Histoire(s) de lire… N°37

C’est la rentrée littéraire ! Les petits derniers des incontournables Serge Joncour, Pascal Manoukian et Didier Daeninckx se révèlent tous être de somptueux romans que je vous invite à découvrir de toute urgence !!! Mais dans cette forêt touffue de nouveautés, quelques perles affleurent également avec l’irrésistible « somme de nos folies » de Shi-Li Kow, les tendres « Bracassées » de la délicieuse Marie-Sabine Roger, le troublant « Trois fois la fin du monde » de Sophie Divry, ou les deux « ovnis des éditions du Dilettante, « Jours de dèche »et « Babylone express » qui nous baladent dans des univers tour à tour désespérants ou sulfureux…  Si vous êtes sur Paris le 17 Septembre prochain, ne manquez surtout pas la soirée  de soutien à Ahmet Altan, où Asli Erdogan, entre autres, sera présente… Ensuite, pour garder en tête titres et auteurs de vos romans préférés, je vous propose de jeter un oeil sur « Storit,  une nouvelle appli  qui  devrait se révéler fort utile pour pallier à votre mémoire parfois défaillante ! C’est enfin à Swaz de nous fait part de son coup de coeur enthousiaste pour le « Pays sans chapeau »de Dany Laferrière… Mais chut ! Elle vous en dira plus elle-même en fin de rubrique ! Et voilà pour cette première brassée de romans d’une rentrée qui s’annonce prometteuse…  Car j’ai encore sous le coude bon nombre de pépites à vous présenter très prochainement ! Bonnes lectures à toutes et à tous ! 

 

 

 

Juillet 1914, une nuit d’été : la dernière pour savourer la paix avant quatre longues années car, le lendemain, le tocsin de toutes les églises de France annoncera la mobilisation générale. Au petit village d’Orcières, au fin fond d’un causse du Lot, les hommes sont partis, laissant aux femmes, enfants, vieillards et invalides le soin de travailler la terre et de soigner les rares bêtes qui ne seront pas réquisitionnées. Il en reste cependant un… Wolfgang, un dompteur qui a élu domicile avec ses fauves dans une maison isolée quasiment inaccessible. Pour les villageois, il devient vite l’objet de toutes les superstitions, suscitant crainte si ce n’est, pour certains, de la haine car, bien qu’il ait déserté, Wolfgang est allemand… Ses bêtes, qui feulent chaque nuit, excitées par les animaux sauvages qui prolifèrent faute de chasseurs partis tuer d’autres gibiers, installent un climat oppressant qui terrorise toute la population, épuisée par son dur labeur et par la peur de la visite du maire, annonciatrice de la mort d’un mari, d’un père, d’un frère ou d’un fils…  Août 2017. Franck, un producteur de cinéma et Lise, son épouse, actrice sur le retour, emménagent pour les vacances dans cette maison paumée perchée sur le causse. Si Lise aspire au calme et à se ressourcer au sein de la nature, Franck, lui, se retrouve totalement stressé à l’idée de vivre trois semaines dans ce désert, sublime de beauté, certes, mais totalement dénué de toute espèce de réseau ! Sans son téléphone, Franck est perdu : ses associés, de jeunes loups aux dents bien aiguisées, tentent de l’évincer de sa propre boîte et il ne peut se permettre un aussi long silence au risque de se retrouver au placard… Tout lui paraît hostile… Le silence ponctué de cris suspects d’animaux non identifiés qui semblent pulluler dans cette jungle végétale, la nuit trop noire, cet isolement dont il n’a pas l’habitude et qui lui fait peur… Et puis, il y a ce chien, aux allures de loup, sauvage et sans collier, qui dès le premier jour, leur a rendu visite et semble vouloir les adopter. Franck ne sait qu’en penser, l’animal alternant comportement affectueux et attitude hostile… C’est en sa compagnie que Franck va découvrir, au cours d’une balade au tréfonds du causse,  une étrange et immense cage… Qui va faire germer en lui un projet machiavélique qu’il ne se serait jamais cru capable d’élaborer un jour… Avec ce dernier roman au scénario haletant, Serge Joncour alterne passé et présent, nous projetant d’un siècle à l’autre dans une histoire où la sauvagerie de la nature, des hommes et des bêtes répond en écho avec celle, faussement civilisée, de notre époque, instaurant instantanément une atmosphère pesante qui se joue  sensuelle et terrienne quand elle s’enrobe de descriptions contemplatives, non dénuées de poésie.  A travers la musique de ses mots, Serge Joncour nous offre une symphonie pastorale « carnivore » qui dévoile toute la complexité de la nature humaine, capable du pire comme du meilleur, selon les circonstances… Un roman magistral, touffu et envoûtant comme une nature indomptée qui confirme, si besoin était, le talent d’un auteur dont on attend avec toujours plus d’impatience la dernière production. Et celle-ci est un vrai bon premier choix… Comme d’habitude !

Chien-loup de Serge Joncour, Flammarion, 2018 /21€

 

 

 

Aline et Christophe sont tous deux ouvriers, employés dans des usines de textile et de manufacture de verre, dans la région de l’Oise. C’est un « vieux » couple aimant, ils se sont connus très jeunes et leur amour a donné le jour à Léa, qui passe son bac en fin d’année, et à Mathis, un jeune garçon à la santé fragile. Il ont une belle maison et un beau jardin fleuri qu’Aline entretient avec passion. Ils ne roulent pas sur l’or, mais avec leurs deux salaires ils arrivent tout de même à joindre les deux bouts et leur existence est dans l’ensemble paisible… Des vies simples et ordinaires. Jusqu’au jour où tout bascule : Aline est licenciée, son outil de travail ayant été délocalisé ou plutôt s’étant volatilisé en une nuit. Simultanément, une grève dure s’installe dans l’usine de Christophe, menacée de fermeture, et celui-ci se retrouve sans salaire… Du jour au lendemain, tout leur monde s’effondre… Comment retrouver du travail dans une région où il se fait rare, à la quarantaine bien sonnée, et sans diplômes ? Comment faire face aux factures, à la banque qui ne tolère aucun délai pour le crédit de la maison ? Pour ne pas inquiéter Léa et Mathis, Aline et Christophe font bonne figure, les laissant dans l’ignorance de leur situation de plus en plus désespérée, usant de stratagèmes pour survivre, y compris dans l’illégalité… Pendant ce temps, Léa potasse son bac option « économique et social » où ironiquement,  le paradoxe d’Anderson  est au programme : « l’acquisition par un étudiant d’un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas nécessairement une position sociale plus élevée »… Après « Les échoués » et « Ce que tient ta main droite t’appartient », Pascal Manoukian signe une fois encore un texte d’une force prodigieuse, dénonçant cette fois la violence d’une société sans état d’âme où le profit est roi et l’humain négligeable. A travers ses personnages qui nous ressemblent tant, il matérialise dans toute leur humanité « les petites gens », malmenés et méprisés par les « grands » de ce monde, leur donnant parole et dignité avec une rare  générosité. Ballade de la désescalade en prise directe avec la réalité, « Le paradoxe d’Anderson », est un roman social aussi percutant que brillant qui suscite questionnement et empathie, par la grâce d’une écriture simple et fluide qui fait mouche à chaque mot…

Le paradoxe d’Anderson de Pascal Manoukian, Seuil, 2018 /19€

 

 

 

Eric Ketezer s’est établi comme vétérinaire en Normandie où il vit seul depuis que Sylvia, sa compagne atteinte de troubles psychiques, a été internée à la demande de sa sœur, Loubna, quelques années auparavant. Eric qui s’était opposé à cet internement qu’il jugeait abusif n’a désormais plus aucun contact avec sa belle-sœur… Jusqu’au jour où celle-ci l’appelle pour lui annoncer la mort de son jeune frère, Rayan, tué par balles dans la petite île de Thaïlande où il résidait, et pour lui demander s’il peut se rendre sur place pour reconnaître et rapatrier son corps, elle-même n’étant pas en état de se charger de ces sinistres formalités. Eric avait de l’affection pour le jeune homme, il accepte donc sans hésiter… Arrivé sur les lieux, il découvre dans l’appartement de Ryan une série de photos où il reconnaît des élus de Courvilliers, ville de la région parisienne où il a grandi et rencontré Sylvia et où Ryan sera inhumé… Comme l’enquête piétine et que la police locale semble vouloir classer l’affaire, Eric décide de remuer ciel et terre pour découvrir l’identité de l’assassin de son beau-frère… Rentré en France, il apprend d’un flic français que l’arme utilisée pour tuer Rayan n’est pas inconnue des services de la balistique et qu’elle a déjà été identifiée sur un meurtre commis… A Courvilliers… Si le dernier roman de Didier Daeninckx présente de prime abord tous les tenants du polar, il vire rapidement dans un registre polémique assez explosif, les éléments fictifs qu’il relate faisant écho à certains fait-divers nauséabonds qui ont fait vaciller la politique locale francilienne de ces dernières années : trafics de drogue au sein d’équipes municipales, corruption, népotisme, manipulations électorales et magouilles en tous genres… D’une écriture incisive et percutante, Daeninckx tranche dans le vif, dénonce avec virulence le clientélisme et la soif de pouvoir des politiques qui ont fait de ces villes ouvrières autrefois populaires et chaleureuses des zones de non droits oubliées de la République. La colère, mais aussi la tristesse, se lisent entre les lignes de ce roman en forme de réquisitoire qui tempête et pleure les idéaux d’un autre temps noyés aujourd’hui dans une réalité sordide…. Ce titre « Artana ! Artana ! » vous intrigue (c’était mon cas !) ?  Il s’agit du cri d’alerte que poussent les guetteurs du trafic de came à l’approche de la police…

Artana ! Artana ! de Didier Daeninckx, Gallimard, 2018 /18€

 

 

 

Joseph Kamal se retrouve en prison après le braquage où Tonio, son frère, a été abattu sous ses yeux par la police. Le choc est terrible… Rien ne le préparait à pareille violence. Joseph avait un boulot et une vie à peu près tranquille et ce braquage, où il tenait le rôle du chauffeur, il ne l’a accepté que par solidarité avec Tonio qui était sa seule famille… Aujourd’hui, Jo pleure son frère et doit subir de surcroît l’horreur du monde carcéral, sa violence et sa promiscuité, les codes établis par les détenus et les matons qui rivalisent de brutalité : l’école de la haine… Il n’a que vingt deux ans. Cela fait maintenant trois ans qu’il est enfermé dans cet enfer lorsque survient un terrible accident nucléaire qui détruit la moitié de l’humanité… La prison est évacuée en urgence et dans la débandade générale, Jo parvient à s’évader… Dehors, tout est devenu désertique, les survivants « immunisés » ayant été évacués hors de la zone interdite… Les maisons sont vides, les commerces ouverts à tous vents… Jo décide de rester. Impossible pour lui de rejoindre la civilisation ou du moins ce qu’il en reste : les hommes, il les a vus de près et ne veux plus avoir affaire à eux… Il s’installe donc dans une maison abandonnée, prend ce qu’il trouve pour se vêtir et se nourrir et commence une vie en totale autarcie, sans âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Il s’instruit, apprend les bases du jardinage à travers les livres qu’il glane : il devra apprendre à subvenir à ses propres moyens à brève échéance, les ressources qu’il a engrangées n’étant pas inépuisables… Il vit comme un cadeau sa trouvaille d’un vieux poste à piles avec son lot de cassettes qui deviendra pour lui le seul moyen d’entendre à nouveau des voix humaines, hormis la sienne… Il est seul, il est bien, s’astreint à des tâches journalières pour préparer sa survie, coupe du bois, s’occupe de son potager, fait du sport, observe la nature qui l’entoure, apprivoise un mouton qui arrive dont ne sait où, puis une chatte. Ces animaux le réconfortent et il en prend grand soin : ils sont désormais les seuls à le rattacher au monde des vivants. Mais, à l’arrivée de l’hiver, Jo sombre peu à peu dans la dépression, à la limite de la folie… Quel roman et quelle force dans l’écriture… Sophie Divry, dont j’avais adoré « La cote 400 »,  maintient son lecteur dans une tension permanente avec un travail remarquable sur la psychologie de son personnage : tout est plausible de la première à la dernière ligne et on transfère nos propres émotions à celles de Jo, on ressent ses peurs, ses besoins et ses plaisirs qui deviendraient nôtres si nous étions plongés dans une situation similaire… Peut-on survivre dans une solitude absolue ? Si selon Sartre, l’enfer, c’est les autres, un monde sans humanité devient pourtant bien vite invivable… Pourquoi « Trois fois la fin du monde » ? Celle de la fin de l’innocence, celle du monde tel qu’on le connaît et… Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas dévoiler la fin de ce roman poétique et intense qui indubitablement restera gravé en vous bien longtemps après sa lecture… Wouaoh…

Trois fois la fin du monde de Sophie Divry, Noir sur Blanc, 2018 /16€

 

 

 

Tout près de Kuala-Lumpur, en Malaisie, se trouve le petit village de Lubok-Sayong : celui-ci, peu prisé des touristes, est enclavé dans une cuvette entre deux rivières et trois lacs. Irrémédiablement, chaque année, il est la proie de terribles inondations… Mais cette année, c’est le pompon !!! Les flots déchaînés ont emporté la petite maison de Beevi, une vieille dame acariâtre au caractère bien trempé, légèrement mythomane sur les bords,  mais dotée néanmoins d’un cœur d’or, qui y vivait seule avec un énorme poisson caractériel et fugueur qui n’avait de cesse de jouer la grande évasion… La veille, elle avait libéré ce monstre d’eau douce de sa prison de verre devenue bien trop petite pour lui… Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa sœur et le mari de celle-ci se tuent dans un accident de voiture alors qu’ils revenaient de l’orphelinat où ils avaient adopté Mary Anne, une gamine d’une dizaine d’années… Beevi décide alors de garder la petite et d’investir « la grande maison » de sa sœur, qui était également celle de leur père, pour y créer des chambres d’hôtes. Aidée d’Ayong, son meilleur ami et directeur de la conserverie de litchis, de Mary Anne (qui se révélera de jour en jour d’excellent conseil !) et de miss Boonsidik, un transsexuel à leur service (quel personnage fabuleux !),  Beevi va mener sa petite entreprise de main de maître… Avec un humour pétillant, Shi-Li Kow nous invite à partager le quotidien pas si ordinaire de cette petite communauté qui a fait sienne les valeurs essentielles de solidarité, d’amitié et de tolérance, où l’on croise avec jubilation toute une galerie de personnages tous plus excentriques et attachants les uns que les autres ! Sous la forme d’un roman choral où les voix d’Ayong et de Mary Anne se répondent en écho, on se balade avec bonheur entre traditions et modernité, légendes et réalités, à travers anecdotes et tranches de vie que nous soufflent les deux protagonistes de cette histoire totalement maîtrisée qui nous offre à l’impromptu de joyeux et frétillants rebondissements. Vous avez envie de dépaysement, de rires, de tendresse, d’un petit grain de folie et d’une bonne dose d’humanité ? Ce roman au charme fou vous apportera la somme de toutes ces émotions et bien plus encore ! Drôle, piquant.. Et enchanteur ! Gros coup de cœur !

La somme de nos folies de Shih-Li Kow (traduit de l’anglais (Malaisie) par Frédéric Grellier), Zulma, 2018 /21,50€

 

 

 

En dehors de ses visites régulières chez son psy, le ténébreux Féodor Borodine dont elle est secrètement amoureuse, Fleur ne sort que très rarement de son petit appartement et vivrait dans une absolue solitude si celle-ci n’était pas adoucie par son vieux Mylord, un carlin obèse et cardiaque. Fleur a 76 ans, est atteinte de phobie sociale et d’un surpoids qui lui fait craindre le regard des autres… Harmonie, la petite trentaine, souffre quant à elle de la maladie de Gilles de la Tourette, casse tout ce qu’elle touche et heurte les gens par son langage ordurier et ses gestes désordonnés. Elle vit avec Freddy, beau comme un astre, mais qui la maintient dans son handicap par trop de protection… Comment ces deux accidentées de la vie vont-elles se rencontrer ? Par une simple annonce apposée sur un panneau d’affichage ! Fleur, inquiète pour son toutou adoré, recherche quelqu’un pour le garder lorsqu’elle doit s’absenter et Harmonie postule à ce petit boulot qui lui permettra de sortir de son cocon, tout en étant angoissée à l’extrême à l’idée de se confronter à la vie réelle et aux regards hostiles qu’on ne manque pas de poser sur elle dès qu’elle met le nez dehors… Leur première rencontre est tout d’abord explosive ! Fleur, effrayée de se voir traitée de tous les noms par cette grande bringue surexcitée, lui claque la porte (blindée plus plus plus) au nez ou plutôt sur le bras, ce qui vaut à Harmonie une belle fracture ! Puis tout s’enchaîne… Suite à un mot malheureux de Freddy, Harmonie le quitte et se retrouve à la rue. Son amie, Elvire, elle aussi peu gâtée par la vie, ne peut l’héberger, devant rendre les clés de son appartement dès le lendemain. Elle aussi recherche un toit…… Où aller ? Harmonie n’a d’autre choix que de demander l’hospitalité à Fleur, qui accepte, non sans appréhension, de la prendre chez elle… On retrouve toute la tendresse et la profonde humanité de Marie-Sabine Roger avec ses « Bracassées » qui nous insufflent un vent bienveillant de tolérance et de vivre ensemble à travers ce roman aussi drôle qu’émouvant ! A leurs côtés, on cotoie avec bonheur « Tonton », poissonnière brute de fonderie à l’allure de déménageur, qui sculpte dans des matériaux de récupération un univers peuplé d’êtres fantasmatiques, monsieur Poussin, 103 ans, laid comme un pou mais dont le regard embellit le monde, de sa fenêtre où il traque la vie de la rue des Soupirs, derrière son objectif… Nos attachantes Bracassé(e)s vont petit à petit apprivoiser leurs différences, se réchauffer et apprendre à s’aimer et à se faire confiance, à s’ouvrir enfin au monde en s’acceptant telles qu’elles sont… Ce roman jubilatoire, sous de faux airs de légèreté, nous offre des moments cocasses et touchants (Ah ! Fleur faisant des claquettes en robe moulante jaune canari !) qui nous font entrapercevoir un monde lumineux de générosité… Et ça fait un bien fou !!!!

Les bracassées de Marie-Sabine Roger, Le Rouergue, 2018 /20€

 

 

 

Galériste dandy et excentrique, notre homme vivait dans le luxe et l’insouciance dans un immense loft, entouré de ses animaux adorés, une véritable ménagerie de poils et de plumes, composée de chats, de chiens et de cinq perroquets… Compter, prévoir ? ça, il ne savait pas faire ! Et le voilà qui se retrouve endetté jusqu’au cou et menacé d’expulsion. Plutôt que de subir cet affront, il préfère se donner la mort… Mauvais dosage ? En tout cas, il se réveille au petit matin, sorti de son sommeil médicamenteux par les coups frappés à sa porte par les huissiers et policiers… Le voilà à la rue, contraint d’abandonner ses animaux qui seront confiés à un refuge, ce qui lui crève le cœur plus que tout le reste… Grâce à une assistante sociale (particulièrement efficace !), il est logé dans un hôtel pour sans abri, dans la Seine Saint-Denis, bien loin des beaux quartiers où il résidait jusqu’alors. Il va bien falloir qu’il trouve un travail et la tâche risque de s’avérer ardue car, en plus d’avoir dépassé la soixantaine et de souffrir de violentes crises d’asthme qui le terrassent régulièrement, il a toujours été son propre patron… Toujours sous l’égide de sa « bonne fée sociale », commence alors la spirale infernale des stages et formations bidon, les entretiens d’embauche humiliants et la litanie des refus… Il décide de coucher sur papier cette tranche de vie douloureuse qui aura cependant le mérite de lui remettre les pieds sur terre et de regarder la « vraie » vie en pleine face… Avec un sens de l’humour bien aiguisé et sans s’apitoyer sur son sort, Didier Delome nous fait part de sa descente aux enfers à travers cette confession d’une lucidité sans faille : le récit d’un homme « cigale » conscient de ses erreurs passées qui, en faisant preuve d’humilité, a surmonté ses galères en retrouvant l’estime de soi. On ne peut que souhaiter pareille renaissance à tous ceux que notre société laisse de plus en plus sur le bas-côté… Un témoignage d’une belle honnêteté !

Jours de dèche de Didier Delome, Le Dilettante, 2018 /18€

 

Luna prenait très au sérieux son rôle de lieutenante au sein des renseignements généraux, dans le service d’observation des éco-terroristes, jusqu’au jour où elle tomba amoureuse de Marco, un aristocrate italien, défenseur actif de la cause animale, DJ à ses heures et dealer à plein temps ! Dégoûtée de travailler pour un état voyou et sans morale, bien pire que les « criminels » qu’on lui demande de traquer, elle décide de se mettre en accord avec elle-même et de démissionner de son poste pour se lancer à corps perdu, aux côtés de Marco, dans le commerce de substances illicites. Le but ? Amasser suffisamment de pognon pour se mettre hors jeu de cette société pourrie… Nos deux desperados font ainsi le tour de l’Europe, achetant la came en gros pour la revendre au détail, se dopent, s’envoient en l’air, s’étourdissent dans les soirées branchées, s’autorisent tout, y compris de se frotter à d’autres peaux. Ils s’aiment et ne veulent rien regretter… Mathilde-Marie de Malfilâtre nous offre avec ce roman furieusement déglingué un trip en technicolor doublé d’un shoot d’adrénaline… D’une écriture aussi « crue » que fulgurante, elle peint la désespérance d’une jeunesse maudite dans une humanité qui ne leur offre que peu d’espérance, la jouissance des corps et l’ivresse des paradis artificiels, avec un réalisme hallucinant, laissant le lecteur étourdi par tant de fureur de vivre. Tout va vite, très vite à bord du Babylone express et on ne sait si la destination nous emmène en enfer ou au paradis… Ne ratez pas la correspondance, le voyage vaut le détour  !

Babylone express de Mathilde-Marie de Malfilâtre, Le Dilettante, 2018 /18€

 

 

 

Une soirée « spéciale Turquie », organisée par l’association Les Nouveaux Dissidents, se tiendra le lundi 17 septembre à 19 heures à l’auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris (5 rue Lobau, Paris 4ème), en hommage à Ahmet Altan, journaliste et romancier, incarcéré depuis septembre 2016 et condamné à la réclusion à perpétuité.

Deux ans après le putsch manqué de juillet 2016 qui avait entraîné une répression massive de la part du gouvernement turc, faisant arrêter, condamner et jeter en prison par milliers des artistes, intellectuels, journalistes, éditeurs, enseignants… Après la réélection, en juin dernier, du chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan, dont le pouvoir sort renforcé, et tandis que le pays traverse une crise monétaire, que ses relations avec les Etats-Unis et d’autres pays européens, dont la France, sont au plus mal, que la proximité avec la Syrie est un facteur de déstabilisation… Qu’en est-il de la situation des dissidents en Turquie ?

Au cours de cette soirée exceptionnelle, viendront débattre et témoigner Asli Erdogan (écrivaine et journaliste),  Aysegul Sert (journaliste, reporter au New York Times) et Timour Muhidine (directeur de la collection « Lettres turques » chez Actes Sud).

Asli Erdogan, arrêtée et incarcérée en août 2016, au motif de sa collaboration avec le journal Özgür Günden (quotidien soutenant notamment les revendications kurdes) a été remise en liberté, après quatre mois de détention, mais sous contrôle judiciaire et sans autorisation de quitter la Turquie. En septembre 2017, son passeport lui a été restitué et elle a pu se réfugier en Allemagne où elle vit depuis. Toutefois, son procès est toujours en cours et la date de la septième audience en a été fixée au 10 octobre 2018…

Aysegul Sert est journaliste et écrivaine. Elle a travaillé en tant que correspondante aux États-Unis, en France, et en Turquie. Elle collabore notamment aux périodiques New York Times, Newsweek, et The New Yorker, et intervient sur Arte et France 24 sur l’actualité internationale.

Timour Muhidine est professeur à l’Inalco. Editeur, il dirige la collection « Lettres turques » chez Actes Sud.

L’entrée à cette soirée est ouverte au public, venez nombreux !!!

 

 

 

Vous n’arrivez pas toujours à vous remémorer les titres et les auteurs des livres que vous avez aimés ? Enervant, hein, ces trous de mémoire, pile au moment où vous aimeriez donner de bons tuyaux de lecture à vos amis ! L’application storitcréée par Patrice Miconi et la société québécoise Wasappli va grandement vous faciliter la vie en vous donnant accès à des « étagères » virtuelles où vous pourrez classer vos lectures… Et surtout les retrouver en un coup d’oeil ! Storit fonctionne très simplement : un scan de code-barre (ou l’entrée du code ISBN) suffit pour ajouter des livres à votre liste. Vous pourrez également ajouter une date de lecture pour chaque livre afin de le retrouver plus facilement, le noter, le commenter et le partager sur les réseaux sociaux (ou directement sur Storit), décider (ou non !) de rendre publiques vos « étagères » et consulter celles des autres utilisateurs qui auront donné leur autorisation d’accès. Si elle est gratuite au téléchargement, l’application repose toutefois sur un modèle d’achats in-app : les 20 premiers emplacements de livres sont gratuits, puis l’utilisateur doit acheter les suivants, à 0,99 € les 20 emplacements ( ou plus selon un tarif dégressif). Storit est téléchargeable sur Apple store et Google play.

Christine Le Garrec

 

Le coup de coeur de Swaz !

 

Si Dany Laferrière avait choisi de nommer « Journal du retour au pays natal » son dernier ouvrage paru aux éditions Zulma, certes le lecteur aurait su d’emblée à quoi s’attendre. Mais en le nommant Pays sans chapeau, le ton est donné et grâce à l’entremise de Laferrière nous abordons, avec confiance, un territoire qui ne se laisse pas comprendre facilement. L’auteur est un ambassadeur qui nous dévoile la face cachée de son pays d’origine, de ses habitants plutôt, parce qu’il reste l’un d’eux, même s’il s’est absenté depuis presque vingt ans. Laferrière est un extraordinaire conteur qui subjugue toujours ses auditeurs et la magie opère pareillement dans ce roman. C’est un jeune homme qui a quitté l’île nuittament, c’est un homme fait qui reprend pied à Port au Prince. Da n’est plus, mais sa fille continue à lui servir son café le matin. Ce seul rituel dévoile que le monde des Invisibles est bien réel, que le monde de la nuit est aussi réel que celui du jour. Mais il faut, pour le comprendre, des intermédiaires et une sensibilité empathique que n’ont pas les gens de l’extérieur. Dany Laferrière sera pour nous celui qui peut nous faire entendre comment on vit, comment on sent en terre d’Haïti, car il est désormais, des deux mondes à la fois, de celui que l’on connaît et de celui qu’il nous fait connaître.

Pays sans chapeau de Dany Laferrière, Zulma, 2018 /9,95€

Swaz