Arts et essais N°48

je vous propose aujourd’hui un petit tour dans l’art abstrait au féminin des années 50, dans l’art contemporain à ciel ouvert, dans les rêves d’Italie de Cézanne ou au coeur des paysages délicats d’Hiroshige et d’embarquer pour « l’autre et l’ailleurs » dans un voyage immobile en compagnie des photographies profondément humanistes de Jean-Philippe Charbonnier… En bref, de vous réfugier dans la beauté des oeuvres d’une multitude d’artistes pour fuir une réalité plus que morose… L’art sauvera le monde ! Et comme la musique adoucit les moeurs, je vous propose également de vous plonger dans la biographie de Jean Ferrat qui a su clamer ses révoltes en mots justes et choisis, d’explorer l’histoire du blues avec pas moins de 110 portraits de ses illustres ambassadeurs ou de découvrir l’analyse minutieusement détaillée du mythique »Wish you were here » des Pink Floyd… Une belle occasion de réécouter ces artistes intemporels qui nous ont fait et nous font toujours vibrer, non ?! Pour continuer, je vous invite à découvrir un intrigant essai sur les correspondances entre Brassens et Tintin (là, je sens que j’aiguise votre curiosité, hein ?!) et à une balade revigorante dans la splendeur des jardins marocains de Rohuna ! Et si vous profitiez de cette période de confinement pour vous plonger dans le copieux « dictionnaire amoureux de la langue française » de Jean-Loup Chiflet ou dans la délicieuse « Encyclopédie des écrivains ratés » de C.D. Rose ? Et comme vous allez certainement passer beaucoup de temps à surfer sur Internet, « Déclic » vous donnera tous les tuyaux pour accéder à un Internet libre, sans surveillance et sans dépendance ! Bonnes lectures à toutes et à tous et surtout, prenez tous bien soin de vous !

Ce superbe catalogue de l’exposition qui se déroule jusqu’au 10 Mai prochain au musée Soulages, nous offre un passionnant panorama sur les oeuvres et sur l’histoire d’une quarantaine d’artistes peintres, graveuses et sculptrices qui ont marqué de leur empreinte les années 50 par leur originalité et leur créativité. Certaines sont un peu passées aux oubliettes de l’art… Et vous aurez le plaisir de découvrir leurs oeuvres jusque là confinées chez des collectionneurs privés ou des petits musées de Province. Mais d’autres bien sûr, comme Sonia Delaunay ou Pierrette Bloch pour ne citer qu’elles, ont bénéficié d’une plus grande visibilité et ont accédé à une large notoriété, malgré un milieu fortement dominé par la gent masculine. Au fil des pages de ce superbe ouvrage, vous découvrirez non seulement bon nombre des oeuvres de ces pionnières (83 oeuvres présentées) mais vous pourrez également prendre connaissance de cinq essais rédigés par des spécialistes de l’art qui nous entretiennent avec passion à leur sujet et de manière plus générale sur l’art « au féminin » des années 50 : Benoît Decron (« Femmes peintres dans le jeu de cartes des années abstraites »), Sabrina Dubbeld (« Être sculptrice dans les années 1950 à Paris »), Philippe Bouchet (« Deux américaines à Paris : Joan Mitchell, Shirley Jaffe »), Christophe Hazemann (« D’Est en Ouest, artistes slaves de l’après-guerre »), Julie Verlaine (« Des papesses de l’art abstrait aux galériennes de l’art : portrait collectif des directrices de galerie dans les années 1950 »). Cet ouvrage aussi passionnant que brillant se conclut par des entretiens menés avec les artistes Pierrette Bloch, Colette Brunschwig, Raymonde Godin, Liliane Klapisch, Anna Mark et Vera Molnar qui nous ouvrent avec une belle humilité la vision de leur art. Un ouvrage précieux par son contenu sur le sujet et par son iconographie d’une exceptionnelle qualité !

Femmes années 50, au fil de l’abstraction, peinture et sculpture, Hazan, 2019 / 35€

« A force de descendre dans la rue, l’art peut-il enfin y monter ? » On peut sans le moindre doute répondre par l’affirmative à Daniel Buren au vu des merveilles que l’on découvre au fil de cet ouvrage qui nous offre un panorama exhaustif des commandes publiques de ces douze dernières années ! Représentatives de l’art contemporain, les oeuvres présentées témoignent de l’incroyable talent de leurs créateurs et créatrices qui ont déployé des trésors d’humour, d’imagination et de poésie pour étonner, émouvoir ou interpeller celles et ceux qui peuvent les contempler à loisir dans l’espace public, offrant au plus grand nombre l’occasion de « vivre avec l’art en vivant l’art » au quotidien. Certaines, il est vrai, ont fait l’objet de furieuses polémiques et chacun se rappelle « les affaires » de l’arbre phallique de Paul McCarthy (« Tree ») ou du « Bouquet de tulipes » de Jeff Koons qui ont tant fait couler d’encre et délié de langues ! Il n’empêche que majestueusement posées dans le paysage, ornant les murs des bâtiments publics ou trônant sur les places et les jardins, ces oeuvres ne laissent personne indifférent et qu’elles nous embarquent tous dans un maelstrom d’émotions par les messages politiques ou humanistes qu’elles nous envoient, nous invitant à une profonde réflexion sur l’art mais aussi de manière plus générale à notre rapport au monde. En dix chapitres (« S’adresser à la ville et l’écouter », « Écologie du soin », « Praticables », « Rejouer la sculpture », « Architecture détournée », « Faire hommage », « Présent dans le passé », « Lumière(s) », « Parcourir le paysage » et « Apparitions »), ce superbe ouvrage nous dévoile des centaines de ces oeuvres disséminées un peu partout en France, témoins d’une incroyable effervescence artistique où l’humour et la légèreté ou la gravité et la force d’évocation se mêlent à l’audace et à la plus pure inventivité. Des focus sont proposés pour certaines d’entre elles et vous trouverez également en fin de volume la cartographie des projets commandés par le ministère de la culture entre 2007 et 2019, une chronologie sélective de l’art dans l’espace public, une bibliographie, la liste des oeuvres et un index des artistes et des lieux. Un ouvrage très complet qui donne envie d’entreprendre un tour de France de l’art contemporain… A ciel ouvert, bien sûr !

L’art à ciel ouvert : la commande publique au pluriel (2007 -2019), Flammarion, 2019 / 45€

Jusqu’au 5 Juillet prochain, le musée Marmottan propose une superbe exposition qui met en parallèle l’oeuvre de Cézanne avec celles des grands maîtres italiens du 16ème au 20ème siècle. Une approche jusque là inédite qui met en lumière de façon troublante l’importance de ces maîtres dans l’oeuvre de Cézanne mais aussi l’influence qu’il a lui-même exercé sur les artistes du Novecento… Si vous brûlez d’impatience de découvrir cette belle expo, ce superbe catalogue vous en donnera le meilleur aperçu possible en attendant de pouvoir arpenter les salles du musée Marmottan qui, comme partout en France, est lui aussi fermé pour une durée indéterminée… Dans une mise en page astucieuse et fort évocatrice, vous y découvrirez les oeuvres du maître d’Aix-en Provence judicieusement présentées avec celles des maîtres italiens qui l’ont indubitablement inspiré (une soixantaine de toiles issues de collections particulières ou de musées du monde entier) accompagnées de passionnantes réflexions d’historiens de l’art qui nous éclairent sur le « rêve d’Italie » du magnifique Cézanne : « Les tableaux rêvés de Cézanne dans la peinture vénitienne » (Bassano, Le Greco, Tintoret) de Claudio Strinati, « Quand Cézanne rêve de Naples » (Ribera, Giordano, Trevisani) et « Rome n’est plus dans Rome » (Rosa, Poussin, Millet, Munari) de Denis Coutagne, et « Cézanne et le Novecento » (Carra, Morandi, Rosai, Soffici, Boccioni, Sironi, Pirandello) de Maria Teresa Benedetti. Vous trouverez également en fin d’ouvrage les esquisses biographiques de Cézanne et des artistes italiens cités et exposés. D’une esthétique irréprochable, ce magnifique catalogue est l’écrin rêvé pour abriter autant de beauté et d’érudition ! Superbe !

Cézanne et les maîtres : rêve d’Italie par Marianne Mathieu et Alain Tapié, Hazan, 2020 / 29,95€

Présenté dans un magnifique coffret aussi élégant que l’oeuvre de l’artiste à qui il est dédié, cet ouvrage, réalisé en Leporello, nous laisse entrevoir toute l’étendue du talent et la finesse du travail du maître Hiroshige. Publiés entre 1853 et 1856, ces « Paysages des soixante provinces du Japon » nous révèlent la beauté de la nature mais aussi la vie du Japon dans ces années où celui-ci était en pleine effervescence : on y découvre au pied de montagnes majestueuses, au bord de rivières tranquilles ou d’une mer d’huile ou tempétueuse, la flore et la faune qui y résident mais également le peuple japonais fixé pour l’éternité dans son quotidien. En 69 tableaux empreints de poésie et de lyrisme, Hiroshige a réalisé une oeuvre où la géographie se dispute à la sociologie, dans un format vertical qui donne lieu à de surprenants cadrages et à d’audacieuses vues plongeantes d’une furieuse modernité… Un livret où vous trouverez une biographie succincte mais extrêmement précise d’Hiroshige ainsi que l’analyse de chacune des toiles présentées accompagne ce somptueux ouvrage qui nous fait voyager dans le temps et l’espace avec une infinie douceur. En vous immergeant dans ces sublimes estampes aux précieux dégradés de couleurs, un sentiment de calme et de plénitude vous envahit… Et dans la période difficile que nous traversons tous, c’est un véritable cadeau, non ?!

Hiroshige : paysages célèbres des soixante provinces du Japon par Anne Sefrioui, Hazan, 2019 / 29,95€

Si vous avez encore quelques interrogations sur l’art d’Hiroshige, voici un petit ouvrage qui va combler les quelques zones d’ombre que vous pourriez encore rencontrer à son sujet ! Issu de la collection « L’art en questions » que je vous ai présentée à multiples reprises pour ses nombreuses qualités, ce dernier opus, tout comme les précédents, nous offre un contenu clair et précis en répondant à une quinzaine de questions essentielles sur le sujet, tout en proposant une iconographie de très belle facture. Vous y apprendrez tout sur l’art de ce maître des « images du monde flottant » qui a inspiré le mouvement impressionniste, sur ses techniques de composition pour représenter pluie, neige, brumes et brouillards, sur ses capacités d’observation de la nature qui en ont fait un naturaliste des plus doués, sur les raisons de l’omniprésence de la mer dans son oeuvre, sur ses rapports avec Hokusai … Entre autres sujets abordés dans ce jeu de « questions / réponses » qui va assouvir en toute simplicité mais avec sérieux et érudition votre soif de connaissances ! Si le coeur vous en dit, vous pouvez relire mes précédentes chroniques sur les titres déjà parus (Hokusai (ici !), Frantisek Kupka ( !), Berthe Morisot (ici !), Van Gogh et Léonard de Vinci ( !) et consulter ici tous les autres titres de cette collection qui donne tout son sens au mot vulgarisation !

Hiroshige en 15 questions par Jocelyn Bouquillard, Hazan, 2019 / 15,95€

Jean-Philippe Charbonnier, photo reporter pour la revue « Réalités », est le moins connu et le plus singulier des photographes de l’école humaniste : contrairement à ses illustres confrères que furent (entre autres) Robert Doisneau ou Willy Ronis, il fut très peu exposé… Une monumentale omission aujourd’hui réparée avec la rétrospective qui lui est consacrée jusqu’au 18 Avril prochain (hélas, à vérifier si celle-ci sera prolongée…) au Pavillon Populaire de Montpellier, dont ce magnifique ouvrage en est le catalogue officiel. Des endroits les plus reculés aux plus peuplés, Jean-Philippe Charbonnier a parcouru le monde de la fin des années quarante au début des années 80, en récoltant à chacun de ses voyages des moissons de clichés qui ont capté l’air du temps. Un air du temps que l’on peut humer dans toute sa substance en parcourant son travail dont la première qualité, et non la moindre, est la profonde humanité qui s’en dégage. Dans l’oeuvre de cet insatiable globe-trotter, pas de paraître ou d’arrangements avec la réalité. Chaque photographie, dans un lumineux noir et blanc, respire l’authenticité sans mise en scène, en moments volés avec bienveillance mais aussi avec la lucidité de celui qui sait où poser son regard pour témoigner au plus juste. En captant l’instant, Charbonnier a fixé pour l’éternité le temps qui passe, nous permettant d’évaluer la vertigineuse évolution de nos sociétés dans un véritable panorama social, économique et politique de chaque décennie. Artiste engagé, Charbonnier a privilégié les plus démunis et les laissés pour comptes, en nous invitant à prendre conscience de la misère des classes populaires à travers la détresse des regards qui nous transpercent littéralement… Son travail percutant sur les hôpitaux psychiatriques, réalisé dans les années 50, a tant marqué l’opinion publique qu’il a obligé les autorités à une réflexion sur les conditions de vie des patients au sein des sinistres établissements… Mais Charbonnier a également su nous dévoiler la beauté de la vie en immortalisant la naïveté, la joie de vivre et les sourires de l’enfance ou les heureuses réunions de famille dont le seul luxe était justement d’être ensemble… Le glamour des célébrités et des photos de mode, s’il apparait de ci de là, est bien anodin dans son oeuvre résolument tournée vers le quotidien des petites gens… Poétiques et souvent empreints d’humour, les clichés de Charbonnier nous aimantent au plus profond de nous vers l’essentiel : l’humain qu’il a su retranscrire de manière magistrale par sa technique, bien sûr, mais aussi par sa profonde humanité. Cet artiste rare qu’il était grand temps de faire connaître au grand public pour l’esthétisme de son travail et pour la force évocatrice profondément émouvante qui s’en dégage, est mis en lumière de la plus belle manière qui soit à travers cet ouvrage que je vous invite vivement à découvrir !

Jean-Philippe Charbonnier : raconter l’autre et l’ailleurs (1944 – 1983) par Emmanuelle de l’Écotais, Hazan, 2020 / 24,95€

Simon & Garfunkel, Batman et Robin, Starsky et Hutch, Holmes et Watson, Ok, on comprend tout de suite le lien qui les unit… Mais Brassens et Tintin ? Quels parallèles peut-on faire entre notre poète anar et grivois et le sage et néanmoins trépidant jeune reporter avide d’aventures ? En analysant de manière minutieuse les oeuvres de Brassens et d’Hergé dont il est un admirateur absolu, Renaud Nattiez a relevé bien des analogies et des similitudes, si ce n’est entre les personnalités de ces deux monstres sacrés, du moins dans les univers de leurs oeuvres respectives. Et c’est passionnant de la première à la dernière page de découvrir l’étude qu’il a réalisée sur ces « deux mondes parallèles qui ne se confondent pas, ne se rejoignent pas, mais évoluent dans la même direction » ! Une chose est sûre : les deux Georges, tous deux amoureux de la langue française, ont chacun dans leur domaine réconcilié les élites avec la culture populaire, l’un avec ses chansons « animées », l’autre par ses dialogues et son dessin si familier qui a bercé nos enfances… Mais chut, je ne vous en dis pas plus… Je vous laisse toute la saveur de la découverte de cette analyse aussi pertinente que passionnante qui vous donnera une furieuse envie de vérifier par vous-mêmes les constatations de Renaud Nattiez en relisant « vos » Tintin et en réécoutant l’oeuvre foisonnante de Brassens ! Par ces temps de confinement, voilà une vraie mine d’or pour passer le temps plaisamment… Et intelligemment ! Merci qui ? Merci Monsieur Nattiez !

Brassens et Tintin : deux mondes parallèles par Renaud Nattiez, Les Impressions Nouvelles, 2020 / 17€

Après « Léo Ferré : une vie d’artiste » (chroniqué ici !), Robert Belleret s’attaque à un autre monstre sacré de la chanson française avec cette biographie exhaustive du plus engagé des chanteurs français du 20ème siècle, disparu, il y a tout juste dix ans… De son enfance à Versailles à sa mort en Ardèche en 2010, Robert Belleret y déroule la vie privée et artistique de Jean Ferrat sans rien omettre : ses engagements politiques, ses rencontres amicales et artistiques, ses amours et le parcours de sa longue et belle carrière sont ainsi décryptés au fil des pages de ce pavé qui propose en bonus de belles photographies de l’intemporel interprète de « La montagne », qui fut aussi le meilleur ambassadeur qui soit de la poésie d’Aragon. Engagé, Ferrat a néanmoins toujours gardé sa libre parole : toujours du côté des opprimés, il les a soutenus au sein du parti communiste, mais aussi auprès de José Bové (aux présidentielles de 2007) jusqu’au Front de Gauche à la fin de sa vie. « On est dans un monde qui utilise la violence, parfois enrobée de guimauve, on subit, on vit dans un monde atroce où l’on subit des pressions considérables. Dans notre société actuelle, il y a les exploiteurs et les exploités. Je suis bien entendu du côté des exploités ! » (Jean Ferrat, 1969). C’est avec autant de rigueur que de tendresse que Robert Belleret exhume au fil des pages de ce copieux ouvrage la vie et l’oeuvre de ce libre penseur aux révoltes justes, de cet amoureux sensible des femmes et de la nature, dont les chansons révèlent la nature profonde. Simple, généreux, foncièrement honnête et profondément talentueux , Monsieur Ferrat a non seulement marqué son époque mais il continue de l’au-delà à nous inciter à lever le poing et à ne pas nous résigner… Alors, écoutons le ! Car l’autre bonne nouvelle, c’est la sortie d’un coffret de 12 CD qui regroupe l’intégrale des enregistrements Barclay et Decca de 1960 à 1972, sous le nom de « Jean Ferrat : voix libre« . Alors, bonne lecture et bonne écoute !

Jean Ferrat : le chant d’un révolté par Robert Belleret, L’Archipel, 2020 / 22€

Christian Casoni est tombé dans la marmite du blues dès son plus jeune âge… Et comme la musique, elle vient de là, dixit notre Johnny national, se plonger dans son univers c’est effectuer, comme le saumon, un prodigieux retour aux sources ! Et c’est ce que vous allez découvrir au fil des pages de cet immense pavé qui se lit comme un recueil de nouvelles (noires, cela va sans dire !) à picorer pour le plaisir. Celui de la découverte, car vous y apprendrez dans un foisonnement de détails la vie et l’oeuvre des artistes plus ou moins célèbres qui ont donné ses lettres de noblesse au blues, mais aussi celui de la lecture, car le style d’écriture de Monsieur Casoni, forgé dans un humour sans faille particulièrement réjouissant, est des plus plaisants ! Vous y trouverez donc les portraits de 110 bluesmen, de Scott Joplin à BB King, dans l’ordre chronologique des enregistrements de leurs disques, construits en mini biographies truffées d’anecdotes, suivis d’une interview de Bruce Iglauer, fondateur du label Alligator, réalisée en 2009. Drôle, instructif et totalement décalé, cet ouvrage, durant cette période de confinement, vous promet de délicieux moments d’évasion tout en élargissant de belle manière votre culture musicale. A vous de fouiner ensuite sur le Net pour aller écouter ces princes (et princesses) qui ont fait le Blues… Et y a matière !!! Enjoy !

Juke : 110 portraits de bluesmen par Christian Casoni, Le Mot et le Reste, 2020 / 26€

« Wish you were here »… Comment est né ce joyau où plane indubitablement l’ombre de Syd Barrett ? C’est l’entreprise que s’est fixé Philippe Gonin (spécialiste des Pink Floyd, il nous a déjà offert sa précieuse érudition avec ses analyses sur les albums « Dark side of the moon » et « The wall« ) qui a mené l’enquête pour nous dévoiler l’histoire de ce titre Ô combien mythique. S’appuyant sur les témoignages des membres du groupe et de tous ceux qui ont été témoins du processus de création de ce bijou, il nous en offre une étude détaillée, aussi bien sur la musique que sur les textes, s’attardant sur les tournées du groupe (French et british summer tour de 1974, tournée américaine de 1975 et concerts de 1977) en terminant par la création de la pochette et par la revue de presse qui a accueilli l’album à sa sortie. Une plongée intellectuelle et sensible au coeur de ce titre « pas comme les autres » qui a marqué la carrière de ce groupe qui, malgré les années qui passent, ne perd rien de son prestige et séduit de plus en plus de fans, de tous âges… Passionnant !

Pink Floyd : wish you were here par Philippe Gonin, Le Mot et le Reste, 2020 / 15€

Umberto Pasti, écrivain et botaniste italien passionné par la flore sauvage du Nord du Maroc, a fait de son rêve une réalité : créer de somptueux jardins avec les espèces les plus menacées du Maroc au sein du village de Rohuna, avec l’aide des villageois. Une aide ? Non, le terme est bien trop réducteur… Car l’histoire de Rohuna est une véritable aventure humaine où chacun s’est investi corps et âme pour « vivre à la recherche d’une double harmonie, entre eux et avec les esprits de la Terre » et pour faire de ce lieu un havre de paix et de beauté. Ce très bel ouvrage nous retrace la genèse du projet avant de nous embarquer pour une visite guidée et commentée sur l’aménagement des jardins, dans une balade abondamment illustrée des superbes photographies de Ngoc Minh Ngo qui nous laissent apprécier dans toute leur splendeur la beauté pure de ces lieux magiques. Sentiers et dédales de petites ruelles ombragées sous la luxuriance d’une végétation colorée dont on devine les senteurs enivrantes, salons à ciel ouvert sur des terrasses fleuries en abondance, maisons d’hiver et d’été en autant de lieux de convivialité ou de repos propices à la méditation… Les jardins de Rohuna se laissent contempler, s’offrent à nos sens pour imprégner au plus profond de nous un incroyable sentiment de plénitude. Le regard se perd et le coeur se ressource à la vue de tant de vie et de beauté, comme si l’on parcourait les allées d’un musée à ciel ouvert où tout serait vivant : un musée dont les créateurs sont les gardiens de la biodiversité et les jardiniers de la sérénité… Par leur solidarité et par l’amour de la Terre qui les unit, les villageois de Rohuna, guidés par leur chef d’orchestre Umberto Pasti, ont créé un petit paradis sur Terre, à force de volonté et de persévérance, dans une totale harmonie avec la nature. A travers leur expérience, ils nous invitent à la saine et profonde réflexion qui se pose chaque jour davantage sur la question (et la nécessité…) de vivre autrement, en osmose avec notre environnement : leur exemple nous offre une bouffée d’espoir dans cette période anxiogène qui, espérons le, nous servira de leçon pour mettre en place un nouveau monde… Les bilingues trouveront ici un reportage et une interview d’Umberto Pasti en anglais.

Un jardin rêvé : Rohuna, Nord du Maroc par Umberto Pasti & Ngoc Minh Ngo, Flammarion, 2019 / 60€

Amoureux, ce dictionnaire de la langue française est bien sûr subjectif et reflète les choix de son auteur en fonction de ses affinités… Il pourrait exister une infinité de dictionnaires de ce genre selon les goûts de chacun ! Mais là, on a du bol, car c’est Jean-Loup Chiflet qui s’y est collé avec son immense érudition et son goût prononcé pour l’humour : si l’on s’y instruit forcément, on passe néanmoins d’excellents moments de lecture sous la prose délicieusement légère de ce « grammairien buissonnier » qui relève les subtilités et les charmes truffés de pièges de notre belle langue avec un élan aussi spontané que revigorant ! Citations, expressions, orthographe, grammaire et conjugaison alternent ainsi au fil des pages avec les portraits des poètes et écrivains qui, aux yeux de Jean-Loup Chiflet et de bien d’autres, ont le plus contribué à l’évolution de notre langue. Dans un joyeux abécédaire foisonnant de baragouins, de carabistouilles et de fleurs de rhétorique, on déguste avec délices les mots croisés, mots valises et mots en voie de disparition, les rabouquins, spicilèges et autres miscellanées dans un tourbillon enivrant de ce qui fait la force et la singularité de la langue française d’hier et d’aujourd’hui. Un voyage où le français s’acoquine avec belgicismes, franglais ou franponais, en faisant une petite halte dans le langage macaronique ou au coeur de l’Oulipo, pour nous enivrer et nous amuser avec la richesse incroyable d’un langage bien trop souvent maltraité par ses ressortissants ! A picorer sans modération !

Dictionnaire amoureux de la langue française de Jean-Loup Chiflet, Plon, 2020 / 13€

C.D. Rose a exhumé pour nous 52 écrivains maudits dont personne n’a jamais lu la moindre ligne… Et pour cause ! L’étourdi Stanhope Barnes a oublié (et donc perdu) son manuscrit dans un train, les poèmes de « Le Berger poète » ont tristement été recyclés en papier à cigarettes et les écrits d’Ellen Sparrow, rédigés sur papier toilette, pour des raisons évidentes ne sont jamais arrivés entre les mains de qui que ce soit… Est-on passé à côté de pièces maîtresses de la littérature ? Qui sait… Mais les auteurs que je viens de citer ne font pas partie des plus malchanceux des damnés de la plume car certains, en plus de l’humiliation de rester dans l’ombre, y ont laissé la vie comme Thomas Bodham qui, en même temps que son oeuvre, a tristement fini dans le ventre repu de cochons, Élise la Rue qui se fit assassiner par un voleur qui avait pris les feuillets de son manuscrit pour des billets de banque ou Pasquale Frunzio (scoumoune d’or celui-là !) qui, désespéré de ne pas être édité, ouvrit le gaz pour en finir lorsqu’il fut interrompu par un facteur venu lui présenter le télégramme d’un éditeur enthousiaste qui souhaitait l’éditer… Fou de joie, le pauvre Frunzio en oublia d’éteindre le gaz et se fit sauter bien malgré lui le caisson, emportant avec lui, qui sait, un chef-d’œuvre de la littérature ! Quant à la malheureuse et très bigleuse Marta Kupka, elle écrivit d’un trait l’histoire de sa vie pour s’apercevoir, une fois son oeuvre terminée, que le ruban tout desséché de sa Remington n’avait rien imprimé ! On ne saura donc jamais si ces hommes et femmes épris de belles lettres auraient pu accéder à la postérité… Qu’importe, grâce à C.D. Rose, ils sortent enfin de l’anonymat pour nous offrir, bien malgré eux, une savoureuse lecture à leurs dépens ! Je vous conseille vivement après avoir refermé ce délicieux et hilarant petit bouquin de vous précipiter sur l’excellent « L’ours est un écrivain comme les autres » de William Kotzwinkle , superbement illustré par Alain Kokor (chroniqué ici !) où un ours s’étant approprié le manuscrit d’un auteur dépressif et malchanceux, devint riche et célèbre… Il complète à la perfection cette réjouissante encyclopédie !

Encyclopédie des écrivains ratés : les cinquante-deux plus grands génies de la littérature dont vous n’avez jamais entendu parler par C.D. Rose, Seuil, 2019 / 16€

« Si l’objectif initial était de nous faciliter la vie, le but est aujourd’hui de devancer nos besoins ». Cette phrase résume à elle seule le capitalisme de surveillance exercé par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui revendent nos comportements à ceux qui peuvent en tirer profit en collectant nos données sur Internet… Pour contourner ces « big brothers », il faut changer nos pratiques sur le Net, et donc changer notre façon de consommer, de nous informer et d’échanger. Oui, mais comment ? Grâce à ce précieux petit bouquin, véritable manuel d’autodéfense numérique réalisé par Anne-Sophie Jacques (auteure et journaliste) et Maxime Guedj (auteur, ingénieur et entrepreneur), vous trouverez toutes les clés pour accéder à un Internet libre qui respecte votre vie privée, sous la forme de fiches pratiques extrêmement claires (naviguer sans pistage, s’informer autrement, alternatives aux réseaux sociaux, voyager autrement, travailler avec des logiciels libres, récupérer le contrôle de nos données, choisir son système d’exploitation, kit d’émancipation pour citoyennes et citoyens connectés : faire société, s’entraider, respecter la planète). Avant de nous offrir leurs précieux conseils, les auteurs nous offrent préalablement une passionnante étude sur l’histoire d’Internet, hautement documentée et détaillée, qui met brillamment en lumière les dégâts collatéraux de ces nouveaux monopoles, en nous donnant une furieuse envie de les contourner ! « Défendre un Internet libre, c’est s’emparer d’une force qui peut irriguer tous les autres combats pour la liberté. un monde numérique libre, c’est surtout un monde libre, un monde construit sur des valeurs de partage et d’entraide, un monde dans lequel nous avons envie de vivre et que nous souhaitons aux générations futures ». Alors, avant de surfer et de cliquer, précipitez-vous sur cet ouvrage d’utilité publique ! Si vous ne pouvez le commander dans sa version papier, vous pouvez vous le procurer en numérique ici… Et évitez Amazon, hein ! On ne vous le dira jamais assez !!!

Déclic : comment profiter du numérique sans tomber dans le piège des géants du Web par Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques, Les Arènes, 2020 / 19€

Christine Le Garrec