite déshonorante… Goneau est tout d’abord intrigué par la personnalité de Michaux qui par ailleurs reste introuvable, ne lui laissant comme interlocuteurs que Sylvie, sa chef de cabinet et Peron son secrétaire général, tous deux semblant être liés corps et âme au maire pour d’obscures raisons… Pourquoi Michaux, alors ministre et promis aux plus hautes fonctions de l’état, s’est-il contenté du rôle subalterne de maire dans cette petite ville obscure ? Quelle est l’origine mystérieuse de ce malaise qui l’a terrassé ici même au cours d’une visite officielle vingt cinq ans plus tôt, qui l’a convaincu de s’y implanter ? Jamais Michaux ne s’est expliqué à ce sujet… Goneau fouille le passé, scrute le présent à travers les réactions et propos de ses proches, mais ne comprend toujours pas les motivations de cet homme bienveillant et intègre, aimé de ses concitoyens… La réponse viendra de Michaux lui-même, qui, sans l’avis de personne, prendra la parole sur les ondes locales pour s’adresser à ses concitoyens dans une confession aussi terrible et bouleversante qu’inattendue… Publié à titre posthume, « Au nom du pire », dernier roman du regretté Pierre Charras, nous plonge dans les méandres d’une époque sombre de notre histoire, dans un texte court et percutant où culpabilité, innocence et rédemption s’entremêlent. Charras relie des ponts entre passé et présent, traçant la ligne de blessures jamais cicatrisées, jusqu’à laisser éclater une vérité brute et cinglante de son écriture percutante, intime et forte, qui manquera cruellement à la littérature…

Au nom du pire de Pierre Charras, Le Dilettante, 2017 /16€

 

 

 

Récit hybride entre roman et autofiction, « La chambre des époux » reflète le désarroi, l’incompréhension et la terreur inspirés par la maladie d’un proche, sentiments ressentis par Eric Reinhardt à l’annonce du cancer de sa femme qui a failli lui coûter la vie et a bouleversé ce couple aimant, nullement préparé à une telle épreuve… Comment combattre pareille horreur ? Eric Reinhardt et sa femme ont conclu un pacte : elle se battra comme une lionne pour guérir, et lui écrira dans le même laps de temps un roman dont il lui fera chaque jour la lecture… Tous deux engagèrent alors une course contre la mort, les armes de Reinhardt résidant au creux de ses mots… De cette lutte est né « Cendrillon » qui apportera la notoriété à Reinhardt pendant que son épouse, en rémission, recouvrera la santé… L’art a-t-il le pouvoir de sauver des vies ? On peut en douter lorsqu’on a vécu de près la maladie dans ce qu’elle peut avoir de plus terrible et de plus odieux… Mais toute forme de résistance et d’appui psychologique sont reconnus comme salvateurs, alors pour quoi pas ? Eric Reinhardt, avec une sincérité émouvante, raconte… Il décrit avec une précision étourdissante la retenue des sentiments dans l’urgence et la bonde lâchée en même temps que le soulagement à l’annonce de la guérison… Troublant, dérangeant, l’auteur a mêlé à son récit des personnages fictifs pour atténuer la douleur de son propos ou le rendre universel, dans un texte « parlé » où parfois même les mots ont du mal à s’exprimer, en phrases inachevées : une construction déstabilisante, un pêle-mêle affectif où réalité et fiction s’entremêlent dans ce roman intime, cette chronique d’une mort annoncée mais refusée où toutes les forces pèsent dans la balance pour pencher du côté de la vie. Eric Reinhardt nous offre avec ce roman puzzle, un texte romantique et exalté où la folie, la dépression et l’irrationnel croisent la beauté et l’art en combat singulier… Un récit intense et perturbant qui sonne juste et prend aux tripes…

La chambre des époux d’Eric Reinhardt, Gallimard, 2017 /16,50€

 

 

 

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? On ne peut en douter, tant les objets venus de notre passé nous ramènent à des sentiments forts, des situations vécues enfouies dans notre esprit qui nous reviennent par flashs fulgurants à leur vue ou leur évocation… Marion Vernoux, à un stade compliqué de son existence, a fait un bilan de sa vie en recensant ses meubles, point de départ d’une confession intime où ressurgissent des pans de son passé dans un pêle-mêle anarchique où s’entremêlent bonheurs, douleurs et regrets, entre peurs, contradictions et addictions. Elle déroule dans ce puzzle déglingué qu’est « Mobile home » le patchwork de sa vie, recoud ses plaies à vif avec un humour désabusé, relatant son enfance entre des parents trop occupés et toujours absents, sa lourde histoire familiale (déportation de la grand-mère maternelle), sa vie amoureuse et les échecs de ses derniers films. Ses amis, ses amours, ses emmerdes, ses aspirations déçues, ses moments lumineux, remontent à la surface à l’évocation de cet inventaire, prétexte à une introspection honnête et émouvante de fragilité et de force mêlées. Ce récit fantasque d’une attachante enfant du cinéma est d’une honnêteté sans faille. Souhaitons à son prochain « bébé », le film « Bonhomme », qui sortira sur les écrans l’an prochain, un franc succès !

Mobile home de Marion Vernoux, L’Olivier, 2017 /17,50€

 

 

C’est par l’intermédiaire de Karin, sa compagne, que le détective privé Varg Veum se retrouve sur une enquête beaucoup plus délicate qu’elle ne le paraît au premier abord… Mons, le mari de Ranveig, amie de Karin, a disparu depuis plusieurs jours sans laisser le moindre message… Ranveig est d’autant plus inquiète que Mons, promoteur immobilier, doit assister quelques jours plus tard à une inspection décisive concernant la validation d’un projet de parc d’éoliennes sur l’île de Brennoy… Au cours de son enquête, Veum déterre les éléments du passé pour éclairer le présent : il découvre que Mons a été marié une première fois à Lea, la mère de ses deux enfants, Kristoffer et Else, disparue en mer dans des conditions étranges et dont on n’a jamais retrouvé le corps…. Suicide ? Meurtre ? Accident ? Le mystère reste entier… Ranveig, sa seconde épouse, n’a jamais été acceptée par les enfants de Mons qui l’ont vu débarquer dans leur vie trop peu de temps après la disparition de leur mère… Kristoffer, associé de son père, est un farouche partisan du projet éolien alors que Mons et Else semblent s’être rangés à l’avis des écologistes, menés par Ole Rordal, natif de l’île de Brennoy, dont le père, prédicateur aussi exalté qu’obscurantiste, met également toutes ses forces pour faire capoter le projet… Conflits de famille, conflits d’intérêts, Veum se heurte à un vrai sac de nœuds ! Pour tout arranger, le terrain où doit être implanté les éoliennes semble avoir été acquis par Mons dans des conditions douteuses et un procès est en cours… Arrive le jour de la réunion et Mons reste introuvable. Pour peu de temps : on retrouve son corps, dans une mise en scène macabre, crucifié sur l’immense croix qui domine l’île tant convoitée… Le vent souffle et emporte tout sur son passage dans cette quatorzième aventure du détective fétiche de Gunnar Staalesen… Entre polar écologiste et comédie humaine, l’auteur norvégien nous embarque dans une bourrasque au suspense haletant, rythmée par de multiples rebondissements, sombre comme la nuit arctique… Et l’âme humaine… L’humour flegmatique de Varg Veum allège le sordide des situations jusqu’au dénouement inattendu, mais pas de happy end dans ce roman où nul n’est vraiment innocent…

Le vent l’emportera de Gunnar Staalesen (traduit du norvégien par Alex Fouillet), Gaïa, 2017 /21€

 

Christine Le Garrec