La musique et quelques-uns de ses plus fervents ambassadeurs (et ambassadrices !) sont à l’honneur de cet « Arts et essais » printanier ! Philippe Robert, chroniqueur et archéologue de sons oubliés, nous ouvre tout d’abord les portes de sa discothèque pour nous faire découvrir pas moins de 400 albums rares et parfois tombés dans l’oubli… Place ensuite aux biographies, toutes aussi exhaustives que passionnantes, sur des personnalités qui ont marqué et marquent encore de leur empreinte le monde de la musique ! Vous découvrirez ainsi la vie et l’oeuvre de Nina Simone dévoilée par Frédéric Adrian, celle de John Lee Hooker sous la plume d’Olivier Renault, le portrait de Thiéfaine dessiné par Sébastien Bataille, et deux ouvrages sur Brassens, respectivement signés par Bernard Lonjon qui nous offre en menus détails l’existence de notre poète moustachu, et par Frédéric Bories qui met en lumière son « penchant » anarchiste… Grâce à Pierre Lemarchand, la « constellation intime » qui relie Patti Smith à Rimbaud n’aura ensuite plus de secret pour vous… On continue avec « Je suis sur des braises en attendant ton retour », un très beau livre CD qui célèbre en poèmes, en dessins et en musique, la liberté et celles et ceux qui se sont battus en son nom… Pour terminer avec l’analyse fouillée de l’album blanc des Beatles par Palem Candillier, et par l’histoire du mythique groupe AC/DC dévoilée sous la forme d’un docu-BD ! Belles lectures à toutes et à tous !!!
A l’heure où la musique se dématérialise et que les éphémères « succès » sont dictés par les impitoyables lois du marché, il est réconfortant de trouver des explorateurs de sons oubliés ou injustement négligés qui savent susciter chez les mélomanes néophytes ou avertis l’envie de les (re)découvrir. Et Philippe Robert qui a le chic, en quelques mots bien choisis, de nous ouvrir un insatiable appétit de découvertes, est sans nul doute un des plus pertinents de ces dénicheurs de « raretés » ! Pour vous en convaincre, il vous suffit de feuilleter « Musiques » (réédition augmentée de « Rock, pop, un itinéraire bis en 140 albums essentiels », paru en 2006 chez le même éditeur), où il nous présente une impressionnante sélection de 400 albums, parus entre 1902 et 2020, qu’il commente avec une ferveur qui n’a d’égale que son insatiable curiosité et son impressionnante érudition. Une alléchante invitation à la découverte de musiques libres, indépendantes et buissonnières, de tous courants musicaux (folk, jazz, blues, rock, musiques expérimentales…), réalisées par des artistes insoumis et indifférents au star system, que vous glanerez avec gourmandise sur les chemins de traverses empruntés par Philippe Robert, bien loin des autoroutes du son ! Cette « bible », nourrie de passionnantes anecdotes et enrichie de multiples pistes d’écoute vers d’autres albums et vers d’autres artistes, est à picorer non loin de votre ordinateur et des sites de streaming, avant de vous précipiter chez votre disquaire pour dénicher les pépites de cette sélection… Qui ne peut que titiller les oreilles curieuses !
Musiques par Philippe Robert, Le Mot et le Reste, 2021 / 32€
Comme au détour des pages d’un passionnant roman, la vie de Nina Simone se dévoile tout au long de cette biographie exhaustive signée par Frédéric Adrian… Et le moins que l’on puisse saluer, c’est le colossal travail de recherches que celui-ci a mené pour nous relater dans ses moindres détails l’existence tumultueuse de cette diva imprévisible et tourmentée, reconnue bien évidemment pour son immense talent, mais aussi pour son légendaire tempérament bien trempé ! A travers son tumultueux parcours personnel, il nous offre un captivant et minutieux récit qui nous permet d’appréhender la richesse de son oeuvre, ainsi que la source de la formidable énergie quelle déployait pour faire entendre ses convictions. Engagée corps et âme pour la défense des droits civiques après avoir subi de plein fouet le racisme, son combat, souvent exprimé avec colère, n’a cessé de l’animer… Car malgré la reconnaissance de ses pairs et du public, Nina Simone ne se remit jamais tout à fait d’avoir du renoncer à son rêve de devenir la première pianiste concertiste classique noire. Un rêve uniquement brisé par la couleur de sa peau… A la lecture de cet ouvrage dûment documenté où l’on se laisse embarquer sur les chemins tortueux de son existence, on ne peut qu’être convaincu que Nina Simone reste et restera une artiste majeure, dont le talent dépasse amplement les frontières de la musique. Passionnant et édifiant !
Nina Simone par Frédéric Adrian, Le Mot et le Reste, 2021 / 20€
Un lien indéfectible relie Patti Smith à Arthur Rimbaud depuis toujours… Ou du moins depuis la rencontre de Patti, encore adolescente, avec celui qui deviendra son « amant secret » après sa découverte éblouie du recueil « Illuminations« . La passion est née et ne la quittera plus, aussi bien dans sa vie personnelle qu’artistique… Cette « Constellation intime » entre la « poétesse rockeuse » américaine et le poète de Charleville nous est dévoilée dans ses moindres détails au fil de cette double biographie qui s’attache, à travers le parcours de Patti, à faire resurgir celui de Rimbaud. Car l’oeuvre de Patti Smith, tissée de ce lien mystique qui les unit, est étroitement mêlée à celle de Rimbaud… On y découvre notamment qu’elle lui a rendu de vibrants hommages autour de ses poèmes lors de ses performances musicales et récitées « Rock’ N Rimbaud« , et avec l’hypnotique « Mummer love » où elle chante des fragments de ses poèmes sur des chants soufis et des sons enregistrés à Harar (avec la complicité de Stephan Crasneanscki et du collectif Soundwalk Collective), ou encore qu’elle a participé à « La phrase » (un concept imaginé par Karelle Ménine et Ruedi Baur, que Swaz vous avait présenté (ici !) lors de sa chronique de l’ouvrage « Voyages entre les langues« ) en inscrivant le poème « Ninety-eight wounds » sur les murs de la ville de Mons… Qu’elle se rend régulièrement dans les endroits où Rimbaud a vécu, au musée où sont visibles encore ses effets personnels, et sur le lieu de sa sépulture… Poussant sa passion pour le poète jusqu’à acquérir sa maison de famille qu’elle a restauré en respectant son aspect d’origine. Des pèlerinages sur les traces de Rimbaud que l’on suit avec émotion, tout comme les parcours de ces deux magnifiques et passionnés poètes, au fil de ce palpitant ouvrage qui nous en dévoile toutes les facettes…
Patti Smith & Arthur Rimbaud : une constellation intime par Pierre Lemarchand, Le Mot et le Reste, 2021 / 19€
John Lee Hooker est une légende : sa musique, sa voix grave et déchirante, mais aussi sa liberté et sa personnalité faite de simplicité et de franchise, ont à tout jamais marqué le monde du blues. « Pas solitaire mais seul, il n’était semblable à nul autre, et l’est toujours à ce jour », comme l’a si bien défini Clapton… Une singularité qui se dévoile au fil des pages de cette exhaustive biographie, grâce au fabuleux travail réalisé par Olivier Renault. Dans le contexte social et politique de chaque période concernée (de sa naissance dans les années 20 dans le delta du Mississippi, à son décès en 2001), il nous relate, avec autant de passion que de minutie, le parcours artistique de « The Boogie Man », décliné en milliers d’anecdotes et enrichi de pertinentes analyses sur chacun de ses albums, tout en répondant à bien des interrogations sur sa vie personnelle, tumultueuse et ponctuée de zones d’ombres. Racines, vie amoureuse, amitiés, collaborations avec d’autres artistes, enregistrements, tournées… Rien ne semble avoir été oublié pour rendre un hommage mérité à celui qui « guérissait les gens à travers le monde avec sa voix et sa musique », qui a donné au blues et au boogie-woogie ses plus belles partitions, et qui a influencé une pléiade de prestigieux artistes profondément admiratifs de son art… Une passionnante biographie qui devrait combler tous ses fans !
John Lee Hooker : Boogie-woogie anyhow par Olivier Renault, Le Mot et le Reste, 2021 / 24€
Deux biographies parfaitement complémentaires qui abordent la vie et l’oeuvre de Brassens sous différents angles !
Intemporel poète et musicien, Brassens fut également un militant actif dans le milieu anarchiste d’après guerre. Après sa rencontre avec des anars (Marcel Renot et Armand Robin, qui devinrent de fidèles amis), il prêta sa plume, anonymement ou sous de savoureux pseudonymes (Géo Cédille, Charles Malpayé, Charles Brenss, Georges Pommier…), dans des « brûlots » tels que « Le libertaire » (dont il fut le secrétaire de rédaction), « Le combat syndicaliste » et « L’anarchiste ». Il tenta même de créer son propre journal « Le cri des gueux » (avec ses copains Émile Miramont et André Larue), mais celui-ci ne vit jamais le jour, faute de moyens financiers… S’il fut toute sa vie fidèle à ses idéaux, Brassens, rétif à toute forme d’autorité, quitta assez rapidement le militantisme et sa fédération qui louchait un peu trop à son goût vers le communisme, pour pouvoir exprimer ses idées en toute liberté, à travers ses chansons… Un art qu’il maîtrisait à la perfection ! A travers cette biographie, Frédéric Bories nous propose de remonter aux sources des convictions de Brassens, en relatant son enfance à Sète, ses premiers boulots, son départ forcé pour le STO, ses rencontres, et bien sûr son avidité de littérature où les grands poètes de son panthéon côtoyaient Proudhon, Bakounine et Kropotkine, dont la lecture a sans l’ombre d’un doute forgé son esprit libertaire. Augmenté de photographies et de la reproduction de ses articles publiés dans la presse anarchiste, ce passionnant document nous dévoile un Brassens profondément humaniste qui affirmait que « L’anarchisme, ce n’est pas seulement de la révolte, c’est plutôt l’amour des hommes ». Un Brassens que son ami René Fallet avait décrit avec les mots les plus justes qui soient : « La voix de ce gars est une chose rare qui perce les coassements de toutes ces grenouilles du disque et d’ailleurs. Une voix en forme de drapeau noir, de coups de poing sur le képi, une voix qui va à la bagarre et à la chasse aux papillons. Tant que les gorilles violeront les juges, Georges Brassens sera lui-même ». Ce qu’il a été, jusqu’à son dernier souffle… Quel bonhomme !!!
Georges Brassens militant anarchiste par Frédéric Bories, Le Mot et le Reste, 2022 / 17€
Bernard Lonjon est sans conteste un fan absolu de Brassens… Et c’est en chercheur passionné qu’il nous offre cette minutieuse biographie (édition augmentée de son ouvrage éponyme paru en 2010) où il retrace la vie et l’oeuvre de Brassens dans ses moindres détails ! Vous y découvrirez l’histoire familiale du poète à « La mauvaise réputation », son enfance heureuse baignée de musique et de chants, de parties de pêche et de balades à vélo, sa scolarité houleuse (« Médiocre en tout sans même être un véritable cancre »), ses frasques de jeunesse (avec la fameuse histoire de vols de bijoux qui faillit le faire basculer du côté des voyous), ses premiers émois amoureux, sa période de militant anarchiste, ses amitiés, ses amours, ses premières scènes et ses premiers succès… Jusqu’à ce que la camarde l’emporte, beaucoup trop tôt… Un incroyable travail de documentation, nourri de photographies et d’anecdotes que Bernard Lonjon a patiemment collectées pour nous offrir le portrait vivant d’un homme libre, généreux, fidèle à ses idées et à ses amitiés… Et celui d’un artiste sensible qui maniait l’humour et le verbe avec un talent inégalé… Une réédition en format poche qui permet à tous les amoureux de Brassens et de ses chansons de (re)découvrir cet incontournable ouvrage, pour un tout petit prix !
J’aurais pu virer malhonnête par Bernard Lonjon, L’Archipel, 2021 / 8,95€
Pour la qualité jamais démentie de son parcours artistique, et pour sa personnalité où la désabusion se dispute à la provocation et à l’humour, Hubert-Félix Thiéfaine s’est attaché un public fidèle et toujours renouvelé, qui se précipite à chacun de ses concerts sans qu’il n’ait besoin de faire de promotion. Des textes poétiques et surréalistes d’une exigence rare, un charisme de fou, un univers rock décapant : cette recette imparable, qui séduit désormais trois générations de fans depuis 40 ans, explique le fait que l’animal Thiéfaine est un phénomène dans le paysage du rock français ! Au fil des pages de cette captivante biographie, Sébastien Bataille a remonté le long « fleuve de la création » de cet artiste « debout sans ses bottes » pour nous offrir une minutieuse analyse de chacun de ses albums, tout en nous dévoilant le portrait d’un homme à la sensibilité à fleur de peau, dont le regard sombre et lucide sur cette société « qui nivelle par le bas », a souvent été visionnaire… En nous révélant son chemin de vie, sa philosophie et ses sources d’inspiration (puisées entre autres dans les oeuvres de Nietzsche ou de Ferré dont il est un fervent admirateur), Sébastien Bataille nous offre un précieux sésame pour mieux comprendre l’oeuvre de cet artiste aussi atypique que fascinant, qui ne chante certes pas pour passer le temps… Un ouvrage qui comblera autant ses fans de la première heure que ses tout nouveaux aficionados !
HF. Thiéfaine : animal en quarantaine par Sébastien Bataille, L’Archipel, 2021 / 21€
Onze poèmes, en autant d’instantanés, pour rendre un lumineux et respectueux hommage à celles et ceux qui, de tous temps, se sont battus pour la liberté, souvent au péril de leur vie… Onze poèmes illustrés avec grâce par Sylvie Serprix qui, en quelques saisissants coups de crayon, dévoile l’essence même du combat qui a animé ces hommes et ces femmes de bonne volonté… Onze partitions d’un jazz libre et insoumis, exaltant comme les idées portées par celles et ceux qui les ont inspirés : un jazz sur des braises, solaire et nostalgique, exécuté avec ferveur par Sébastien Texier, Christophe Marguet, Manu Codjira et François Thuillier… A travers trois expressions artistiques, ce magnifique ouvrage met en lumière le combat de quelques personnalités emblématiques qui, avec autant de courage que de ténacité, ont ouvert le chemin vers la liberté : le chef Dakota Sitting Bull, symbole de la résistance à l’armée américaine, la photojournaliste brésilienne Claudia Andujar qui a défendu corps et âme le peuple amérindien Yanomami, James Baldwin et Rosa Parks qui se sont battus contre le racisme et pour les droits civiques , Gisèle Halimi et Olympe de Gouges qui ont donné leur vie pour la cause des femmes, Simone Weil, philosophe et militante syndicale, qui a livré bataille pour la dignité des travailleurs, Aimé Césaire, écrivain et fondateur du mouvement littéraire de la négritude, qui a dénoncé le colonialisme, Louis Coquillet, jeune résistant fusillé en 1942 au Mont-Valérien… Sans oublier l’inconnu de Tian’anmen, mort pour avoir manifesté contre la répression en chine, et tous les « freedom fighters », anonymes combattants de la liberté… Un ouvrage à lire, à contempler et à écouter pour ne pas perdre de vue les valeurs essentielles de liberté, d’égalité et de fraternité incarnées par ces justes… Un ouvrage nécessaire, aujourd’hui plus que jamais…
Je suis sur des braises en attendant ton retour (livre CD) par Dominique Sampiero (poèmes), Sylvie Serprix (illustrations), Sébastien Texier et Christophe Marguet (musique), Phonofaune, 2021 / 24,50€
C’est en Inde, dans l’ashram du Maharishi Mahesh Yogi où ils s’étaient réfugiés pour une retraite spirituelle, que les « Fab Four » ont créé la plupart des titres de l’album blanc. S’ils n’y ont pas trouvé, pour la plupart d’entre eux, la sérénité qu’ils recherchaient (John et Cynthia ainsi que Paul et Jane se sont séparés peu après leur retour…), il est indéniable que ce séjour les a inspirés artistiquement, même si ce fut dans la douleur… Rentrés en Angleterre pour enregistrer chez George les maquettes de l’album (où cinq nouveaux titres furent créés), leurs désaccords et l’affrontement de leurs egos finirent par mettre un terme à leur entente devenue précaire… Palem Candillier (qui a sorti en Mars 2021 un premier album sous le nom de « L’ambulancier« , chroniqué ici par le Rascal !), passionné de l’histoire des albums emblématiques qui ont marqué le monde de la musique, nous offre (après « In utero » de Nirvana, chez le même éditeur) une exhaustive analyse de l’album blanc des Beatles : contexte de sa création (historique, humain et technique), influences, enregistrements, conception de la pochette, panorama des critiques et accueil du public, précèdent ainsi la minutieuse analyse des 30 titres qui le composent. Une passionnante immersion dans ce double album mythique que Paul McCartney avait présenté comme « L’album des tensions »…
The Beatles par Palem Candillier, Densité, 2021 / 12,90€
Après « The Rolling Stones » (chroniqué ici !), « Bob Marley » (chroniqué là !) et « David Bowie » (chroniqué ici !), je vous propose aujourd’hui de découvrir, de manière aussi ludique qu’exhaustive, l’histoire mouvementée du mythique groupe AC/DC, dans un concept séduisant qui, comme pour les précédents opus, alterne bandes dessinées et analyse documentaire. Au fil de chaque chapitre, vous suivrez chronologiquement le parcours des frères Young (des années 60 à 2020), nourri de multiples anecdotes et accompagné de photographies et de documents d’archives (affiches, pochettes d’albums…), entrecoupé de bandes dessinées réalisées par différents dessinateurs et dessinatrices (Samir Dahmani, Léah Touitou, Martin Trystam, Clément Fabre, Joël Alessandra, Cécile Barnéoud, Toru Terada, Christopher, Yvan Ojo, Samuel Figuière, Baudouin Forget, Kong Kee, Will Argunas, Anne Royant, Céheu, Marie Decavel et Romain Brun), qui apportent chacun leur « patte » graphique dans une belle diversité qui ne lasse à aucun moment le regard ! De nombreux titres, qui mettent à l’honneur d’autres artistes, sont également disponibles (ici) ! Une chouette collection pour tous les amateurs de musique et de BD !
AC/DC en BD, Petit à Petit, 2021 / 19,90€
Christine Le Garrec