Arts et essais ! N°14

Un essai sur la bibliothérapie créative signé par Régine Detambel, sa vocation littéraire décryptée par Julia Kerninon, voici les deux essais que je vous propose pour démarrer cette nouvelle série de chroniques. Deux livres qui parlent… de livres, et du bonheur qu’ils nous procurent.  Le grand Berroyer nous fait son grand retour avec un recueil de chroniques musicales et philosophiques, où bien entendu… Il nous parle de lui ! Pour terminer, trois ouvrages plus politiques : une piqûre de rappel avec Coluche,  sous la forme d’une compilation de ses textes écrits pendant la campagne électorale de 1981, l’actualité et la perception du monde décortiquée par #Data Gueule et un panorama des grands chefs révolutionnaires africains !

 

 

 

Régine Detambel est écrivain et kinésithérapeute, deux fonctions qui consistent à guérir le corps et l’âme… Formatrice en bibliothérapie créative, elle nous présente dans cet essai ses sources théoriques et les grandes lignes de cette pratique telle qu’elle l’envisage. Tous les lecteurs le savent : lire fait du bien ! L’espace d’un roman, (pour peu qu’on l’ait bien choisi), on oublie ses soucis en s’isolant dans notre espace intérieur. Les personnages du récit interfèrent avec notre propre histoire, on s’y reconnait et parfois même, leur « vécu » nous aide à y voir plus clair en nous-mêmes…En cela, les livres nous apaisent et nous soignent, c’est une évidence ! Régine Detambel nous apporte dans ce salutaire ouvrage, tout son enthousiasme et son expérience de thérapeute : n’y cherchez pas de conseils de lecture, il n’y en n’a pas ! La rencontre avec un roman est une relation intime, personnelle et contextuelle : ce qui marche pour certains ne marche pas pour d’autres, et ne fonctionne pas à n’importe quel moment de notre existence. Il n’y a pas de catalogue de « prêt à lire » selon votre mal de vivre du moment ! Seulement des références qu’il faut connaître et c’est justement ce que Régine Detambel nous propose. La littérature est tellement riche … Celle qui est digne de ce nom doit vous interpeller, vous émerveiller, vous charmer, susciter une émotion forte, quelle qu’elle soit. A vous de composer avec ses multiples facettes en choisissant l’ouvrage dont vous avez besoin à l’instant « T ». Et méfiez-vous des ouvrages de développement personnel très en vogue aujourd’hui… Je rejoins quant à moi l’avis de Régine Detambel contre ce diktat du bien-être obligatoire qu’elle compare à des recettes de cuisine : la recette ne remplace pas le plaisir de la dégustation ! Régine Detambel nous offre avec cet essai un admirable hommage à la littérature et aux bienfaits qu’elle procure, confortant ceux qui lisent dans leur passion et ne pouvant qu’inciter les non lecteurs à le devenir… Passionnant !

Les livres prennent soin de nous de Régine Detambel, Actes sud, 2017 / 6,80€

 

 

 

Dans la famille de Julia Kerninon, lire est aussi vital que respirer. Avec un tel environnement, la petite Julia ne pouvait qu’être contaminée par cette passion dévorante qui l’a amenée, très jeune à prendre elle aussi la plume… Ou plutôt le clavier, car, pour ses cinq ans, l’âge où l’on joue encore à la poupée, Julia a reçu en cadeau une machine à écrire… A peu près au même âge, elle a eu également le plaisir de visiter la librairie « Shakespeare et company », voyage soumis à la condition de cesser d’arrêter de sucer son pouce ! Un souvenir fondateur …Dans ce petit (mais dense par son contenu) livre autobiographique, Julia Kerninon, avec justesse et passion nous raconte la transmission parentale qui l’a amenée à cet amour absolu de la littérature. Par petites touches, elle fait remonter de sa mémoire les chemins qu’elle a empruntés pour être aujourd’hui l’auteur prometteur que l’on connaît : ses deux romans parus à ce jour ont été très judicieusement récompensés du prix Françoise Sagan pour le premier (« Buvard ») et de celui de la Closerie des Lilas pour le second (« Le dernier amour d’Attila Kiss ») … Pas mal pour un début ! Lire et écrire sont vraiment des activités respectables. Et si vous en doutiez encore, Julia Kerninon avec l’ardeur et la clarté qui la caractérise, nous le démontre magistralement et humblement dans ce récit empreint d’honnêteté et de simplicité. Celle des grands.

Une activité respectable de Julia Kerninon, Le Rouergue, 2017 / 9,80€

 

 

 

Je croyais connaître « mon » Berroyer sur le bout de mes doigts. Ses passages remarqués (et remarquables pour la plupart d’entre eux…) au cinéma, sa bouille de Pierrot tombé de la lune avec ses yeux ouverts comme des soucoupes, l’air d’être là, l’air de rien, cette attitude nonchalante qui attire de suite le regard et le sourire… Et bien sûr, ses chroniques, celles du genre qui mettent la patate ou vous donnent du baume au cœur quand vous n’avez pas le moral, tant les déboires du gars Jacky ressemblent aux nôtres ! Parce qu’il n’est pas avare en confidences et qu’il nous régale de ses malheurs avec un humour désabusé et décalé, la lecture de ses écrits est toujours une plage de bonne humeur… Dans « Parlons peu, parlons de moi », Berroyer ne déroge pas à cette règle d’or et continue à nous parler de lui, de ses déboires financiers (récurrents), de ses petites amies (la plupart jeunes et complètement barrées) et de sa santé, dans son style inimitable (de toute façon, il vous prévient dès le titre, hein !) Mais le propos initial de ses chroniques (parues dans le magazine suisse « Vibrations »), c’est la musique. Et là, j’avoue avoir été bluffée par l’étendue de sa culture musicale notamment dans le domaine très pointu du jazz, mais également dans celui du Blues, du Rock ou de la Pop … Il nous offre ses analyses, ses rencontres, ses coups de cœur avec passion et compétence, sans nous noyer dans un jargon prétentieux de spécialiste, en enrobant ses textes de petits apartés irrésistiblement drôles. Berroyer est également passionné de philosophie, et quand il en parle, on sent que là aussi, il maîtrise son sujet. Bref, sous sa nonchalance coutumière, Berroyer cache une belle érudition et nous en bouche un coin, grave ! Évidemment, on se marre aussi : quand il nous raconte son concert mémorable à l’Olympia avec le professeur Choron, ou lorsqu’il fut persona non grata dans une salle en Bretagne après avoir écrit une chanson peu flatteuse pour les bretons qui, comme chacun sait, sont pointilleux sur leur identité ! Il nous émeut lorsqu’il nous narre des anecdotes avec la bande d’Hara-kiri, de Charlie, de Siné, lorsqu’il évoque ses potes disparus… En lisant ses chroniques, vous prenez pleinement conscience que Berroyer, c’est une sacrée belle personnalité et le pote que l’on aimerait tous compter dans nos amis. Comme disait l’autre Merci pour ce moment, Jacky !

Parlons peu, parlons de moi de Jackie Berroyer, Le Dilettante, 2017 / 20€

 

 

 

1981. Coluche se présente aux élections présidentielles « pour leur foutre au cul ». Quand les sondages le créditent de 16% des votes, ça rigole moyen dans les milieux politiques ! Menaces, intimidations, on connait la suite… Coluche capitule et Mitterrand est élu. S’il était un humoriste reconnu, on ne peut pas réduire Coluche uniquement à ce statut tant il nous a prouvé qu’il était également (et surtout) un homme de cœur en mettant sa notoriété au service des plus démunis. Les restos du cœur qui ont pu voir le jour grâce à son obstination et son charisme sont la preuve que la société civile et la solidarité déplacent davantage de montagnes que les institutions et les politiques… Et qu’un homme peut rassembler lorsqu’il est honnête et sincère ! Excellente idée des éditions du Cherche-Midi d’avoir réuni dans ce recueil les propos de Coluche concernant le monde politique quelques mois avant les présidentielles ! Qui mieux que lui pouvait porter notre voix avec humour, intelligence et clairvoyance ? Dans cette campagne qui démarre sur des chapeaux de roues, entre magouilles, mises en examens et « affaires » toutes plus sordides les unes que les autres, les phrases du « clown » au nez rouge et à la salopette rayée, plus de trente ans après, sont toujours autant d’actualité…

Votez, éliminez ! Coluche s’invite dans la campagne présidentielle, Le Cherche-Midi, 2017 / 12€

 

 

 

Vous avez peut-être déjà visionné sur votre poste de télé ou sur le web (You tube ou Daily motion) les vidéos de #Data Gueule, car, avant de devenir un livre, c’est sur Internet qu’est née l’idée de ce concept. Cet ouvrage reprend donc les mêmes thématiques, en décryptant trente huit sujets d’actualité : économie, politique, société et environnement. Les chiffres parlent, c’est certain ! Mais tout dépend de la manière de jouer avec eux … Ainsi, les mêmes données peuvent amener à des conclusions bien différentes ! Le but des journalistes de Data Gueule est de les analyser différemment, sous un autre angle, et d’ouvrir d’autres perspectives que celles qui sont offertes à la masse, de manière prémâchée, genre, c’est comme ça, avalez braves gens, on réfléchit pour vous !  Important de savoir de quoi on parle avant de se forger une opinion, non ? C’est ce que propose #Data Gueule sur tous les vastes domaines qu’ils abordent… Est-on vraiment en démocratie ? La politique environnementale n’est t-elle pas faussée d’emblée par les lobbies industriels ? Que penser du monopole de Monsanto ? Et quels sont les profits de la Française des jeux, opium du petit peuple ou de l’industrie du tabac qui, hypocritement dénonce ses méfaits tout en continuant à se remplir les poches ? Amazon, PIB et croissance, surpêche, alimentation, éducation, données personnelles sur le Net… La liste est longue de tous les questionnements légitimes que l’on peut se poser sur les grandes entreprises et la société telle que nous la connaissons ou croyons la connaître …Un ouvrage qui a le  mérite de nous faire réfléchir aux bonnes questions. A vous de trouver les réponses …Édifiant !

# Data Gueule de Julien Goetz, Henri Poulain et Sylvain Lapoix, Marabout, 2017 / 19,90€

 

 

 

Dans « Figures de la révolution africaine », Saïd Bouamama, sociologue et militant associatif, dresse le portrait collectif des penseurs-combattants de la libération africaine de la décolonisation. Il ne nous en propose pas un catalogue exhaustif car il lui a bien fallu faire des choix ! Les femmes, notamment, sont absentes de ces portraits (Bien souvent réduites au rôle d’icônes, elles ont peu participé aux luttes armées par définition masculines, même si leur action fut importante et souvent décisive). Mandela et Biko (entre autres) ne font pas non plus l’objet de portraits, mais vous y trouverez ceux d’Aimé Césaire ou de Malcolm X… Cet essai passionnant se découpe en trois volets : Penser le colonialisme ou l’abattre (1945/1954), le droit de légitime violence (1954/1962) et de l’anticolonialisme à l’anti-impérialisme (1962/1975). Bouamama retrace le cheminement qui a conduit ces hommes à penser aux alternatives envisageables pacifiquement, sur la base du droit international, pour l’émancipation de leur pays. Puis le durcissement qui s’ensuivit face aux puissances coloniales, déterminées à maintenir leur domination… Une indépendance réclamée avec légitimité par ces peuples dominés politiquement et économiquement mais aussi et surtout niés dans leur identité propre, leurs croyances et leurs traditions. La doctrine marxiste s’est peu à peu imposée alors dans les forums internationaux (conférence Tricontinentale qui a coûté la vie à Ben Barka…) dans l’urgence de coordonner les luttes en Afrique dans un cadre international. Puis les américains, guerre froide oblige, se sont rapprochés des européens pour mettre en place le néocolonialisme…Bien sûr, les acteurs de la libération africaine ne sont pas exempts de tout soupçon… Bouamama ne fait d’ailleurs pas de ces acteurs révolutionnaires des héros purs et durs. Mais il s’efforce de retracer avec justesse leurs parcours en fonction des circonstances rencontrées, replaçant les personnages dans un contexte bien souvent difficile : ils devaient en même temps comprendre et agir, contester et résister, et inventer des alternatives en fonction des forces politiques en vigueur et de la mutation des configurations sociales en Afrique… Le sujet est complexe et j’espère en avoir retiré la substantifique moelle … En tout cas, j’ai pris une sacrée leçon d’histoire, découvert des personnalités que je ne connaissais pas ou peu et vous invite tout comme moi à faire leur connaissance…

Figures de la révolution africaine de Saïd Bouamama, La Découverte, 2017 / 12,50€

 

Christine Le Garrec