Des bulles pétillantes, d’autres qui remontent du tréfonds de l’âme et du temps, de l’humour, de l’amour, de l’anticipation… Voici le programme de ce « Papiers à bulles » confiné ! Nando Von Arb nous y offre une plongée psychanalytique dans son enfance au sein d’une famille recomposée, et les talentueux frères Brizzi leur brillante vision dessinée de « L’écume des jours », l’intemporel et furieusement moderne roman de Boris Vian… Vous y (re)découvrirez ensuite avec un indicible plaisir « A la recherche de Peter Pan », le chef-d’oeuvre de Cosey réédité dans son intégralité, avant de partir à la découverte de la « Planeta Extra » de Diego Agrimbau et de Gabriel Ippoliti qui nous dévoilent avec talent leur vision quelque peu anxyogène d’un futur fort peu enviable.. Et pour vous détendre, je vous propose enfin de vous bidonner en compagnie des inénarrables Pic Pic et André, nés de l’imagination potache de Vincent Patar et Stéphane Aubier, et de vous régaler ensuite des dessins de presse du caustique Pierre Kroll qui porte haut les couleurs de l’humour belge en passant la classe politique française au vitriol ! Pour vous procurer ces merveilles, précipitez-vous sur le site « Je soutiens ma librairie » où vous trouverez les adresses des librairies (partout en France) qui ont trouvé des solutions pour continuer à vous servir (livraisons, pick-up, bons d’achat). Vous pouvez également surfer sur les sites des éditeurs (Dargaud, Rue de Sèvres, Le Lombard, Delcourt…) qui proposent une multitude d’actions pour que vous puissiez encore vous nourrir de chouettes lectures pendant le confinement (lectures numériques gratuites, actualités, avant-premières, coulisses, ateliers confinés, quiz, coloriages et activités créatives pour les enfants)… Petits et grands y trouveront forcément leur bonheur ! Une dernière chose : depuis le 15 Avril, les éditions Dargaud ont lancé sur Instagram, « Mâtin, quel journal ! », un journal qui s’amuse à réfléchir en « pilotant » l’actualité en dessins. Allez y jeter un oeil et même les deux ! Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de bonnes et belles lectures à toutes et à tous ! Prenez soin de vous !
Une maman, mère courage débordée et dépressive, mère oiseau aux ailes brisées qui contre vents et marées protège sa couvée… Un papa, parti lorsqu’il avait deux ans, et dont Nando n’a gardé que peu de souvenirs, hormis le terrible sentiment d’abandon qu’il a ressenti à son départ… Bien plus tard, ce père lui a donné le virus de l’art, transmis lors des visites dans les musées où il éduquait son regard. C’est à lui qu’il doit d’être aujourd’hui un artiste… Entrée en scène d’un deuxième papa, Kiko… Un papa imaginatif, drôle et excentrique, rayonnant comme un soleil… La joie de vivre et l’irresponsabilité faite homme ! Et puis Zélo, le troisième et dernier papa : une figure paternelle immense et écrasante, mais aussi le plus responsable de ces trois pères qui, chacun à leur manière, ont contribué au développement de Nando. En lui apportant leurs visions du monde, aussi différentes qu’enrichissantes, ils ont tous contribué à forger sa personnalité et à faire de lui ce qu’il est aujourd’hui… Si le ton de ce roman graphique sonne aussi juste, c’est qu’il est tout simplement autobiographique. S’il est aussi puissant, c’est par le procédé quasi psychanalytique sur lequel il a été construit, en dessins d’une incroyable force symbolique et en mots qui claquent et transpercent en autant de reflets des colères et des douleurs enfouies. Au fil des pages, l’humour affleure parfois, la tendresse souvent… Les images nous happent et en appellent à nos propres fractures, celles de l’enfance dont on ne guérit jamais complètement. Aussi bien avec un papa et une maman, que dans tous les autres cas de figure… Troublant et émouvant par tout ce qu’il remue en nous, ce roman au graphisme aussi original qu’élégant, témoigne avec flamboyance de l’extrême sensibilité et du sacré talent de cet auteur assurément à suivre !
3 papas de Nando Von Arb, Misma, 2020 / 25€
Boris Vian, le « transcendant satrape » du collège de pataphysique, fondateur du club des « savanturiers », aurait eu cent ans cette année. Écrivain, poète, parolier, chanteur, musicien de jazz, ingénieur, journaliste… « Le prince » de St Germain des Prés a vécu mille vies concentrées en à peine 40 ans et sa folie imaginative, son humour aussi irrésistible qu’inventif et les univers surréalistes qu’il a mis en mots et en musique, nous laissent un héritage littéraire et artistique qui trouve encore et toujours plus d’échos dans les générations qui lui ont succédé… J’étais adolescente lorsque j’ai lu et dévoré « L’écume des jours », et ce roman n’est jamais sorti de mon esprit depuis, même si je ne l’avais jamais relu… Il est ainsi des lectures dont on reste captif pour toute la vie… Comment oublier l’amour fou entre Colin et Chloé ? Comment oublier cet amour insouciant, joyeux et tendre, détruit par le nénuphar niché dans les poumons de Chloé ? Et comment ne pas faire de parallèle entre ce nénuphar et ce virus qui nous déchire aujourd’hui en nous isolant les uns des autres, parfois pour toujours ? La fleur vénéneuse de Boris Vian prend ici de troublantes allures prophétiques, d’autant plus que sa funeste présence se double d’une réflexion (malicieuse mais bien réelle !) sur la société que nous avons construite et qui nous détruit peu à peu : religions, monde du travail, société du spectacle (Ah ! Son irrésistible « Jean-Sol Partre » !)… Boris Vian y passe à la moulinette les incohérences et les injustices de nos sociétés avec une incroyable lucidité et une ironie cinglante qui n’épargne personne ! Tout est délicatesse et folie créatrice dans ce roman tragique et romantique, teinté d’un fantastique onirisme d’une modernité absolue… Alors, si j’ai réussi à susciter en vous l’envie de le (re)découvrir, je vous conseille vivement de choisir cette édition, illustrée avec un talent fou par les frères Brizzi ! Tous deux en ont restitué à la perfection l’esprit fantasque et la démesure en dessins lumineux réalisés au crayon de cire et à la mine graphite, dans un brillant exercice de style qui nous laisse sans voix par la beauté qui s’en dégage. Une splendeur ! Une expo devait avoir lieu fin Mars à la galerie Daniel Maghen à Paris… Espérons que ce n’est que partie remise et que nous pourrons enfin admirer très bientôt les planches originales de ces artistes, eux aussi hors du commun, qui ont rendu le plus bel hommage qui soit à notre éternel et indémodable « Bison Ravi »… Vous pouvez également vous procurer leur adaptation dessinée de « L’automne à Pékin« , parue en 2018… Chez Futuropolis, évidemment !
L’écume des jours de Boris Vian illustré par Paul et Gaëtan Brizzi, Futuropolis, 2020 / 29€
Alpes Valaisannes, 1930. Melvin Woodworth, jeune auteur anglais en recherche d’inspiration, vient s’y réfugier pour y trouver le calme, mais aussi pour une quête toute personnelle sur ses origines : c’est dans ce petit village montagnard isolé de tout que Dragan, son frère, a passé les dernières années de sa vie, en travaillant comme pianiste au grand hôtel aujourd’hui fermé… Un retour sur les traces de son enfance que Melvin accompagne d’une lecture fort appropriée avec le « Peter Pan » de James Matthew Barrie en livre de chevet… Un village tranquille ? Pas tant que ça… Derrière la beauté sauvage des lieux, se cachent bien des mystères que Melvin va découvrir au fil de ses rencontres : celle avec Baptistin, un faux-monnayeur pourchassé par les gendarmes, avec qui il se liera d’amitié, puis celle avec une belle jeune femme dont il tombera amoureux… Dans le grand hôtel vide, résonnent la nuit des accords de piano… Et le glacier qui gronde menace à tout instant d’ensevelir le village… Quête initiatique, ode à la nature, idylle naissante, intrigue, suspense, témoignage d’une paysannerie aujourd’hui disparue… Vous trouverez tous ces ingrédients savamment dosés dans un exercice de style époustouflant de virtuosité dans ce roman graphique aussi sobre que complexe, réalisé sous la forme d’un diptyque dans les années 80 et aujourd’hui réédité dans son intégralité. L’auteur de la célèbre série « Jonathan » y dévoile en dessins réalistes et lumineux sa belle humanité et son goût prononcé aussi bien pour les grands espaces que pour la complexité des rapports humains qu’il retranscrit avec une sensibilité à fleur de peau… Une pépite, multi primée, à redécouvrir de toute urgence !
A la recherche de Peter Pan de Cosey, Le Lombard, 2017 / 20,50€
La Terre, ou plutôt ce qu’il en reste… La pollution est à son comble, l’air y est devenu irrespirable et l’eau potable rarissime. La planète bleue devenue grise est désormais un véritable bidonville géant pour déshérités, les ultra-riches s’exilant à prix d’or dans les colonies de l’espace… Kiké et Toti survivent en déménageant jusqu’au cosmoport ces privilégiés en fuite vers une « terre » plus accueillante. Ce qui les sauve ? Pas l’espoir d’un monde meilleur, non… Mais la profonde amitié qui les unit et leur amour pour leur famille. Une famille mise en péril par la décision de la fille de Kiké qui décide de partir s’installer sur Luna Europa avec son futur mari pour ouvrir une clinique vétérinaire pour robots-animaux… La prunelle de ses yeux sur orbite, loin de lui ? Kiké ne l’accepte pas, d’autant que son futur gendre ne lui inspire guère confiance… Kiké décide de tout faire pour convaincre sa fille de rester auprès des siens, y compris en faisant des choix discutables pour trouver de l’argent au plus vite pour lui offrir, sur Terre, la clinique de ses rêves… Misère crasse, émeutes, corruption et magouilles à tous les étages : le monde décrit par Diego Agrimbau et Gabriel Ippoliti dans cette fable politico écolo futuriste ressemble sur bien des points au nôtre et à ce qu’il pourrait bien devenir si nous continuons sur le chemin tracé… Critique visionnaire d’une société en bout de course façon « 5ème élément » ou « Brazil », « Planeta Extra » ferait froid dans le dos sans l’humour décalé et l’humanité qui se dégage de ces paumés au grand coeur auxquels on s’attache férocement ! Ce scénario riche et habile est magnifiquement servi par un dessin qui oscille entre réalisme et caricature dans une palette de couleurs aux textures chatoyantes du plus bel effet. Décidément, si leur « planeta » est loin d’être extra, le travail de ces deux talentueux argentins est quant à lui parfait, sur tous les plans ! Gros coup de coeur !!!
Planeta Extra de Diego Agrimbau et Gabriel Ippoliti, Sarbacane, 2020 / 18€
Vous aviez peut-être déjà fait connaissance avec Pic Pic, André et leurs amis au fil des délirants petits cartoons animés par les géniaux Patar et Aubier, dans le Pic Pic André Shoow , ou dans les strips publiés dans Mosquito (supplément du magazine belge « Moustique« ) ? Non ? Et bien, c’est le moment ou jamais de découvrir André le cheval buveur de bière et Pic Pic le cochon Magik, entourés de leurs amis éléphant bleu et Dany (l’humain à la chevelure improbable et fort pratique ! ) dans ce recueil classieux qui nous délivre une bonne centaine des aventures de ces chroniqueurs culturels potaches et feignasses ! Entre deux gags absurdes et déjantés, vous y découvrirez la bibliothèque d’André qui résume de manière peu orthodoxe les oeuvres des grands auteurs (Simenon, Shakespeare, Sartre, Proust…) et la discothèque de Pic Pic qui tente de cerner à sa manière celles de Sid Vicious, Iggy Pop, Miles Davis ou des Bee Gees ! Quant à éléphant, il vous fera part de son approche peu académique de l’art moderne à travers les oeuvres de van Gogh, Calder, Picasso, Giacometti… Et de Cro Magnon ! Les compères, en bonus, vous ouvriront des dossiers inexpliqués tels que ceux sur l’existence de l’Atlantide ou des Big Foot… Ou du penchant pour leurs semblables à se précipiter sur chaque rediffusion du « corniaud » ! Inventifs, délirants, burlesques et furieusement drôles, Pic Pic, André et leurs amis vous promettent de jubilatoires moments de lecture qui vous feront oublier la morosité ambiante ! Pour rester dans l’ambiance, je ne peux que vous conseiller de voir ou de revoir le désopilant « Panique au village » des mêmes auteurs (présenté hors compétition dans la sélection officielle du Festival de Cannes en 2009 !)
Pic Pic André & leurs amis de Vincent Patar et Stéphane Aubier, Casterman, 2020 / 19,95€
Après, « C’est très drôle et d’ailleurs c’est belge » que je vous avais présenté (ici !), voici la nouvelle revue de presse du savoureux Pierre Kroll, qui pose aujourd’hui son regard aiguisé sur la société française, en dessins aussi drôles que mordants. Comme le général, le roi de la caricature belge nous a compris… Mais si ce dernier nous traitait de veaux (c’est pas faux…), Pierre Kroll, quant à lui, se moque gentiment des habitants du pays du camembert en leur renvoyant en miroir leurs calamiteux choix politiques et leur fierté d’imbéciles qui sont nés quelque part, dans un brillant et caustique état des lieux social, politique et culturel… Sévère, mais juste ! Ah, on fait moins les malins avec nos vannes à deux balles sur les belges (un peu en désuétude, heureusement !), car ces derniers, Pierre Kroll en tête, en ont sous le coude pour nous rendre la pareille… Avec grande classe, qui plus est ! Férocement drôle… Normal, c’est belge !
Les français vus par un belge de Pierre Kroll, Les Arènes, 2018 / 20€
Mâtin, quel journal !!!
En 1970, Pilote s’autoproclamait « Le journal qui s’amuse à réfléchir ». Alors, en 2020, à quoi elle ressemble la BD qui s’amuse à réfléchir ? Réponse sur le tout nouveau média numérique dessiné, lancé par les éditions Dargaud ! Qui le réalise ? Un collectif d’experts, de journalistes, d’auteurs confirmés et de jeunes dessinateurs. Sous quelle forme ? Une publication quotidienne sur Instagram, en sujets courts présentés sous forme de strips, sur un ton ludique et décalé ! Un thème de prédilection ? La protection de la planète, avec l’ambition de défendre cette cause grâce à des histoires et à des initiatives dessinées, dans un contenu nourri par l’actualité. Programmé depuis des mois, ce projet d’envergure devait démarrer le 30 juin 2020… Mais compte tenu de la période exceptionnelle que nous vivons, Dargaud a décidé de soutenir le moral collectif en proposant son contenu exclusif dès le 15 avril ! Alors, pour des matins malins, un seul réflexe… Se connecter sur Mâtin… Quel réveil matin ! Pour vous abonner, c’est ici !
Christine Le Garrec