Papiers à bulles ! N°35

Dernière sélection BD de l’été ! Au menu, BD indé avec les déjantés Simon Hanselmann et Félix Kerjean, une encyclopédie de savoirs approximatifs, un manuel mode d’emploi pour ne pas rater sa vie, une délicieuse balade au coeur du Morvan, une histoire édifiante de l’immigration maghrébine, un recueil de témoignages de femmes sur leur rapport au corps, et un hilarant petit traité de dégustation… Pour terminer, je vous propose un one shot au goût de fin du monde, la suite et fin de la série primée « Villevermine », Un premier tome de fantasy particulièrement réussi, et un « comic pulp » dans un Las Vegas corrompu à souhait ! Bonnes lectures à toutes et à tous !!!

Après les irrésistibles « Megg, Mogg & Owl à Amsterdam (chroniqué ici !) et « Happy fucking Birthday » (chroniqué  !), Simon Hanselmann nous revient avec un opus toujours aussi trash et délirant, mais cette fois, le ton est plutôt à la désespérance, comme si un vent mauvais soufflait sur la destinée de ces fêtards invétérés… Owl, le seul responsable dans cette équipe de fainéants et d’ingrats, vient de tirer sa révérence, les laissant en pleine déroute financière vu qu’il était le seul à bosser et à assurer le loyer… Megg et Mogg, en plus de leurs insolubles problèmes de fric dus en très grande partie à leur consommation effrénée de came, sont en pleine crise conjugale… Et l’aventure que Megg  s’est offerte avec Booger n’a certes pas arrangé les choses, d’autant plus que cette histoire n’est pas vraiment réglée et que ces deux-là sont toujours amoureuses l’une de l’autre… Pour ne pas se retrouver expulsés, Megg et Mogg prennent Werewolf comme colocataire (mauvaise, très mauvaise idée !) et comme de bien entendu, celui-ci transforme l’appartement en plaque tournante et en lupanar crasseux, entre deux passage aux urgences pour overdose… Megg va devoir supplier les services sociaux pour tenter de maintenir ses allocations, mais ceux-ci deviennent de plus en plus méfiants et les radiations vont bon train… Quant à Mogg, chargé par Megg de se trouver un job, c’est tout son monde qui s’écroule… Mais qu’il se rassure, celui qui souhaiterait le prendre à son service n’est pas encore né ! Si on rajoute au marasme ambiant le fait que Megg, contactée par sa mère junkie, devra faire un douloureux flash back en pays d’enfance, la boucle est bouclée… Et oui ! La fête est finie, l’amour est triste et la défonce glauque dans ce dernier épisode qui prend sacrément de la profondeur en même temps que ses personnages prennent conscience de la précarité de leur existence. Ces loosers magnifiques jusque là insouciants grâce à Owl, en se retrouvant livrés à eux-mêmes, doivent faire face à un bilan douloureux. A l’alcool et à la drogue, festifs jusque là, la dépression entre dans le bal et fait désormais partie de l’équation… Si les personnages ont indéniablement grandi, le style « Hanselmann » a quant à lui résolument mûri en même temps que ses créatures. Son dessin expressif emballé dans des couleurs flashy procure toujours autant de plaisir et on reste fortement attaché à ses personnages, d’autant plus qu’ils découvrent leurs failles de manière fort touchante. Cerise sur le gâteau, Misma a particulièrement soigné l’édition : sous sa couverture transparente, « Winter trauma » est vraiment très, très élégant… On attend la suite (et le retour de Owl !) avec impatience !!!

Winter trauma de Simon Hanselmann, Misma, 2019 / 25€

Comment les dinosaures ont-ils disparu de la surface de la Terre ? Une comète, un big tremblement de terre ? Que nenni ! Si on en croit Félix Kerjean, ce serait plutôt un coup des nazis… Qui auraient exterminé ces grosses bêtes dans une guerre inégale et sans pitié ! Vous l’aurez compris : l’argument de « Jurassik Reich » est loin d’être politiquement correct. Quant à son contenu, c’est un feu d’artifice de violences en tous genres : viols, tortures, explosions, humiliations, lâchage de chiens féroces… A quoi s’attendre d’autre avec le diabolique troisième Reich ?! Illustré dans des couleurs flashy, sans le moindre texte, et parsemé de clins d’œil malins (« la grande évasion », « La grande vadrouille », « Le penseur de Rodin »… On y croise même Hitler, sans surprise, pervers et voyeur…), ce drôle de petit bouquin, trash et délirant, dégage un sentiment de malaise, renforcé par le trait furieusement proche de celui d’un Willem en grande forme ! On reste muet de stupeur devant tant d’horreur et de barbarie décomplexée qui, bien entendu, nous ramène en des temps beaucoup plus proches où les fans d’Hitler ont exterminé allègrement et sans le moindre scrupule tout ce qui faisait « tâche » dans leur norme aryenne… Transgressive, malsaine et férocement imaginative, « Jurassik Reich » est une BD qui dérange… Si c’était le but (forcément !), il est atteint dans toute sa splendeur ! Pour conclure, vous trouverez en fin de ce petit volume fort classieux, un rapport déjanté sur les fouilles de la « bataille du jurassique », plans et photos à l’appui ! Un ovni, ce bouquin !!!

Jurassik Reich de Félix Kerjean, Super Loto, 2019 / 18€

M. La Mine, de son vrai nom Mathieu Minet, est un distingué universitaire dont le savoir est indéniablement loin d’être approximatif… Et ce sont ses connaissances, délicieusement détournées, qu’il nous offre avec un humour irrésistible dans ce recueil composé de « fiches encyclopédiques » destinées à « ceux qui ne savent rien et ne veulent rien savoir » ! Au cours des sept chapitres (art et culture, traditions et folklores, Histoire, vie moderne, santé et bien-être, sport et loisirs, faune et flore), vous n’enrichirez peut-être pas votre culture générale (quoique… !) mais vous passerez, je vous l’assure, un excellent moment de détente ! Dans ce « bric à brac» déjanté (qui fourmille de références littéraires), vous découvrirez la carte des lieux communs, les muses de la non inspiration, des super héros figures de styles, des monstres langagiers, le pitch de séries en vogue sous-titrées en picard, des films d’horreur orthographiques, la recette de n’importe quelle recette régionale, des métiers oubliés, les décorations d’anciens débattants, un abécédaire « boutonneux » (de acné à zona), une bibliothèque de non développement personnel, les différents types de dopage, les fleurs qui poussent dans les livres, les animaux clichés de la ferme… Et tant d’autres encore qui feront fleurir vos sourires dans la morosité ambiante ! Barge et barrée, certes, cette « encyclopédie » reflète néanmoins en filigrane la grande l’érudition de son auteur… Un régal !!!

Encyclopédie non exhaustive des savoirs approximatifs de M. La Mine, Delcourt, 2019 / 17,95€

Un texte court, une image qui le dément totalement : comme si le regard posé sur notre existence était voilé par le désir d’en mener une autre, bien différente… De l’enfance à la vieillesse, Bertrand Santini et Bertrand Gatignol dévoilent une longue tranche de vie, entre les rêves innocents d’un petit garçon et le constat amer de celui-ci arrivé au terme de sa vie… Qu’est-ce que réussir sa vie ? Avoir une Rolex avant ses cinquante ans ? Habiter une grande et belle maison ? Vivre dans un pays imbécile où jamais il ne pleut ? Être riche, beau et célèbre ? Et si ces critères nous étaient imposés comme symboles de réussite, contre notre gré ? Et si la vérité était ailleurs, loin de tout apparat, sans se soucier du regard de la société ? L’enfant du début était heureux, sans se poser de questions… Devenu adulte, après avoir franchi toutes les étapes d’une pseudo réussite, le bilan est peu brillant : le luxe et la richesse tant convoités deviennent vulgarité et les apparences ne trompent que les autres… Même entouré, on est désespérément seul et on regrette à l’aube de sa vie, ses rêves d’enfant… Dans un noir et blanc implacable, c’est une vie contrastée entre aspirations et faux semblants que décrivent à la perfection, et avec un humour grinçant, les deux auteurs de ce petit bijou… Seule une point de rouge, une pointe de vie personnifiée par le doudou miteux de l’enfance, laisse entrevoir qu’il faudrait toujours garder à l’esprit l’essentiel : ne pas perdre de vue le sens de sa vie, et rester soi-même afin de ne rien regretter lorsque la page sera définitivement tournée… Désabusé, amer et furieusement juste et intelligent !

Comment j’ai raté ma vie de Bertrand Santini et Bertrand Gatignol, Grasset, 2019 / 12,50€

En Juillet 2018, Vincent Vanoli est accueilli en résidence sur le parc naturel régional du Morvan, invité par l’association culturelle « Derrière le hublot ». Il se balade le nez au vent, rencontre les gens du cru, s’imprègne des lieux et retranscrit ses émotions en textes poétiques accompagnés de dessins qui ne le sont pas moins… C’est à ces déambulations qu’il nous convie avec ce carnet de voyage, esquissé d’un trait sensible et délicat, tout en simplicité et en nuances, qui dessine les contours d’une vie tranquille, dans un environnement majestueux. « Robinson » visiblement heureux de se déconnecter, il nous offre dans un climat de quiétude et d’authenticité ses impressions, vécues d’un regard neuf et avide, et nous laisse entrevoir la réalité d’une région, sans superficialité, au rythme de ses pas et de ses rencontres. Un « luxe » pour ceux, nombreux, qui ont la conviction d’avoir « fait » une région ou un pays en le traversant de part en part au volant d’une voiture ! Apaisant comme un bon bol d’air, « Le promeneur du Morvan » nous offre ce privilège de flâner et de s’imprégner des lieux, de notre fauteuil… Vous pouvez également vous procurer dans cette jolie collection « Lost on the Lot » et « Chemins de pierre » (chroniqué ici !)

Le promeneur du Morvan de Vincent Vanoli, Les Requins Marteaux / Ouïe-Dire, 2019 / 16€

Superbement réalisé avec une belle sensibilité par Jérôme Ruillier, ce roman graphique nous offre la belle occasion de découvrir dans un autre format le travail de Yamina Benguigui dont le livre et le film « Mémoires d’immigrés » ont été sa source d’inspiration. C’est donc à l’histoire de l’immigration maghrébine, des années 50 / 60 (en pleine période colonialiste…) à nos jours, que nous convie cet ouvrage qui se compose de trois grands chapitres : « Les pères », « Les mères », « Les enfants ». Les premiers, partis de chez eux pour trouver du travail afin d’offrir une vie décente à leur famille, n’ont trouvé que mépris là où il pensait trouver une terre accueillante : logements insalubres, sales boulots mal payés, solitude, humiliations, racisme… Ces « Mohamed » sans nom ni visage n’étaient considérés que comme de la main d’œuvre à bas prix, corvéables et soumis…  Quant aux secondes, les épouses et mères, arrivées en France au moment de la loi du rapprochement familial, elles se sont quant à elles retrouvées isolées et en décalage total avec la société, bien loin des traditions de leur pays… Leurs enfants, mieux armés culturellement car nés en France ou arrivés tout jeunes, ont dû et doivent encore gérer un rapport complexe avec leurs origines et digérer le parcours humiliant de leurs parents… A partir de différents témoignages, Jérôme Ruillier a dessiné le parcours de ces hommes et de ces femmes sur deux générations, pointant du doigt les nombreuses erreurs commises par les gouvernements successifs qui, en les « parquant » dans des banlieues ghettos où le sentiment d’injustice, bien légitime, fait gronder la révolte, ont mis en place un système qui exacerbe le rejet de l’autre et la peur de l’étranger… Cette histoire de l’immigration devrait être lue par tous, y compris et surtout par ceux qui, par ignorance et par bêtise, se trompent d’ennemis… Un livre profondément juste et humain, à mettre entre toutes les mains pour comprendre, avant de juger…

Les Mohamed de Jérôme Ruillier (d’après Mémoires d’immigrés de Yamina Benguigui), Sarbacane, 2019 / 20€

Adaptée de la série « Cher corps » réalisée par Léa Bordier, cette BD reprend le principe du concept qui fait un tabac sur Youtube : donner la parole aux femmes de tous âges et de tous horizons pour évoquer leur rapport au corps. Chaque témoignage est ici illustré par une auteure à chaque fois différente, leur point commun étant leur engagement pour la cause des femmes (Carole Maurel, Daphné Collignon, Mirion Malle, Eve Gentilhomme, Cy, Karensac, Sibylline Meynet, Mademoiselle Caroline, Mathou, Anne-Olivia Messana, Marie Boiseau, Lucile Gomez). Parcours de vie d’une militante féministe qui s’est battue pour le droit à la contraception et à l’avortement, difficultés de voir le corps se flétrir avec l’âge, problèmes de surpoids, anorexie, puberté précoce, blessures physiques ou psychologiques, handicap, maternité et stérilité, viol, homosexualité, couleur de peau… Ces douze femmes évoquent leurs cicatrices et surtout comment elles ont réussi à s’accepter telles qu’elles sont, en faisant abstraction des normes en vigueur et du regard des autres, avec une touchante sincérité. Ce partage d’expériences, bienveillant et décomplexant, aidera bon nombre de femmes à surmonter leurs propres problèmes, en les encourageant à briser le silence… Salvateur !

Cher corps par Léa Bordier, Delcourt, 2019 / 20€

Trois potes, fans de dégustation de vins fins, se réunissent (très !) régulièrement pour parler œnologie. Enfin, pour être plus précis, pour picoler… Car invariablement, les trois compères finissent chaque séance « sur le toit », « défoncés comme des terrains de manœuvre » ! Pas du genre à recracher proprement dans une coupelle, ces roublards, tricheurs et médisants, plein de bonne volonté mais pas très doués, sont davantage au taquet pour finir la bouteille (on peut mettre au pluriel !) que pour deviner l’origine de son contenu ! Vous aurez compris que « Mimi, Fifi et Glouglou », bons vivants portés sur la dive bouteille (pas de temps mort pour lever le coude !) ont bien du mal à évoquer leur « art »… Déguster, oui. En parler ? Euh…. Leurs définitions sont savoureuses, bien loin du langage abscons des spécialistes, genre « nez frais, aux arômes délicats et pénétrants de fleur d’églantine mêlés de notes de pivoine et de violette très pure… » Là, on est plutôt dans un style à l’arrache qui sent le vécu du genre « ch’uis scotché, ça déchire grave, éclate totale, ça me troue le cul… » ! Notez que loin d’être académiques, leurs appréciations dénotent tout de même une vraie passion pour le sang du seigneur !!! Ah ! Ne cherchez pas dans le commerce les grands crus désignés par ces pieds-nickelés… A mon avis, vous aurez du mal à trouver un « Carbo de Grominet », « une poire de Cazottes » ou un « château Graussedaube » qui sent le poulailler ! Composé de strips hilarants, ce petit traité de dégustation se déguste bien frais et à petites lampées, de préférence en bonne compagnie, histoire de « noter » l’humour décapant de Michel Tolmer (précipitez-vous, amateurs de bons vins sur le site « Glougueule… Pour les hommes de glou »). Allez, à la vôtre… Hips !!!

Mimi, Fifi & Glouglou : petit traité de dégustation par Michel Tolmer, L’épure, 2013 / 22€

1774. Nikita Petrovich, astronome à la cour de l’impératrice Catherine II de Russie, est un cochon, aussi érudit que bourru, qui ne s’est jamais remis de la mort de sa femme. Son ami et protecteur, le chancelier Troubeskov, lui demande de former Ivan Polanski, le fils de sa maîtresse, un chien stupide et maladroit qui rêve de construire une machine à remonter le temps… A contrecœur, Nikita est bien obligé d’accepter ce boulet dont il se serait bien passé ! D’autant plus qu’il vient de faire une glaçante découverte : une comète va s’écraser d’ici quelques semaines sur la Sibérie… Nikita alerte de suite les autorités pour évacuer la zone, mais sa requête ne trouve aucun écho… Une seule solution : se rendre lui-même sur les lieux avec Ivan pour prévenir les populations du danger qui les menace ! Arrivés sur place après bien des péripéties, Ivan et Nikita se retrouvent prisonniers de bandits de grand chemin, violents et alcooliques, seuls habitants de la région risquant d’être touchée par la comète… Jean-Paul Krassinsky, avec un humour féroce, nous offre une fable tragi-comique animalière à la manière de « La ferme des animaux », où les protagonistes sont parés des mêmes qualités et des mêmes défauts que les humains. Sous couvert d’humour, les aventures de ce duo improbable mettent en lumière le laxisme politique tout en soulevant une question brûlante : l’humanité mérite t-elle d’être sauvée ? Au vu de l’actualité, il semblerait que la planète Terre se porterait bien mieux sans les prédateurs d’humains que nous sommes… Alors, en attendant la fin du monde, savourons ce one shot (de vodka !) aussi subtil que grinçant ! Un vrai coup de cœur !!!

La fin du monde en trinquant de Jean-Paul Krassinsky, Casterman, 2019 / 25€

Petit résumé du premier tome (chroniqué ici !) : Jacques Peuplier, privé taiseux et renfermé sur lui-même, vit dans la cité de Villevermine où règne une ambiance glauque et poisseuse de fin du monde. Jacques a une particularité : il peut entendre et parler avec les objets… Ce bricoleur de l’impossible qui répare tout ce qui est mis au rebut, gagne sa vie en retrouvant ce qui a été perdu ou volé avec l’aide de ses « indics » inanimés. Grâce à eux, il a ainsi pu retrouver la trace de Christina, la fille de la reine de la pègre locale, détenue par Joshua Maeterlinck, un savant psychopathe qui fabrique en grand secret une machine diabolique avec l’aide de son frère Nathan et de ses créatures, des hommes insectes totalement dévoués à son service. Christina libérée, Jacques se retrouve aux prises avec Joshua mais réussit à lui échapper après avoir subi sous son scalpel, une « opération » dont il ne connaît pas la teneur… Jacques est libre, mais il ne peu plus entendre les objets… Persuadé que Joshua en est responsable, il n’a plus qu’un seul but : récupérer son don… La seconde et dernière partie que je vous propose de découvrir aujourd’hui va donc être la quête de Jacques pour retrouver son pouvoir, cette fois avec l’aide de Rudy, membre d’un gang de gosses des rues, et de sauver Villevermine de la créature monstrueuse de Joshua, sorte de Frankenstein futuriste qui menace d’engloutir ses habitants… Démarrant sur un flash-back sur l’enfance des frères Maeterlinck qui explique la genèse de leur folie, ce deuxième tome nous embarque, dans un rythme haletant et soutenu, dans une lutte acharnée entre le bien et le mal, allégée par l’humour irrésistible des dialogues. « Gentils » attachants, « méchants » bien affreux, dessin inventif totalement maîtrisé, décors somptueux, scénario construit à la perfection : Villevermine, dont le premier tome a reçu cette année le Fauve Polar SNCF à Angoulême, est décidément un récit fantastique dans tous les sens du terme !

Villevermine : Le garçon aux bestioles (T. 2/2) de Julien Lambert, Sarbacane, 2019 / 18€

Sur les terres d’Arran, vivent elfes, nains, Orcs, gobelins, hommes… Et mages. Mais ces derniers ont perdu leur liberté et ne peuvent désormais utiliser leur magie qu’au seul profit d’un seigneur humain… S’ils refusent de s’assujettir à leur maître, ils sont menacés dans le meilleur des cas d’emprisonnement et dans le pire, de mort… Comme le mage Aldoran qui, depuis son refus de capituler devant l’ordre établi, erre comme une âme en peine, traqué par l’ordre des ombres… Castlelek est la seule cité indépendante du royaume, et il y fait bon vivre dans une tranquillité jamais démentie depuis des siècles. Seule Shannon, une jeune fille un brin téméraire qui rêve d’aventure, semble ne pas se satisfaire de cette vie un peu trop calme à son goût… Depuis quelque temps, elle est intriguée par un nouvel arrivant, Tyrom, un géant bourru qui vit en marge des hommes et du village. Shannon finit par l’approcher et tous deux deviennent amis… La jeune fille découvre alors que Tyrom ne sait rien de son passé, comme si sa mémoire avait été effacée… Elle décide de l’aider à retrouver qui il est, persuadée que cette amnésie cache un grand guerrier… Ou un magicien ! Pendant ce temps, les dignitaires de Castlelek reçoivent la visite d’un émissaire du roi Gerald, qui propose sa protection à la cité en échange de son annexion à son royaume : une excellente affaire pour lui, vu la position stratégique de Castlelek… Sa proposition ayant été rejetée, Gerald, furieux, lâche les chiens : une horde de mercenaires s’abat alors avec violence sur la cité si paisible jusque là… Durant ce qui fut une bataille mémorable, Tyrom découvre qu’il possède un don lorsqu’il pulvérise littéralement un soldat qui s’en prenait à la vie de Shannon… Tyrom est-il un mage ? Castlelek aurait en tout cas bien besoin de magie pour se tirer de ce mauvais pas… Premier tome d’une série qui en comptera au minimum quatre, «Mages» nous propose de découvrir à travers quatre albums, les quatre voies de la magie, symbolisées chacune par un personnage (élémentaliste avec « Aldoran », runique avec «Eragan» (qui sortira fin Août), nécromancie avec «Altherat» (sortie prévue en Novembre) et alchimie avec « Arundill » qui sortira des presses en début d’année 2020). Ce premier tome est une réussite… Et donne une furieuse envie de découvrir la suite, dont les prémisses se dessinent dans ce premier opus ! De la bonne, très bonne Héroïc Fantasy : de l’action et des rebondissements à gogo, un dessin somptueux (Ah ! les décors… Sublimes !), des tronches patibulaires à souhait qui se confrontent au joli minois de la jeune héroïne, un récit vivant, des personnages attachants… Un premier album addictif d’une série très prometteuse !

Mages : Aldoran (T.1) par Jean-Luc Istin, Kyko Duarte et J. Nanjan, Soleil, 2019 / 14,95€

Stanley Dance, la cinquantaine bien sonnée, a jusque là mené une vie solitaire faite d’embrouilles en tous genres. Mais là, il touche le fond du bocal… Après un dernier « resto baskets », il décide qu’il est temps maintenant de se refaire une santé à Las Vegas où, le moins que l’on puisse dire, il n’a pas laissé que des bons souvenirs… Après avoir abandonné sa femme et son fils de cinq ans, avoir été l’amant de la femme de Les, son meilleur ami, morte d’overdose sans qu’il intervienne, son retour « au pays » risque de faire grincer bien des dents… Il débarque chez Betsy, une de ses ex qui tient un cabaret, le « Piggy Bank Theater » où sa fille, une sacrée belle plante, est le clou du spectacle de l’établissement. Sans elle, celui-ci ne tarderait pas à fermer boutique… Et Les, propriétaire d’un casino concurrent, fait miroiter monts et merveilles à la jeune femme pour la débaucher à son profit… Dance décide de filer un coup de main à sa vieille amie et pour cela, il va devoir se confronter à son passé et surtout à Les qui, de meilleur ami est devenu son pire ennemi… Pour infiltrer le cœur de Vegas, Dance décide de reprendre sa carrière de boxeur mise en stand by des années auparavant… Mais le régime clopes, alcool, tacos qu’il entretient avec passion depuis tout ce temps, ne fait pas de lui le challenger de ses futurs combats ! Stanley Dance, en voulant se racheter une conduite, va devoir la jouer fine et improviser pour sortir son épingle du jeu… Dan Panosian signe avec « Slots » un thriller poisseux et nerveux où vengeances, magouilles de tous poils et femmes fatales jouent une partie de poker sous la nonchalance désabusée de son loser magnifique (mais attachant en diable !) qui dégage un charme fou. Tous les ingrédients d’un polar noir « à l’ancienne » sont réunis dans ce one shot façon « pulp » maîtrisé de main de maître, tant au niveau du scénario que du graphisme : trait sexy, mise en mouvement irréprochable, fascinant travail sur les couleurs et les lumières, tout est parfaitement dosé pour retranscrire la noirceur au cœur des lumières de Vegas ! Réjouissant de bout en bout ! Une suite, peut-être ? Elle serait en tout cas la bienvenue !

Slots de Dan Panosian, Delcourt, 2019 / 15,95€

Christine Le Garrec