Histoire(s) de lire… N°57

Ils se sont tant aimés… Daniel Pennac et son frère disparu, Alain Rémond et sa regrettée mère, Fawaz Hussain et son père adoré… Dans des styles bien différents, tous trois nous dévoilent leurs blessures à jamais ouvertes au fil des pages de ces trois textes qui ont pour point commun de nous toucher en plein cœur… Rythmé par une bande son où Hendrix et Janis Joplin mènent le bal, Mehdi Charef nous dévoile ensuite sa jeunesse ouvrière au cœur des années 70 Place ensuite aux grands espaces où coulent de somptueuses rivières, en compagnie de Gus Orviston, le fondu de pêche à la ligne né sous la belle plume de David James Duncan ! Grande classe littéraire ensuite avec « Silence Radio » de Thierry Dancourt qui nous charme au fil d’un récit où le présent fait resurgir un passé douloureux… Suivi de la critique joyeusement acide du monde des affaires par Marin de Viry ! On continue avec une plongée glaçante dans le passé nauséabond d’un grand-père bien loin d’être respectable avec « les loups d’Argentine » de Jérémy Wulc, avant de s’immerger en douceur dans l’univers féérique de Myriam Saligari qui nous offre avec son « pays d’Alice », une bien jolie parabole sur le personnage de Lewis Carroll… Il ne vous reste plus qu’à déguster le délicieux « Cafés crème » de Charles Lancar qui vous envoûtera par sa fine observation des comportements humains, avant de découvrir deux romans de pure détente qui n’engendrent pas la mélancolie ! La drôlissime enquête policière d’Andrea Japp, « Pas de pissenlits pour le cadavre », vous donnera le sourire aux lèvres, avant d’attaquer à pleines dents « Le sourire contagieux des croissants au beurre » du mystérieux Camille Andrea qui vous fera voir avec humour le bon côté de l’existence ! Belles lectures à toutes et à tous !

Après l’émouvant « Mon frère » (chroniqué ici !), Daniel Pennac nous offre une vision théâtralisée de ce texte, revisité dans une originale construction en jeu de miroirs où, entre deux scènes de tournage du célèbre Bartleby de Melville, apparait par intermittence son frère disparu, dont la personnalité présentait bien des similitudes avec ce personnage. Un exercice virtuose qui nous immerge dans les coulisses du film, ponctuées des réflexions des acteurs sur le lien qui les unissent à cet étonnant Bartleby, et dans l’intimité des deux frères qui se révèle en conversations rêvées et espérées, comme si la mort n’avait jamais pu se résoudre à les séparer… Ce texte dense et lumineux qui rend autant hommage à la littérature qu’à celui qui l’a inspiré, se savoure néanmoins plus intensément après lecture (ou relecture) du texte de Melville, si l’on veut en apprécier toutes les subtilités… Magistral et intense, simple et complexe : du grand Pennac !

Bartleby mon frère par Daniel Pennac, Gallimard, 2021 / 12€

Une mère courage aussi bienveillante que digne, qui a porté à bout de bras ses dix enfants dans des conditions matérielles précaires… Les disputes récurrentes des parents, puis la mort prématurée du père, un peu trop porté sur la bouteille… La chaleur réconfortante entre frères et sœurs pour se consoler de bien des malheurs… Et puis, ce petit village breton avec le mont Saint-Michel en point de mire, havre de paix et de de découvertes, lui aussi à jamais perdu dans les limbes du temps… Une vie, autant pétrie de petits bonheurs et de grandes souffrances que de regrets et de remords, qu’Alain Rémond décline en une multitude de souvenirs heureux ou douloureux mais aussi en profonds questionnements qu’il relate avec simplicité au fil des pages de ce texte autobiographique. Passé et présent se confondent, se mêlent et s’entremêlent au cours de ces confessions intimes, d’une pudeur extrême voilée d’humour, où il dessine le paradis perdu de son enfance. Un paradis parfois pavé de l’enfer des bonnes intentions que l’on se remémore, au crépuscule de sa vie, avec amertume et nostalgie… Ce bouleversant hommage à une mère admirée et aimée nous invite, avec une belle délicatesse, à nous pencher à notre tour sur les émotions parfois douloureuses qui nous relient à la nôtre… On ne guérit jamais vraiment de son enfance : merci, Monsieur Rémond de nous le rappeler avec autant de justesse que de sincérité.

Ma mère avait ce geste par Alain Rémond, Plon, 2021 / 12€

De longs mois anxiogènes, enfermé dans son petit appartement parisien : une douloureuse parenthèse au temps, ponctuée bien sûr par l’angoisse liée au Covid, mais aussi par ses colères face aux nombreuses grèves (certes légitimes…) qui ont rendu encore plus compliquée une situation déjà suffisamment complexe… Une solitude involontaire, tous rapports sociaux devenus quasi inexistants, que Fawaz Hussain a mis à profit pour écrire ce qu’il avait sur le cœur, dans un travail introspectif construit en une longue et émouvante lettre où il confie à son père disparu tout son amour, ses regrets et ses espoirs. Une conversation intime aussi sensible que sincère, que Fawaz déroule en un monologue entre ciel et terre où il dévoile avec humanité ses états d’âme d’exilé, loin de ses racines kurdes, de son peuple persécuté et condamné à errer, qui lui est désormais interdit. Par sa portée universelle, cet hommage vibrant à un père vénéré, porté avec grâce par la plume lumineuse de Fawaz, nous invite à revisiter notre propre histoire. Un texte fort et émouvant…

A mon père, mon repère par Fawaz Hussain, Éditions du Jasmin, 2021 / 18,50€

Un simple nom sur une boîte aux lettres… Le petit détail qui change tout, celui qui signe reconnaissance et réussite lorsqu’on a vécu jusque là dans un bidonville ou dans une cité de transit… Cette boîte aux lettres, c’est la fierté du père de l’auteur qui a enfin réussi à obtenir un HLM après des années de galères, un logement digne et confortable pour accueillir sa famille et leur faire oublier les souffrances et les humiliations subies pendant trop d’années… Après « Rue des pâquerettes » et « Vivants« , Mehdi Charef clôture sa trilogie sur son enfance et sa jeunesse avec ce roman fort attachant où il nous dévoile ses premiers pas d’adulte dans le paysage des années 70, période où le vent de la liberté a soufflé sur tous les fronts (nostalgie…), et notamment dans le monde de la musique dont il nous offre un joli panorama. Séduite par les oeuvres cinématographiques de Mehdi Charef (« Le thé au harem d’Archimède« , « Miss Mona« , « Marie-Line« …), je le suis désormais pour sa qualité d’écrivain : avec cette émouvante chronique familiale, ponctuée de réflexions sur la difficulté de l’exil, il nous transmet avec une belle humanité la photographie sincère et juste d’une époque qui inspire une douce nostalgie à tous ceux qui l’ont traversée… Touchée !

La cité de mon père par Mehdi Charef, Hors d’atteinte, 2021 / 17€

La passion de Gus Orviston pour la pêche à la ligne (qu’il pratique en véritable génie !) tourne dangereusement à l’obsession : pour lui, une journée parfaite, c’est quatorze heures de pêche non stop ! Il faut dire qu’il a été à bonne école entre un père professionnel de la pêche à la mouche (surnommé H2o) et une mère (ex cow-girl) adepte de la pêche aux appâts… Deux méthodes pour le moins irréconciliables qui donnent lieu à d’interminables disputes entre ses géniteurs ! Une ambiance explosive qui décide Gus à fuir le plus loin possible de cette encombrante et bruyante famille (seul Bill Boy, son petit frère, a échappé à ce terrible virus et a même développé une profonde phobie de l’eau !) pour partir se réfugier dans une cabane paumée au bord d’une rivière, dans le but de pêcher du matin au soir et du soir au matin en toute tranquillité ! Une vie d’ermite qui finira par lui taper sur le ciboulot, jusqu’au moment où il décidera enfin de s’ouvrir davantage aux autres… Ses voisins l’aideront à gravir sa première marche vers plus d’humanité (des gens charmants mais totalement barrés !), et son immersion dans la littérature et la philosophie, avec l’aide de son ami Titus (et de Descartes, son chien philosophe !), l’aideront peu à peu à trouver des réponses à ses nombreux questionnements et à son mal être. Sa rencontre fortuite avec un cadavre découvert au fil de l’eau, et surtout avec une jeune fille (presque) aussi sauvage que lui et pour laquelle il sera loin d’être insensible, lui feront gravir les derniers jalons vers sa quête existentielle et spirituelle… David James Duncan nous offre avec cette intrigante rivière pourquoi (qui doit son nom à ses méandres en forme de point d’interrogation) un fantastique et passionnant roman initiatique où l’humour le plus débridé (quelle galerie de personnages !) se dispute à la plus délicate poésie. Foisonnant comme une rivière poissonneuse, ce roman rédigé d’une écriture riche et sensible rend un vibrant hommage à la magnificence de la nature, tout en nous invitant à une réflexion sur le sens de la vie. Un texte puissant et férocement drôle à découvrir de toute urgence !

La rivière pourquoi  par David James Duncan (traduction de l’anglais (USA) par Michel Lederer), Monsieur Toussaint Louverture, 2021 / 12€

Années 60. Native de Genève, Cécile vit à Paris depuis son mariage : un exil souvent ponctué d’allers et retours en Suisse pour des missions professionnelles au sein des locaux de Radio Lausanne. C’est là qu’elle rencontrera Franck, un homme mystérieux et taiseux qui deviendra son amant… Pour quelques jours de vacances, tous deux se retrouvent chez Richard, un ami de Franck, responsable d’une station thermale désaffectée. Une ambiance fantomatique règne dans ce lieu sans âme, hanté par un gardien quelque peu étrange… Une sensation oppressante renforcée par l’épais tapis de neige qui recouvre le paysage d’un linceul immaculé et étouffe le moindre bruit… Le lendemain de leur arrivée, Franck disparaît sans la moindre explication après la lecture d’un fait divers relatant la découverte d’un corps enseveli au fond d’une crevasse depuis une dizaine d’années… Par Richard, Cécile apprend que l’homme retrouvé n’était autre que Raymond, un ami de Franck disparu lors d’une randonnée en montagne en compagnie de l’un de ses collègues de travail… Une nouvelle qui bien sûr a dû bouleverser Franck… Mais pourquoi a t-il pris la fuite ? Et qu’est devenu celui qui accompagnait Raymond ? Les questions se bousculent dans l’esprit de Cécile qui ne sait rien du passé de son amant… Quelles zones d’ombres cache t-il ? Richard, peu à peu, lui dévoilera bien des secrets, en remontant dans le temps jusqu’à la noire période de l’occupation… Tension dramatique finement dosée, scènes cinématographiques semblant s’être échappées d’un film noir des années 50 ou d’un tableau d’Edward Hopper, rythme lent, descriptions poétiques et épurées à la « Modiano »: Thierry Dancourt nous transporte avec ce roman d’atmosphère au charme délicieusement suranné, dans un envoûtant voyage qui nous mène des méandres de l’Histoire au cœur de l’âme humaine. Par l’habileté de son intrigue et par la finesse de son écriture, ce roman est aussi subtil qu’élégant !

Silence radio par Thierry Dancourt, La Table Ronde, 2021 / 18,50€

Une entreprise spécialisée dans le développement durable, implantée dans le quartier d’affaires de La Défense. Un vrai nid de guêpes où tous les coups sont permis… Marius, aristo désenchanté, et Priscilla, une anglaise féministe et ambitieuse, se voient mis en concurrence par leur PDG qui leur fait miroiter à tous deux l’unique poste très convoité de directeur général. Une stratégie machiavélique qui lui reviendra comme un boomerang lorsque Marius et Priscilla, au lieu de se combattre comme il l’escomptait, forgeront dans le plus grand secret une alliance pour le contrer, avec l’appui du haut dirigeant d’une multinationale, las du monde des affaires… Cet accord, au cours duquel l’amour s’invitera contre toute attente, les emmènera bien loin de cet univers impitoyable… Avec ce roman d’un cynisme absolu, Marin de Viry, en nous entraînant au cœur des hautes sphères de la finance où trahisons et manipulations en tous genres sont les seules lois pour se hisser au sommet de la pyramide, nous offre une satire acide du monde ultralibéral où les seules valeurs respectables sont l’arrogance, le mépris, et la réussite à n’importe quel prix. Un constat amer adouci par une chute quelque peu inattendue où il nous dévoile, en ultime note d’espoir, sa vision d’une humanité rêvée, sauvée par l’amour… Corrosif et ironique en diable, ce roman atypique servi par une écriture incisive, soignée et délicieusement parée d’une belle pointe d’humour, nous donne autant le sourire que matière à réflexion !

L’arche de mésalliance par Marin de Viry, Éditions du Rocher, 2021 / 17,90€

Arnaud Shimansky traverse une bien mauvaise passe : flic à la criminelle, il est dans l’angoissante attente du verdict de la commission disciplinaire mise en place à son encontre après la bavure qu’il a commis en état d’ébriété, et pour laquelle il risque la suspension de ses fonctions. Sa vie sentimentale est un fiasco, les rapports avec son père sont des plus houleux, et comme si tout cela ne suffisait pas, Simon, son grand-père paternel rescapé d’Auschwitz, vient de mourir… Après les obsèques, Arnaud aide son père à vider la maison de son grand-père lorsqu’il découvre, bien planqués dans le grenier, un uniforme SS et des carnets rédigés en allemand… Lui revient alors à l’esprit des bribes de conversation dans la langue de Goethe entendus durant l’enterrement… Aussi intrigué que perturbé par sa découverte, Il se rend au mémorial de la Shoah afin d’y rechercher des renseignements sur la déportation de son grand-père : il y trouvera l’amour en la personne d’Ambre, rencontrée sur ce lieu de mémoire, mais pas la moindre trace d’un Simon Shimansky… Arnaud décide donc d’enquêter sur le mystérieux passé de son grand-père, soupçonnant au fond de lui une insoutenable vérité… Une enquête qui le mènera jusqu’en Argentine où Simon, marchand d’art, se rendait régulièrement pour affaires… En partant de faits réels, l’accueil complaisant de nazis en Amérique du Sud ayant été prouvée à maintes reprises, Jérémy Wulc brode sur la trame de l’Histoire, en se permettant quelques libertés de taille, au fil des pages de ce roman au rythme haletant qui se dévore comme un polar. D’une écriture très cinématographique, il signe là un premier roman fort réussi qui ne nous laisse aucun répit en nous immergeant dans les horreurs d’une idéologie qui n’en finit pas de nous hanter. Une lecture quelque peu anxiogène mais totalement addictive !

Les loups-garous d’Argentine par Jérémy Wulc, Pygmalion, 2021 / 19€

Quelle météo épouvantable ! Par la faute de ce mauvais temps, plus personne n’ose s’aventurer hors de chez soi… Et Ida la cartomancienne trouve le temps bien long dans sa roulotte, sans voir âme qui vive ! Désœuvrée, elle bat un jeu de cartes, le fait s’animer dans sa boule de cristal, et fait apparaître Alice, la reine de Carreau, qui s’ennuie elle aussi à mourir… Il faut dire que la vie dans son pays manque cruellement de fantaisie ! Tout y est tiré au cordeau, en lignes et angles droits sans surprise et dans un ordre parfait confinant à l’obsessionnel. Mais la magie est partout… Et grâce à Ida, Alice trouve enfin le moyen de s’évader de sa prison géométrique, en toute discrétion, en jouant les passe-muraille… A peine le mur d’enceinte franchi, elle se retrouve au pays des Piques. Ce royaume est-il plus plaisant que le sien ? Pas vraiment ! Tout y transpire la peur et la méfiance, faits et gestes sont épiés de toutes parts et une usine d’armement tourne à plein régime pour protéger le royaume en cas d’invasion ennemie… Un vrai cauchemar ! Alice regagne ses pénates, un peu traumatisée par ce qu’elle a découvert, mais bien décidée à explorer d’autres contrées en traversant une autre partie du mur ceignant son royaume… Et c’est ainsi qu’elle se retrouve un moment plus tard au pays des Trèfles, un pays de cocagne et d’abondance dont les richesses ne « ruissellent » qu’au profit des grands qui le gouvernent, ceux-ci n’éprouvant pas une once de remords au fait de laisser leur peuple dans la misère et l’asservissement… Quelle désolation et quelle injustice ! Sa troisième escapade l’emmène cette fois au pays des Cœurs, un pays joyeux et sauvage peuplé d’enfants où une totale liberté semble régner… Mais ce pays de l’amour roi a aussi bien des failles et celui-ci menace à chaque instant de s’écrouler comme un château de cartes, faute d’être gouverné de manière raisonnable… Ses rencontres et ses découvertes ont offert à Alice matière à bien des réflexions : le pays des Cœurs manquant de raison, celui des Trèfles souffrant d’un manque flagrant de justice et de solidarité, celui des Piques d’une cruelle absence d’humanité et de sérénité, et le sien du petit brin de folie qui fait toute la différence, il suffirait de rebattre les cartes des quatre royaumes en gardant le meilleur d’entre eux et en éliminant le pire pour créer un monde parfait… Après « Au bout du conte » (chroniqué ici !), quel plaisir de retrouver l’intelligence et la fantaisie de Myriam Saligari qui irradient à chaque mot de ce conte poétique et philosophique, où ses personnages de carton et de papier s’animent sous la grâce et la puissance évocatrice de son écriture ! Un livre charmant et charmeur que les « grands » pourront partager avec les plus jeunes qui apprécieront, à un tout autre niveau de lecture, la magie qui en émane !

Au pays d’Alice par Myriam Saligari, Élan Sud, 2021 / 12€

« La Chaumette » est un petit bistrot parisien qui ne concède rien à la modernité : ici, pas d’esbroufe ni de chichis, mais un lieu simple et convivial, uniquement fréquenté par son lot d’habitués. Jean-Louis, le patron, aime observer en silence les gens qui s’installent chaque jour dans son établissement : Francesco, le macho à la violence à fleur de peau, Damien, l’aveugle qui s’installe chaque jour à la même table, la cohorte de lycéens bruyants qui débarque entre deux cours, la vieille dame qui déguste invariablement un chocolat chaud, l’homme qui s’arrête chaque jour après la promenade avec son chien, Florence, l’avocate blessée après une rupture amoureuse, et Jérôme, l’écrivain qui la regarde du coin de l’œil tout en noircissant les pages de son carnet… Toute une humanité qui se dévoile chaque jour sous le regard bienveillant de Jean-Louis qui surprend échanges furtifs de regards et frôlements, sans que personne n’ose vraiment franchir un pas vers les autres… Mais lorsqu’un petit garçon de trois ans est enlevé dans le quartier, ce petit monde qui jusque là ne faisait que se croiser, se rapproche face à ce terrible drame… Charles Lancar nous dévoile au fil des pages de ce roman choral, une cartographie sensible des comportements humains, esquissée en petites touches délicates et précises, sous son écriture aussi fluide que raffinée… Par sa simplicité touchante et son extrême générosité, il se dégage de ce savoureux « Cafés crème » une atmosphère chaleureuse qui fait décidément du bien au cœur et à l’âme… Tendre et émouvant, voici un roman à déguster sereinement… Devant un p’tit crème, bien sûr !

Cafés crème par Charles Lancar, Frison-Roche Belles Lettres, 2021 / 19€

Chloé est dentiste et n’en peut plus de « torturer » ses douillets patients et de renifler leurs mauvaises haleines… Aussi, quand Louise, sa meilleure amie, lui propose de s’associer avec elle pour ouvrir une boutique de fleurs, elle saute sur l’occasion, trop heureuse de mettre en stand-by son activité d’arracheuse de dents ! Les deux filles, liées par une indéfectible amitié, sont pourtant de tempéraments bien différents : franche et directe, l’explosive Chloé est une indécrottable célibataire qui vit avec Victor, son adorable grand-père… Et la douce Louise, qui cultive la positivité en même temps que ses plantes, vient tout juste de se séparer de son médecin légiste de mari avec qui elle s’ennuyait profondément. Elle vit désormais seule avec son énorme chien, aussi affectueux qu’encombrant, curieusement baptisé « Le minou »… Un matin, alors qu’elle ouvre sa boutique, Louise fait une macabre découverte dans la réserve : le corps proprement égorgé de Gérard Fournier, l’antipathique pharmacien du quartier qui exerce un juteux trafic de pilules « miracle » dans son officine… Et bien sûr, pas de trace de Sébastien, leur employé, qui semble s’être évaporé dans la nature ! Alertée par Louise, Chloé débarque en trombe en même temps que la police qui, un comble, soupçonne nos deux nénettes d’avoir occis l’apothicaire… Puisque bien évidemment Louise et Chloé ne sont en rien impliquées dans ce meurtre, qui en est l’auteur ? Et pourquoi avoir buté Fournier dans leur boutique ? Ce polar truffé d’humour nous offre une désopilante galerie de personnages en prise à des situations rocambolesques, avec une énergie terriblement communicative ! Servi par le style fluide et fort plaisant d’Andrea Japp, ce roman irrésistible de drôlerie vous promet une lecture ponctuée de sourires et d’éclats de rire !

Pas de pissenlits pour le cadavre par Andrea H. Japp, Pygmalion /, 2021 / 19,90€

Pierre Boulanger, le bien nommé, est à la tête du plus grand empire de pâtisserie surgelée des USA : riche à millions, il côtoie les plus grandes stars et mène une vie trépidante qui ne lui laisse que peu de temps à consacrer à Kate, sa brillante avocate d’épouse, et à leur petit garçon de deux ans… Un matin, avant de se rendre à son bureau, il s’arrête devant le chariot d’un vieux marchand ambulant pour prendre un petit café. Le vieil homme édenté, à la limite de la clochardisation, lui tend alors un gobelet et lui annonce son prix… Un million de dollars ! Un million de dollars pour un café ? Oui, mais pas n’importe lequel… Celui-ci est le meilleur café du monde et il va changer sa vie… Cette étrange rencontre va bousculer les certitudes de Pierre… Certes, la proposition est plus que farfelue ! Mais finalement, est-il aussi heureux qu’il veut bien se l’avouer, malgré tout son fric et sa respectabilité ? En quoi profite t-il de la vie ? Sa femme est devenue une étrangère et il ne voit pas grandir son gamin, trop occupé à amasser toujours plus d’argent et de gloire, l’oeil constamment rivé sur sa montre au prix exorbitant… Qu’est devenu le jeune homme souriant qui a créé « Happy croissant » ? Celui-ci est devenu un être froid et insensible, incapable de la moindre émotion… Aussi quand le vieil homme lui propose d’échanger leurs vies l’espace d’une journée, Pierre accepte sa proposition sans évaluer le moins du monde à quel point cela transformera son existence… Camille Andrea, qui semble être un écrivain renommé sans que personne ne sache qui se cache derrière ce pseudonyme, signe avec ce roman « feel good » aux accents de développement personnel à peine voilés, un texte pas si léger qu’il en a l’air… Avec ses dialogues aussi savoureux qu’un croustillant croissant au beurre, ce roman contagieusement optimiste nous offre mine de rien et sous couvert d’humour, une profonde réflexion sur la quête du bonheur et sur le sens que l’on veut donner à sa vie… Et si « Le bonheur, ce n’était pas quand on ne manque de rien, mais quand rien ne nous manque » ? A méditer !

Le sourire contagieux des croissants au beurre par Camille Andrea, Plon, 2021 / 18€

Christine Le Garrec